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Le « discours en interaction » et la co-construction du discours

Pour aborder les interactions verbales en classe

1.5.3. Le « discours en interaction » et la co-construction du discours

Dans une classe de langue, le but final du processus d‟enseignement/apprentissage est d‟inciter les apprenants à entretenir un tel discours en interagissant pendant l‟apprentissage, et à dépasser par là la seule dimension langagière de l‟apprentissage de la langue étrangère pour inclure une autre dimension sociale.

Mais dans une classe de langue étrangère, l‟enseignant essaie toujours de créer ou de simuler des situations pour favoriser la communication entre les apprenants, afin d‟engendrer une maîtrise de la langue parlée ou du langage verbal. Dans cette perspective, l‟apprentissage de la langue étrangère passe par le processus inverse de celui de la communication naturelle. En classe de langue, l‟étudiant apprend les structures de la langue en formulant des messages et en communiquant par l‟échange verbal ; dans une situation de communication naturelle, le locuteur fait l‟inverse c.à.d. utilise les structures de la langue durant un échange verbal afin de communiquer et formuler des messages. D‟où la difficulté et, parfois, l‟échec de la communication verbale en classe parce que l‟apprenant et les enseignants se perdent dans les dédales de la maîtrise de la langue parlée en oubliant que l‟essentiel avant tout, c‟est de comprendre et de se faire comprendre.

C. KERBRAT-ORECCHIONI utilise l‟expression de « discours-en-interaction », ou « talk-in-interaction » pour désigner « le vaste ensemble des pratiques discursives qui se

déroulent en contexte interactif » (2005 : 14). Le « discours-en-interaction », dont la

conversation représente une forme particulière, se construit à l'oral, généralement en face à face ou par défaut à distance (présence morale du locuteur dans le discours). La conversation reste cependant une forme privilégiée dans les analyses de KERBRAT-ORECCHIONI et elle occupe une partie considérable dans son ouvrage.

Le discours en interaction résulte donc d‟un travail coopératif bien ordonné : GOFFMAN affirme que « le domaine de l'interaction est en fait peut-être plus ordonné que tout

autre » (1988 : 198). Même en absence de l‟autre personne à qui le locuteur s‟adresse, le

moitié à celui qui parle, moitié à celui qui l’écoute » (KERBRAT-ORECCHIONI, 1998 :

14).

La parole, comme activité, est loin d‟être simplement une forme d‟« expression de la pensée » ; c‟est une pratique collective, où les différents participants mettent en œuvre un ensemble de procédés leur permettant d‟assurer collectivement la gestion du discours produit.

Dans une situation donnée, les interactants supposent tous tacitement qu‟il existe un partage de savoirs communs concernant le code linguistique, les usages sociaux, les savoirs quotidiens sur le monde, ce qui les pousse à activer dans leurs interprétations les mêmes portions pertinentes de ces savoirs. En d‟autres termes, il existe une « réciprocité des perspectives » (SCHÜTZ, 1962 ; BANGE, 1992) qui permet à chacun d‟anticiper les actions des partenaires et donc d‟adapter ses propres actions en fonction des réactions qu‟il prévoit. Dans la communication exolingue, ce partage des savoirs ne doit pas être présupposé ; il doit être constamment vérifié, et il faut surtout remédier en permanence aux obstacles de l‟intercompréhension. Ainsi, on voit bien que la production du sens est un phénomène interactionnel, une co-production.

Cependant, que l'on parle d'« interaction » ou comme Norbert ELIAS (1991) l‟appelle « interpénétration », le principe reste le même : dans un contexte précis, et à partir des représentations et d'attentes préalables, des personnes vont échanger du discours, et changer en échangeant. En effet, ELIAS parle « d‟imbrication », c‟est-à-dire que « les

hommes se modifient mutuellement dans et par la relation des uns et des autres, qu’ils se forment et se transforment perpétuellement dans cette relation » (DUBAR, 1991 : 112).

Ils vont devoir en permanence ajuster et adapter leur conduite (gestualité) aussi bien que leur parole au déroulement de l'interaction : des imprévus peuvent s'opposer au cheminement projeté et chambouler tout ce que la personne comptait dire.

Cette construction interactive du sens se base sur :

- l‟hypothèse réciproque du respect du principe de coopération (GRICE, 1975)9

;

9

GRICE (1975) trouve que tout échange conversationnel entre un locuteur et un destinataire suppose un minimum d‟entente ainsi qu‟un minimum d‟effort coopératif. L‟échange entre les interlocuteurs ne se fait pas n‟importe comment parce qu‟il implique le respect d‟un certain nombre de règles communes. La théorie de GRICE repose sur la conformité des contributions des interlocuteurs à la direction et au but exigés par l‟échange qu‟ils entretiennent et sur un principe de coopération qu‟ils sont censés respecter. GRICE précise

- le principe de constance du sens (HÖRMANN, 1976) sur le maintien de l‟hypothèse réciproque de respect du principe de coopération aussi longtemps qu‟il est nécessaire pour qu‟un sens puisse être reconstruit.

Ainsi, les interlocuteurs ont recours à des mécanismes d'ajustements, d'adaptations et de réadaptations, et qui permettent aux improvisations collectives comme les conversations de se dérouler sans trop de heurts désignés par C. KERBRAT-ORECCHIONI comme « négociations (conversationnelles) » (2005 : 92). Cette notion est particulièrement appropriée pour décrire ce que manifeste l'interaction et à tous les niveaux et pour aborder la construction progressive et collective des conversations. C'est pourquoi c'est la notion de « négociation » qui va nous servir de base pour observer les différents aspects du fonctionnement du discours-en-interaction.

En effet, la construction des échanges verbaux et des conversations est gouvernée par des règles de nature distincte et culturellement variables. Certes, ces règles permettent de prévoir un certain avancement des échanges et une certaine organisation des propos échangés mais une fois appliquées, ces règles laissent en effet une marge d‟improvisation plus ou moins importante. Converser ressemble donc à la construction d‟un canevas où, petit à petit, une unité textuelle conversationnelle se construit. Mais il est clair aussi que cette unité qui se construit avec le temps et suivant les échanges alternatifs des participants est modifiée et elle ne ressemble point au début à ce qu‟elle en deviendra vers la fin de l‟échange10

.

Pour la co-construction de l‟interaction, les mécanismes de négociation jouent un rôle capital et en vérité les règles conversationnelles qui gouvernent ces mécanismes sont relativement floues ; or plus les règles conversationnelles sont floues, plus la négociation revêt un rôle primordial. Ainsi, la négociation peut apparaître à tout niveau de l‟interaction. Tout est éventuellement sujet de négociation : le contrat de communication, le type d‟échange dans lequel on s‟engage, son scénario global, son organisation locale, l‟alternance des tours de parole, les sujets de conversation, l‟adéquation des signes

ce principe par quatre catégories de maximes dites “conversationnelles”: maximes de quantité, de qualité, de relation, et de manière. Le respect de ces maximes orientera l'interprétation des énoncés lors de l‟échange verbal. Supposant que son interlocuteur est coopératif, le destinataire, doit ajouter des informations au contenu littéral d'un énoncé pour pouvoir comprendre ce que son interlocuteur veut dire.

10 « La conversation est en somme une partie de tennis qu’on joue avec une balle en pâte à modeler qui

prend une forme nouvelle chaque fois qu’elle franchit le filet » : LODGE David, Un tout petit monde, Paris,

produits, la signification des mots et des énoncés, les opinions émises de part et d‟autre et les divers aspects de la relation interpersonnelle…

Ainsi, la négociation est indispensable aux interactions ; cela ne veut pas dire cependant que toute négociation est forcément réussie : certaines négociations aboutissent, d‟autres échouent, et les conversations ne s‟arrêtent pas mais elles continuent avec un rythme variable, paisible ou chaotique, selon les négociations et la nature des échanges.

Certes, dans une conversation, tout bouge et tout change, et tout équilibre établi avec le temps n‟est en vérité que provisoire. Telle est donc la condition de la continuation d‟une interaction, que la mort guette sur ses deux côtés : d‟une part, le refus trop radical d‟une négociation peut entraîner la fin subite de l‟interaction. D‟autre part, sa réussite trop idéale fait perdre à la communication son objectif, qu‟est la différence, puisque l‟échange présuppose la différence, et l‟excès de l‟approbation11

ne mène qu‟au silence.