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Les assouplissements du monopole officinal pouvant être envisagés

Dans le document Avis 19-A-08 du 04 avril 2019 (Page 197-0)

SECTION VI – LE MONOPOLE DES PHARMACIENS

D. Les assouplissements du monopole officinal pouvant être envisagés

901. L’analyse des contributions à la consultation publique, ainsi que la prise en compte des modèles ayant été mis en place dans d’autres États membres de l’UE, ont permis de dégager les conditions qui seraient propres à maintenir un haut niveau de protection de la santé publique, dans l’hypothèse d’un assouplissement du monopole officinal.

1. LE MAINTIEN STRICT DU MONOPOLE DU PHARMACIEN

902. Afin d’éviter tout risque pour la santé publique dans l’hypothèse d’un assouplissement du monopole officinal en France, il apparaît indispensable, comme précédemment abordé, de maintenir strictement le monopole du pharmacien sur l’acte de dispensation du médicament542, en prévoyant la présence obligatoire sur les lieux de vente d’un docteur en pharmacie, sur le modèle de l’Italie et du Portugal.

903. Il est à noter qu’aucun cas comparable aux incidents évoqués ci-dessus par l’ONP n’a été rapporté dans les États membres ayant assoupli le monopole officinal en maintenant l’exigence d’un contrôle effectif d’un docteur en pharmacie pour la dispensation des médicaments (Italie ou Portugal). L’ONP fait par ailleurs état, dans sa réponse à la consultation publique, de la création, en 2013, d’une sous-catégorie de médicaments à prescription médicale facultative réservée au circuit officinal au Portugal, estimant qu’une telle mesure s’avérait nécessaire pour garantir le contrôle de la dispensation de ces produits543. Il convient néanmoins de relever que la création de cette catégorie, qui ne concernait que 15 molécules en 2016544, constitue essentiellement un moyen d’élargir l’accès des patients à des médicaments à prescription médicale obligatoire, en permettant leur dispensation en officine sans ordonnance545.

904. Le risque de surconsommation lié à une éventuelle banalisation des médicaments à prescription médicale facultative paraît par ailleurs devoir être relativisé. En effet, aujourd’hui, la France se situe parmi les pays où la consommation de médicaments est élevée

541 Cote 2 313.

542 La dispensation comprend l’analyse pharmaceutique de l’ordonnance (lorsqu’elle existe), la préparation éventuelle des doses à administrer et la mise à disposition des conseils nécessaires au bon usage du médicament (article R. 4235-48 du CSP).

543 Cote 13 913.

544 Non-prescription medicinal products dispensed exclusively in the pharmacy : an underused access opportunity in Portugal?, Drugs & Therapy Perspectives, November 2016.

545 Ibid.

(30 % de plus que la moyenne européenne)546, alors même que le monopole officinal est plus étendu que dans de nombreux pays européens. En Italie, les ventes de médicaments d’automédication n’ont augmenté que de 13 % en valeur entre 2007 et 2016 alors qu’elles ont augmenté de 21 % en valeur sur la même période en France. Dans le cadre de sa dernière enquête, l’UFC-Que Choisir a également souligné que la croissance annuelle moyenne des dépenses de médicaments en France, au cours de la décennie 2000-2009, a été supérieure à celle enregistrée dans différents pays européens ayant assoupli la distribution des produits d’automédication au cours de cette période.

Tableau 15 : Évolution annuelle moyenne des dépenses de médicaments dans plusieurs pays européens (2000 - 2009)

Pays Année de

l’assouplissement des conditions de

distribution

Évolution annuelle moyenne des dépenses de médicaments entre

2000 et 2009*

France - + 1,9 %

Danemark 2001 + 1,2 %

Norvège 2003 - 0,6 %

Portugal 2005 + 1,9 %

Italie 2006 - 0,5 %

* Croissance des dépenses pharmaceutiques par habitant, en termes réels.

Source : Étude UFC-Que Choisir, précitée, mars 2018, p. 20. À partir de données OCDE et Smart Pharma Consulting.

905. La consommation de médicaments ne semble donc pas liée à la diversité des circuits de distribution existants547. En effet, l’acte d’achat d’un médicament n’est pas comparable à celui d’un produit de consommation courante. L’achat d’un médicament est destiné à satisfaire un besoin ponctuel lié à une pathologie spécifique, et une étude européenne menée en 2012 montre d’ailleurs que l’élasticité prix de la demande est faible concernant ce type de produits548. Ainsi, une baisse du prix des médicaments ne devrait pas entraîner de hausse de leur consommation.

2. LA PRISE EN COMPTE DES RISQUES DE CONFLITS DINTÉRÊTS

906. Les syndicats de pharmaciens et le ministère des solidarités et de la santé ont attiré l’attention de l’Autorité sur les risques de conflits d’intérêts qui pourraient subvenir, dans l’hypothèse d’un assouplissement du monopole officinal.

546 Ministère de la Santé. Cote 2 466.

547 Étude de l’UFC-Que Choisir, précitée, mars 2018, p. 27.

548Impact of pharmacy deregulation and regulation in European countries, Sabine Vogler, Danielle Arts, Katharina Sandberger, mars 2012, p. 19.

907. Ces risques porteraient sur les relations entre, d’une part, l’employeur (GMS ou parapharmacie), qui chercherait à augmenter ses ventes de médicaments, et, d’autre part, le pharmacien responsable de la sécurité de leur délivrance, qui pourrait dans certains cas être conduit à refuser de vendre pour des motifs tenant à la santé des patients549.

908. Selon les représentants de la profession, ces risques seraient corroborés par l’exemple du Royaume-Uni, où les résultats d’un sondage, effectué par un quotidien britannique en 2016 auprès de pharmaciens employés par des chaînes de pharmacies, révéleraient l’existence de pressions commerciales exercées par l’employeur sur ses pharmaciens550. Plus de la moitié des pharmaciens ayant répondu audit sondage auraient ainsi affirmé que les incitations commerciales ou la fixation d’objectifs de vente auraient compromis la sécurité ou le bien-être des patients, ou leur jugement professionnel, dans plus d’un cas sur deux.

909. À cet égard, il convient en premier lieu de souligner que tout risque de conflit d’intérêt entre l’employeur et le pharmacien salarié doit être pris en compte dans l’hypothèse d’un assouplissement du monopole officinal. Ainsi, des mesures d’encadrement destinées à préserver l’indépendance et le respect des obligations déontologiques du pharmacien devront être prises.

910. Il peut en outre être relevé que le statut de pharmacien salarié existe déjà : il s’agit des pharmaciens responsables employés dans l’industrie, qui relèvent de la section B de l’ONP.

Or, les dispositions applicables à ces pharmaciens sont pleinement de nature à préserver leur indépendance, ce que l’ONP ne conteste d’ailleurs pas. Il est ainsi prévu que le pharmacien salarié engage sa responsabilité dans l’exercice de son activité et que, en cas de désaccord avec son employeur sur des questions de santé publique, il peut en informer l’autorité sanitaire compétente.

911. Concernant, en second lieu, l’exemple britannique précité, celui-ci doit être fortement nuancé. Il doit en effet être souligné qu’il ressort d’une enquête journalistique et non d’une étude approfondie. En outre, le fait que les pharmaciens sondés exerçaient leur activité dans des pharmacies, et non pas dans une GMS ou une parapharmacie, démontre que les risques évoqués sont communs à l’exercice du métier de pharmacien en GMS, en parapharmacie ou en officine. À l’heure actuelle, les pharmaciens titulaires d’officine sont en effet eux aussi, légitimement, sensibles à la rentabilité de leur activité, d’autant que nombre d’entre eux sont fortement endettés et doivent faire face à des échéances financières particulièrement lourdes.

912. Enfin, le système envisagé par l’Autorité se distingue en tout état de cause du modèle britannique, étant donné qu’elle considère que d’autres conditions devraient entourer l’assouplissement du monopole officinal.

549 Cotes 1 936 et 2 466.

550 When Boots went rogue, The Guardian, 13 avril 2016.

3. LES AUTRES CONDITIONS SUSCEPTIBLES DÊTRE ENVISAGÉES

913. Un certain nombre de garanties supplémentaires devraient être mises en œuvre dans l’hypothèse d’un assouplissement des conditions de vente au détail des médicaments afin d’assurer une distribution sécurisée de ces produits, notamment le fait que551 :

a. la vente hors officine des médicaments intervienne dans un espace dédié et délimité présentant des signes distinctifs, avec un point d’encaissement distinct ;

b. le pharmacien responsable soit soumis à des règles déontologiques (par son inscription à l’ONP ou, à défaut, par la souscription d’une charte de bonnes pratiques) ; et

c. les distributeurs souhaitant exercer l’activité de vente de médicaments prennent des engagements visant à écarter toute pratique de nature à banaliser ces produits.

914. Les États membres qui ont procédé à un assouplissement limité et encadré du monopole officinal, notamment l’Italie et le Portugal, ont assorti cette mesure d’autres conditions qui sont également susceptibles d’être envisagées, aux fins de garantir une stricte protection de la santé publique.

915. Outre la présence obligatoire d’un pharmacien diplômé sur l’amplitude horaire d’ouverture de l’établissement552 et l’exercice de l’activité de vente de médicaments dans un espace dédié et délimité (« corner »), les distributeurs italiens sont tenus à une obligation de déclaration préalable auprès du ministère de la Santé et des autorités régionales553. Leurs établissements sont également tenus aux respects d’exigences concernant leur organisation et les moyens techniques mis en œuvre, fixées dans un décret ministériel du 8 mars 2012554.

916. Au Portugal, tout établissement commercial exerçant l’activité de vente de médicaments à prescription médicale facultative doit également être déclaré et autorisé par le ministère de la Santé via INFARMED555. En revanche, l’activité peut être supervisée par un pharmacien ou par un « technicien en pharmacie », sans qu’une exigence de qualification soit requise pour les autres employés556. L’établissement est par ailleurs tenu au respect des obligations fixées dans le décret-loi n° 134/2005 du 16 août 2005557. Dans l’hypothèse d’une violation

551 Dans le cadre de sa précédente enquête sectorielle, l’Autorité avait assorti sa recommandation en faveur d’une ouverture limitée de la vente au détail des médicaments de telles conditions. Voir avis n° 13-A-24 précité, point 727.

552 Base de données Thomson Reuters Practical Law.

https://uk.practicallaw.thomsonreuters.com/Document/I32565942564511e598dc8b09b4f043e0/View/FullTex t.html?transitionType=SearchItem&contextData=(sc.Search)#co_anchor_a737868.

553 Non-Prescription Drug Distribution in Italy: The Role of Large-Scale Retailers, Sabina Riboldazzi, European Scientific Journal November 2017 edition, vol.13, n° 31.

https://eujournal.org/index.php/esj/article/viewFile/10203/9650.

554 http://www.portolano.it/2017/05/pharmaceutical-antitrust-2017-italy/.

555 Agence nationale en charge de l’évaluation et du contrôle des médicaments et des produits de santé (équivalent de l’ANSM).

556 Pharmacy in Portugal (1950-2010) ans the Pharmacist Profession, João Rui Pita , Ana Leonor Pereira , Victoria Bell, 2014, p. 38 et 39.

Note : Les « techniciens en pharmacie » appartiennent à une catégorie de professionnels diplômés d’un cursus universitaire plus court que les pharmaciens, et assistent notamment ces derniers en officine.

Source : Pharmacy education & training in Europe, PHARMINE, 2011.

https://www.pharmine.org/wp-content/uploads/2014/05/WP7-Final-report-country-profiles.pdf.

557 Base de données Thomson Reuters Practical Law.

https://uk.practicallaw.thomsonreuters.com/Document/I266a85c63c4611e598dc8b09b4f043e0/View/FullTex t.html?transitionType=SearchItem&contextData=(sc.Search)#co_anchor_a576251.

Dans le document Avis 19-A-08 du 04 avril 2019 (Page 197-0)

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