• Aucun résultat trouvé

Des modes alternatifs de financement insuffisants

Dans le document Avis 19-A-08 du 04 avril 2019 (Page 164-169)

SECTION V – LES RÈGLES DE DÉTENTION DU CAPITAL DES OFFICINES DE PHARMACIE

B. Des modes alternatifs de financement insuffisants

735. À défaut de pouvoir satisfaire leurs besoins en financement au travers de l’emprunt bancaire et des fonds propres, les pharmaciens, qu’ils exercent en nom propre ou en société, ne disposent que de rares alternatives, à savoir les groupements (1) et les OCA (2). Ces alternatives restent toutefois assez insatisfaisantes.

1. LES DIFFÉRENTS RÔLES DES GROUPEMENTS ET LEUR APPORT LIMITÉ EN MATIÈRE DE FINANCEMENT DES OFFICINES

736. Les groupements d’officines ont vu le jour en France dès les années 1960, avec pour objectif d’aider les officines de pharmacie à accroître leur pouvoir de négociation face aux fournisseurs, les laboratoires pharmaceutiques, et de lutter contre l’érosion des marges des pharmaciens en cherchant à obtenir de meilleures conditions commerciales.

a) L’activité des groupements

737. En 2018, une soixantaine de groupements réunissait l’essentiel des officines461. Dans le cadre de la consultation publique, dont les résultats doivent donc être interprétés avec prudence faute de constitution d’un échantillon représentatif, 91 % des contributeurs ont ainsi déclaré appartenir à un ou plusieurs groupements, dont 81 % ne faisant partie que d’un seul groupement.462

460 Cote 15 031.

461 Cote 13 567.

462 Voir annexe II, questions n° 89 à 91.

738. Les groupements peuvent être classés suivant trois types :

a. les réseaux détenus par les grossistes-répartiteurs (Astera ou OCP) ;

b. les groupements privés indépendants (Nepenthès, EvoluPharm, Directlabo) ; c. et les coopératives (Welcoop, Optipharm, Giphar).

739. La consultation publique a également fait ressortir que les groupements sont des acteurs incontournables pour les pharmaciens. Ils sont notamment privilégiés par les petites officines par rapport à d’autres modes de distribution, tels que la vente directe « pure463 » et la rétrocession entre officines (qui, bien qu’existante, est illégale en France).

740. Le schéma qui suit indique le canal de distribution privilégié par les officines, en fonction des produits concernés.

Figure 17 : L’implication des groupements au sein des canaux de distribution d’achats de médicaments remboursables, non-remboursables et des produits de parapharmacie

Source : Figure construite à partir des réponses à la consultation publique (annexe II, questions n° 78 à 97).

741. Pour les médicaments remboursables, princeps et génériques, les pharmaciens ont déclaré dans le cadre de la consultation publique qu’à conditions commerciales égales, ils préfèrent passer par les grossistes-répartiteurs plutôt que par la vente directe. En effet, si la vente directe peut, selon les laboratoires, être intéressante pour certaines grandes pharmacies et des produits pour lesquels les volumes de vente sont importants (comme le paracétamol), elle présente des contraintes importantes de stockage464 pour le pharmacien.

742. Le choix du canal de distribution dépend également des catégories de médicament concernées, lesquelles peuvent être soumises à des politiques commerciales distinctes. En effet, la réglementation fixe des plafonds de remises, nettement plus élevés sur les médicaments génériques (jusqu’à 40 %) que sur les médicaments princeps (jusqu’à 2,5 %), et la pression concurrentielle entre laboratoires étant plus importante pour les génériques, les laboratoires ont tendance à favoriser la vente directe sur ces produits (voir la section VII,

463 Négociation directe entre l’officine et le laboratoire pharmaceutique.

464 Voir annexe II, question n° 92 et 96.

relative aux intermédiaires de la distribution du médicament en ville, paragraphes 1028 et suivants).

743. Ainsi, selon les données du GERS465, en 2017, les achats auprès des grossistes-répartiteurs représentaient 69,77 % des volumes de médicaments remboursables, dont 86,14 % pour les princeps hors paracétamol, 74,73 % pour les génériques et seulement 21,76 % pour le paracétamol466.

744. Pour les médicaments non-remboursables et les produits de parapharmacie, la vente directe est en revanche privilégiée. Le prix peut avoir été préalablement négocié par le groupement auquel appartient l’officine467. C’est pourquoi les achats de médicaments non remboursables auprès des grossistes-répartiteurs représentaient seulement 21 % des volumes en 2017468. 745. Si, du fait de son illégalité, la rétrocession est difficile à estimer avec précision, de nombreux

pharmaciens considèrent qu’elle devrait être rendue légale, sous réserve d’un encadrement rigoureux. Elle servirait principalement aux dépannages en cas de rupture de stocks et aux petites officines, qui pourraient ainsi acheter à des prix plus attractifs les médicaments non remboursables et produits hors monopole, pour lesquels elles peinent encore à obtenir des remises comparables à celles obtenues par les plus grosses officines469.

b) Les rôles remplis par les groupements

Améliorer les conditions commerciales négociées avec les laboratoires pharmaceutiques

746. Comme évoqué précédemment, les groupements d’officines ont vu le jour en France afin d’aider les officines de pharmacie à accroître leur pouvoir de négociation.

747. Le marché des groupements d’officines est par ailleurs marqué par des opérations de concentration, de plus en plus fréquentes, dans le but d’accroître le nombre d’adhérents et par là-même le pouvoir de négociation auprès des laboratoires pharmaceutiques.

748. Il ressort toutefois de l’analyse présentée dans la section relative aux intermédiaires de la chaîne de distribution du médicament (voir paragraphe 1121) que les conditions commerciales obtenues par les groupements auprès des laboratoires pharmaceutiques demeurent nettement inférieures à celles obtenues individuellement par les plus grosses officines, qui réalisent les chiffres d’affaires les plus élevés. Le pouvoir de négociation des groupements reste donc généralement limité en raison du déficit de discipline collective et du manque de suivi des recommandations par leurs membres pharmaciens470.

465 Le GIE GERS est un groupement d’intérêt économique créé par les entreprises de l’Industrie Pharmaceutique.

466 D’après des données GERS. Cotes 7 537 et 7 538.

467 Voir annexe II, questions n° 81 à 85.

468 D’après des données GERS. Cote 13 835.

469 Voir annexe II, question n° 97.

470 Compte rendu d’un fond d’investissement - Cotes 4 855 à 4 872.

Accompagner les pharmaciens dans leurs nouvelles missions et leur offrir de nombreux services

749. Les groupements ont également développé de nombreux services complémentaires destinés à leurs adhérentes. Plus précisément, « les groupements officinaux s’appuient sur leur capacité à proposer des services spécifiques pour maximiser la performance des officines.

Le minimum en la matière est le référencement de produits. Certains jouent le rôle de centrale d’achat, d’autres vont même jusqu'à développer une marque de distributeur et assurent un service logistique (comme Pharmavie). Dans une approche plus qualitative, plusieurs groupements proposent une formation de l’équipe officinale, des conseils en merchandising, de la PLV471… Certains groupements vont encore plus loin dans leur politique de service avec une stratégie d’enseigne (Moinier, 2009). Sans être un contrat de franchise (la législation l’interdit), l’enseigne de pharmacien permet à la fois aux adhérents de bénéficier de services plus complets comme des formations en management officinal, des agencements d’espace de vente, un coaching des équipes ; elle offre en contrepartie au groupement d’être visible auprès du client final »472.

750. Parmi les stratégies récentes de développement, les groupements investissent notamment dans les services relatifs aux nouvelles missions du pharmacien (conseils et prestations en officine). Ainsi, comme évoqué précédemment, PharmaBest a lancé une campagne de dépistage du mélanome sur rendez-vous dans les officines adhérentes et Aprium Pharmacie (ex-Paris Pharma) met en place des solutions « click & collect », de livraison à domicile en partenariat avec la Poste et la prise de rendez-vous en ligne pour les entretiens pharmaceutiques.

751. Ces groupements se positionnent sur quatre axes de différenciation : le « low cost », la spécialisation sur le bien-être et la naturalité, l’officine digitale et la diversification en dehors de la pharmacie473.

Apporter un soutien financier aux pharmaciens

752. En plus des négociations visant à garantir le maintien des marges des pharmaciens et du développement de services spécifiques dans les officines adhérentes, les groupements peuvent proposer des dispositifs d’aide à l’installation aux pharmaciens et au développement des officines, en jouant le rôle de tiers de confiance ou de garants auprès des établissements financiers. Mais ce rôle de soutien financier reste limité et donne lieu à des prêts généralement de moindre importance et de courte durée venant compléter le prêt principal.

753. En outre, les groupements sont eux-mêmes confrontés à de nouveaux enjeux et des besoins en financements croissants (financements des réseaux, de l’enseigne, de projets de développement particuliers, etc.). Dans ce contexte, des fonds d’investissement intéressés par le secteur jouent un rôle important par le biais de prises de participation dans certains groupements.

471 PLV : Promotions sur le lieu de vente.

472 Cote 15 123. Le groupement officinal, quels intérêts pour le pharmacien?, Grégory Reyes – 22 décembre 2017, Revue Internationale PME, Éditions EMS, 2010, L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL.

473 Étude Les Échos, L’Observatoire des groupements et des enseignes de pharmacies en France, 2017.

https://www.lesechos-etudes.fr/etude/observatoire-groupement-enseigne-pharmacie/.

754. Ainsi, parmi les fonds d’investissement, Sagard détient, via « Healthy », le groupement Aprium Pharmacie, Rothschild détient le groupement Pharmacie Lafayette, Levée Privée474 en association avec le groupement CEIDO ou encore Arpilabe associé avec le site achat-de-pharmacie.com. Les montages financiers peuvent par ailleurs apparaître complexes475. 755. En plus de servir de supports aux groupements, ces fonds d’investissement aident au

financement des officines de pharmacie par le biais d’OCA.

2. LES OCA EN COMPLÉMENT DAUTRES SOURCES DE FINANCEMENT

756. Si, pour le moment, la règlementation limite la détention du capital d’une officine aux seuls pharmaciens, certains fonds d’investissement anticipent une possible ouverture de ce capital à des investisseurs extérieurs et souscrivent d’ores et déjà des OCA émises par des SEL de pharmaciens.

757. En effet, comme les banques ne financent plus la totalité des opérations d’achat d’une officine, les pharmaciens doivent trouver des moyens de financement complémentaires dont font partie les OCA. Ces dernières sont remboursées sur un horizon lointain, le remboursement de l’emprunt bancaire étant prioritaire. Ainsi, selon un fonds d’investissement, les OCA qu’il souscrit dans les officines ne sont pas remboursables avant quinze ans476.

758. Si les OCA sont généralement appréciées des pharmaciens primo accédant (jeunes pharmaciens et pharmaciens adjoints sans apport personnel), elles peuvent également présenter de nombreux atouts pour l’ensemble des pharmaciens titulaires. En effet, en plus de l’aide à l’acquisition de l’officine, elles peuvent être utilisées pour financer des projets d’investissements à réaliser dans l’officine.

759. En échange de cet emprunt subordonné, les investisseurs financiers externes à la profession n’entrent pas immédiatement au capital de l’officine, mais disposent d’une option pour le faire : en cas d’assouplissement des règles de détention du capital des officines, ils pourront convertir leurs obligations en actions.

760. Selon un fonds d’investissement entendu au cours de l’instruction, l’utilisation de ces OCA est un outil stratégique de financement utilisé depuis des années par de nombreux pharmaciens477. L’OCA est ainsi appréhendée comme une opportunité future. « Il s’agit seulement d’une option. Si la loi est amenée un jour à changer, alors nous aurons la faculté de les convertir. Si celle-ci ne change pas, nous ferons un retour obligataire modique »478. 761. D’un point de vue financier, le fait que les OCA ne soient pas convertibles, sauf modification législative, implique une prise de risque pour ces investisseurs, qui se traduit dans les taux d’intérêt pratiqués. Le couple « rendement / risque » associé à cette stratégie d’anticipation d’une évolution législative conduit l’emprunteur à payer, en plus du taux de rémunération

474 Levée Privée est une plateforme collaborative de financement qui permet à des professionnels et des particuliers d’investir dans le capital de PME.

475 Cote 4 858.

476 Ibid.

477 Côte 4 867.

478 Ibid.

de l’emprunt obligataire, une prime de non-conversion de l’obligation. Les taux d’intérêt des OCA atteignent ainsi des pourcentages compris entre 8 et 10 %.

762. Certains syndicats professionnels critiquent pour leur part le caractère « spéculatif » de ce type de financement, estimant que ces investisseurs financiers exploiteraient la « naïveté » de jeunes pharmaciens en pratiquant des taux d’intérêt prohibitifs. « Il s’agit d’opérations purement spéculatives car pour pouvoir supporter une telle charge financière, l’officine doit connaître une forte progression de son chiffre d'affaires »479.

763. L’un d’entre eux soutient même que les opérations de financement via des OCA ne seraient pas légales puisque la réglementation actuelle ne permet pas la conversion des obligations en actions.

764. En conclusion, la stratégie de certains fonds d’investissement d’accéder au capital des officines s’appuie sur des montages financiers qui leur permettent d’entrer au capital de groupements et de souscrire à des OCA émises par les officines, ouvrant ainsi la voie à une future détention du capital de ces officines en cas d’assouplissement de la règlementation en vigueur. Leur objectif semble être la mise en place d’un système de réseaux intégrés qui, pour l’heure, sont interdits en France. D’aucuns craignent qu’une telle stratégie puisse, si elle n’était pas suffisamment encadrée, faire peser des risques sur l’autonomie d’exercice de la profession. Aussi les développements qui suivent s’attachent-ils à examiner un certain nombre de garanties qui pourraient être apportées pour accompagner les assouplissements, par ailleurs nécessaires, de la règlementation.

Dans le document Avis 19-A-08 du 04 avril 2019 (Page 164-169)

Documents relatifs