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Cadre Théorique

CHAPITRE 1. L’IDENTITE PROFESSIONNELLE DES ENSEIGNANTS ENSEIGNANTS

1.1. L’Identité, une notion à définitions multiples

Une des difficultés qu’on trouve lorsque l’on traite la notion d’identité concerne les caractéristiques contradictoires qui lui sont attribuées. D’un côté, l’identité se présente comme les traits particuliers de l’individu, mais en même temps, comme l’ensemble des caractéristiques du sujet, résultat de l’articulation entre lui et son environnement social, dans une sorte de transaction entre la personne et le contexte. Erik Erickson a rendu populaire sur la scène scientifique le mot identité. Pour ce psychologue, l’identité faisait référence aux traces donnant cohérence et continuité au sujet comme élément fondamental de la santé mentale (Holland & Lachicotte, 2007).

Les travaux autour d’une conception psychodynamique de la constitution identitaire étaient profondément ancrés dans les circonstances sociohistoriques vécues par cet auteur : exil imposé pour lui et sa famille, persécution des juifs, période entre-guerres.

Erickson considérait l'identité comme un processus dynamique, car l'individu évolue et se transforme ; processus aussi influencé par les conditions sociales et culturelles de la personne. Pour lui, l'adaptation de l'individu à l'environnement constituait les formes de transformation identitaire. Dans ce sens, l’identité de l’individu résulte des moments critiques qu’il expérimente tout au long de sa vie (Erikson, 1983). Les moments critiques, exprimés à travers des sentiments, des comportements et des états internes, constituent des acquis psychosociaux ajoutant des qualités au soi de

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l’individu. Ces moments de conflit sont des situations et des caractéristiques qui donnent lieu aux changements, aux choix, à l’intégration des expériences dans la structure du soi. Le périple de la vie est, pour Erikson, une confrontation constante avec une crise particulière : la confiance en autrui (la mère), l’autonomie du bébé lorsqu’il marche, l’initiative quand le petit explore, la capacité de vivre en intimité avec quelqu’un, etc. L’identité est donc le résultat des médiations entre le sujet et les dimensions sociales ; le produit des expériences d’un l’individu dans chaque conflit apparaissant dans les moments critiques.

Avec cette première approche, nous pouvons mettre en évidence deux aspects de la notion d’identité qui soulignent son caractère paradoxal. En premier lieu, elle renvoie à deux sortes d’opérations : une qui garantit une forme de continuité à l’individu, ce qui fait que chacun reste le même malgré tous les changements subis au cours de son existence. L’identité permet alors de définir la permanence du sujet et se traduit dans les points d’ancrage sur le devenir afin de garder la « cohérence » dans l’histoire de vie ; ce qui pour Ricœur (1990) constitue la « mêmeté » de la personne, c’est-à-dire, l’ensemble de marques distinctives qui permettent de ré-identifier un individu humain comme étant le même (p. 144). Cette forme de permanence dans le temps installe chez l’individu le caractère de la continuité ininterrompue en donnant à son expérience des liaisons dans une histoire.

En même temps que la mêmeté articule l’expérience du sujet dans un continuum, l’autre type d’opération rassemble toutes les transformations subies par les altérations pendant l’expérience. Ricœur définit l’ipséité comme les changements et les

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transitions qui se produisent au fil des situations vécues. Les discontinuités marquent des points d’inflexion où la direction peut changer. C’est à travers l’ipséité que les découplages et les déséquilibres du continuum configurent les ajustements de l’expérience en donnant au soi l’unité dans les différentes sphères de l’existence. De ce premier aspect, la construction identitaire émerge dans une opposition entre deux fonctionnements, entre la tension pour rester le même et invariable et l’incorporation de ce qui est différent, fluctuant, dans un jeu dialectique entre les continuités et les ruptures dans l’histoire du sujet.

En second lieu, le rapport sujet-contexte souligne le caractère social dans l’élaboration d’une identité. La perspective d’Erikson met en lumière l’émergence identitaire comme un jeu de tensions, de conflits que le sujet doit traverser afin de reconfigurer sa structure psychique. Cette idée du conflit au cœur de la construction identitaire sera reprise lorsque nous parlerons de l’entrée dans le métier enseignant. L’emphase donnée au contexte est aussi mise en évidence par les approches interactionnistes.

Ces perspectives proposent que l’individu se développe et construit son identité dans la transaction avec le monde social et les différents usages, conventions, rôles qui définissent l’appartenance à un groupe social. Le monde symbolique et culturel est intériorisé par le sujet et lui fournit un répertoire de référence, de schémas, de cadres d’action. L’individu peut ainsi s’exprimer, percevoir, agir, penser, réfléchir, analyser, se transformer à l’intérieur de cet ensemble de valeurs, normes et construits sociaux.

À ce sujet, la perspective de Goffman (1973) montre comment le rapport à l’autre contribue à l’élaboration d’une conscience de soi. L’auteur utilise deux concepts pour

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travailler l’identité : les faces et les rôles. D’un côté, les faces sont les images du soi selon certains attributs sociaux approuvés. La notion de soi constitue les images par rapport aux attentes des autres acteurs de la situation sociale où le sujet se trouve.

Dans ce cadre conceptuel, l’identité est conçue comme un processus dynamique car les images sont les produits des transactions avec l’environnement social du sujet, que ce dernier reflète dans son environnement. D’un autre côté, les rôles désignent les modèles d’action pertinente à réaliser dans une situation sociale. Le rôle renvoie à des formes culturelles liées à un statut et à des pratiques sociales. Le soi, dans cette organisation entre les faces et les rôles, devient une affaire du contexte normé et cadré, de comment un sujet doit se montrer dans une situation : par exemple le juge qui doit se présenter impartial et à l’écoute des deux parties d’un processus judiciaire ou la formatrice d’un stagiaire qui doit accompagner le processus d’apprentissage mais, en même temps, évaluer les acquis de l’étudiant.

Flahault (1978) utilise la notion de place lorsqu’il reprend le concept de rôle de Goffman. Selon Flahault, incarner un rôle implique la prise en considération de deux positions, symétriques ou complémentaires constitutives d’un rapport de places, c’est-à-dire, dans la mise en scène de comportements explicites dans une organisation où les rôles s’engagent de façon interdépendante. L’auteur insiste sur le fait que les places et les rapports se situent à l’égard d’un sens pré-attribué mais s’actualisent dans l’interaction : d’une part les places sont assumées ou attribuées aux sujets à partir d’un ensemble ordonné de comportements de la vie en société : valeurs, normes, actions, conduite, gestes, attitudes, c’est-à-dire, qu’elles sont produits de la construction sociale et culturelle ; d’autre part, l’actualisation des rôles dans l’interaction se réalise par l’occupation de positions dans le discours (ce que Flahault

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nomme « places discursives ») mobilisant différents aspects du rôle. Ces places discursives actualisent dans l’interaction divers éléments qui permettent de situer l’agir d’un sujet dans un rôle déterminé. Dans ce sens, la mise en acte du rôle à travers le langage parvient à associer le sens attribué au rôle avec la concrétisation de celui-ci dans une situation dans un niveau discursif local et ponctuel. C’est à ce point de l’articulation entre les deux ordres (le global attribué au rôle et le local dans l’actualisation discursive) que Flahault considère que s’établit l’identité de l’individu (Carcassonne, 2012).

Nous retenons du cadre conceptuel de Flahault deux aspects : a) l’idée de l’interaction comme configuration entre deux composants, le social préconstruit et l’individuel et b) la médiation langagière où le discours sert de moyen pour suivre l’émergence identitaire. La fonction du discours intervenant dans la construction sociale de l’identité sera reprise lorsque nous aborderons des auteurs comme Vološinov et Vygotski et, fondamentalement, Mead. Les deux premiers à travers l’idée que le langage est le moyen privilégié articulant la constitution du psychisme et le répertoire social et culturel de la vie quotidienne ; le dernier avec l’usage de la figure du soi pour traiter l’internalisation de l’expérience et les processus sociaux de la dynamique identitaire.

D’un point de vue psychologique, l’identité est reliée à la notion de processus dont le tressage de plusieurs opérations en permanente transformation, évolution et rééquilibre entrainent la formation identitaire. Un des processus définis par l’approche psychologique est celui de l’identification. À travers celle-ci, l’individu assimile un aspect, un trait, une caractéristique de l’autre, la transforme et l’intègre partiellement

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ou totalement pour soi-même. Selon Tap (1979), les processus d’identification aident le sujet à construire une identité assimilant les attributs, attitudes, particularités d’autrui ou d’un groupe social. L’identification incarne les mécanismes par lesquels l’individu accède aux sphères sociales, comme par exemple le monde professionnel, en s’appropriant le répertoire d’actions, comportements, rôles et significations concernant la communauté professionnelle. Grâce à l’identification le sujet organise sa personnalité et définit les contours de son identité.

Comme nous venons de le dire, l’individu développe et construit son identité dans la transaction avec le monde social, avec les différentes institutions et cercles interpersonnels. Les conventions, usages et rôles définissent l’appartenance à un groupe et inscrivent le sujet dans une communauté. Le monde symbolique et culturel est intériorisé par le sujet et lui fournit un répertoire de référence, de schémas, de cadres d’action qu’il emprunte pour s’exprimer, agir, penser, percevoir, réfléchir, analyser, transformer son monde et, en même temps, lui fournissant le matériau pour la construction identitaire.

Les approches interactionnistes et les apports de la perspective psychologique, ainsi que de la sociologie visent à une conception selon laquelle l’individu reproduit les sédiments sociaux mais fait du monde social une production singulière à travers certains référents qu’il trouve dans la culture, dans le langage, dans les milieux institutionnels. C’est là où la formation identitaire constitue une élaboration conjointe avec le contexte, avec autrui et avec soi-même. Tel qu’envisagé par Dubar (2010), l’identité est le produit de socialisations successives. Elle est le « résultat à la fois

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stable et provisoire, individuel et collectif, subjectif et objectif, biographique et structurel, des divers processus de socialisation qui, conjointement, construisent les individus et définissent les institutions » (Dubar, 2004, p. 113). Bien que construction tendant à l’individuation, la configuration identitaire est investie par des modèles proposés par l’entourage, la culture, les valeurs et les normes sociales.

La conception de Gee (2000) présente un essai d’’intégration de multiples dimensions de l’identité. L’auteur propose l’identité comme un outil d’analyse pour la recherche en sciences de l’éducation. Selon lui, l’étude de cette notion peut permettre de dépasser la discussion autour de l’identité comme un concept basé sur des traits statiques tels que la race, le statut social ou le genre. Pour Gee, quatre perspectives peuvent orienter la définition de l’identité favorisant la vision du fonctionnement et de l’agir de quelqu’un dans un contexte. Premièrement, la perspective naturelle détermine l’identité à partir des forces de la nature sans aucune influence de la part de la personne, comme par exemple le genre biologique de naissance. La perspective institutionnelle attribue une identité par rapport aux institutions et selon les normes qui permettent définir le statut de quelqu’un : l’étudiant, le prisonnier, le PDG d’une entreprise. La troisième ligne de force constitue le discours. Gee soutient que l’identité est le résultat de l’interaction sociale et que les traits de la personne émergent de l’action réciproque entre l’individu et le contexte dans une sorte de négociation de significations, d’attribution ou d’endossement de valeurs, attributs, rôles. La quatrième perspective comporte l’identité construite à partir de l’expérience partagée avec un groupe ou une communauté. C’est le choix du sujet de participer à et de faire partie de groupes ou de collectifs afin que ce type d’identité « par affinité » émerge.

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Dans cette approche, nous trouvons des points de convergence entre notre travail et les trois dernières perspectives. Avec la perspective institutionnelle et avec celle par affinité car elles préconisent l’insertion du sujet dans des environnements humains, culturels et sociaux, exerçant une influence dans la configuration identitaire de l’individu. Concernant la perspective discursive, Gee souligne les apports de Vygotski et de Bakhtine qui montrent que le discours et l’esprit des individus est composé par d’autres discours, autres textes, autres interactions verbales circulant dans le groupe social et dans les institutions. Comme nous le montrerons après, le langage constitue notre voie d’accès aux traces identitaires. Ces traces d’ordre langagier peuvent montrer comment l’organisation de l’identité et, plus particulièrement, du soi professionnel se mettent en évidence dans le discours produit par l’enseignant. Il s’agit pour nous, de situer les aspects du langage qui se laissent traiter pour étudier comment la configuration du soi de l’enseignant émerge dans les élaborations discursives.

Cela met au centre l’intérêt pour l’étude les formes langagières que les enseignants utilisent pour s’exprimer, situer leur expérience, réfléchir et rendre compte de leurs avis autour de leur propre pratique professionnelle. En concomitance avec cette prémisse, nous proposons l’idée de l’identité comme une construction entre les changements et la permanence de l’être ; entre la configuration personnelle et sociale ; entre les différents cadres de référence (institutionnel, culturel, idiosyncrasique), entre les processus d’identification aux groupes et l’individuation ; entre le langage comme forme symbolique et la mise en scène d’un soi. Nous voulons, à présent continuer la discussion autour des aspects qui relient l’identité comme notion

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multidimensionnelle, où l’identité professionnelle constitue une des facettes de celle-là.

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