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Cadre Méthodologique

4.8. Avantages et limites du dispositif de recherche

Après d’avoir décrit les démarches et les outils méthodologiques que nous mettons en œuvre pour ce travail, nous pouvons mettre en avant certains avantages et limites de notre recherche et aussi, présenter les questions qui orientent les propos des analyses que nous développons.

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L’objectif de cette thèse représente une contribution à l’étude des dynamiques identitaires qui s’installent chez les enseignants lors des premières expériences professionnelles. Notre objet d’étude, le discours sur ces expériences constitue la voie d’entrée pour saisir la subjectivation des savoirs tributaires de la construction d’un soi professionnel. La démarche méthodologique ouvre des pistes pour suivre les trajectoires de développement professionnel des enseignants et la façon dont ils représentent ces processus de transformation sur leur agir au travers d’un discours à caractère réflexif.

Nous retiendrons qu’en dépit de l’essor des études sur le passage de l’école à l’emploi traitant l’identité des enseignants, peu de travaux analysent dans un sens longitudinal la période comprise entre ces deux contextes. Notre projet essaie de capter justement cette période du développement professionnel qui se déroule durant la finalisation de la formation et les premières années d’exercice. L’originalité de notre recherche est donc d’entrer dans une logique de continuité-contigüité sur la transition vers le monde du travail. Cette logique émergeant de la démarche méthodologique peut nous offrir un cadre plus large afin de côtoyer les jeunes enseignants dans leurs processus de subjectivation des savoirs professionnels et de possibles redéfinitions identitaires. La méthode originale mise en œuvre permet de repérer d’une manière nouvelle le

« redoublement » de l’expérience professionnelle (Vanhulle, 2013) par le retour sur sa propre activité langagière : la présentation des extraits significatifs place le jeune enseignant dans l’autoconfrontation à son discours passé. Par cet artifice méthodologique, il peut réagir de façon à expliciter la consolidation, la transformation, la complémentarité, l’éclairage ou bien la préoccupation toujours présente relative aux pratiques enseignantes et à réfléchir sur soi-même en tant que professionnel.

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Un autre aspect que nous prenons comme avantage est l’usage de l’instrument ADAP en tant qu’outil sociodiscursif déconstruisant ces expériences professionnelles réfractées par des discours et imprégnées des affects, incertitudes, acquis, intérêts, etc. Dans une dialectique de réélaboration où convergent les concepts spontanés et les concepts scientifiques, mais aussi des discours qui s’actualisent par les interlocuteurs des entretiens, la grille ADAP essaie de montrer la fonction sémiotisante du langage. La mise en discours est le scénario pour saisir les contenus sur l’expérience à montrer, les savoirs évoqués, les formes réflexives manifestant les mouvements d’un soi professionnel en construction, le positionnement à travers un énonciateur, la prise de position d’un rôle, les manières régulatrices sur son agir que le sujet exprime :

« On entre ainsi dans l’analyse des processus sémiotiques d’appropriation des savoirs et du soi professionnels : quels objets de savoirs ressortent, selon quels emprunts aux cadres d’expériences ou aux savoirs de référence, à quelles opérations réflexives ils sont soumis, dans quels événements ou situations de travail ils prennent ancrage, quels motifs et intentions leurs sont attribués » (Vanhulle, 2015, p. 273).

Les différents travaux menés dans l’équipe TALES (Balslev, Dobrowolska, Mosquera

& Tominska, 2015 ; Balslev, Tominska & Vanhulle, 2011 ; Balslev, Vanhulle &

Pellanda Dieci, 2015 ; Dobrowolska & Balslev, 2017 ; Dobrowolska et al., 2016 ; Dobrowolska et al., 2017 ; Mosquera, Balslev, Perréard Vité & Dobrowolska, 2016 ; Tominska, Dobrowolska & Balslev, 2017 ; Vanhulle, 2009c; 2011; 2013 ; 2015 ; Vanhulle, Dobrowolska & Mosquera, 2015) valident la pertinence, la cohérence et la

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précision de l’instrument pour décortiquer les méandres discursifs où se cernent les processus internes de transformation subjective de l’enseignant. D’autres travaux de recherche (Bronckart & Bulea, 2006 ; Bulea, 2014 ; Cattonar, 2008 ; Dejean &

Charlier, 2011 ; Fillietaz, 2014 ; Fillietaz & Bronckart, 2005 ; Jahreie & Ottesen, 2010 ; Jorro, 2009 ; Pellanda Deici, Weiss & Monnier, 2012 ; Ottesen, 2007 ; Perez-Roux, 2011 ; Riopel, 2003 ; Saussez, 2008 ; Vanini de Carlo, 2014 ; Vinatier, 2009) montrent l’utilité des outils discursifs toujours en vigueur afin de comprendre et d’expliquer les processus de formation et de développement professionnel.

L’usage du langage pour étudier le langage peut aussi être une limite. Évidemment, l’absence de triangulation de différentes sources d’information est une contrainte si on veut poursuivre la validité des données. Néanmoins, notre intérêt n’est pas d’assurer que ce que l’enseignant dit est la vérité, ou que ce qu’il manifeste sont les événements tels qu’ils sont devenus. Nous ne voulons pas confronter ce discours avec les pratiques effectives de l’enseignant.

Pour nous, le texte produit dans les entretiens possède un statut particulier par le fait que le sujet exprime dans un discours une partie de la réalité, avec les possibilités et les restrictions langagières manifestant son point de vue par rapport à son agir. Le texte est donc une réalité sous un cadre discursif d’élaboration et d’interprétation.

C’est pour cela que le langage est pris comme un instrument afin d’objectiver l’expérience vécue mais sans la situer dans toutes les expressions possibles : l’analyse part du principe que « le discours n’est pas un reflet de la réalité même s’il renvoie forcément à celle-ci » (Vanhulle, 2013, p. 39) ou, dans d’autres termes, ce

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discours sur l’expérience professionnelle ne remplace pas l’expérience, mais il la redouble, selon la réflexion de l’auteure. La limite se trouve aussi sur le danger d’une pérégrination par des chemins interprétatifs débridés. Vanhulle (2013) même parle d’un salto vital, et non un salto mortale, dans le sens d’éviter la surinterprétation et l’attribution de significations sans la rigueur d’une méthode et des moyens pour confronter, vérifier, contrôler les tentatives interprétatives et garder un équilibre entre les formules objectivantes et herméneutiques.

Nous reconnaissons l’ampleur limitée de nos résultats car ils ne seront pas forcément généralisables : d’un côté, parce que même si les heures de transcription contiennent un nombre élevé de données langagières pour l’analyse discursive approfondie, il reste faible pour dérouler des inférences généralisables au processus de la population des enseignants. Notre travail conserve une visée qui suit les singularités de développement professionnel de quelques enseignants formés dans un contexte spécifique et sous des conditions particulières d’entrée dans le métier. D’un autre côté, la logique d’étudier le langage à travers le langage nous oblige à laisser une marge de manœuvre à nos résultats car le dédoublement du discours entre objet d’étude et outil d’analyse supposent un chemin indirect des processus peu visibles que nous ne pouvons qu’inférer du développement professionnel de chaque enseignant.

Dans ce sens, les analyses qui ressortent de ce corpus correspondent aux parcours propres aux enseignants interviewés. Cependant, malgré ces conditions de généralisabilité restreinte pour les motifs évoqués à l’instant, les constats de nos analyses placent l’intérêt des résultats sur le fait de suivre de près les trajectoires

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subjectives de configuration personnelle d’un professionnel enseignant et aussi d’entrer dans un dialogue interprétatif, prudent mais rigoureux, avec ce que ces enseignants construisent discursivement sur leurs expériences au travail.

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