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Cadre Méthodologique

4.5. Instrument d’analyse

4.5.1. Catégories et sous-catégories pour l’analyse

Étant donné que l’ADAP permet d’analyser le discours oral et écrit des enseignants, dans notre travail nous retenons les catégories et sous-catégories pertinentes pour

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traiter le discours oral en laissant de côté celles qui se centrent sur les textes écrits25. Ainsi, les éléments que nous utilisons de la grille ADAP est composé par cinq catégories26 correspondant aux :

1. Contenus des savoirs professionnels. Celle-ci fait référence aux thèmes et aux topics que l’enseignant traite dans son discours et aux formes qu’il utilise sous la figure d’énonciateur afin de situer son discours. Cette catégorie est composée par quatre sous-catégories dont la première, Systèmes de référence convoqués, permet de repérer les multiples cadres de référence académiques, scientifiques, institutionnels, expérienciels ou empiriques sur lesquels s’appuie l’enseignant afin de valider, expliquer, décrire, interpréter, contredire, argumenter, justifier, controverser, enfin donner sens à son discours lorsqu’il parle de son expérience professionnelle.

La deuxième sous-catégorie, Types de savoirs de référence convoqués, approfondit la sous-catégorie précédente dans le sens où celle-là permet de rendre visible les cadres conceptuels dans lesquels l’énonciateur situe son discours. Les savoirs qu’il convoque peuvent découler des corps de connaissances scientifiques (des théories), institutionnels (normes et plan d’études), d’une pratique prescriptive du métier (des règles d’action, des

25 Nous avons choisi de ne pas reprendre la sous-catégorie Foyers d’attention /de la réflexivité de la catégorie Contenus des savoirs professionnels. Cette sous-catégorie nous semble plus pertinente pour les textes écrits que pour les oraux. En plus, nous retenons les empans réflexifs pour situer les objets focus de la réflexion, ainsi que les opérations réflexivo-cognitives pour situer les formes textuelles prenant les fonctionnements d’ordre mental.

26 Pour une description plus détaillée des catégories, voir Vanhulle (2013).

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conseils) ou même de l’expérience personnelle du sujet, comme par exemple d’un souvenir lorsqu’il était élève dans son école.

La troisième sous-catégorie, Composantes du savoir professionnel, concerne les formes textuelles que l’énonciateur utilise afin de mobiliser le savoir professionnel. Il peut contextualiser ce savoir professionnel dans un environnement (scolaire ou d’emploi) déterminé ; ou bien être plus spécifique et ancré dans une situation particulière tel qu’un évènement, un épisode au travers d’énoncés propositionnels du type « si…alors », « puisque…alors ».

Les Opérations réflexivo-cognitives, quatrième sous-catégorie, font allusion aux opérations qu’utilise l’énonciateur pour valider, légitimer, attester les savoirs professionnels proposés dans son discours. Ces opérations s’appuient sur des contenus pour y revenir avec une intentionnalité communicationnelle : réminiscence, décision, description, explication, interprétation, analyse, jugement, délibération, synthèse, attribution, reconceptualisation, etc., autrement dit, les opérations réflexive-cognitives permettent de dénouer ce que la personne prétend par rapport à ce qu’elle dit.

2. Énonciation et mise en discours. Cette catégorie permet de mieux saisir la description des contenus déroulés dans le discours de l’enseignant. Elle est fondamentale pour repérer les procédés réflexifs, les régulations évoquées et les modes langagiers qui nuancent le discours. L’énonciation et la mise en discours est essentielle parce que leurs indicateurs dévoilent un « principe

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d’interface, de co-construction, entre des opérations de pensée, cognitivo- réflexives, et des opérations langagières, linguistiques et textuelles » (Vanhulle, 2013, p. 56). Ces indicateurs montrent comment s’entrelacent des fonctionnements psychiques et des fonctionnements verbaux, dans des manières de dire sur lesquelles l’énonciateur s’appuie pour matérialiser et objectiver ses pensées, croyances, affects, certitudes et incertitudes.

Une première sous-catégorie implique les procédés de textualisation. Ils sont les moyens verbaux qui opèrent sur le discours afin de garder la cohérence et l’unité textuelle. Les procédés de textualisation comprennent les formes pour maintenir la cohésion textuelle, le système anaphorique et l’usage de déictiques, ainsi que les segments discursifs qu’on peut repérer dans le discours de l’enseignant et qui suivent la typologie développée par Bronckart (1996) : récit interactif/narration, exposé théorique impliqué / exposé théorique autonome. Cette typologie met en rapport des mondes discursifs27 avec les conditions de production d’une action langagière. D’une part, Bronckart (1996) signale que ces mondes discursifs peuvent se référer à des contenus avec une origine spatio-temporelle et ils sont racontés, ou bien ces contenus ne s’ancrent à aucune origine spécifique et ils sont montrés ou exposés. D’autre part, une seconde distinction représente « les opérations d’explicitation du rapport aux paramètres de l’action langagière » (p. 156), c’est-à-dire, les mécanismes discursifs mis à disposition pour situer les conditions de production : le texte peut montrer un rapport d’implication de l’instance d’agentivité (le agent

27 Nous élargissons la définition du concept « monde discursif » de Bronckart dans la section 4.6.3 lorsque nous parlons sur les caractéristiques du genre réflexif.

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producteur, l’interlocuteur, et leur situation dans l’espace-temps) avec l’action langagière, ou bien le texte se présente dans une situation d’autonomie et l’interprétation du contenu ne requiert pas aucune connaissance des conditions de production.

Une autre sous-catégorie concerne la gestion de son texte par l’énonciateur.

Celle-ci porte sur les formules discursives que l’énonciateur emploie pour montrer le « monitoring » de sa propre production communicative. Il peut s’appuyer sur des reprises, des retours, proposer des reformulations, ou bien présenter des questionnements, entre autres formules, afin de donner validité au contenu, s’adresser aux destinataires, mettre en cause l’objectif d’une consigne, se montrer comme professionnel capable, etc.

Une troisième sous-catégorie porte sur les modalisations discursives. Les modalisations révèlent un certain degré de prégnance de l’énonciateur dans l’énoncé. Il peut montrer son point de vue : ses préférences, ses opinions, ses sentiments, ses sensations. Les modalisations permettent alors de mobiliser des valeurs attribuées par l’énonciateur à certains éléments du contenu thématique. Elles manifestent la subjectivité à travers des traces, des indices de cette subjectivité par le moyen de verbes, adverbes, adjectifs, temps verbaux et certaines expressions textuelles. Ces modalisations peuvent être de l’ordre du devoir dans un domaine de normes et de valeurs légitimes (modalisations déontiques) ; de l’ordre de l’agir et du pouvoir agir comme enseignant dans le contexte professionnel (modalisations appréciatives) ; de

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l’ordre du faire, du bien faire, de l’efficacité de l’agir (modalisations pragmatiques) ; de l’ordre de la loi, de la doxa, des prescriptions institutionnelles (modalisations logiques) ; de l’ordre de l’esthétique sur un événement ou un savoir (la « beauté » du savoir, de la gestion professionnelle, de la mission enseignante) ou de la possibilité créatrice.

Finalement, la prise en charge énonciative (Rabatel, 2005 ; 2009a ; 2009b ; 2012a ; 2012b ; 2016a ; 2016b) clôt la catégorie de l’énonciation pour mettre en valeur les formes textuelles que l’énonciateur utilise afin d’assumer le discours pour exprimer le rapport avec le contenu qu’il présente : il peut s’agir d’une situation du discours rapporté, d’une situation dialogale ou plutôt d’un moment monologale. Néanmoins, la prise en charge énonciative ou point de vue ne se limite pas à celle de la voix et du discours rapporté, comme signale Rabatel (2012a), « il s’agit de poursuivre l’ambition originelle de Benveniste de penser le sujet dans la langue » (p. 40), c’est-à-dire, de trouver dans le discours des traces du marquage langagier de l’énonciateur vis-à-vis du contenu -une posture- et aussi comment il se positionne par le moyen des opérations discursives ayant un certain statut -un positionnement- qui, dans notre cas, renvoie à des énoncés en son nom propre en tant que « je discursif » ou en s’inscrivant dans les énoncés d’une groupe : « nous » ou « on ». À contrario, le locuteur peut aussi s’effacer des énoncés en utilisant des marques impersonnelles « il » ou « ça » ou bien se placer comme observateur de la situation décrite évoquant des autres acteurs de l’action (les enseignants, les élèves, la famille, etc.). De la même façon, le positionnement est lié également au statut assumé par le locuteur ou qui lui est attribué par ses interlocuteurs :

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étudiant, personne, enseignant, stagiaire, futur professionnel, enseignant débutant, etc.

3. Dynamiques interactionnelles et sociales directes. Cette catégorie fait référence aux places et aux rôles que les interactants assument, endossent ou attribuent aux autres. Ces places et rôles constituent des statuts sociaux relatifs aux modalités des échanges qui situent l’interactant par rapport aux interlocuteurs. Il peut s’agir des places ou des rôles auto-attribués et/ou hétéro-attribués de l’enseignant en tant qu’étudiant en formation, stagiaire, futur professionnel, enseignant novice, personne. Les formules d’interaction peuvent aussi indiquer des phénomènes de symétries ou de dissymétries entre les interactants, notamment lors des entretiens en stage selon leur visée évaluative et formative.

4. Empans réflexifs. Les processus réflexifs sont au centre des entretiens que nous prenons en considération lorsque l’enseignant manifeste son point de vue sur un événement ou une situation professionnelle. Cette catégorie est liée aux opérations réfléxivo-cognitives dans le sens où elles permettent de saisir l’objet pris en compte pour l’analyse. L’enseignant, par des moyens discursifs, peut proposer un argument, une description, une explication, une interprétation, une synthèse (autant de formes d’opérations réflexivo-cognitives). Quant aux empans réflexifs, ils concernent les éléments que l’interactant présente et sur lesquels il discute, exemplifie, contredit, s’oppose. Ainsi, les empans peuvent émerger des informations provenant du vécu non-professionnel de

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l’enseignant, de sa personnalité, des préférences, goûts, ou intérêts personnels. Ces empans de l’ordre de l’autoréférence évoquent des expériences personnelles où la description des émotions occupe un espace important. Le vécu est souligné par la référence à des savoirs portant sur la personne et l’affect (Vanhulle, 2013), mais il dépasse le cadre professionnel et tente de donner des lumières pour des régulations professionnelles sur cette base.

L’empan technique retient les moyens, les instruments, les matériaux, mais aussi les programmes et les méthodes à mettre en œuvre par rapport aux savoirs à transmettre. Le centre d’intérêt est souvent d’ordre didactique et s’attache aux différents gestes professionnels que l’enseignant met en valeur :

« les textes font le plus souvent référence aux expériences passées, mettent l’accent sur le comportement, le contenu, les compétences et livrent assez souvent une description simplifiée de la situation » (Vanhulle, 2013, p. 58).

L’objet de la réflexion se penche sur des manières de faire exemplaires, sur la discipline didactique et les consignes.

L’empan contextuel s’éloigne des aspects techniques du précédent car il concerne des éléments permettant de comprendre des actions et des situations éducationnelles à partir du contexte de l’enseignant. Dans ce cas, ce sont les élèves, leurs processus d’apprentissage, leurs difficultés et acquis qui sont au centre de la recherche d’informations. Les problématiques des élèves attirent

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l’attention de l’enseignant qui considère le rapport aux savoirs en lien avec le contexte d’apprentissage et plus précisément avec les besoins des élèves.

L’empan critique pointe les enjeux sociopolitiques, éthiques, moraux que l’enseignant prend en compte dans sa réflexion et qu’engage d’une attitude critique envers les systèmes sociaux, éducatifs et institutionnels. Les références aux savoirs sont remises en question, réinterprétées, éclairées par l’intermédiaire des savoirs issus de l’expérience. De cette manière, il peut ressortir de son discours une construction autonome des démarches d’enseignement et d’apprentissage qui prennent en compte la liaison entre les différents éléments du système éducationnel.

En plus des différents types d’empans, nous ajutons à cette catégorie un vecteur qui peut être utile pour l’analyse. Il découle du travail de Urzua et Vásquez (2008) sur la fonction de la réflexion dans la réélaboration de l’expérience professionnelle des jeunes enseignants. Ces chercheurs montrent comment les interactions formatives entre les tuteurs et les enseignants en formation sont des scénarios pour encourager la réflexion. Ils s’appuient sur le modèle de Schön (1983) et proposent trois formes de la réflexion selon qu’elle prend comme objet le vécu professionnel avec une intentionnalité permettant de porter son attention sur l’action passée, sur l’action pendant qu’elle se déroule ou sur une action future. Dans ce sens, la réflexion en action comporte des décisions guidées par la connaissance tacite qui se produit au milieu d’une situation professionnelle ; la réflexion sur l'action concerne celle qui se produit

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après l'action et qui est de nature rétrospective étant donné qu’elle mobilise une analyse ou une critique sur l’expérience vécue. La réflexion pour l’action, pour sa part, se concentre sur l’ajustement ou le maintien de l’action future, elle est donc de nature prospective dans le sens où elle propose un effet sur un agir imaginé, c'est-à-dire, « le type de réflexion qui met en évidence des activités telles que l'élaboration de plans, l'anticipation des imprévus, la prévision des résultats et d'autres pratiques similaires tournées vers l'avenir » (Urzua & Vásquez, 2008, p. 1936).

5. Systèmes de régulation. Cette dernière catégorie correspond à ce que le discours permet d’inférer ou déduire par rapport à ce que l’individu tente de modifier, d’intérioriser, de justifier, de débattre autour des savoirs construits. Il s’agit d’un réinvestissement des fonctionnements psychologiques du sujet par l’intériorisation (Vygotski, 1934/1997) et la reconfiguration des savoirs professionnels. Ce processus de réélaboration mentale s’exprime par la voie du discours à travers des verbes d’action et des temps mobilisant réflexions sur l’action, sur les mécanismes affectifs, sur les conceptions, ou sur les valeurs, croyances et perceptions liées à l’expérience dans le métier. La régulation est, dans une certaine manière, le versant qui accomplit les processus réflexifs du sujet. Cette régulation peut matérialiser des ajustements sur les actions professionnelles ; elle peut enclencher des transformations dans les conceptions du sujet ; ou bien faciliter la prise de conscience sur des « sous-jacents » de l’ordre affectif, motivationnel, intentionnel afin d’exercer des changements sur l’agir et de modifier les sentiments d’échec ou de malaise de la personne (Buysse, 2009 ; 2011).

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