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Cadre Théorique

CHAPITRE 1. L’IDENTITE PROFESSIONNELLE DES ENSEIGNANTS ENSEIGNANTS

1.3. L’identité professionnelle des enseignants : une révision empirique

Dans les parties précédentes, nous venons de montrer comment l’identité professionnelle est devenue un des objets les plus étudiés par les chercheurs en Sciences humaines. Sous différentes approches disciplinaires (anthropologie, psychologie, sociologie, sciences du travail, ergonomie) l’identité professionnelle est conçue comme une notion aux significations composites. Même si on retrouve

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différentes perspectives théoriques, il est possible de reconnaitre certains lieux communs des chercheurs. Il s’agit d’une notion qui change dans le temps et qui est médiatisée par l’influence de facteurs externes et internes (Beauchamp & Thomas, 2009). L’identité professionnelle correspond aux transformations subies par l’individu dans le contexte professionnel qui émerge depuis des cadres de référence sociale lesquels fournissent significations, sens, conception et valeurs liées au métier que l’individu reconstruit dans son exercice professionnel. Cet ensemble de significations et de sens permettent au sujet de s’assumer comme quelqu’un appartenant au groupe ou à la communauté professionnelle, en même temps que les reconstructions personnelles des significations l’amènent à se différencier des autres membres. Dans ce sens, l’identité professionnelle n’est pas quelque chose de fixe ou d’imposé, au contraire, elle est mouvante et négociée à travers l’expérience du sujet où l’identité est le résultat même de l’expérience remaniée (Sachs, 2005).

En plus, l’IP correspond aux processus de définition individuelle où le sujet doit faire face aux conflits et tensions entre ce qui est attendu par la communauté professionnelle et ce qui est désiré ou projeté. Ainsi, la conception de l’IP s’éloigne d’un modèle préétabli des formes d’agir ou de penser. Or, l’identité professionnelle, comme concept incarné dans un contexte de travail, est sociale par essence et fait appel aux autres (collègues, tuteurs, chefs, etc.) dans sa constitution et son développement. Ainsi, l’IP conçue comme phénomène situé dans un contexte humain particulier et comme produit des négociations de significations et de sens, ne peut se construire qu’à travers les transactions avec autrui.

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Le parcours de nos questionnements nous amène vers l’identité professionnelle d’un domaine spécifique : l’enseignement. Est-ce que sa constitution est semblable à que l’on observe dans n’importe quelle profession ? Ou, est-ce qu’il y aurait des particularités liées à la profession enseignante ? Quelles sont ces particularités et en quoi se manifestent-elles chez un individu ? Ce sont quelques-unes des questions que nous voulons traiter dans cette partie théorique. A partir de la revue de la littérature scientifique, nous présentons ce que nous disent les chercheurs lorsqu’ils étudient l’identité professionnelle des enseignants, que reprennent-ils à propos de l’IP des enseignants, qu’est-ce qui est commun entre eux, comment ont-ils abordé l’étude de cet objet et, finalement, en quoi les résultats des recherches peuvent-ils servir pour améliorer la formation initiale des enseignants ?

En ce qui concerne la production scientifique, l’identité professionnelle des enseignants est un objet largement étudié comme on peut le repérer dans la recherche de matériel bibliographique3. L’IP des enseignants est une préoccupation toujours en vigueur pour les chercheurs des sciences de l’éducation et du travail et source d’analyse et de débat dans les cercles académiques. Différents intérêts de recherche s’attachent à l’IP des enseignants comme objet d’étude : le développement identitaire (Beckers, 2007 ; Beijaard, Verloop & Vermunt, 2000 ; Carvalho, 2011 ; Danielewicz, 2001 ; Gohier et al, 2001 ; Holland, Skinner, Lachicotte & Cain, 1998 ; Jutras, Legault & Desaulniers, 2007 ; Kaddouri, 1996 ; MacLure, 1993 ; Monereo &

Badia, 2011 ; Parson et al, 2017 ; Pellanda Deici, Weiss & Monnier, 2012 ; Riopel,

3 Plus de 500 références bibliographiques trouvées avec « teacher identity » dans le titre sur le portail web www.sciencedirect.com publiées dans les derniers dix ans ; 109 articles où les mots « teacher identity » apparaissent dans les titres trouvés dans la plate-forme de EBSCO.

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2006 ; Sachs, 2005 ; Sutherland, Howard & Markauskaite, 2010 ; Timostsuk &

Ugaster, 2010 ; Vinatier, 2009), l’influence du contexte et des origines culturelles sur l’IP (Bedacarratx, 2012 ; Cho, 2014 ; Clarke, 2008 ; Flores & Day, 2006 ; Gee, 2000 ; Gomez & White, 2010 ; Pelini, 2013), l’intérêt par les aspects discursifs et réflexifs dans la formation identitaire (Alsup, 2006 ; Clarke, 2008 ; Cohen, 2010 ; Connelly &

Clandinin, 1999 ; Conway, 2001 ; De Carlo Vanini, 2014 ; Freese, 2006 ; Golombek, 1998 ; González & Becerril, 2013 ; Miller, 2017 ; Parson et al, 2017 ; Rinaudo, 2004 ; Sachs, 2001 ; Sfard & Prusak, 2005 ; Sutherland, Howard & Markauskaite, 2010 ; Urzúa & Vásquez, 2008), la construction identitaire des futurs enseignants ou des enseignants débutants (Beauchamp & Thomas, 2009 ; Boutin, 1999 ; Bullough, 1997 ; Cohen-Scali, 2000 ; Danielewicz, 1998 ; De Carlo Vanini, 2014 ; Dejean & Charlier, 2011 ; Friesen & Besley, 2013; Gohier, Chevrier & Anadón, 2007 ; González &

Becerril, 2013 ; MacLure, 2003 ; Perez-Roux, 2011 ; Rinaudo, 2004 ; Schempp, Sparkes & Templin, 1999). Ce qu’on peut dégager des études est une conception sociogénétique de l’identité professionnelle, car elle est le produit de l’interaction sociale médiatisé par des formes symboliques : des cadres de référence sociale qui permettent de définir les manières d’agir, de penser, de s’exprimer, de se situer et d’assumer la profession.

De cette perspective identitaire émerge aussi une représentation de l’IP comme un processus continu et itératif refaçonnant l’individu sur le domaine du métier. Une notion définie en termes de procès négocié qui se déploie dans le temps et qui reçoit l’influence d’une ample gamme de facteurs internes et externes (Beauchamp &

Thomas, 2009 ; Duc, 2012 ; Cohen-Scali, 2000 ; Flores & Day, 2006 ; Gohier et al,

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2001 ; Kaddouri, 2002 ; Perez-Roux, 2011 ; Sutherland, Howard & Markauskaite, 2010).

Ce qui découle de cette définition est la caractéristique d’un processus se déroulant dans le temps en rupture avec une perspective linéaire, unidirectionnelle, préétablie et essentialiste de l’identité. Processus non linéaire : parce qu’elle ne constitue pas un ensemble de situations et d’expériences dans une suite progressive des acquis ; au contraire, l’identité se construit par des moments d’avancements, de stagnation mais aussi de régression sur des acquis et des caractéristiques du sujet. Non unidirectionnel : puisque l’identité ne suit pas non plus une voie où les expériences de vie conduisent vers un cheminement de développement identitaire. C’est plutôt que les évènements survenant chez quelqu’un peuvent prendre différentes directions identitaires, par exemple, une mauvaise expérience vécue au début du métier peut conduire la personne vers l’incertitude, mais pour quelqu’un d’autre une expérience similaire peut le rendre plus audacieux. Dans ce sens, l’identité de l’enseignant ne se configure pas dans un ensemble de situations préétablies ni dans une séquence prédéterminée.

Nous croyons que le passé est un composant significatif de ce qu’est la personne, mais il ne s’agit pas d’un ensemble de facteurs préalables pour arriver à un résultat attendu : les expériences, les manières de penser, les valeurs, etc. sont des éléments qui se conjuguent mais qui ne tracent pas une seule route de vie pour l’individu. Un exemple serait que l’autoritarisme d’une personne est largement dû au fait d’avoir eu une figure autoritaire pendant l’enfance. Finalement, la notion essentialiste de l’identité

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s’appuie sur l’idée que les caractéristiques d’un individu sont présentes dès le début, elles sont « déjà-là » dans une sorte de petite version ou dans une version embryonnaire de la personne : l’extroversion ou la timidité sont des comportements qui viennent dès le début ou dans un état élémentaire. D’une certaine manière, l’approche essentialiste de l’identité admet ces aspects préétablis comme point de départ des caractéristiques manifestes du sujet qui se déploient ensuite dans le temps.

Un autre élément clé de la notion d’IP des enseignants est le rapport avec l’expérience (Beauchamp & Thomas, 2009 ; Perez-Roux, 2011) et la mobilisation des processus réflexifs (Beauchamp, 2015 ; Beauchamp & Thomas 2010 ; Vassilaki, 2017). L’identité est une construction définie par les expériences du sujet et, dans un sens plus profond, par les réflexions qu’il explore à leur propos. Il convient ici de convoquer Dewey (2011) qui signale la force propulsive4 de l’expérience en tant que transformatrice de l’individu. À ce propos, cet auteur pose que « chaque expérience faite modifie le sujet et cette modification, à son tour, affecte - que nous le voulions ou non – la qualité des expériences suivantes, le sujet étant un peu différent après chaque expérience de ce qu'il était auparavant » (pp. 472-473). Dans ce sens, l’expérience opère sur un principe de continuité que nous avons évoqué plus haut : chaque situation vécue emprunte aux expériences antérieures mais elle modifie aussi à son tour les expériences ultérieures que le sujet peut vivre. Les expériences permettent de donner sens et d’articuler la permanence et l’unicité psychologique du sujet ou, dans les

4 Terme utilisé par Dewey (2011).

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termes de Ricœur, de sa mêmeté, c’est-à-dire, de pouvoir lier l’ensemble des situations de vie.

Mais si l’expérience s’explique comme un facteur décisif sur la construction identitaire en tant qu’elle permet l’articulation du vécu, elle n’est qu’une explication partielle de la problématique identitaire. Dewey (2011) lui-même montre que l’expérience doit comporter « un aspect actif qui modifie à quelque degré les conditions objectives des expériences ultérieures » (p. 476). Autrement dit, l’expérience sert de point de départ pour réorganiser l’expérience sur l’avenir et devient ainsi l’objet d’analyse, de raisonnement du sujet. Dans notre cas l’expérience de l’enseignant devient l’objet de réflexion pour le développement professionnel.

Comme nous le montrons, étudier l’IP des enseignants reprend pour les chercheurs l’idée de multiples facteurs qui confluent dans la construction de l’être professionnel : des facteurs internes du sujet (motivation, états d’esprit, histoire personnelle, connaissances préalables, etc.) (Flores & Day, 2006; Monereo & Abadia, 2011;

Timostsuk & Ugaster, 2010) ; et aussi des facteurs externes comme le contexte institutionnel, politique et économique, ou la valeur sociale donnée au métier enseignant (Gohier, Anadón & Chevrier, 2007; Bedacarratx, 2012; Blin, 1997; Boutin, 1999; Carvalho, 2011; Cho, 2014; Clarke, 2008; Dejean & Charlier, 2011; Dubar, 2000; 2010; Duc, 2012; Flores & Day, 2006; Jutras, Legault & Desaulniers, 2007;

Pellanda Deici, Weiss & Monnier, 2012; Timostsuk & Ugaster, 2010; Vinatier, 2009;

Wittorski, 2007).

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Pour suivre, nous voulons présenter comment la recherche a produit une part importante de découvertes et de constatations concernant le langage. Nous constatons qu’une part significative des articles empiriques vus proposent l’usage de la langue comme matériel d’analyse pour saisir l’identité ; même s’il y a des postures modératrices face à cette assertion. Comme le signale Rinaudo : « l’identité d’un sujet ne s’offre pas à nous de manière directe. Elle est toujours donnée à voir à travers des actes et des discours, comme c’est le cas ici pour les enseignants rencontrés, sur leur formation, leurs pratiques, les contextes professionnels » (2004, p. 143). Ainsi la langue s’avère une ressource importante pour repérer les traces d’une identité professionnelle.

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