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Cadre Théorique

CHAPITRE 1. L’IDENTITE PROFESSIONNELLE DES ENSEIGNANTS ENSEIGNANTS

1.2. De l’Identité à l’identité professionnelle

Avant de situer le passage entre la notion identitaire et celle de l’identité professionnelle il faut discuter quelques prémisses qui fondent une vision de l’identité du point de vue du développement humain. L’identité articule différents domaines ou dimensions de l’être humain dans une perspective développementale. Ces domaines interviennent dans une mise en scène de facteurs qui se rejoignent dans une dynamique particulière sur l’individu et sur son développement. Les aspects cognitifs, affectifs, moraux, relationnels donnent lieu à des trajectoires singulières de vie.

Les approches récentes de la psychologie évolutive permettent de déplacer la posture du développement comme quelque chose d’homogène, linéaire, progressif et téléonomique. Palacios (2009) signale quelques controverses et dichotomies de la psychologie du développement qu’on peut repenser pour parler de l’identité. En effet, la constitution de l’identité, comme la définition du terme, émerge de la relation entre des facteurs multiples. Il s’agit d’une configuration personnelle, résultat de l’amalgame de variables comme la biologie du sujet, les facteurs culturels, les traits psychologiques, les formes d’interaction sociale, etc. Ces variables forgent une conception de l'identité au-delà de la notion monocausale de l’identité et d'étapes préétablies par lesquelles doit passer l'individu. C'est plutôt une perspective où l'identité prend sens dans la flexibilité (Cohen-Scali & Guichard, 2008), c'est-à-dire, où le développement identitaire se construit, d’un côté, sur la base de multiples causes

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et non pas comme le résultat d'un seul élément décisif lié à la personnalité du sujet et, d’un autre côté, en raison de la possibilité chez lui de traverser des cheminements probables de vie.

Dans ce sens, la construction de l’identité doit être pensée selon un caractère probabiliste au lieu d'un ordre prédéterminé et téléonomique. Une perspective de l’identité reprenant la conception contemporaine de la psychologie du développement s’éloigne de la vision en stades fixes vers un but final.

Le paradigme probabiliste relativise l’identité en termes d’un seul parcours d’élaboration identitaire valable et préconise la multiplicité des directions que peut prendre l’identité. Il n'y a pas un seul chemin à parcourir. Ce que nous faisons ou ce que nous sommes dans un moment de notre vie n'est pas un déterminant de notre vie future. Il se peut que l’expérience vécue trace un cheminement de vie, mais cela n’est pas suffisant pour caractériser les individus. Par exemple, si nous avons subi un maitre tyrannique à l’école, nous ne sommes pas destinés à répéter une histoire de bourreau si nous devenons enseignant. En résumé, si les expériences de vie soutiennent notre identité, elles ne définissent pas totalement la direction du développement identitaire.

Avec cet ensemble de principes, les approches développementales débouchent sur une conception d’un sujet polymorphe, d’origine multicausale, décrit en termes probabilistes et multidirectionnels dans sa configuration identitaire. C’est le produit des processus de développement pluriels débouchant sur la vision, elle aussi, d’un sujet

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pluriel (Cohen-Scali & Guichard, 2008). Ces fondements conceptuels nous sont utiles pour situer une approche de la notion d’identité professionnelle.

Pour parler d’identité professionnelle, il est nécessaire de situer la discussion dans une des tensions proposées plus haut. La définition d’Osborn dans le Dictionnaire de l’éducation (van Zanten, 2008) fait écho aux divergences par rapport à une conception de l’identité professionnelle (IP). Cette conceptualisation soulève les aspects plus contextuels comme l’économie, la politique ou les systèmes institutionnels qui configurent différemment les traits identitaires des enseignants. L’identité est une construction individuelle mais elle est aussi le résultat de l’influence sociale.

En effet, les différents contenus culturels et des expériences situées dans un contexte donnent forme à la structure et aux processus psychologiques et identitaires du sujet.

Le contexte professionnel est un des espaces où l’individu se voit confronté aux univers de pratiques, de langages, de conventions socialement construites. Dans ce jeu paradoxal entre le singulier et le pluriel, l’identité émerge grâce aux processus d’individuation et de socialisation à travers les modèles proposés par l’entourage, par la culture et les normes sociales. Comme le signalent Alheit & Dausien (2005), c’est par des processus de socialisation que l’individu peut saisir le social en le rapportant à sa propre histoire et ses expériences, en construisant le monde intérieur du monde extérieur.

Pour Cohen-Scali (2000) la différence entre les identités professionnelles et les identités sociales se marque par la particularité du contexte professionnel. L’identité

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professionnelle est une identité sociale dans un environnement professionnel. Celle-là se construit de la même manière que l’identité sociale, à partir de catégorisations sociales, par les appartenances aux groupes professionnels et les interactions sociales qui s’y produisent. L’identité professionnelle est donc une facette de l’identité au sens large, d’une construction éminemment de caractère social.

Un des auteurs le plus souvent cités lorsqu’on parle d’identité professionnelle est Claude Dubar. Ce sociologue part de l’idée que l’identité résulte des divers processus de socialisation (2010). Pour lui, l’identité se construit à travers des tensions individuelles et collectives et s’inscrit dans le sujet à travers ses transactions objectives et subjectives ; objectives en tant que le sujet doit incorporer de l’entourage professionnel les formes particulières d’agir et de voir la réalité, subjectives car le sujet traverse un processus de réinterprétation de ces formes d’agir et de voir la réalité du travail. De cette manière, les transformations historiques, collectives et individuelles en interaction configurent et reconstruisent les formes identitaires (Dubar, 2000).

Quant à l’identité professionnelle, elle émerge comme une forme où les individus se reconnaissent dans le champ du travail et de l’emploi. De cette façon, l’identité est le résultat « à la fois stable et provisoire, individuel et collectif, subjectif et objectif, biographique et structurel, des divers processus de socialisation qui, conjointement, construisent les individus et définissent les institutions » (Dubar 2004, p. 113).

Différents auteurs (Beckers, 2007 ; Dejean & Charlier, 2011 ; Jutras, Legault &

Desaulniers, 2007 ; Kaddouri, 2002 ; Perez-Roux, 2011 ; 2012a ; 2012b) mettent en avant deux principes d’après Dubar : la participation des autres et l’identification au

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groupe dans la construction identitaire, ce qui permet de se reconnaître à l’intérieur de la communauté professionnelle. Bien que l’identité professionnelle ait besoin des relations sociales pour sa constitution, c’est aussi le sentiment de l’individu d’appartenir à une même collectivité plus ou moins stable : ce n’est pas seulement le rapport entre les apports du contexte au sujet, mais aussi comment l’individu

« répond » à cet appel social. Une fois encore, la dialectique entre la différenciation du sujet par opposition aux autres et d’association par similitude de soi aux autres s’installent dans la construction d’une identité professionnelle. Le sujet doit s’organiser en fonction des représentations de la profession : représentations qui renvoient à des finalités du métier, aux normes et systèmes de valeurs, aux qualifications, moyens et attitudes donnant un cadre de référence pour situer les actions de la personne comme professionnelle.

Selon Blin (1997) l’identité professionnelle serait un réseau d’éléments particuliers de représentations professionnelles, réseau spécifiquement actif en fonction de la situation d’interaction et pour répondre à une visée d’identification/différentiation avec des groupes professionnels. L’identité professionnelle est conçue depuis un point de vue dynamique, un processus contextualisé dans l’interaction et non comme une forme stable et univoque signifiant l’appartenance de l’acteur à une organisation. Il s’agit donc du remaniement constant entre les significations que le contexte attribue au métier et celles que le sujet reconfigure de manière individuelle. Il s’agit d’une définition semblable à celle proposée par Cardu (2008). Pour cette auteure, l’identité professionnelle renvoie aux processus de négociation de significations et de sens avec l’environnement professionnel où le sujet peut trouver des points d’ancrage dans

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les références propres au métier : tout le système de normes et de valeurs, de repères et de considérations collectives autour de la profession.

L’identité professionnelle est donc le résultat des processus de construction et reconstruction d’un ensemble de représentations, parmi lesquelles on peut trouver des représentations héritées : les références et valeurs de la profession ; des représentations acquises : celles assimilées par l’individu ; et des représentations visées : projetées pour la profession et souhaitées par l’individu (Kaddouri, 2006). L’identité est donc un construit pour donner sens aux différents processus d’échange des représentations propres et attribuées. Depuis une perspective évolutive, l’identité professionnelle cadre les tensions de ces représentations : entre ce qui est attendu, ce qui est acquis et ce qui est imaginé par l’individu. Il s’agit d’une mise en scène d’un soi en devenir, un cheminement de la carrière et non d'une clôture,

« l'identité n'est pas la somme juxtaposée ou le résultat cumulatif de l'ensemble des expériences d'une vie mais un état en constant devenir » (Kaddouri, 2007, p. 2).

Comme le signale Costalat-Founeau (1997), l’identité professionnelle serait un produit représentationnel issu de la confrontation entre un ensemble de pratiques sociales, de connaissances et de représentations de différents métiers ainsi que de représentations de soi.

De toutes ces différentes postures, nous pouvons synthétiser que l’identité professionnelle devient le moyen par lequel le sujet interagit avec le contexte de travail et par lequel il se donne des éléments pour concevoir un signifiant comme professionnel. L’identité professionnelle c’est aussi le résultat des processus

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dynamiques, interactifs et communicationnels où le sujet échange les représentations, valeurs, savoirs et sentiments autour du métier. De ce point de vue, l’identité professionnelle émerge et se modifie dans un continuum de construction et reconstruction à partir des expériences (professionnelles et non professionnelles) de l’individu : scénario de débat de l’agir sous la lumière des savoirs, valeurs, schémas, représentations, sentiments où les renormalisations (Schwarz, 2010) émergent comme dialectique de l’apprentissage du sujet. En conséquence, les renormalisations opèrent en tant que formes de s’approprier et d’adapter les cadres professionnels pour configurer certaines formes subjectives d’agir, de penser, de juger. Formes qui découlent des dialogues avec autrui et aussi des réflexions sur soi. C’est précisément l’objectif de notre travail d’enquêter sur les trajectoires d’élaboration identitaire particulière aux enseignants.

La suite de notre cadre de référence présente ce que certains chercheurs ont identifié concernant la construction de l’identité professionnelle des enseignants. Afin de guider la discussion, nous présentons ce que les chercheurs ont traité et ont trouvé lorsqu’ils étudient l’identité professionnelle des enseignants.

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