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L’approche historique des biens wakfs

Chapitre I : Les caractéristiques des biens wakfs

Section 2 L’approche historique des biens wakfs

Il est important de signaler que malgré l’intérêt observé au cours de ces dernières décennies pour les études du wakf, celui-ci reste un domaine de recherche nouveau et relativement inexploré par les recherches historiques consacrées au monde arabe et notamment à l’Algérie.

§ 1. Le wakf en Algérie à l’époque ottomane

Le wakf ou habous dans les pays du Maghreb, est une tradition caractéristique de la civilisation musulmane. Pendant l’époque ottomane, il a connu un essor exceptionnel en Algérie et son importance dans les divers domaines économiques, social et culturel, s’est maintenue jusqu’aux premières années de la colonisation française.

1 Zaouïa (Zawya) : établissement islamique où l’on dispense un enseignement religieux et qui est situé à proximité d’un tombeau du fondateur d’une mosquée (voir p. 206)

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A l’époque ottomane, il existait les registres de Beït-El-Mal (Trésor public). Ces registres concernant, en majorité, la part de Beït-El-Mal ; dans les héritages, les dépenses destinées aux pauvres et aux gens de passage, ainsi que les biens des orphelins et des absents consignés auprès du Beit-El-Mal (responsable du trésor public).

Les registres de Beylik1 sont des registres officiels de l’administration beylicale. Ils

concernent les dépenses et les revenus de biens wakf de diverses fondations religieuses.

Les registres de Beylik et de Beït-El-Mal se présentent différemment. Ceux du Beylik donnent des listes détaillées des biens habous (non de l’institution, bénéficiaire, exploitant, gestionnaire, revenu annuel, date et le wakil (mandataire). Les registres de Beït-El-Mal ne traitent les affaires des wakfs qu’à travers les opérations concernant l’affectation du bien à sa destination finale en cas de déshérence, en citant les règlements indiquant les caractéristiques des opérations de restauration, d’entretien et d’échange des biens wakfs dégradés ou abandonnés.

En somme, la gestion des biens wakfs dans l’époque ottomane, a connu une répartition des revenus entre bénéficiaires et exploitants ainsi que la diversité des sources de revenu, et rendement annuel.

Les responsables de la gestion des biens wakfs procédaient à l’affectation des revenus pour l’entretien des services publics (fontaines, canaux, puits, routes, chemins, canalisations, réservoirs, forts, casernes, etc…) ainsi que les lieux de cultes et d’enseignement.

Les institutions de culte et d’enseignement en Algérie ottomane, employaient un grand nombre de : Fougaha, Tolba, Cheikhs, Nadhers, Oudoul et autres fonctionnaires qui représentent les fondations du wakf.

En cela, le wakf était le mode d’exploitation dominant pour un secteur important de la propriété foncière et immobilière dans les villes.

Le mode d’exploitation du wakf en Algérie Ottomane, qui englobait la majeure partie des biens fonciers dans les villes et leurs environs explique, en partie, la situation économique déclinante marquée par une baisse significative de la production et une forte récession.

Il est important de signaler qu’environ 75% des biens étaient sous le régime du wakf ; ce qui empêchait la mobilité des richesses et leur accroissement, préservait la structure sociale existante et renforçait l’inertie socio-économique.

« Le wakf a certes préservé les intérêts des familles propriétaires et maintenu le niveau de vie de groupes de fonctionnaires, mais il a été un facteur de concentration de la richesse aux mains d’individus et de groupes sociaux, au détriment de la croissance économique et de l’évolution sociale »2.

1 Beylik : une province gouverné par un Bey ; le Bey : c’était le souverain ottoman. Le tout haut dignitaire de l’Empire ottoman.

2 Nacereddine SAIDOUNI, « le wakf en Algérie à l’époque ottomane », Recueil de recherches sur le wakf, Koweit, sériede livre (4).(Koweit, 2009 p.1.

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Dans le même temps, l’appareil du Beylik enchaîné par ses rapports déséquilibrés avec les puissances européennes devenait prisonnier d’un système commercial capitaliste caractérisé par l’exportation de grandes quantités de matières premières agricoles algériennes, en échange des produits manufacturés destinés à satisfaire les besoins de la société citadine recroquevillée.

Dans l’Algérie ottomane, l’expansion du wakf (ahli ou khairi) : était marqué, en apparence, par la piété et le renoncement aux biens matériels, mais l’expansion du wakf dénotait également des rapports tendus entre gouvernants et gouvernés. Le wakf constituait, en fait, pour les propriétaires, une protection contre les abus de pouvoir, notamment la confiscation des biens.

Le wakf était une pratique sociale dominante dans la société algérienne à l’époque ottomane et constituait une réponse aux besoins quotidiens et un reflet de l’état culturel de la population.

Au final, les institutions religieuses du wakf étaient des acteurs économiques ; sociaux et culturels influents, grâce aux revenus importants, aux dépenses, aux fonctions et aux services rendus.

§ 2. Le rôle du wakf dans la vie économique et sociale de l’Algérie à la fin de l’époque ottomane

Le wakf avait un impact direct sur l’activité économique et les rapports sociaux. Les revenus du wakf assuraient les salaires et les dépenses des hommes de loi, des enseignants et des tolba1. Les gouvernants turcs, soucieux de décharger l’Etat et le Trésor

public de ces tâches, ont œuvré pour l’instauration d’une gestion autonome des institutions culturelles et d’enseignement.

Parmi les bénéficiaires des revenus du wakf, nous avons les étudiants (tolba) ; les enseignants, les chargés des affaires de culte dans les medersas2,Zaouïas,les mausolées et les

mosquées.

Le surplus des revenus du wakf était, dans la plupart des cas, destiné à la création de nouveaux lieux de culte et d’enseignement.

Au demeurant, le wakf apportait une assistance aux pauvres et aux nécessiteux. Les wakifs ou (gérants) des biens wakfs étaient chargés de donner une aide en numéraire ou en nature à ces catégories de la population, à des dates fixes de la semaine ou de l’année.

1 « Tolba » : singulier : Taleb (l’étudiant d’une école coranique).

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A cet effet, on peut dire que « le wakf contrecarrait les dépassements et les abus de pouvoir de la part des gouvernants. Il était un outil de préservation des richesses, des biens et des terres, car le bien wakf échappait aux transactions commerciales et ne pouvait être exproprié ou confisqué. Ainsi, malgré les conjonctures difficiles de la fin de l’époque ottomane qui incitaient les gouvernants à des actes de destitution, d’expropriation ou de taxation, les wakfs restaient à l’abri des dépassements grâce aux règles sacrées de la loi religieuse »1.

Il est à noter que le wakf permettait aux personnes âgées et aux mineurs, incapables d’exploiter leurs biens, de bénéficier de leurs revenus.

Sans oublier de mentionner que le wakf maintenait la cohésion de la famille algérienne et préservait les droits des héritiers. Les droits de tous les membres de la famille étaient préservés étant donné qu’aucun des héritiers n’avait le droit de vendre ou d’aliéner le bien wakf.

Le wakf assurait aussi, le budget d’entretien des biens publics tels que les fontaines, les aqueducs, les puits les routes et les chemins.

Enfin il fournissait des fonds pour édifier et restaurer les casernes et les diverses fortifications, notamment les forts et les batteries pour la défense du pays contre les attaques maritimes européennes et les incursions des tribus de l’intérieur du pays.

A. Le wakf : un moyen pour l’exhérédation de la femme

Important : Testament, succession, héritage, concernant les femmes demeurent « Tabou » dans les sociétés musulmanes. On pourrait avantager un héritier puisque

par donation, on peut disposer de tous ses biens, les héritiers, même les plus proches n’ont pas d’action contre les dons excessifs. Mais il en coûte au donateur de dépouiller immédiatement. Ce qu’on ne peut pas faire par legs, ce qu’on pourrait mais qu’on ne veut pas faire donation, on le peut par une constitution de wakf (habous), on y recourra notamment pour écarter les filles de la succession afin d’avantager les héritiers mâles.

« Le habous (wakf) est souvent utilisé, pas seulement en Algérie mais dans tout le Maghreb, comme artifice juridique pour l’exhérédation de la femme, en contournant légalement les prescriptions coraniques qui, au contraire, reconnaissent à la femme le droit à l’héritage dans certaines proportions, soit la moitié d’une part d’un mâle. Les fondateurs du habous conservent pour eux-mêmes et leurs futurs descendants mâles l’usufruit des biens wakfs (habous). Ce processus entraîne à terme une exhérédation absolue de la femme »2.

Il s’agit sans doute d’un détournement de finalité, surtout que parfois les juristes du droit musulman ont recouru à certaines ruses pour exhéréder les femmes et protéger le patrimoine de l’émiettement et des intrusions étrangères au lignage patrilinéaire.

« C’est ainsi que la vulnérable institution du wakf a été détournée de sa finalité première, en réservant l’usufruit du bien « habousé » à la descendance mâle du fondateur.

1 Nacereddine SAIDOUNI, « le waqf en Algérie à l’époque ottoman » Recueil de recherches sur le wafq ; Koweït, série de livre (4) 2009, p.86. 2 Tahar KHALFOUNE, « Le habous, le Domaine Public et le Trust », Revue internationale de droit comparé, n°2. France. C.N.R.S 2005, p.463.

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Il faut préciser à ce niveau qu’en Algérie les habous (wakf) sont, le plus souvent, constitués selon le rite hanéfite et faits au profit des fils, à l’exclusion des filles »1.

Donc, le rite hanéfite ; reconnaît au constituant le droit de se désigner lui-même, d’écarter les filles. Or, bien que, dans les pays d’Afrique du Nord, le wakf excluant les filles soit, en principe, prohibé, puisque c’est bien le rite malekite qui est majoritairement adopté ; pour ce faire les constituants prennent le soin de se réclamer des règles du rite hanéfite.

C’est ainsi qu’on aboutit à exhéréder les filles pour empêcher que les biens de la famille, passent héritage dans celle du mari.

« En Algérie, plus exactement en Kabylie ; le wakf (habous) est utilisé pour faire bénéficier les femmes de la succession et contourner ainsi le droit coutumier qui les exclut. Il est important de mentionner que le droit coutumier se distingue, en effet, du droit islamique ; car l’islam reconnaît à la femme le droit d’hériter (ab intestat), c'est-à-dire sans testament, alors que le droit coutumier interdit à la femme d’hériter au nom du principe patriarcal ; selon lequel la vocation successorale est un droit exclusif des mâles.

On comprend alors, que les tribus en Kabylie ont renoncé aux prescriptions de la loi coranique en matière d’héritage, pour adopter le droit coutumier qui exhérède les femmes »2.

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