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Chapitre I : Les conditions d’évolution et le processus de modernisation de la propriété privée

Section 1 Les biens melks

« En principe, le droit de propriété melk (milk) porte à la fois sur le fonds, c’est à dire, tout ce qui est à la surface du sol, sur le tréfonds, c'est-à-dire, le sous-sol ou dessous ; et sur la superficie, c'est-à-dire le dessus »2.

Les terres (melks) sont ainsi nommées de la nature même du droit de propriété dont elles sont l’objet. Le melk est la propriété ordinaire, de droit commun, donnant à celui qui en est titulaire le droit de jouir et de disposer de la chose de la manière la plus absolue. Le même mot désigne aussi, tout bien libre, aliénable à la volonté du possesseur.

1 Zahia SOUDANI MIHOUB, Ttransactions foncières, marché foncier, patrimoine, Thèse de Doctorat, Université de Constantine octobre 2007, p. 29 2 Louis MILLOT, « Introduction à l’étude du droit musulman », Paris Ve, SIREY 1953, P.579.

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§ 1. Les caractéristiques des biens melks

Les terres melk, terres de propriété individuelle, forment certainement la majeure partie du Tell Algérien. Elles occupent notamment tous les massifs montagneux : dans la région d’Alger, la Kabylie, l’Ouarsenis dans la région d’Oran, les massifs de DAHRA près de Mostaganem entre Tlemcen et Mascara dans la région de Constantine, Aurès. Les territoires melk comprennent également toutes les OASIS ou SAHARA.

On peut dire que le régime melk est la forme qu’a prise naturellement la propriété en Algérie, lorsqu’elle a été abandonnée à elle-même ou lorsqu’elle a été affranchie de la surveillance du pouvoir central. Tous les territoires Kabyles, qui n’ont jamais été soumis effectivement aux Turcs, sont exclusivement de propriété melk ; et la propriété est redevenue melk dans toutes les tribus assez éloignées de leur centre d’action pour échapper à leur surveillance sur la culture. Il faut donc, contrairement à certaines assertions, proclamer que le régime melk est le régime naturel aux populations autochtones de l’Algérie.

Une grande partie des terres melk d’Algérie sont d’origine kabyle, c'est-à-dire sont ainsi possédées à titre privé depuis un temps immémorial, les dominations arabe et turque n’ayant pas pu s’implanter dans les massifs qui les contenaient.

Même dans les régions soumises à ces conquêtes, certaines tribus ont conservé la propriété melk, en acceptant sans résistance le conquérant ou en obtenant de lui une capitulation leur garantissant leur propriété.

§ 2. Le statut juridique des biens melks

Ce qui a donné naissance à la légende de la (propriété collective algérienne) c’est que, si juridiquement, la propriété melk se rapproche beaucoup avec l’état de la propriété en Europe par exemple, cela provient principalement de ce que les copropriétaires autochtones demeurent plus facilement dans l’indivision que les campagnards européens. Mais il faut bien le dire ; il n’y a là rien qui ressemble à une propriété collective.

On constate qu’en Kabylie qui est une région importante de l’Algérie, que la propriété est extrêmement morcelée où l’indivision disparaît très vite. Il y est de règle de pratiquer le partage immédiat entre les héritiers à la mort de l’auteur commun ; ce qui est possible en raison de la simplicité relative du système successoral excessif de la propriété, un domaine de deux hectares de bonne terre est rare en Kabylie, et les jardins de douze ou quinze ares sont extrêmement fréquents. Bien plus, dans leur horreur de l’indivision, les kabyles en arrivent à partager des choses qui pour certains ne paraissent pas partageables, par exemple les arbres, oliviers, figuiers ou frênes. Il arrive souvent ainsi que par un droit de superficie assez fréquent en Algérie, la propriété des arbres s’élevant sur un terrain soit distincte de la propriété du sol.

« En ce qui concerne la Kabylie, où l’individualisation est poussée si loin, on ne peut donc rien trouver d’analogue à un communisme agraire.

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On a voulu découvrir une manifestation de ce collectivisme dans la pratique d’une association de famille1. Cette convention, assez peu usitée, se forme entre héritiers d’un auteur

commun, frères, ou oncle et neveux, quand l’un d’eux, mineur ou s’expatriant, est incapable de cultiver le bien patrimonial.

La gérance est assurée par ceux qui restent dans la tribu ou par ceux qui sont capables de travailler.

Dans le reste de l’Algérie, où se sont mélangées dans une proportion difficile à déterminer les populations arabe et berbère, ce qui a donné à des observateurs superficiels l’illusion du collectivisme, c’est la pratique assez générale de l’indivision.

La terre melk est possédée indivisément par un nombre variable d’individus, qui ne dépasse pas ordinairement 20, mais qui peut aller parfois jusqu’à 300 à 400.

Il est à remarquer que malgré cette indivision, il n’y a là rien qui ressemble à un régime de propriété collective. Les copropriétaires de terres melk, quel que soit leur nombre, conservent toujours le droit absolu de disposer personnellement de leur part indivise, sans avoir besoin du consentement de leurs consorts. Ils peuvent demander le partage quand il leur plait. Leur situation est donc la même que celle des propriétaires indivis en France.

En Algérie, la situation est plus fréquente, elle se prolonge plus longtemps, elle n’en a pas moins toujours le même caractère. Ce qui explique la prolongation des indivisions chez les autochtones algériens, c’est moins l’esprit d’association et de solidarité que la complication de la loi musulmane en matière de successions.

Ce qui caractérise donc la propriété autochtone, ce n’est un collectivisme qui n’existe ni dans le droit ni dans les mœurs, c’est une confusion à peu près inextricable. Plusieurs successions se produisent sans qu’il y ait de partage et, s’il, s’en produit un, c’est souvent un partage provisionnel n’ayant trait qu’à la jouissance, non à la propriété, laissant par conséquent subsister des droits qui ne correspondent pas à la possession de fait. On comprend combien, dans ces conditions que les transactions immobilières sont peu sûres »2.

Section 2 : Les terres arch ou « sebagha »

§ 1. Définition des terres arch

« La dénomination arch signifie tribu ; blad El arch c’est la terre de la tribu. L’expression (sabega) signifie devancer, c'est-à-dire terre de celui qui a devancé les autres, terre du premier occupant »3.

1 A. ALOUI, « Le Régime foncier et le cadastre en Algérie », Agence Nationale du Cadastre (A.N.C), septembre 1997, p. 13 et 14. 2 A. ALOUI, « Le Régime foncier et le cadastre en Algérie », Agence Nationale du Cadastre (A.N.C), septembre 1997, p. 13 et 14. 3 Amar ALOUI, « Propriété et régime foncier en Algérie », éditions HOUMA, 2009 p. 33 et 34.

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« Dans le bien arch ou (sabega), le fonds était réputé appartenir au souverain, qui abandonnait la jouissance à la tribu. Celle-ci usait de la jouissance comme elle voulait, mais sans pouvoir aliéner le fonds. Le premier occupant conservait cette jouissance tant qu’il pouvait continuer à la vivifier, et la transmettre dans les mêmes conditions à ses héritiers mâles en ligne directe.

Les cultivateurs des tribus ne pouvaient pas consentir, sur ces terres, aucun contrat impliquant le titre de propriété. Cette définition qui reconduit la notion « de nue-propriété de l’Etat, en même temps c’est une définition qui a servi de fondement à certaines pratiques coloniales »1.

« En affirmant qu’à côté des terres melk, objets d’un droit de propriété individuelle analogue au dominium romain et au droit de propriété actuel ; il y avait en Algérie de nombreuses tribus et de vastes territoires soumis à un mode de possession bien différent, territoires que l’administration française a dénommés (arch) dans les provinces de Constantine et d’Alger, (sebaga) dans la province d’Oran, ce qui constituait une des questions les plus controversées qu’ait soulevées le régime foncier algérien »2.

§ 2. Le statut juridique des terres arch

D’une manière générale, les terres arch ce sont des terres dévolues aux tribus, en vertu du principe posé par le sénatus – consult de 1863 suivant lequel ces collectivités étaient déclarées propriétaires incontestables des terres dont elles avaient la jouissance permanente et traditionnelle.

Les principales dispositions de cette loi se présentent comme suit :

 les tribus de l’Algérie sont déclarées propriétaires des territoires dont elles ont la jouissance permanente et traditionnelle à quelque titre que ce soit : c'est-à-dire que les droits de jouissance exercés sr les terres arch et maghzen3 sont transformés en un droit de propriété collective au profit des tribus.

Plus tard, cette propriété collective sera convertie en une propriété individuelle au profit des membres du douar, en attendant, et comme mesures préliminaire, on doit procéder à la délimitation des tribus, à la division des tribus en douars et à la répartition des terres collectives entre les différents douars.

1 Fatiha BENCHIKH EL FEGGOUN AABBASSI, l’impact des lois foncières coloniales sur la situation socio-économique des paysans algériens, de 1873 à 1911, Thèse de Doctorat, Université de Constantine 2007, p.70.

2 Amar ALOUI, « Propriété et régime foncier en Algérie », éditions HOUMA, 2009 p. 33 et 34.

3 Terre maghzen : les territoires maghzen étaient des terres concédées à des colonies militaires : le colon arabe, en entrant dans le maghzen, recevait la terre et des instruments de travail des armes et un cheval ; il était à la fois agriculteur et gendarme.

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Au demeurant, la tribu ou plutôt le douar en possède le domaine éminent ; les membres de la tribu en exercent l’usufruit, usufruit spécial qui peut conduire à l’appropriation privée en tenant compte des caractéristiques spéciales de la terre arch qui se résument ainsi :

 Inaliénabilité ;

 obligation de vivifier le sol pour en conserver la jouissance ;  transmission de la terre de mâle à mâle en ligne directe ;  interdiction de tout contrat impliquant le titre de propriétaire

 compétence exclusive de l’autorité administrative dans le règlement des litiges portant sur les terres arch ou Sabega ;

 indivision rare ou très réduite du fait du mode dévolution.

Mais, il est important de mentionner que la terre arch ne peut devenir propriété privée qu’à la suite d’une enquête partielle requise par son occupant ou par un acquéreur européen ou musulman.

Cependant, l’acquisition ne peut pas avoir lieu que sous condition suspensive. A cet effet, le titre de propriété délivré, forme le point de départ de la propriété.

L’administration (française) peut également, lorsqu’un intérêt supérieur le justifie, procéder, en territoire collectif à des enquêtes d’ensemble aboutissant à la délivrance de titres de propriété de force identique à ceux délivrés en suite de procédures partielles.

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Remarques

Finalement, rien ne différencie le (melk) du (arch). La distinction fondamentale réside surtout et avant tout dans les formes d’occupation. « Le premier se caractérise par des cultures intensives : arboriculture sur pentes et versants, cultures irriguées à partir de l’aménagement des sources et oueds. Le deuxième est généralement réservé à une céréaliculture extensive associée à l’élevage, intéressant les plaines et plateaux ensemble »1.

En somme, qu’il s’agisse de terre arch ou de terre melk, partout il s’agit de biens privatifs ; les conditions de partage et de jouissance sont partout les mêmes.

« En définitive, quand il a fallu passer à une phase supérieure, celle de la colonialisation privée ; deux notions furent inventées dans le domaine foncier Melk et Arch. C’était dans un souci de simplification de statuts difficiles à comprendre et à intégrer, que le législateur français, s’attachera à créer deux catégories juridiques identifiables.

Désormais le melk, dépouillé des entraves traditionnelles est simplifié, sera assimilé à la propriété privée. La deuxième catégorie inventée, c’est le statut arch sur lequel se greffe une fiction juridique, la tribu et la propriété tribale. Le glissement vers la propriété collective plus facile à démembrer en propriété privée, est ainsi enclenché. La tribu qui est une invention coloniale, est devenu un instrument d’oppression dont il faut libérer ses individus »2.

Par opposition aux terres dites francisées, soumises au code civil français et dont les propriétaires sont munis de titres fonciers les terres melk et archs ne sont pas titrées.

1 D. SARI. « La dépossession des fellahs » 1830-0962, S.N.E.D, Alger. 1978 p. 10. 2 D. SARI. « La dépossession des fellahs » 1830-0962, S.N.E.D, Alger. 1978 p. 10.

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