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Deux autres décrets en date des 18 et 22 mars 1963 constituent les textes fondamentaux en matière de réglementation des biens vacants.

a) « Le décret n° 63-88 du 18 mars 1963 : portant réglementation des biens

vacants : ce décret définit les entreprises considérées comme vacantes ; il s’agit des entreprises à caractère industriel, commercial, artisanal, financier, minier ainsi que les exploitations agricoles qui à la date de publication de ce décret ont fait l’objet d’une constatation de vacance ou ne sont pas en activité ou normalement exploitées, ou qui postérieurement à la publication du décret ont cessé leur activité ou exploitation normale sans motif légitime. Ces entreprises ont de plein droit la personnalité morale de droit privé »1.

Ce même décret du 18 mars 1963 porte création d’un Office National de la Réforme Agraire (O.N.R.A).

Cet Office est chargé d’organiser la gestion des fermes abandonnées par leurs propriétaires et plus généralement de réaliser le programme de réforme agraire du Gouvernement.

b) Le décret n° 63-95 du 22 mars 1963 : portant organisation et gestion des

entreprises industrielles, minières et artisanales, ainsi que les exploitations agricoles vacantes2.

Ce décret institue l’autogestion.

« Les entreprises industrielles et minières, ainsi que les exploitations agricoles vacantes, s’autogèrent par les organes suivants :

Nous développerons ces organes dans le point (2) relatif à la capacité de gérer les moyens de production.

c) Le décret du 24 mars 1963 instituant en outre des organismes d’animation

de l’autogestion :

1 Amar ALOUI, « Propriété et régime foncier en Algérie », Houma éditions, Alger 2008, p.71. 2 Décretpublié au Journal Officiel de la République Algérienne n° 17 du 29 mars 1963 p. 298

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Dans chaque commune, il est créé un Conseil communal d’animation de l’autogestion, composé des présidents de comité de gestion, d’un représentant du parti, de l’Union Générale des Travailleurs algériens (UGTA), de l’armée nationale populaire (ANP) et des autorités administratives de la commune.

Ce Conseil aide à la création et à l’organisation des organes de gestion, intéresse les travailleurs aux problèmes de l’autogestion, coordonne l’activité des exploitations d’autogestion de la commune, et fait appel à l’aide technique et financière de l’organisme de tutelle l’office national de la réforme agraire (ONRA) en matière de gestion et de contrôle.

d) Le décret n° 63-98 du 28 mars 1963 : déterminant les règles de répartition

du revenu des exploitations et entreprises d’autogestion.

Le revenu annuel est réparti en deux masses principales : les prestations à la collectivité nationale ; le revenu propre des travailleurs de l’exploitation d’autogestion.

Les prestations à la collectivité nationale se composent de prélèvements pour :  le fonds d’amortissement financier de l’exploitation ;

 le fonds national d’investissement  le fonds national d’équilibre de l’emploi.

Le revenu propre des travailleurs comprend :

 la rémunération des travailleurs non permanents ;  la rémunération de base des travailleurs permanents ;  les primes de rendements ;

 un reliquat à répartir. Le Conseil des travailleurs décide de sa répartition.

Il importe de savoir que le 29 mars 1963, dans une allocution, le Président Ben Bella déclarait :

« Les biens vacants sont confiés à l’autogestion des travailleurs »1.

Donc, c’est le début d’une expérience originale, à la fois en retrait et plus engagée que son modèle yougoslave.

Plus engagée, car en Yougoslavie l’autogestion agricole ne débute pas par la coopérative de production ; elle sert au départ à asseoir des coopératives de services regroupant des producteurs individuels.

En Algérie, l’autogestion agricole n’est pas paysanne mais d’emblée ouvrière et les formules adoptées sont celles que la Yougoslavie a réservées aux entreprises industrielles.

En retrait par ailleurs, car l’Algérie restreint la coopérative sur le point essentiel du Directeur ; celui-ci n’est pas nommé par les coopérateurs, rémunéré par l’entreprise, comme en Yougoslavie, mais nommé et rémunéré par l’Etat.

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En dehors des décrets de mars 1963, d’autres textes sont intervenus et ont eu pour but de faire entrer dans le patrimoine de l’Etat, des biens qui n’étaient pas vacants, ce sont :

 le décret n°63-168 du 9 mai 1963 relatif à la mise sous protection de l’Etat des biens mobiliers et immobiliers dont le mode d’acquisition, de gestion, d’exploitation ou d’utilisation est susceptible de troubler l’ordre public ou la paix sociale.

 La loi n° 63-276 du 26 juillet 1963 déclarant biens de l’Etat, les exploitations agricoles appartenant à certaines personnes physiques ou morales ne jouissant pas de nationalité algérienne.

 L’ordonnance n°66-102 du 6 mai 1966 portant dévolution à l’Etat de la propriété des biens vacants1.

Toutes ces mesures ont eu pour résultat de faire entrer dans le patrimoine de la collectivité nationale une masse considérable de bien-fonds parmi lesquels les terres agricoles tenaient une place prépondérante puisque 2.700.000 ha de bonnes terres possédées jadis par les colons ont été érigées en exploitations agricoles autogérées.

Après plusieurs années de tâtonnement qui ont constitué, en réalité, une expérimentation coûteuse sans doute, mais combien utile, le Gouvernement algérien a mis au point plusieurs textes régissant les formes autogérées, publiés au journal officiel du 15 février 1969.

Ces textes consacrent les résultats de plusieurs années de pratique et constituent le fruit d’une longue étude faite à l’échelle des hautes instances de l’Etat2.

La nouvelle législation sur l’autogestion dans l’agriculture datée du 30 décembre 1968 (pour l’ordonnance n° 68-453, et du 15 février 1969 pour les décrets d’application) enrichit celle déjà existante connue sous le nom de (décrets de mars 1963), cités ci-dessus dans le point (A).

Dans ses principes, l’autogestion signifie que les travailleurs exercent un droit de propriété réel sur les moyens de production. Cela veut dire d’abord qu’ils disposent de la capacité de les affecter aux usages qu’ils choisissent (le choix n’étant jamais absolument libre, étant toujours limité soit par les forces du marché dans une économie libérale, soit par les contraintes de la planification dans une économie planifiée).

Cela veut dire que les travailleurs possèdent la capacité d’affecter les produits de leur travail aux usages qu’ils désirent : consommation individuelle, consommation collective, investissement, etc.

1 Ordonnance n° 66-102 du 6 mai 1966, Journal Officiel de la République Algérienne n° 36 du 6 mai1966. P.344.

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§ 2. La capacité d’affecter et de gérer les moyens de production A. Les organes de gestion des moyens de production

L’Assemblée Générale des Travailleurs de l’Exploitation Agricole a pour compétence d’adopter le plan de développement et de production.

En outre, l’AG élit les membres du conseil des travailleurs et ceux du comité de gestion.

Le premier de ces organes de l’autogestion décide de l’achat et de la vente du matériel, le deuxième organe élabore le plan de développement de l’exploitation et les programmes annuels d’équipement et de production et décidant des emprunts à court terme.

Par ailleurs, le Président du comité de gestion, élu au deuxième degré par les travailleurs, contresigne les pièces d’engagement financier et les paiements.

Ainsi, soit directement, soit indirectement par leurs représentants élus, les travailleurs ont les plus larges pouvoirs d’affectation des moyens de production. Ils décident de ce qu’il faut produire, comment produire, avec quelles techniques et quels matériels.

En matière de gestion quotidienne, les travailleurs disposent de pleins pouvoirs puisqu’ils adoptent les règlements en matière d’organisation du travail, de définition et de répartition des tâches et des responsabilités.

Mais les textes de mars 1963, après avoir donné d’une main aux travailleurs le pouvoir d’affectation des moyens de production, les leur retirent d’une autre en conférant au directeur nommé par l’administration de tutelle et représentant de l’Etat, des prérogatives qui peuvent empêcher les travailleurs d’exercer les leurs.

Le directeur en effet, bien qu’il ait pour rôle d’exécuter les décisions des travailleurs puisque la réglementation le charge de veiller à la légalité des opérations économiques et financières de l’exploitation agricole, il peut également s’opposer aux plans d’exploitation et de développement non conformes au plan national, de signer les pièces d’engagement financier et les ordres de paiements courants, d’établir et de tenir l’inventaire mobilier et immobilier. En outre, le directeur détermine annuellement le nombre optimum de travailleurs permanents techniquement nécessaires à l’accomplissement du programme économique de l’exploitation.

Sur le plan de la gestion quotidienne le directeur, bien que ce soit « sous l’autorité du Président qui assure la marche de l’exploitation, donne, seul, les ordres de travail.

En cas de conflit entre le directeur et les travailleurs ou leurs représentants élus, les textes de mars 1963 (en particulier le décret n° 63-95 du 22.03.1963) ne prévoit en explicitement aucun recours, ce qui peut donc entraîner un blocage de fonctionnement de l’exploitation.

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Outre les prérogatives du directeur de l’exploitation, la capacité de décision de travailleurs peut se trouver amoindrie, sinon niée, par le conseil communal d’animation de l’autogestion créé par le décret n° 63-95 du 22.03.1963 qui coordonne l’activité des entreprises et exploitations d’autogestion de la commune, ainsi que l’office national de la réforme agraire (ONRA) crée par le décret n° 63-90 du 18 mars 1963 qui a pour mission d’ organiser la gestion des fermes abandonnées par leur propriétaires.

Comme l’ONRA nomme le Directeur de l’exploitation et que le Conseil communal d’animation de l’autogestion l’agrée, ces deux institutions peuvent donc donner des directives à ce dernier, directives qui s’imposeront aux travailleurs. Ainsi en matière de capacité d’affecter les moyens de production, les textes instituant l’autogestion, tout en reconnaissant cette capacité aux travailleurs ou à leur représentants élus, limitent cette capacité en donnant des prérogatives de gestion et de contrôle au directeur représentant de l’Etat au sein de l’exploitation et des institutions extérieurs à l’exploitation, institutions auxquelles le directeur est tenu d’obéir.

Cette contradiction se maintiendra dans l’ordonnance n° 68-653 du 30 décembre 1968. Le Directeur de l’exploitation agricole, tout en restant l’exécutant des décisions du comité de gestion, continue de représenter l’Etat et veille à la conservation des moyens de production et s’oppose aux décisions ayant pour objet la diminution de leur valeur initiale, indique les objectifs de la planification nationale et s’oppose aux plans de développement de l’exploitation non conforme, à ces objectifs…, s’assure de la régularité des opérations économiques et financières de l’exploitation.

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