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LA FUITE DE HOLLANDE ET DE BELGIQUE VERS LA SUISSE

II.4. L'approche de la frontière nord

II.4.5. Itinéraires vers la frontière du Jura vaudois

II.4.5.2. De zone libre vers le Jura vaudois

En ce qui concerne les passages par le Mont Risoux (2), il faut évoquer ceux accomplis par la jeune collaboratrice suisse de la Croix-Rouge suisse-Secours aux enfants, Anne-Marie Piguet, employée au home du Château de la Hille à Montégut-Plantaurel (Ariège), au pied des Pyrénées85.

Ces passages commencent en septembre 1943, quand la ligne de démarcation est abolie. Et il faut donc parler, non de zone libre, mais de zone sud. Le point de départ de ces passages est le minuscule village de Chapelle-des-Bois (Jura), 275 habitants à cette époque.

Le passage par le Risoux, une longue traversée de 12-15 km entre Chapelle-des-Bois et le Sentier, est bien documenté, notamment par les souvenirs des fugitifs passés par Anne-Marie Piguet et par ses propres souvenirs86. Mais aussi par un officier du Service de renseignement suisse domicilié au Sentier, Frédéric Reymond, dit «Fred»87. Ce passage est en effet emprunté durant toute l'Occupation par les services de renseignement suisse et français. La jeune Anne-Marie Piguet, dont le seul lien avec cette région est que sa famille vit de l'autre côté, au Sentier (où son père est ingénieur forestier chargé de l'entretien de la forêt), aura recours aux trois sœurs Cordier, dont la maison de famille est au lieu-dit «Sous le Risoux» en zone interdite, et dont au moins la cadette, Victoria, travaille pour les services de renseignement alliés (réseau Corvette) et le SR suisse. «Fred» et ses agents ont également accompagné des juifs sur cette route88.

En automne 1943, il n'est pas trop difficile de se rendre à Chapelle-des-Bois par les transports publics; Anne-Marie Piguet n'hésite pas à y envoyer ses jeunes protégés seuls. Il faut gagner Lyon, puis Lons-le-Saunier, Champagnole et Morbier en train et en car. De Morbier, il faut gagner Chapelle avec un véhicule privé ou à vélo, un trajet d'environ 18 km. On peut aussi, de Champagnole, prendre le «Juratram» jusqu'à Foncine-le-Bas, puis traverser à pied le Mont-Noir, une randonnée de plus de 12 km avec une dénivellation d'au moins 300 mètres.

Mais Chapelle est le dernier village avant la zone interdite, marquée par un barbelé. Le chemin suivi par les agents de renseignements est alors le suivant: il faut quitter le village par l'ouest (la route formant la limite avec la zone interdite), se glisser sous le barbelé après quelques centaines de mètres et se perdre dans la forêt sans laisser de traces, puis monter vers la crête, en direction de l'est, mais en évitant les falaises rocheuses. La frontière suisse est à environ 3 km de Chapelle.

On arrive à la borne 176, d'où une route bien marquée conduit au «chalet Capt», lequel semble

85 Cf. infra V.3.3.2.

86 IM HOF-PIGUET, La Filière...

87 Cf. CAPT, Fred…; WISARD, Les Justes suisses..., p. 40; p. 90. Fred Reymond (1907-1999), natif du Solliat dans la vallée de Joux, travaille dès fin 1940 pour les services du colonel Roger Masson, chef du renseignement suisse. Il a sous ses ordres au moins deux agents de renseignement français, Bernard Bouveret, de Foncine-le-Haut, et Achille Griffon, de Besançon, qui seront déportés à Dachau et rescapés; il «travaille» aussi avec Victoria Cordier. Passer les juifs que ses agents lui amènent fait partie, selon lui, de son travail de résistance, mais il n'est aucunement spécialisé dans ce type de passage.

88 Notamment André Jacob (1921), passé le 23 mars 1943 par les agents Paul et Bernard Bouveret. Cf. CAPT, Fred…, p. 85.

abriter un poste de douane suisse, puis on descend vers Le Sentier. Il existe encore un autre itinéraire plus à l'ouest, comportant un passage montagneux extrêmement difficile à travers une falaise, le «Gy de l'Echelle»; il descend, côté suisse, vers un refuge forestier appelé «Hôtel d'Italie».

Le danger, pour les fugitifs comme pour les agents du SR suisse, est d'être arrêté en route par une patrouille de douaniers suisses. Même «Fred» et ses agents ont fait de la prison à la suite d'une arrestation par les douaniers! Il faut donc à tout prix, surtout pour les protégés d'Anne-Marie, qui ont tous largement plus de 16 ans, atteindre le Sentier, puis pénétrer à l'intérieur de la Suisse, ce dont se charge sa filière.

C'est toutefois la zone de La Cure (3) qui est la porte d'entrée principale dans le Jura vaudois pour les fugitifs venus de zone libre, déjà en 1942, lorsque la ligne de démarcation est en fonction89. La route de la Faucille, en zone occupée, longe la ligne de démarcation sur un ou deux kilomètres.

Juste à la hauteur de La Cure, à la hauteur de la borne 226, elle passe en outre en contrebas de la frontière suisse, à 100 ou 200 mètres de celle-ci, de manière à former une sorte de «tripoint» entre zone libre, zone occupée et Suisse.

En août et septembre 1942, au moment des rafles de Vichy et de la «rafle différée» qui y fait suite, de nombreux juifs étrangers résidant à proximité de cette frontière, notamment des diamantaires anversois en résidence assignée à Saint-Claude dans le Jura non occupé (capitale de l'industrie diamantaire et lapidaire), mais aussi de nombreux juifs de Lyon, tentent de passer en Suisse dans ce secteur, en approchant par Lamoura et Prémanon. Mais il faut traverser une étroite bande de zone occupée et les arrestations par les douaniers et Feldgendarmes allemands y font de très nombreuses victimes. Au moins 27, mais peut-être 34 juifs venus de zone libre sont arrêtés dans ce secteur en août et septembre 1942 et incarcérés à la prison de Gex90 avant leur déportation. Parmi ces 34 personnes, 12 (au moins) avaient été refoulées par les autorités suisses91; quatre enfants, confiés à l'UGIF, survivront.

Après l'invasion de la zone sud par les Allemands en novembre 1942, l'afflux des juifs grossit encore dans la zone de La Cure, mais la vague de refoulements, aussi. La ligne de démarcation et ses contrôles sont encore en place. En novembre, on y compte 35 passages, dont 4 refoulements.

En décembre, l'afflux a quadruplé: 140 juifs tentent de passer dans ce secteur; 32 d'entre eux sont refoulés. Puis l'afflux retombe, il y aura encore 23 passages en mars et avril 194392, dont 7 refoulements.

Il faut reconnaître que les gardes-frontière respectent les recommandations de Berne et ne refoulent que des adultes. Pourtant, effectué pratiquement sous les yeux du contrôle allemand, le refoulement a des conséquences catastrophiques. (Certains refoulements sont effectués dans le secteur de La Rippe, plus bas dans la montagne, ce qui laisse davantage de chances à leurs victimes). Rien ne traduit mieux ce qui se passe à cette époque dans le secteur du «tripoint» de La Cure que l'annotation du 23 décembre 1942 du registre du Ve arrondissement des douanes:

89 Max Arbez, tenancier de l'Hôtel Arbez, situé juste dur la ligne frontière à La Cure, a reçu la médaille des Justes pour avoir apporté son aide à de nombreux juifs (et à de nombreux résistants) dans ce secteur, notamment à passer de zone occupée en zone libre. Il est probable qu'il a aussi aidé des juifs à passer en Suisse, même si nous n'avons trouvé aucune trace de son aide dans les archives.

90 Cf. le carnet du gardien de la prison de Gex (prison municipale réquisitionnée par les Allemands). Archives municipales de Gex.

91 Simon Wachsberg, 44 ans; Max Schimmel, 50 ans; Mendel Grobel, 39 ans; Samuel Rubner, 37 ans; Joseph Marber, 46 ans, tous de Saint-Claude, tous mariés et, sauf un (?), pères de famille, tous refoulés le 27 août 1942 à La Cure, tous déportés par le convoi 34 (18 septembre 1942). Maurice Singer, 45 ans, et Paul Herzog, 42 ans, de Lyon, refoulés le 14 septembre 1942 à La Cure, déportés par le convoi 40 (4 novembre 1942); Elias Ischenhäuser, 57 ans;

Abraham Grundlinger, 55 ans; Maximilian et Rose Wolfmann-Schwebel, 40 ans et 32 ans, avec leur fille Alice, 9 ans, tous venus de Lyon, refoulés le 17 septembre 1942 à La Cure, tous déportés par le convoi 40 (4 novembre 1942), sauf l'enfant Alice.

92 Dont le passage, le 14 mars 1943, de Rosalie Mayer, enceinte, et de ses deux enfants Erwin et Jakob. L'aîné, devenu Yitzchak Mayer, ancien ambassadeur d'Israël en Suisse, écrira l'histoire de ce passage dans La lettre muette, Neuchâtel, Alphil, 2013.

Arrestation de 49 réfugiés juifs à la Givrine par la recrue F[…]. Ont été remis à la police: 32. 17 furent refoulés par la borne 226. Sur le nombre, 4 réussirent à s'enfuir en zone libre, alors que 14 furent appréhendés et 1 tué par les forces d'occupation»93.

Nous savons qui est le mort: Samy Rothkopf, 20 ans, de Bouxwiller (Bas-Rhin), domicilié en zone libre, très probablement à Mantry (Jura) au moment de sa fuite94. Nous connaissons aussi le nom d'un des juifs arrêtés, qui a été déporté dans le convoi 46, le 9 février 1943: Louis Bloch95, 35 ans, réfugié dans un autre village du Jura, Augea, où sont, ce jour-là, restés sa femme, enceinte, et son fils de 4 ans, qui survivront à la guerre (s'ils étaient venus avec lui, toute la famille aurait été accueillie); et nous avons des hypothèses assez solides sur l'identité des 12 ou 13 autres juifs refoulés ce 23 décembre 1942 par la recrue F., qui ont tous été déportés dans les convois 46 et 4896.

Deux témoignages nous sont parvenus sur cette fuite de novembre/ décembre 1942 vers la Suisse salvatrice, qui s'est si souvent terminée en tragédie.

Le premier est celui de Marcel Chagnac97, 20 ans, de Nancy, qui avait depuis longtemps francisé l'orthographe polonaise de son nom, Szajniak. Il vivait depuis 1940 replié à Lons-le-Saunier avec ses parents et sa sœur Dora, 24 ans. Mais, la situation devenant dangereuse, ils décident de fuir en Suisse le 18 décembre 1942 dans un assez fort groupe, comprenant, entre autres, son ami Léon Klausner, 25 ans, replié à Mantry (Jura) et deux sœurs mariées de ce dernier, avec leurs enfants.

Ils passent vraisemblablement par Lamoura et Prémanon. L'avance est lente, dans la neige, le groupe se distend et les derniers, dont la mère et la sœur de Marcel, sont arrêtés par des douaniers ou Feldgendarmes allemands. Marcel échappe à l'arrestation avec son père et son ami, mais décide après quelques centaines de mètres de retourner sur ses pas pour tenter de sauver les deux femmes. Il est arrêté aussi. Baruch Szajniak et Léon Klausner arrivent jusqu'en Suisse, mais sont refoulés (bien que Léon soit né à Zurich en 1917). Un certain nombre de familles sont accueillies, dont les sœurs Klausner.

Le père de Marcel, refoulé à La Rippe98, échappe à toute arrestation et survivra caché dans une famille chrétienne de Lons-le-Saunier.

A la prison de Morez, où tous les prisonniers ont été amenés, Marcel retrouve Léon Klausner, qui s'est fait arrêter après son refoulement. Ils sont tous transférés à la prison de Champagnole, puis à Drancy, et déportés le 9 février 1943; seul Marcel survivra et témoignera de son long calvaire.

Non seulement ce premier groupe, parti vers la Suisse dans la nuit du 18 au 19 décembre 1942, a été décimé (en partie par les arrestations en zone occupée, en partie par le refoulement), mais un second groupe, parti dans la nuit du 22 au 23, sans doute avec les mêmes passeurs, dans lequel semblent s'être trouvés les parents Klausner, est victime du refoulement opéré par la recrue F.

Entre 12 et 14 juifs sont en conséquence transférés à la prison de Champagnole et tous déportés, sans qu'il y ait de survivant.

93 AF E 6358 (-) 1995/394 Zollkreisdirektion V, vol. 34, f° 4290. On remarque que le compte ne joue pas: si 4 des 17 refoulés ont fui en zone libre, seuls 13 ont dû être appréhendés. Le mort est-il de ceux qui ont fui en zone libre?

94 Identifié grâce à la dédicace de son neveu, Jacky Dreyfus, dans DREYFUS & FUKS, Le Mémorial des juifs du Haut-Rhin…, p. 2.

95 Louis Bloch, Allemand, né à Haslach près de Munster en 1906, a pu être identifié grâce au témoignage de sa femme Marguerite Wurmser, Alsacienne, témoignage qui nous a été communiqué par Daniel Fuks, que nous remercions vivement.

96 Selon notre reconstruction, il pourrait s'agir de Myrtil Joseph, 60 ans, de Bouxwiller, replié à Mantry (Jura), de sa femme Henriette née Safar, 53 ans, et de ses fils Roger, 20 ans, et Jacques, 19 ans; d'Ignace/Isaac Klausner, 55 ans, commerçant, replié à Mantry (Jura) et de sa femme Selma/Sara née Stichler, 54 ans; de leur fille ou nièce Paula Strauss-Klausner, 31 ans, et de son mari Alfred Strauss, 33 ans, domiciliés à Mâcon; de Mendel Teicher, 44 ans, domicilié à Lons-le-Saunier, de sa femme Sabine née Hagler, 37 ans, et de leur fils Adolphe, 18 ans; et de Samuel Wayc, de Nancy, domicilié à Lons-le-Saunier, tailleur, 60 ans.

97 CHAGNAC, Marcel, When there is Life, there is Hope. An Account of a Holocaust Survivor. Manuscrit (traduit du français), déposé au United States Holocaust Memorial Museum, qui nous a été aimablement communiqué.

98 AF E 6358 (-) 1995/394 Zollkreisdirektion V, vol. 34, f° 4240.

Le second témoignage, indirect, se trouve dans l'abondante correspondance de Maria Krehbiel, née Darmstädter99, déportée de Mannheim à Gurs en octobre 1940 et proche depuis lors de la communauté d'entraide protestante100. Elle était âgée de 50 ans au moment de sa tentative.

Son cas nous montre à quel point la fuite, dans ce secteur et à cette date, a été difficile à organiser, bardée de dangers, et souvent vouée à l'échec. Mais il montre aussi une facette peu connue et rare de l'aide à la fuite en Suisse: l'appui, pour certains juifs, de réseaux de la Résistance générale.

Née dans une famille juive aisée (quoique ruinée après l'avènement du nazisme), Maria Darmstädter, brièvement mariée puis divorcée, n'a pas émigré en Suisse comme son frère, ni en Grande-Bretagne comme sa sœur; elle est restée attachée à son pays et surtout à sa communauté évangélique protestante (Christengemeinschaft), proche de l'anthroposophie de Rudolf Steiner, a laquelle elle a adhéré au début de l'âge adulte, obéissant à une soif intense de spiritualité. A Gurs, elle devient déléguée de l'entraide protestante de l'îlot L, s'y dévoue sans compter et sans ménager sa santé et côtoie les équipes de la Cimade, du Secours suisse101 et de l'Amitié chrétienne102. Elle devient la marraine évangélique de nombreux juifs qui se convertissent à Gurs durant leur internement. En janvier 1942, elle obtient une libération pour raisons de santé, libération toujours précaire et sujette à réexamen, et s'installe dans un village du Rhône, Limonest, où elle est hébergée par un couple suisse. Ce sont des amis résistants de Lyon, le couple belge Jacques et Hilda Lagrange103, qui ont trouvé cet hébergement pour elle. De là, elle écrit de très belles lettres empreintes de poésie et de spiritualité à de nombreux correspondants, notamment en Suisse. Mais elle semble refuser toute intervention consistant à lui faciliter le passage en Suisse. (Elle sera tout de même inscrite sur la deuxième liste de non-refoulables, le 20 novembre 1942).

Après l'été 1942, les choses se précipitent: Jacques Lagrange est arrêté par la police française le 19 octobre (il parviendra à se faire libérer et à passer en Suisse avec sa femme). Il a auparavant tenté d'organiser la fuite en Suisse de Maria avec l'aide de Roger de Saule, un important agent de renseignement belge104, qui s'est engagé à l'amener en voiture jusqu'à la frontière. La tentative de fuite de Maria a été reconstruite par l'éditeur de sa correspondance, à l'aide du journal de Hilda Lagrange (qui a passé en Suisse juste après la tentative malheureuse de Maria), de lettres de Françoise Labouverie105, la résistante qui devait l'accompagner, et de lettres de Lilli Indig106, une jeune réfugiée juive qui devait fuir avec elle. Après plusieurs rendez-vous ratés, Maria est

«convoquée» par de Saule à Lons-le-Saunier le 5 novembre 1942. Accompagnée de Françoise

99 KREHBIEL-DARMSTÄDTER, Maria, Briefe aus Gurs und Limonest…, une correspondance remarquablement éditée et annotée, parue en 1970, lorsque beaucoup de témoins étaient encore en vie.

100 Cf. infra V.4.

101 Cf. infra V.3.

102 Cf. infra V.2.

103 Jacques Lagrange, Belge, travaille au Consulat général des Etats-Unis à Lyon et y facilite le passage, légal et illégal, des Belges en Espagne. Cf. VERHOEYEN, Etienne, «Van magistraat tot geheim agent. Robert De Schrevel, alias 'Roger de Saule': een Belg in de Franse militaire inlichtingendienst, 1939-1942», in: CEGESOMA, Cahiers d'histoire du Temps présent, n°12, 2003, p. 62. AEG Justice et police Ef/2-6089; ils passent en Suisse le 26 novembre 1942.

www.cegesoma.be/docs/media/chtp_beg/chtp_12/chtp12_002_Verhoeyen.pdf

104 Roger de Saule (1889-1975), de son vrai nom Robert De Schrevel, ancien magistrat belge, se met au service de la France en septembre 1939 et devient chef du service de renseignement de l'armée de l'Air, dont le PC est à Poligny (Jura non occupé), mais qui a aussi une antenne ou boîte aux lettres à Lons-le-Saunier, à l'hôtel du Jura. Il travaille avec divers réseaux de renseignement franco-belges, mais aussi avec les Néerlandais du réseau van Niftrik, et avec les services de renseignement britanniques à Berne, donc en contact avec les agents du SR suisse; il est souvent désigné comme «oncle Roger». De Saule quitte la France pour Alger avec son service en novembre 1942, après l'invasion de la zone sud. Il travaille dès lors aux missions franco-alliées de renseignement sous les ordres du général Giraud, notamment l'opération «Pearl Harbour», préparation à la libération de la Corse. Cf. la monographie que lui a consacrée Etienne VERHOEYEN, op. cit.

105 Françoise Labouverie, née en 1922, est la nièce de Jacques Lagrange. Elle accomplit une série de missions de renseignement dans le réseau De Saule-Lagrange. En octobre-novembre 1942, elle est la secrétaire de De Saule dans une autre antenne, à Voiteur (Jura). Cf. VERHOEYEN, op. cit. Elle a écrit ses souvenirs: RIGBY-LABOUVERIE, Françoise, In Defiance, Londres, Elek Books, 1960.

106 AF E 4264(-) 1985/196 dossier N 7835; 15690. Elle passe en Suisse le 1er ou le 3 décembre 1942 avec son petit frère de 12 ans.

Labouverie, elle doit descendre à l'hôtel du Jura, PC local du réseau. De Saule n'est pas au rendez-vous: le débarquement anglo-américain se prépare, il est appelé à Vichy par ses supérieurs et passe seulement en coup de vent le 8 novembre. Le réseau procure à la malheureuse fugitive, en rade à Lons, toujours plus déprimée et pessimiste, la protection d'un agent de police résistant.

Soit ce dernier, soit Françoise Labouverie, doivent mettre rapidement Maria et Lilli Indig en rapport avec un passeur, car le mauvais temps s'annonce. Lilli doit encore aller chercher son petit frère dans une cache à Lyon; lorsqu'elle revient à Lons à la fin du mois, on lui dit que Maria est déjà passée en Suisse. Elle-même passe avec un second groupe, le 3 décembre à l'aube, après avoir marché durant 3 à 4 heures (depuis Prémanon?) dans la neige à travers bois, guetté le passage de la patrouille allemande, traversé en hâte la route de la Faucille et gagné la frontière en grimpant la pente boisée, non sans essuyer des tirs allemands.

Maria Krehbiel doit avoir fait sa tentative vers le 20 novembre107, en compagnie d'un couple hollandais d'un certain âge, logé à l'hôtel du Jura, qui sera arrêté avec elle, mais sans doute dans un groupe plus important. L'itinéraire était certainement le même. Peu aguerris, mal renseignés, mal encadrés, les fugitifs ont fait fausse route après avoir passé sur territoire suisse et se sont retrouvés à frapper à une maison qui était un poste allemand (sans doute le poste de La Cure, au nord, alors qu'ils devaient se diriger vers le sud…). Arrêtés, ils ont été incarcérés à la prison de Champagnole, puis à Drancy. On le sait par les souvenirs d'un filleul de Maria, Walter Schmitthenner de Mannheim, un officier de la Wehrmacht proche des cercles évangéliques – et futur éditeur de ses lettres, – lequel s'est adressé au BdS en personne (le SS-Standartenführer Helmut Knochen) et a obtenu de pouvoir rencontrer sa marraine au siège de la Sipo-SD à l'avenue Foch à Paris. Schmitthenner a seulement obtenu son transfert à l'hôpital Rothschild, toute possibilité de libération étant écartée par l'officier nazi. Ramenée à Drancy après un mois,

Maria Krehbiel doit avoir fait sa tentative vers le 20 novembre107, en compagnie d'un couple hollandais d'un certain âge, logé à l'hôtel du Jura, qui sera arrêté avec elle, mais sans doute dans un groupe plus important. L'itinéraire était certainement le même. Peu aguerris, mal renseignés, mal encadrés, les fugitifs ont fait fausse route après avoir passé sur territoire suisse et se sont retrouvés à frapper à une maison qui était un poste allemand (sans doute le poste de La Cure, au nord, alors qu'ils devaient se diriger vers le sud…). Arrêtés, ils ont été incarcérés à la prison de Champagnole, puis à Drancy. On le sait par les souvenirs d'un filleul de Maria, Walter Schmitthenner de Mannheim, un officier de la Wehrmacht proche des cercles évangéliques – et futur éditeur de ses lettres, – lequel s'est adressé au BdS en personne (le SS-Standartenführer Helmut Knochen) et a obtenu de pouvoir rencontrer sa marraine au siège de la Sipo-SD à l'avenue Foch à Paris. Schmitthenner a seulement obtenu son transfert à l'hôpital Rothschild, toute possibilité de libération étant écartée par l'officier nazi. Ramenée à Drancy après un mois,