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LA FUITE DE HOLLANDE ET DE BELGIQUE VERS LA SUISSE

II.4. L'approche de la frontière nord

II.4.3. De Belfort au Jura bernois

II.4.3.2. Les voies d'accès de Belfort au Jura bernois

Malgré tout, de nombreux fugitifs, une fois parvenus sains et saufs à Belfort, réussissent à passer en Suisse à travers la frontière du Jura bernois.

Les routes principales de Belfort vers la Suisse sont au nombre de quatre:

(1) Par la porte nord de l'Ajoie: Belfort – Delle, d'où on gagne Boncourt ou ses alentours;

(2) Par la porte ouest de l'Ajoie: Belfort – Montbéliard, puis les villages (du nord au sud) de Lebetain, Saint-Dizier-l'Evêque, (encore Territoire de Belfort), Hérimoncourt, Glay ou Blamont (Doubs), par lesquels on gagne, sur sol suisse, Bure, Fahy, Grandfontaine ou plus au sud Damvant – ou directement Porrentruy, ou, mieux encore, le cœur de la Suisse;

(3) Par le «nœud» local de Saint-Hippolyte (Doubs), gagné via Montbéliard, d'où partent trois routes possibles:

– vers la porte sud de l'Ajoie, d'où l'on gagne les villages suisses de Réclère ou Damvant;

– par l'étranglement du Clos du Doubs, vers Epiquerez ou Epauvilliers, qui est une zone peu favorable pour qui veut gagner l'intérieur de la Suisse, l'unique route, apparemment très surveillée, passant par le pont de Saint-Ursanne;

– par la frontière du Doubs, en direction d'Indevilliers ou de Goumois, ce qui permet de gagner les Franches-Montagnes, où passe une ligne de chemin de fer parallèle à la frontière, équipée de nombreuses gares locales, qui permet de gagner, via Delémont, soit Bâle (où l'accueil est assez favorable), soit Bienne, puis Berne ou Zurich;

(4) Par le «nœud» local de Maîche (Doubs), gagné directement de Belfort, nœud important où semble s'être développée une activité intense de passage, soit vers le nord par Indevilliers ou le Clos du Doubs, soit vers le sud, par Charquemont et la frontière du Doubs qui offre une série de points de passage, de Clairbief à Biaufond, rejoignant les Franches-Montagnes.

Il ressort de plusieurs interrogatoires que l'administration militaire allemande a prononcé une interdiction de séjour pour les Belges à Saint-Hippolyte (Doubs) dans la quatrième semaine d'août 1942. Elle l'a peut-être fait ailleurs aussi, ce qui représentait une difficulté supplémentaires pour les nombreux fugitifs juifs, tous munis de faux papiers belges; à Maîche cependant, il semble y avoir eu des complicités, notamment parmi les hôteliers.

11 ADTdB 1064W14.

12 Léon Verduin, 1904, chapelier à Amsterdam; sa femme et ses enfants, qui n'ont pas fui avec lui, ont survécu.

II.4.3.2.1. L'itinéraire nord (1)

Le chemin court mais dangereux qui va directement de Belfort à la frontière ne mesure que 24 kilomètres environ. Les fugitifs, selon Vacelet, prennent l'autocar pour Grandvillars13 ou Delle, mais cette localité est particulièrement dangereuse, la Sipo-SD y ayant un service renforcé. La frontière n'est alors plus qu'à environ un kilomètre.

La frontière à l'est de Boncourt, dans la région de Montignez, n'est guère utilisée, du fait peut-être de sa proximité avec le Haut-Rhin occupé.

Les passeurs peuvent prendre au plus court, par la douane de Déridez à Boncourt, où passent dès mars 1942 des Hollandais, Engelandvaarders ou simples fugitifs. Le groupe familial Popowski, que Rothmund ira «inspecter» de visu à la frontière, a encore passé par là au début d'août14. A Delle, des enfants sont aussi hébergés par l'orphelinat des Sœurs de Niederbronn, puis passés dans la région du cimetière de Boncourt grâce à sœur Nelly, qui a recruté des passeurs pour la dernière étape15.

Le passage se déplace cependant assez vite plus à l'ouest, vers La Queue-au-Loup, une zone agricole où plusieurs fermes suisses, notamment celle de la famille Quain, servent de refuge passager aux fugitifs qui ont heureusement passé, avant qu'ils ne réussissent à gagner l'intérieur du pays ou à communiquer avec les autorités suisses en implorant leur bienveillance16.

Delle est en effet une étape très contrôlée, comme en témoigne la mésaventure arrivée le 2 août 1942 à un couple juif de Bruxelles. Kopel Tarnowski17, 28 ans, mécanicien et représentant en articles métallurgiques, a fui le 30 juillet avec sa femme Lorle, juste après avoir reçu la convocation au camp de Malines pour le lendemain. Leur fuite devait être préparée depuis quelque temps. Ils voyagent sous la fausse identité de Pierre et Louise Royen-van Esse, catholiques, en compagnie d'un couple suisse – des relations d'affaires – qui se rend à Bâle. Leurs faux papiers leur ont été procurés par un employé de la mairie de Bruxelles pour 2'000 francs belges. Le compagnon de voyage suisse se charge d'acheter tous les billets et transporte les avoirs financiers du couple, pour éviter le contrôle des devises. Après avoir passé une nuit à Nancy, ils prennent le train pour Belfort, puis l'autocar pour Delle. Ils passent avec succès un contrôle effectué par un officier allemand dans le car Belfort-Delle, au cours duquel, selon le témoignage de Lorle Tarnowski, plusieurs juifs sont arrêtés. C'est un second contrôle qui manque leur être fatal. Au moment de prendre une chambre d'hôtel à Delle, ils sont interpellés par un autre Allemand en uniforme, qui leur prend leurs papiers et les convoque pour le lendemain à 10h à la Kommandantur, tout en les menaçant explicitement au cas où ils essaieraient d'entrer en Suisse:

s'ils s'y risquent, dit-il, ils peuvent être sûrs qu'on leur tirera dessus18. Ils comprennent que leurs papiers risquent d'être démasqués comme faux et envoient leur ami suisse les récupérer à la Kommandantur en même temps que les siens. Le citoyen suisse joue son rôle à merveille, se fâche et menace de faire intervenir le Consulat suisse, de sorte que les Allemands leur rendent tous leurs papiers et qu'ils peuvent se replier sur Belfort19.

13 Marie-Antoinette Vacelet cite un relais à la poste de Grandvillars , un village entre Belfort et Delle, par où sont passés des résistants et des aviateurs cherchant à regagner l'Angleterre, ainsi que Pierre Guillain de Bénouville en mars 1944. La famille Graillot a effectué de nombreux passages, rapportant du tabac de contrebande à titre d'alibi.

VACELET, op. cit., p. 118.

14 AF E 4264(-) 1985/196 dossier N 3775; 3776. Cf. infra III.2.3.1.2.

15 Cf. SPIRA, La frontière jurassienne…, p. 308.

16 Cf. SPIRA, La frontière jurassienne…, p. 261, qui cite les familles hollandaises Hertzberger et Hedeman Joosten, passées en octobre 1942.

17 AF E 4264(-) 1985/196 dossier N 3703.

18 «Sollten Sie aber versuchen, in die Schweiz zu gelangen, so können Sie sicher sein, dass Sie ein Loch ins Kostüm bekommen».

19 Les Tarnowski vont ensuite de Belfort à Besançon et tentent de passer le 6 août par Le Bredot dans les Montagnes neuchâteloises, toujours sous leur fausse identité. Ils sont emmenés à la prison de La Chaux-de-Fonds, se font passer pour des Belges soupçonnés d'hostilité envers l'occupant parce qu'il lisent des journaux clandestins comme La Libre Belgique, mais sont interrogés par la Section de police à Berne et refoulés par Boncourt le 14 août. Ils trouvent refuge dans une ferme isolée, puis repassent le 18 août avec l'aide du fils du fermier, sans être interceptés, et se

II.4.3.2.2. L'itinéraire par Montbéliard (2)

A Belfort, beaucoup de fugitifs décident d'éviter Delle et gagnent Montbéliard (Doubs) par le train ou l'autocar.

De là, plusieurs chemins en éventail permettent de rejoindre la frontière ouest de l'Ajoie: on peut par exemple gagner Saint-Dizier-l'Evêque, d'où plusieurs chemins de passage rejoignent Buix, ce qui permet d'éviter les postes de douane de Boncourt; encore plus au sud, le hameau de Croix permet de gagner directement Bure.

Mais on peut aussi gagner en autocar les villages d'Audincourt, puis d'Hérimoncourt. De ce dernier village, on peut gagner Abbévilliers pour franchir, par plusieurs sentiers possibles, la frontière près de Fahy. Un autre itinéraire, assez fréquenté, part d'Hérimoncourt pour gagner Glay, un village de 400 habitants, d'où au moins deux sentiers conduisent à Grandfontaine, ou, par une variante, à Damvant, et d'où la Suisse n'est plus guère qu'à 2,5 km. C'est par Glay, qu'on peut considérer comme un «nœud» de passage très fréquenté, que passe à la fin de juillet Philippe Casoetto, dont nous avons retracé l'itinéraire plus haut20. Un couple passé le 16 août déclare qu'il a été envoyé de Montbéliard à Glay «chez un passeur», lequel avait déjà «un autre couple dans sa cabane»21. Cette porte d'approche vers la Suisse fonctionne au moins jusqu'en décembre 1942. La population de Glay semble favorable aux passages, voire accueillante, ce qui s'explique aussi – mais pas uniquement – par l'apport financier que procure, à certains du moins, la pratique du passage. Lorsque Scheindel Eckstein22, une juive polonaise de 29 ans de Bruxelles, dont le mari a été tué par les Allemands en 1941, est refoulée, le 31 décembre 1942, par la douane suisse de Grandfontaine, elle trouve refuge «chez une famille à Glay» (qui est peut-être celle de son passeur, ou peut-être une autre).

Cette approche était d'ailleurs déjà exploitée au printemps 1942. On connaît le nom d'un des passeurs de Glay, Maxime Zenoni, qui a passé (au moins) deux Hollandais le 12 mai par le sentier allant à «Sur Chenal», pour 3'000 francs français, un tarif raisonnable23. La filière Dutch-Paris a elle aussi utilisé ce point de passage, selon le témoignage d'Eléonore Hertzberger24, passée là le 17 mars grâce à ce réseau, en compagnie de son mari et de résistants et patriotes non juifs, et accueillie en Suisse avant d'en repartir et de passer en Espagne en 1943.

L'importance du passage par le flanc sud-ouest de l'Ajoie est attestée par le fait qu'en 1942, 27%

des passages (avérés et localisés) vers le Jura bernois se sont faits par les secteurs douaniers de Fahy, Grandfontaine ou Damvant25. En 1943, la proportion est de 43%; en 1944, de 48%.

II.4.3.2.3. L'itinéraire par le «nœud» de Saint-Hippolyte (3)

De Montbéliard, une partie des fugitifs gagnent Saint-Hippolyte, un bourg médiéval d'un millier d'habitants en 1940. Saint-Hippolyte peut aussi être une étape vers Maîche. A l'inverse, les itinéraires au départ de Saint-Hippolyte ont aussi été utilisés par les passeurs de Maîche.

Cependant, le lieu est contrôlé, car il est, comme Delle, le siège d'un commissariat de la Douane allemande.

La bourgade se situe à un emplacement critique, d'où partent grosso modo trois routes:

– une route nord vers l'Ajoie, par Chamesol en direction de Réclère et Damvant;

rendent à Zurich, où ils s'annoncent. Bien qu'il soient passés durant la période de fermeture stricte de la frontière, ils sont accueillis.

20 Supra II.3.3.1.

21 AF E 4264(-) 1985/196 dossier N 3821.

22 AF E 4264(-) 1985/196 dossier N 7759.

23 AF E 4264(-) 1985/196 dossier N 3271.

24 AF E 4264(-) 1985/196 dossier N 12484; HERTZBERGER, Eléonore, Door de mazen van het net, Amsterdam, Uitgevereij De Bataafsche Leeuw, 1990, repris dans AGUILA, Francis, Passeurs d'hommes et de femmes de l'ombre, Ariège-Cerdagne 1942-1944. Toulouse, Le Pas d'Oiseau, 2011, pp. 157-186.

25 Y compris les passages opérés en partant de Saint-Hippolyte vers Chamesol, parfois en passant dans la région des grottes de Réclère, ou plus à l'est, près de Bressaucourt.

– une route est vers Indevilliers et le Clos-du-Doubs, un passage qui ne nécessite pas de traverser le Doubs pour passer en Suisse; on aboutit dans la boucle que fait la rivière sur sol suisse, dans une région montueuse bordée par le ravin du Doubs, mais ce chemin est peu pratiqué, de janvier à août 1942 seulement et pour une quarantaine de passages: une des raisons de sa désaffection réside peut-être dans le fait qu'il est difficile, une fois en Suisse, de gagner l'intérieur du pays sans se faire arrêter, car seule une ligne d'autocar postal, très surveillée, relie le Clos-du-Doubs au reste de la Suisse par le pont de Saint-Ursanne26;

– une route sud qui, par Indevilliers, privilégie le passage à travers le Doubs, en direction des Franches-Montagnes.

Indevilliers est un village de 400 habitants qui ne peut être atteint qu'à pied, ou alors au moyen de véhicules privés au départ de Maîche (à 20 km) ou de Saint-Hippolyte (à 15 km). Quatre jeunes juifs de Hollande, partis le 31 août 1942 de Saint-Hippolyte vers Maîche en autocar, choisissent un itinéraire un peu plus au sud. Ils descendent après 3 km et gagnent Trévillers, puis Fessevilliers, passent une nuit près du Doubs, et le franchissent à gué au petit matin non sans se faire tirer dessus par une patrouille allemande, qui pénètre jusque sur sol suisse; l'incident remontera jusqu'au Conseil fédéral27. Ils ont parcouru une vingtaine de kilomètres à pied. Mais la plupart des groupes viennent à bord de véhicules, comme il ressort de plusieurs interrogatoires.

En juin et juillet 1942, les passeurs de Maîche et de Saint-Hippolyte pratiquent surtout la région du Clos-du-Doubs autour de la douane du Chaufour, par Pâture d'Amont plus au sud, ou par le bois des Laives plus à l'est. Une filière passe par le hameau de Fuesse, d'où le chemin descend vers Clairbief et le moulin Jeannotat, où l'on traverse le Doubs pour gagner la région des Enfers et la ligne de chemin de fer des Franches-Montagnes.

Le groupe de six personnes dont fait partie Jozua Schreiber28, qui «voyage» avec le «passeur officiel de Bruxelles» moyennant un tarif all inclusive de 30'000 francs belges par personne, est transporté en véhicule de Maîche au bois des Laives par un premier passeur, qui le remet à deux hommes qui les amènent au-delà de la frontière et leur indiquent, semble-t-il, une ferme à Epiquerez où ils doivent se rendre, voire réveillent les fermiers pour qu'ils accueillent les fugitifs.

Le fermier avertit le gendarme d'Epauvilliers (la commune centrale du Clos-du-Doubs), qui vient les arrêter. Le 11 juillet, trois fugitifs de Bruxelles29 sont transportés en voiture de Maîche à proximité de la frontière. Le passeur est un chef de garage de Maîche. Il a demandé 3'000 francs français à l'un d'eux, étudiant, mais 16'000 francs au couple qui l'accompagne. Le départ est à 21h30 et on les pose en pleine forêt, d'où ils repartent à pied avec un autre passeur, qui a déjà un groupe avec lui. Après six heures de marche dans la nuit, ils arrivent au poste de douane d'Essertfallon (sur la commune d'Epiquerez) et attendent le jour pour s'annoncer. A ces dates, la frontière est encore relativement ouverte, et cela se sait, tant chez les fugitifs que chez les passeurs; il n'y a donc pas trop de danger à s'annoncer. Le 6 août encore, arrive dans la même région un groupe de dix parti de Bruxelles, qui a payé, au total, 540'000 francs belges pour son passage (ce qui semble indiquer que les prix ont augmenté depuis juin ou juillet, ou qu'ils ont été adaptés à la situation de fortune des clients, qui cette fois sont en majorité des diamantaires et des commerçants). Puis, le 10 août, une jeune femme venue de la hachsharah de Bomal y passe avec l'un de ses professeurs30 et s'annonce à la gendarmerie d'Epauvilliers; signe que la filière est connue des milieux sionistes. Tous ces fugitifs sont accueillis; on constate qu'en dépit de l'arrêté

26 Un groupe de cinq Engelandvaarders hollandais, dont deux juifs, part de Maîche (à pied?) le 29 juin au soir, pour rejoindre le passeur qui leur a donné rendez-vous à Indevilliers. Il les fait passer par (Burnevilliers?) et le Chauffour, puis descend avec eux sur sol suisse et les accompagne jusqu'à Essertfallon, où ils arrivent après huit heures de marche. Ils prennent le car pour Saint-Ursanne, mais sont dénoncés par le chauffeur et la gendarmerie vient les cueillir juste avant Epauvilliers. Ils sont incarcérés à Saignelégier, mais seront tous accueillis. AF E 4264(-) 1985/196 dossier N 3476.

27 AF E 4264(-) 1985/196 dossiers N 4004; 4139; 10325; 10326; voir aussi SPIRA, La frontière jurassienne…, p. 191 sqq.

28 AF E 4264(-) 1985/196 dossiers N 3405; 3407; 3408; 3439; 12527. Cf. supra II.3.3.1.

29 AF E 4264(-) 1985/196 dossiers N 3529; 3532.

30 AF E 4264(-) 1985/196 dossiers N 3808; 14794.

fédéral du 4 août, les juifs, arrêtés par la douane ou la gendarmerie bernoise, continuent à être accueillis. On verra que l'accueil est différent à la frontière neuchâteloise déjà à la même date.

Mais la période de grâce se termine à la frontière bernoise le 13 août. Le 14, cinq fugitifs sur un groupe de dix passés au moulin Jeannotat seront refoulés, aussitôt arrêtés par une patrouille allemande, et déportés31.

II.4.3.2.4. L'itinéraire par le «nœud» de Maîche et la frontière du Doubs (4)

Sur la route qui va de Belfort (et même de Besançon) vers le Jura bernois, Maîche, une petite cité de 2'700 habitants à l'époque, apparaît comme une étape importante, inscrite comme relais dans un grand nombre de parcours. Les fugitifs y bénéficiaient, semble-t-il, d'une discrétion – peut-être payante – dans les divers hôtels, notamment celui du Mont-Miroir, qui est souvent cité32. Maîche est aussi un centre de recrutement de passeurs, dont certains travaillent avec des filières venues de Belgique et de Hollande.

Maîche, à l'égal de Saint-Hippolyte, dessert le Clos-du-Doubs, mais c'est aussi et surtout la porte d'accès vers les Franches-Montagnes bernoises à travers le Doubs (et vers son secteur neuchâtelois). Toute la frontière du Doubs a été perméable durant la période de la fuite en Suisse, tant dans son secteur bernois, de Clairbief à Biaufond, que dans son secteur neuchâtelois, de Biaufond au lac des Brenets.

Un des itinéraires principaux part de Maîche vers le gros village de Charquemont (1'700 habitants), que beaucoup de fugitifs gagnent à pied – la distance est de 6 km environ – et d'où les passeurs emmènent leurs «clients» vers divers points du Doubs situés en amont de Goumois et de sa corniche. D'est en ouest: l'usine électrique du Theusseret; La Goule, où existe un pont; La Bouège, où l'on semble passer à gué ou en barque à fond plat; le barrage du Refrain; la zone de Biaufond, à la limite du territoire neuchâtelois. Charquemont dessert aussi les côtes neuchâteloises derrière La Chaux-de-Fonds, comme nous verrons plus loin. Le village est d'ailleurs lui-même un «nœud», atteignable non seulement de Maîche, mais aussi de Morteau.

Certains fugitifs y passent une nuit, notamment à l'hôtel de la Poste.

Cette frontière du Doubs paraît relativement sûre à franchir, bien que le Doubs soit entièrement français, donc sous contrôle allemand, et que l'on ne soit en Suisse qu'une fois arrivé sur la rive droite, helvétique. Les patrouilles allemandes semblent relativement peu présentes et les incidents de frontière, rares, ce qui a sans aucun doute renforcé l'attractivité de cette frontière.

L'un des points de passage les plus importants de cette zone est La Bouège, un lieu-dit dans la vallée encaissée du Doubs, où fonctionnait autrefois un moulin. Un sentier descend la rive escarpée française et un autre remonte du côté suisse. De nombreux fugitifs passent là durant dès le début d'août 1942. Il n'y a guère de patrouilles sur place, du moins pas avant le 13 août 1942, et les fugitifs gagnent aisément Les Bois ou le Boéchet, deux villages bernois ayant des gares sur la ligne des Franches-Montagnes. Les premiers juifs à exploiter ce passage semblent être les jeunes sionistes de Belgique, qui ont vraisemblablement trouvé sur place des passeurs proches de la Résistance. C'est là que passent Menasche et Mendel Willner33 le 2 août, suivis par d'autres groupes de jeunes de la mouvance sioniste dans les jours qui suivent. Le passeur du deuxième groupe habite «dans une ferme à 3 km de la frontière»34. Abraham Wolsztein et Siegbert Daniel prendront le même chemin à leur première tentative35.

La réputation de La Bouège comme lieu sûr de passage semble être très vite remontée jusqu'à Bruxelles. Les passeurs y sont très corrects dans leur prix. Claude Hauser signale deux passeurs habitant le lieu-dit Château de Paille, situé à 1 km du ravin du Doubs, nommés Spielmann et

31 Cf. le rapport au chef de district de la Police cantonale à Saignelégier, publié par SPIRA, La frontière jurassienne…, p. 553. Cf. aussi infra III.2.3.1.3.

32 Par exemple AF E 4264(-) 1985/196 dossier N 3808.

33 AF E 4264(-) 1985/196 dossier N 3677; Cf. supra II.3.2.4.1.3.

34 AF E 4264(-) 1985/196 dossier N 3680.

35 Cf. supra II.3.3.2.1.

Lienhardt36. Huit fugitifs passés en été 1942 à cet endroit mentionnent le tarif du service, qui va

Lienhardt36. Huit fugitifs passés en été 1942 à cet endroit mentionnent le tarif du service, qui va