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LA FUITE DE HOLLANDE ET DE BELGIQUE VERS LA SUISSE

II.3. La fuite des juifs de Belgique

II.3.3. Des filières pour fuir

II.3.3.1. Les organisations «privées»

Lorsque Jozua Schreiber133, un étudiant en médecine polonais résidant à Bruxelles-Forest, provisoirement devenu secrétaire chez un avocat après la fermeture de l'Université libre de Bruxelles134, décide dans les premiers jours de juin 1942 de fuir en Suisse – car il a, entre autres choses, imprimé des convocations pour des rencontres clandestines d'étudiants et se sait recherché par la Sipo-SD –, il va voir le «passeur officiel de Bruxelles». Celui-ci lui demande 24'000 francs belges pour le «voyage». Il ne «voyagera» pas seul, mais avec cinq fugitifs de Hollande, tous arrivés à Bruxelles entre la mi-mai et le début juin. Ce sont tous des «cols blancs» (un pharmacien, un assistant en pharmacie, un étudiant en expertise comptable, un fondé de pouvoir et sa femme), ce qui indique peut-être que leur situation financière rend cette fuite possible; selon l'un d'entre eux, chacun des partants a versé 30'000 francs belges au passeur tous frais inclus, donc sans doute aussi les faux papiers. Jozua Schreiber devient Georges Stienet, Belge.

Le «passeur officiel», ainsi désigné par plusieurs des fugitifs, reçoit ses clients dans un café de Bruxelles. Peut-être le tarif a-t-il été légèrement modulé en fonction de la capacité financière des partants, mais la somme est importante, équivalant à plus de deux ans de salaire d'un ouvrier non qualifié135. La filière semble inspirer confiance, puisque l'expert comptable affirme qu'avant de la trouver, il a cherché durant trois semaines, à Anvers et à Bruxelles, «un moyen de venir en Suisse sans danger». Le «voyage» via Lille – Nancy – Belfort – Maîche (Doubs) se passera, en effet, sans la moindre anicroche, de même que le transbordement dans une voiture privée à Maîche et le franchissement final de la frontière suisse dans le Clos-du-Doubs, sous la conduite de deux passeurs locaux recrutés par la filière. Jozua Schreiber pourra continuer ses études en Suisse.

Pour six personnes et un seul «voyage», la filière du «passeur officiel» (dont nous ne connaissons aucun nom) a donc encaissé près de 180'000 francs belges136.

Le «passeur officiel» n'est d'ailleurs pas, et de loin, le seul à proposer ses services à Bruxelles à cette date. Trois jours plus tard, deux fugitifs de Hollande, en Belgique depuis quelque temps, passent au même endroit avec les mêmes passeurs locaux. Le premier groupe les a décrits comme âgés de 40 ans l'un, de 20-22 ans l'autre, ce dernier étant au surplus «muet»; le second groupe donne la même description, sauf que le plus jeune n'est plus du tout muet… ce qui déclenchera une opération spéciale de surveillance des gardes-frontière et de la police cantonale bernoise. Les Hollandais déclarent que, lorsqu'ils ont décidé de fuir, «plus de 10 personnes se sont alors offertes pour leur faire traverser la frontière de Belgique en France et de France en Suisse, contre versement d'une somme plus ou moins forte»; ils ont payé 30'000 francs belges par personne à l'organisation137. Même prix un mois plus tard, le 28 juillet, pour

133 AF E 4264(-) 1985/196 dossier N 3405.

134 L'ULB, de tradition libertaire et anti-totalitaire, succombe au bras de fer entre ses autorités, qui exigent la pleine souveraineté dans la nomination des professeurs et le contenu des cours, et l'administration militaire allemande. A la fin de 1941, le Conseil d'administration de l'ULB vote la suspension de tous les cours; les Allemands ferment purement et simplement l'université et la mettent en liquidation.

135 Environ 1'000 francs par mois selon STEINBERG, La persécution des juifs…, p. 106, n. 86.

136 Soit, au taux du marché des devises de 1942 (qui n'est cependant pas appliqué dans le change réel) 125'100 francs suisses. Au taux réel, plutôt vingt fois moins, vu la faiblesse réelle du franc belge, soit environ 9'000 francs suisses, tout de même plus d'une année de salaire moyen d'horloger suisse.

137 AF E 4264(-) 1985/196 dossier N 3429.

trois fugitifs de Bruxelles, sans que l'on sache s'il s'agit de la même organisation. A la même époque, une autre filière prend en charge la famille d commerçant textile Abraham Pais138 d'Amsterdam, soit lui-même, sa femme, sa fille de 18 ans et sa belle-fille enceinte, pour la somme de 180'000 francs belges. Les Pais ont peut-être été pris en charge à Anvers déjà, voire en Hollande; ils voyagent avec trois autres familles, le groupe comptant 14 personnes au total. La filière encaisse en outre, pour ce groupe (passé sans histoires en Suisse le 26 juillet par Maîche - Charquemont - Grand'Combe-des-Bois – Le Planot, puis à pied en direction du Doubs et du Moulin Delachaux), 45'000 francs français pour une famille de 3, 15'000 florins pour une autre famille de 3, et 20'000 florins pour une famille de 4. Grossièrement convertis en devises suisses de l'époque, ces émoluments donnent un total de 90'000 francs; ce sont les

«clients» qui ont payé en florins qui ont payé le plus. Le passage du Doubs et des barbelés au moulin Delachaux a sans doute été assuré par un passeur nommé Chapotte, très actif dans cette zone, de qui nous reparlerons.

D'autres fugitifs mentionnent des tarifs assez semblables: une famille hollandaise de six personnes, passée à Anvers, y trouve une «organisation belge» qui la fait passer en Suisse, dans la même région, pour 45'000 florins, soit, selon le même calcul, près de 115'000 francs suisses139. Il y a donc un véritable marché, où la demande est forte et les prix, sauf exception, très élevés.

Notons que les termes de «passeur officiel» ou «passeur professionnel», utilisés par plusieurs fugitifs en juin et juillet 1942, connotent le fait que la fuite en Suisse apparaît comme une entreprise certes chère, mais parfaitement licite. Les fugitifs qui l'entreprennent la conçoivent sans doute comme une émigration précipitée, opérée en cachette de l'occupant, sans visas et avec de faux papiers, mais probablement toujours dans l'attente d'un règlement diplomatique ou consulaire de leur situation après coup, une fois le passage en Suisse réussi. Ils emmènent parfois des certificats de bonne vie et mœurs, pour prouver – à bon droit d'ailleurs – aux autorités suisses qu'ils sont d'honnêtes citoyens.

Tous les passeurs ne proposent pas, comme le «passeur officiel», un service «complet» sur cette ligne Belgique – France occupée – Suisse. L'étudiant Peter Bloch140, qui a déjà «acheté»

tout seul sa fausse carte d'identité le 21 juin, est accompagné seulement jusqu'à Montbéliard lorsqu'il fuit de Bruxelles le 28 juin avec une passeuse belge. Là, il doit se renseigner sur place, gagner Maîche et trouver un passeur qui, moyennant 3'000 francs français, le transportera avec quatre autres «clients» dans le Clos-du-Doubs. Peut-être du fait qu'il dispose de moins d'argent, il finance sa fuite par «pièces détachées».

Si 3'000 francs français (soit quelque 2'150 francs belges au taux de 1940) représentent le tarif du passeur local de frontière, on calcule aisément la marge qu'empoche le «passeur officiel», organisateur de la filière. Frais de faux papiers (4'000 à 5'000 francs belges) déduits, il empoche plus de 20'000 francs par «client», ce qui suffit largement pour payer le train, l'auberge et peut-être quelques pots-de-vin à verser à des douaniers belges ou français pour faciliter le passage en France.

Il semble que circule aussi un «produit» moins «complet» encore, qui se monnaye bien entendu aussi, mais dont le prix n'est jamais cité par les fugitifs: l'itinéraire avec points de chute. Dans ce cas, les fugitifs ne sont pas accompagnés, mais disposent seulement d'adresses dans les villes, qu'ils doivent gagner par leurs propres moyens. Ils ont le nom de l'hôtel où ils seront à peu près en sécurité ou d'un autre point de chute, ainsi qu'un lieu de contact avec un passeur local, avec qui ils devront individuellement traiter pour la frontière suisse. Le prix est probablement moins élevé, mais les risques sont supérieurs, le fugitif devant se débrouiller sans guide. Dans ce cas, la hardiesse et la débrouillardise sont la clé du succès – sans compter la chance, comme toujours.

C'est avec une «feuille de route» de ce type que Philippe Casoetto part de Bruxelles le 23 juillet 1942. On lui a dit, à Bruxelles, de prendre le train pour Nancy à la petite gare de Schaerbeek. Nous avons vu que le lendemain, il descend à la petite gare belge de Heer-Agimont et passe à pied avec un passeur procuré par l'épicier du village. Le passeur le conduit

138 AF E 4264(-) 1985/196 dossier N 10473.

139 AF E 4264(-) 1985/196 dossier N 3662.

140 Voir supra II.3.2.3.1.1.

à Givet, d'où il reprend le train sur territoire français. Il s'arrête pour la nuit à Charleville, où il dort dans un refuge de la municipalité. Le 25, il reprend le train pour Nancy et dort dans un petit hôtel, le «Bar Moderne», où il paie 200 francs français de supplément sur sa note pour ne pas être inscrit. Le 26, il prend le train pour Belfort, puis pour Montbéliard. Jusque-là, tout est préparé; mais à Montbéliard, il doit parcourir un certain nombre de cafés avant d'obtenir le bon renseignement pour continuer. On l'envoie à Glay, un village d'à peine 400 habitants, situé au delà d'Hérimoncourt. Arrivé à Hérimoncourt en autocar, il trouve un paysan qui l'emmène en char hippomobile à Glay, où il passe la nuit chez un autre paysan. Là, c'est au

«café de Paris» qu'il faut aller: le 27 juillet, le patron lui indique un passeur, qui exige aussitôt 20'000 francs français pour le passage; le soir venu, il amène le fugitif à 200 mètres de la borne frontière et lui indique le chemin à suivre pour gagner le premier village suisse, Grandfontaine. La fuite a réussi, Casoetto n'est pas intercepté, il se rend directement à Porrentruy, puis à Lausanne chez sa sœur, d'où il peut appeler le consul néerlandais.

L'itinéraire «self-service» lui aura donc néanmoins coûté à peu près aussi cher qu'un «passage complet». On note le tarif élevé demandé par le passeur de Glay.

Une chose frappe à la lecture de tous les récits de fuite, en zone occupée comme en zone libre: c'est le rôle des cafés comme lieux de rendez-vous avec les passeurs. Ce sont pourtant des lieux publics. Héberger une activité clandestine telle que celle-là suppose la complicité du tenancier et un sentiment de sécurité assez grand quant à la surveillance policière.

II.3.3.1.1. Autodéfense et auto-organisation: exemple d'une filière privée juive

Les filières «privées» vont assez rapidement se tarir, en partie parce que leurs organisateurs sont eux-mêmes juifs et se mettent en sécurité, comme le montre l'exemple suivant.

Dans la nuit du 10 au 11 août 1942, le gendarme de Montfaucon, dans les Franches-Montagnes bernoises, arrête à Cerniévillers, non loin de la rive suisse du Doubs, un groupe de 14 juifs. La nuit suivante, le même gendarme arrête encore, au même endroit, deux groupes de 6 juifs.

Ces 28 personnes sont parties de Bruxelles avec la même filière, avant de franchir la frontière du Doubs en plusieurs fragments. Les organisatrices en sont deux femmes juives d'Anvers, Emmy B., qui doit avoir une trentaine d'années, et Anny B., 19 ans. Il est possible qu'Emmy B. ait déjà fait le voyage précédemment; son nom circule auprès des juifs d'Anvers. Les candidats au départ, qui ne se connaissent pas auparavant, sont reçus au domicile d'Anny B. et de ses parents, qui font partie du voyage. Les deux femmes annoncent d'emblée le prix:

180'000 francs belges pour la famille Witteboon141, 4 personnes; 25'000 francs pour leur amie Sophia Tailleur142, qui voyage seule; 50'000 francs, certainement par personne, pour le couple Tolman143 et leur enfant, des gens jugés «aisés» par leur compagnons de voyage; 50'000 francs par personne pour les 4 membres de la famille de Barend Beesemer144, celui a dû attendre durant trois jours son passage en Belgique dans une étable à porcs. Le malheureux affirme ne pas posséder autant d'argent, mais réunit 120'000 francs et arrondit la somme au moyen de bijoux valant 6'000 florins. Les autres semblent payer des sommes modestes ou ne rien payer, et pour cause: il s'agit d'Anny B. elle-même, de sa mère, de sa grand-mère et de sa future belle-mère145; d'Emmy B., qui voyage avec son amant Jakob K. sous l'identité de sa femme légitime, dont il est séparé146; enfin de la sœur d'Emmy B., accompagnée d'un bébé147, également sous une fausse identité.

La somme réunie avoisine néanmoins le demi-million. Le diamantaire Jonas Witteboon trouve le prix qui lui est demandé extraordinairement élevé, essaie de marchander, mais n'y parvient pas. Il conclut avec Anny B. un véritable «contrat de voyage» et lui verse le lendemain, 1er août, les 180'000 francs. A sa grande surprise, il doit encore payer 2'600 francs

141 AF E 4264(-) 1985/196 dossiers N 3807; 3769.

142 AF E 4264(-) 1985/196 dossier N 3476.

143 AF E 4264(-) 1985/196 dossier N 3768.

144 AF E 4264(-) 1985/196 dossier N 3805.

145 AF E 4264(-) 1985/196 dossiers N 3800; 3536.

146 AF E 4264(-) 1985/196 dossier N 3798.

147 AF E 4264(-) 1985/196 dossier N 3801.

pour sa fausse carte d'identité belge. La famille de Barend Beesemer s'est procuré ses faux papiers ailleurs, pour la somme de 16'000 florins.

Anny B. dispose d'un premier point de chute à Bruxelles, au domicile de sa belle-mère. Elle y réunit les partants, qui quittent séparément Anvers. Le voyage vers la France s'effectue en deux groupes. Le 3 août, un premier groupe de 8 fugitifs, accompagné par Anny B. et sa mère, quittent Bruxelles pour Lille. A la frontière, qu'ils semblent passer à pied, Anny B. est reconnue par les douaniers français – ce qui indique bien sa qualité de passeuse. Elle tente de fuir en abandonnant son imperméable, qui contient 117'000 francs, mais se fait quand même arrêter. Le groupe, embarrassé, affirme qu'elle n'est pas la propriétaire de l'imperméable. Elle doit néanmoins s'acquitter d'une amende de 15'000 francs pour contrebande de devises. Sa mère paie pour elle avec des bijoux. Les deux femmes rançonnent alors le groupe, de manière à réunir assez d'argent pour récupérer les bijoux.

Les deux groupes font jonction à Lille, puis partent groupés pour Nancy, où ils se dispersent dans plusieurs hôtels. Ils gagnent ensuite Belfort, Montbéliard et Maîche, où ils attendent pendant trois jours dans un hôtel avant de pouvoir passer en Suisse. Durant ce séjour, Emmy B. demande encore de l'argent à Jonas Witteboon, à Isidore Tolman, à Barend Beesemer et à la fille de ce dernier, sous prétexte que le passeur exige beaucoup d'argent et qu'elle ne peut plus subvenir aux besoins quotidiens. Ils sont contraints de donner à peu près tout l'argent qu'ils ont encore conservé; Barend Beesemer signe même, sous la contrainte, une reconnaissance de dette de 13'000 francs – mais Emmy B. exigeait beaucoup plus –, dont il obtiendra la destruction après le passage du groupe en Suisse.

Au-delà de l'aspect extrêmement déplaisant du «racket» opéré par les passeuses, il faut noter que les «clients», somme toute, acceptent les conditions qui leur sont imposées, parce qu'ils ne peuvent faire autrement – et parce qu'ils sont soulagés lorsque l'opération a réussi. Barend Beesemer accepte même, une fois en Suisse, après que la passeuse a déchiré sa reconnaissance de dette, de ne plus rien exiger en retour, car les deux femmes ont aussi passé des gens désargentés. Une sorte de solidarité se manifeste malgré tout dans cette aventure désastreuse, même si c'est essentiellement la propre famille de la passeuse qui a bénéficié de la gratuité. Il faut noter aussi que cette filière lucrative – s'il en est! – pratique néanmoins, dans une certaine mesure, le principe du «chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins», principe que la résistance appliquera aussi. Et enfin, force est de constater que les passeuses comme les clients sont juifs, et que tout le monde parvient à se réfugier en Suisse.

II.3.3.1.2. Et le passage en zone libre?

Nous sommes moins bien renseignés sur les filières d'évasion de Belgique vers la zone libre, parce que les fugitifs qui, par la suite, se replient en Suisse, donnent en général peu de détails sur leur première fuite (ils sont surtout interrogés sur la seconde). D'ailleurs, jusqu'à Paris, Nancy ou Besançon, les chemins et les filières sont les mêmes. L'étape suivante est le franchissement de la ligne de démarcation. Après le passage, leur destin diffère s'ils ont passé avant ou après le 5 août 1942.

Si c'est avant cette date, les fugitifs de Belgique ou de Hollande obtiennent un statut de réfugiés et sont généralement assignés à résidence (nous avons déjà vu le cas des Hollandais, regroupés à Châteauneuf-les-Bains). Avant août 1942, passer en zone libre – à condition de ne pas être arrêté avant la ligne – n'est donc pas en soi un danger, ce qui explique l'attirance pour cette option, notamment aux yeux des Anversois. Ils se fondent ensuite dans la population des juifs réfugiés en zone libre, et subiront les mêmes vicissitudes qu'eux, la succession des occupations, la radicalisation de la traque, mais aussi les opportunités de fuite en Suisse.

Certains quittent la Hollande et la Belgique en direction de la zone libre dans la ferme intention de passer aussitôt en Suisse: Helmuth et Greta Marx148, ex-Allemands, sionistes en formation agricole en Hollande, quittent Zutphen le 19 juillet, car tous les jeunes juifs ont été recensés. Par Breda, ils passent à Anvers, puis à Bruxelles, prennent un passeur qui les emmène rapidement, sans doute via Lille, jusqu'à Bordeaux. Après quelques jours, ils ont trouvé une filière pour passer la ligne: un tram jusque dans la banlieue de Bordeaux, puis un camion, puis la suite à pied. Ils ne sont pas repérés, prennent l'autocar pour Agen, puis le train

148 AF E 4264(-) 1985/196 dossier N 4023.

pour Nice, où ils arrivent le 25 juillet. Une fuite express! Mais elle continue: ils vont à Marseille, d'où ils repartent le 1er août pour Annecy (et devront se cacher pendant la rafle du 26). Ils parviendront en Suisse dans la nuit du 4 au 5 septembre, après avoir gagné les environs de Genève «en voiture» et marché durant plus de cinq heures en direction de la frontière.

D'autres séjournent longuement en zone non occupée. Erwin et Egon Halbreich149, fils d'un tailleur berlinois émigré à Anvers en janvier 1940, perdent père et mère au cours du printemps fatal qui suit: Rudolf Halbreich est arrêté le 10 mai, déporté à Saint-Cyprien, puis à Gurs, puis aux Milles, et ne sortira jamais du circuit de l'internement jusqu'à sa déportation, le 28 août 1942. Grete Halbreich succombe à une maladie cardiaque en juin 1940. Les deux adolescents obtiennent de la Kommandantur un sauf-conduit pour la France occupée. Partis pour Paris en février 1941, ils y restent trois mois, entretenus par un comité juif d'aide aux réfugiés, avant de passer illégalement la ligne pour se rendre à Marseille: ils veulent revoir leur père, interné aux Milles, et peuvent en effet lui rendre visite à plusieurs reprises. Egon, qui n'a que 13 ans, est pris en charge par l'OSE et hébergé dans son home de Chabannes (Creuse), où il entreprend une formation de maroquinier. Erwin, qui en a 18, survit sans doute grâce à diverses aides, ou trouve du travail chez un paysan; il sera le premier à passer en Suisse au moment des rafles, le 9 octobre 1942. Son frère fera partie de la première opération de convoyage en Suisse de l'OSE, organisée par Georges Loinger au printemps 1943150.

A partir d'août 1942, le passage de la ligne représente en lui-même un danger: les fugitifs sont internés par les autorités de Vichy. Le 5 août, le franchissement illégal de la ligne est en effet devenu un motif d'arrestation et d'internement151. Emise au moment de l'important exode qui fait suite à la déportation en Belgique, cette mesure représente donc un nouveau danger qui,

A partir d'août 1942, le passage de la ligne représente en lui-même un danger: les fugitifs sont internés par les autorités de Vichy. Le 5 août, le franchissement illégal de la ligne est en effet devenu un motif d'arrestation et d'internement151. Emise au moment de l'important exode qui fait suite à la déportation en Belgique, cette mesure représente donc un nouveau danger qui,