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LA FUITE DE HOLLANDE ET DE BELGIQUE VERS LA SUISSE

II.3. La fuite des juifs de Belgique

II.3.2. La péjoration de la situation des juifs en Belgique et les motifs de départ

II.3.2.4. La fuite comme réaction à la déportation

Le choc provoqué par les coups simultanés de la déportation générale (convocation pour

«mise au travail», rafles et arrestations individuelles) entraîne une réaction rapide et violente de la population juive: plongée dans la clandestinité, et pour certains, fuite au-delà de la frontière.

Les services allemands en sont aussitôt conscients. Ils savent que les juifs se cachent chez des

«aryens» avec de fausses cartes d'identité ou quittent le pays77. Ils font savoir que «nombre de juifs ne se sont pas présentés lors de leur convocation et certains d'entre eux ont essayé d'échapper aux mesures prises en s'expatriant illégalement»78. Ils répliqueront par une traque sans relâche.

Si le danger est partout, cela veut dire que la route de la fuite est dangereuse, hasardeuse en tout cas. Les interrogatoires des réfugiés en témoignent. Pourtant, le passage reste malgré tout envisageable si l'on respecte les règles de prudence de l'entreprise clandestine; le nombre de ceux qui atteignent la Suisse le prouve. Les organisations de passeurs sont aussi là pour éviter certains pièges à leurs clients, notamment en leur faisant passer les frontières à pied.

La frontière belgo-française, premier obstacle à franchir pour les fugitifs, est gardée, outre par les douaniers belges restés en poste et les douaniers français, par des douaniers allemands qui patrouillent dans les trains au passage de la frontière. Les passages ferroviaires, à Mouscron (Risquons-Tout) ou Baisieux sur la ligne Lille, à Feignies sur la ligne Bruxelles-Mons-Paris et à Givet sur la ligne Bruxelles-Namur-Charleville-Nancy (et au delà, Besançon), sont ainsi filtrés par les Allemands79. Comme ils en sont informés, les fugitifs prennent rapidement garde de passer cette frontière à pied, généralement avec des passeurs.

Parfois, le passage se fait sans la moindre anicroche. Joël Bretholz80, un commerçant autrichien de Bruxelles, parti le 1er août après avoir reçu la convocation, déclare être passé à pied près de la ligne Bruxelles-Lille avec sa femme et ses deux fils adolescents, sans papiers (ou avec de faux papiers?), ayant caché les vrais dans la semelle de ses souliers; ni les douaniers belges, ni les douaniers français – qu'il semble donc avoir rencontrés – ne lui ont fait d'ennuis. Il n'y avait, à l'évidence, pas de douanier allemand.

Rester dans le train est dangereux. Nous avons déjà évoqué David Blanes81, ce courtier en diamants hollandais qui, parvenu en zone non occupée, élude l'internement à Châteauneuf. Il est, hélas, arrivé seul en France. Parti d'Amsterdam vers le 1er août avec sa femme et son fils, il a passé la frontière belgo-française le 2 août à Feignies, sur la ligne Bruxelles-Paris. Ils ont été interpellés à la douane ou dans le train par les douaniers allemands du Devisenschutzkommando d'Anvers. Seul David arrive, on ne sait comment, à échapper à l'arrestation. Lena Blanes-Polak, 36 ans, et Samuel, 16 ans, sont arrêtés, envoyés à Malines et déportés à Auschwitz le 15 août.

Le danger est bien illustré aussi par la tragique mésaventure d'une autre famille d'Amsterdam, partie de Hollande le 26 juillet dans l'intention de gagner directement la France. Günther

76 STEINBERG, La Traque…I, p. 8.

77 En témoigne un télégramme du 24 septembre 1942 du baron von Bargen, chef du service bruxellois des Affaires étrangères, au ministère des Affaires étrangères à Berlin. Cité notamment dans MEYER & MEINEN,

«La Belgique, pays de transit…», p. 184 et note 90.

78 Selon un communiqué de l'agence Belga du 4 août 1942, cité dans STEINBERG, Les cent jours …, p. 180.

79 Plusieurs cas tragiques sont relatés dans MEYER & MEINEN, «La Belgique, pays de transit…», pp. 167-174.

80 AF E 4264(-) 1985/196 dossier N 3783.

81 AEG Justice et Police Ef/2-carton 098. Cf. supra II.2.8.2. A Feignies, un contrôle intensif semble avoir eu lieu du 25 juillet au 10 août. Cf. MEYER & MEINEN, loc. cit.

Klein82, ex-Allemand, commerçant en textiles installé à Amsterdam depuis 1921, spolié et aryanisé, fuit avec sa femme, ses deux jeunes enfants et son frère célibataire, Hans, lequel est correspondant en Hollande de la National-Zeitung suisse. Les deux hommes portent sur eux une certaine somme et choisissent, pour échapper au contrôle financier, de passer les frontières à pied, de Hollande en Belgique et de Belgique en France. Ils parviendront en Suisse indemnes. Mais à Givet, sur la ligne Bruxelles-Nancy, le 26 ou 27 juillet, Eva Klein-Schuit, l'épouse de Günther, est restée dans le train avec leurs fillettes de 5 et 3 ans. Elle est interrogée par un contrôleur de chemin de fer allemand – c'est ce que dit la déclaration de son mari, mais il doit plutôt s'agir d'un douanier – et, «nerveuse», lui avoue qu'elle est juive.

Aussitôt arrêtée, elle est transférée à Malines et sera déportée le 31 octobre; les enfants, on ne sait comment, sont épargnés. Lorsqu'il arrive en Suisse, le 14 septembre, Günther Klein est au courant du malheur qui a frappé sa femme.

D'autres sont plus habiles: Ferdinand et Estera Goldheim83, un couple d'origine polonaise installé à Bruxelles depuis 1941 en provenance d'Anvers, fuient au matin du 4 août, ayant reçu la convocation le 1er août, pour le 3. Ils ont passé les quatre derniers jours cachés dans une famille belge. C'est tout un groupe qui part, onze personnes, avec des faux papiers belges.

Ils ont pris un «train de travailleurs» à 7 heures du matin, ne s'assoient pas ensemble, entament une conversation animée avec les ouvriers belges, et passent sans encombre la visite douanière, également à Givet: on leur demande seulement s'ils ont du tabac ou des devises.

Mais ils voient bien que certains voyageurs sont priés de descendre du train…

Encore faut-il bien parler la langue et ne pas être «nerveux». Beaucoup font montre du sang-froid indispensable. Szulim Ratin84, Polonais, horloger à Bruxelles depuis 1928, qui s'attend tous les jours à recevoir la convocation, déclare – et cela paraît facile dans sa déclaration – qu'il a obtenu de faux papiers belges pour toute sa famille, qu'il a pu avec ces papiers aller à la banque pour changer de l'argent et qu'il même obtenu «une autorisation pour prendre le train».

Les quatre membres de la famille, tous adultes, passent en France par Givet le 31 juillet sans encombre, «comme touristes».

La frontière entre la Belgique et le Nord-Pas-de-Calais est une frontière interne du point de vue militaire allemand, ce qui induit une certaine facilité de passage; mais il ne semble pas que le passage entre zone annexée au commandement militaire en Belgique et zone occupée ait représenté un obstacle réel. La frontière de Mouscron en particulier a été abondamment utilisée par les filières de fuite en France. A la frontière avec le département des Ardennes, le passage semble assez facile aussi. Adolf Goldschlaeger85, un tailleur roumain résidant à Bruxelles, qui passe le 12 août par Givet, affirme qu'il y a peu de contrôles. Il a obtenu une fausse carte d'identité au nom d'Adolf van Deelen, délivrée par un commissaire de police belge, portant une fausse signature officielle, mais datée du 12 mai 1940, donc difficilement vérifiable au vu du chaos régnant à cette date. Il a la chance d'avoir une fiancée «aryenne» et Belge, qui voyage séparément et peut lui remettre sans difficulté une assez forte somme d'argent à Nancy.

D'autres fugitifs, nombreux, évitent tout contrôle dans le train à Givet en le quittant avant la frontière à la petite station belge de Heer-Agimont; il y a deux voies de chemin de fer parallèles à cet endroit et les fugitifs prennent sans doute les chemins de fer locaux, ne roulant pas sur la voie internationale. Puis ils gagnent la France et Givet par des chemins de traverse avant de reprendre le train pour Nancy. La surveillance ne semble pas omniprésente. Philippe Casoetto86, piloté par une filière, descend là le 24 juillet et se rend chez «l'épicier du village, qui lui a été recommandé par un ami d'Anvers, voyageur de commerce». Cet épicier lui procure un passeur, ce qui lui coûte 5'000 francs belges. Certains autres choisissent des lieux de passage encore plus discrets, comme l'étudiant hollandais Philipp de Vries87, qui se rend en train et en car à Bouillon, dans les Ardennes belges, passe à pied la chaîne des Ardennes vers le 12-13 juillet et reprend le train à Sedan, côté français. Ou quatre jeunes sionistes de Bruxelles88, qui passent par la petite gare de Halanzy, sur la ligne qui va au Luxembourg, près

82 AF E 4264(-) 1985/196 dossier N 4202.

83 AF E 4264(-) 1985/196 dossier N 3712.

84 AF E 4264(-) 1985/196 dossier N 3781.

85 AF E 4264(-) 1985/196 dossier N 3834.

86 AF E 4264(-) 1985/196 dossier N 3666.

87 AF E 4264(-) 1985/196 dossier N 3858.

88 AF E 4264(-) 1985/196 dossier N 3907; 3912.

d'Arlon, à l'extrémité est de la Belgique, et passent à pied la frontière française en direction de Longwy (Meurthe-et-Moselle).

Le renforcement proclamé de la surveillance allemande n'interrompt donc pas les sorties clandestines de Belgique.

Et pourtant, nous l'avons dit, les services allemands sont alertés. L'administration militaire (Reeder) confère le 25 septembre 1942 déjà avec la Sipo-SD (Ehlers) et décide qu'il faut prêter «une attention spéciale […] à l'exode illégal des juifs qui s'est accru fortement ces derniers temps. Il faut éviter […] qu'ils ne quittent illégalement les grandes villes, cessent de porter l'étoile, s'en aillent à la campagne ou dans les petites localités»89. Ou ne quittent le pays. Nous avons vu que le nombre des juifs «émigrés en Suisse» est estimé, en novembre 1942, à 3'000-4'00090 – ce qui est une bonne approximation, encore qu'elle soit un peu surévaluée. Mais aucun de leurs services n'a les moyens de vérifier ces chiffres ni de suivre à la trace – a fortiori de rattraper – les juifs qui leur échappent. Tout au plus l'administration militaire parvient-elle, dans un rapport du 1er août 1943, à chiffrer approximativement à 10'000 les juifs qui se sont enfuis vers la France ou d'autres régions.

En résumé: dans un premier temps, l'administration militaire allemande sous-estime le phénomène. Reeder, sans doute pour ne pas être déconsidéré, annonce en septembre 1942 que les gardes-frontière et autres autorités françaises du département du Nord ont intercepté quasi tous les fuyards; puis elle est contrainte de reconnaître l'ampleur de la fuite. Son rapport d'activité pour septembre à décembre 194291 parle de «fuite importante de juifs qui n'a pu être arrêtée malgré une garde frontière renforcée». Ce rapport estime à 20'000 les juifs cachés en Belgique à la date d'octobre 1942; à la date de décembre, à 30'000, un chiffre qui comprend aussi bien les émigrés que ceux qui se sont cachés, passant «du jour à l'ombre»92, la version belge de l'onderduiken néerlandais. Ce qui est tout de même une proportion considérable, surtout par rapport à une population de 66'000, telle que l'estiment les Allemands.

L'administration nazie s'aperçoit que la moitié des juifs du pays est en train de lui échapper.

Les juifs placent beaucoup d'espoir dans une fuite hors de leur pays de résidence: ils ne sont en effet fichés et contrôlés que par les services anti-juifs de leur propre pays. C'est ce qu'exprimait le père de Mozes Flinker, évadé de Hollande, lorsqu'il préconisait de rester en Belgique, caché et avec de faux papiers: il espérait plonger dans l'incognito. Au passage de la frontière, le fugitif échappe à la traque, mais se retrouve face à une menace nouvellement configurée, celle qui le guette à chaque contrôle institutionnel. Tous les contrôles dans les trains, dans les hôtels et à l'approche des frontières, y compris à la ligne de démarcation, sont donc de nouveaux pièges. La politique helvétique de refoulement se révélera l'ultime piège pour certains.

Quant aux routes de cette fuite directe vers la Suisse, elles partent plus souvent de Bruxelles que d'Anvers. Il semble que des filières, voire des habitus, se soient constitués en catastrophe, qui sont responsables de cette différenciation: Bruxelles est le centre de départ des filières directes vers la frontière nord, alors qu'à Anvers on opte plutôt pour la France non occupée et un regroupement avec d'autres parents ou amis qui y sont partis plus tôt.

II.3.2.4.1. La déportation générale: qu'en disent les juifs arrivés en Suisse?

Pour tenter de cerner plus précisément les motivations et l'état d'esprit de ceux qui prennent la fuite de Belgique au moment où se déclenche la déportation générale sous simulacre de «mise au travail», nous examinons les interrogatoires-témoignages de fugitifs partis entre le 22 juillet, remise des premières convocations, et le 31 août, date à laquelle l'effet de surprise et le mensonge sont éventés pour la majorité des juifs, qui désormais se cachent.

89 Cité dans STEINBERG, Les cent jours…, p. 227.

90 Cf. supra II.3.2.1.(3).

91 «Rapport d'activité n° 22 de l'Administration militaire pour la période du 1er septembre - décembre 1942», Paris, CDJC, CDVCVI, cité dans STEINBERG, La Traque I, p. 32 et note 5; GRIFFIOEN & ZELLER,

«Jodenvervolging in Nederland en België…», p. 29 et note 32.

92 Cf. STEINBERG, La Traque…, I, p. 28.

Bien entendu, l'envoi des convocations, les rafles, les descentes domiciliaires, les dénonciations et les arrestations individuelles continuent après cette date. Mais l'effet de choc nous semble caractéristique de la période ainsi délimitée. Pour la première fois depuis l'Occupation, sont visées des familles entières, voire, dans certains cas, les plus fragiles de leurs membres. Les listes faites à la hâte – ou exprès ainsi? – séparent souvent les familles.

Simon Sonabend93, horloger à Bruxelles, part le 9 août avec toute sa famille parce que sa fille Sabine, 14 ans – elle seulement – vient de recevoir la convocation.

Le déclenchement de la déportation provoque des départs extrêmement rapides, y compris chez beaucoup de juifs qui n'ont pas encore reçu la convocation, mais s'y attendent chaque matin. Par contraste, les fugitifs de septembre – et a fortiori ceux d'octobre à décembre 1942 – passent généralement par une phase de clandestinité plus ou moins longue avant de prendre la décision de quitter le pays – ou avant de réussir à le faire. C'est donc une population frappée «à chaud» que nous nous proposons ici d'écouter. Le choc est fort, même si la convocation à la caserne Dossin est camouflée en «mise au travail» et partiellement amalgamée à la mesure précédente (la réquisition aux camps Todt), sauf que cette fois elle touche aussi les femmes, les jeunes et les vieillards. Ce qui semble sûr, c'est qu'au plus tard à la mi-août, aucun juif n'ignore plus qu'il est, comme tous les autres, menacé de déportation dans un territoire non précisé à l'Est.

Les témoignages sur la fuite de Belgique sont d'autant plus détaillés que les fugitifs arrivent rapidement en Suisse; c'est le cas de ceux qui passent par la frontière nord. Chez ceux qui fuient à la même date, mais vers la France non occupée, et qui y séjournent un certain temps, ce sont les circonstances de la traque en France et leur dernière fuite qui dominent dans leur récit.

Dans notre échantillon de 2'773 départs de Belgique, 421 ont lieu à la période retenue pour l'«effet Malines», soit 15,2% de la totalité des départs94. Si ce chiffre apparaît modeste en proportion du total (à cause du grand nombre de départs déjà effectués entre mai 1940 et le printemps 1942), il représente néanmoins la moitié des départs opérés après le déclenchement de la phase ultime de la «solution finale». Du moins, la moitié des départs qui ont réellement abouti en Suisse. Car c'est là que se situe aussi la plus grande tragédie de cette fuite de Belgique (et de Hollande) immédiatement consécutive au déclenchement de la déportation.

En ne considérant que les convois de déportation de Drancy partis pour Auschwitz entre le 7 août (convoi 16) et le 14 septembre 1942 (convoi 32), on y constate la présence d'au moins95 113 juifs résidant en Belgique (et 47 résidant en Hollande, souvent voyageant avec les

«Belges»), tous arrêtés à proximité de la frontière suisse. Et ce chiffre, provisoire, n'inclut pas les nombreux fugitifs des deux pays arrêtés à ce moment et déportés ultérieurement. Il faut donc accorder une plus grande importance au facteur «Malines» que l'effet qu'on peut en lire dans les arrivées en Suisse.

On connaît la tragédie de la famille Sonabend, refoulée de manière «exemplaire» le 17 août 1942 à Belfort: Simon et Laja Sonabend périssent à Auschwitz après avoir été déportés dans le convoi 23, le 24 août. Sabine et son jeune frère, confiés à l'UGIF et libérés à temps du home où ils ont été placés, survivent. Pour d'autres familles, on ne saura peut-être jamais si elles ont été arrêtées en route vers la frontière, ou refoulées après avoir réussi à atteindre cette dernière. Quel a été exactement le sort, pour ne citer qu'elle, de la famille Topelberg96 de Bruxelles? Moïse/Micha Topelberg, 37 ans, était tailleur à Bruxelles et propriétaire d'un commerce de vêtements, dont il avait été spolié. Il fuyait avec sa femme Estera, 34 ans, et leurs deux enfants nés à Bruxelles-Molenbeek, Robert, 5 ans, et la petite Dora, 16 mois. Nous savons seulement qu'ils ont été arrêtés «près de la frontière suisse» par le Zollgrenzschutz de Delle (territoire de Belfort), le 3 ou 4 septembre 1942. Avant leur passage ou après leur

93 AF E 4264(-) 1985/196 dossier N 3757; cf. infra III.1.5; III.2.3.2.1.

94 Cf. supra II.3.2.1.1., échantillon B.

95 Le travail minutieux de recherche sur la provenance des juifs de ces convois et le lieu de leur arrestation, y compris sur la probabilité qu'ils aient été préalablement victimes du refoulement à la frontière suisse, n'est pas achevé. La seule certitude pour l'instant, c'est que les chiffres connus ne sont pas exhaustifs.

96 ADTdB 1064W14; Archives Nationales de France, La France et la Belgique sous l'occupation allemande, 1940-1944. Inventaire de la sous-série AJ40, AJ40/261, p. 121; KEMP, Nathan, «La tragique histoire de mon ami d'enfance, le soldat du Nahal Robert Topelberg…», www.terredisrael.com, 31.1.2012.

refoulement? Nous n'avons, pour l'heure, pas les moyens de le savoir97. Robert, confié à la Croix-Rouge ou à l'UGIF, sera sauvé, rapatrié en Belgique et émigrera en Israël, où il mourra accidentellement à l'âge de 19 ans au cours d'une période militaire. Mais à la prison de Belfort, Moïse et Estera ne peuvent se résoudre à se séparer de leur bébé, qui part pour Auschwitz avec eux, le 14 septembre 1942.

II.3.2.4.1.1. Dans quel état d'esprit partent-ils?

Quelle vision de leur situation ces fugitifs ont-ils au moment de prendre la fuite?

Ne pas bien savoir quel sera le coup suivant de l'occupant, ou ne pas savoir où partent les déportés, est un motif suffisant pour prendre la fuite. Jakob Rozencwejg98, tailleur à Bruxelles, estime, fort raisonnablement, qu'«on ne sait jamais ce qui va advenir de nous, les juifs»; il se cache dès la réception de sa convocation et part pour Lyon le 20 août avec sa femme, via Nancy. Markus Eder99, ouvrier cliveur de diamants à Anvers, a vu tous les juifs de son quartier être arrêtés début août et a ensuite reçu la convocation. Il en a conclu qu'il fallait fuir aussitôt: le fait de ne pas savoir où il allait être transporté lui a paru suffisamment inquiétant pour qu'il parte avec sa femme et sa belle-mère.

D'autres fugitifs ont une vision plus précise des événements. Henri Nowicki100, un jeune cliveur de diamants d'Anvers, résidant en Belgique pratiquement depuis sa naissance, est parti en France à l'exode avec sa famille. Mais tandis que ses parents restent à Marseille (ils survivront), il retourne à Anvers après six semaines. Les ateliers des diamantaires ayant été pillés par les Allemands, il travaille désormais au noir. La sévérité des lois anti-juives à Anvers – et surtout la dureté de leur application – le poussent à déménager à Bruxelles en septembre 1941. Il y retrouve un travail régulier et s'y marie en mai 1942. Vers juillet 1942, rapporte-t-il, les lois antisémites se précipitent: fermeture obligatoire des magasins,

D'autres fugitifs ont une vision plus précise des événements. Henri Nowicki100, un jeune cliveur de diamants d'Anvers, résidant en Belgique pratiquement depuis sa naissance, est parti en France à l'exode avec sa famille. Mais tandis que ses parents restent à Marseille (ils survivront), il retourne à Anvers après six semaines. Les ateliers des diamantaires ayant été pillés par les Allemands, il travaille désormais au noir. La sévérité des lois anti-juives à Anvers – et surtout la dureté de leur application – le poussent à déménager à Bruxelles en septembre 1941. Il y retrouve un travail régulier et s'y marie en mai 1942. Vers juillet 1942, rapporte-t-il, les lois antisémites se précipitent: fermeture obligatoire des magasins,