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LA FUITE DE HOLLANDE ET DE BELGIQUE VERS LA SUISSE

II.4. L'approche de la frontière nord

II.4.4. De Belfort, Besançon ou Pontarlier au Jura neuchâtelois

La géographie détermine quatre zones principales d'entrée par le Jura neuchâtelois, qui ont été actives durant toute la période:

(1) La frontière du Doubs derrière La Chaux-de-Fonds, à laquelle on accède par Maîche;

(2) La zone du lac des Brenets et du col des Roches à laquelle on accède par Morteau;

(3) Les Montagnes neuchâteloises, également accessibles par Morteau;

(4) La zone des Verrières-de-Joux, accessible par Pontarlier.

II.4.4.1. L'itinéraire par la frontière neuchâteloise du Doubs (1) Le Doubs court sur un tiers environ de la frontière franco-neuchâteloise.

Dans cette zone encaissée, aussi qualifiée de «gorges» du Doubs, la rivière est encore franchissable à gué pendant la guerre, car le barrage du Châtelot, qui engendre de nos jours une série de retenues (lac de Moron, grossissement du lac des Brenets, au milieu desquelles se situe le célèbre saut du Doubs), n'a été mis en service qu'en 1953.

Comme plus au nord-est, l'étape décisive est ici Maîche, puis Charquemont. L'itinéraire passe ensuite par le village de Grand'Combe-des-Bois (200 habitants), situé à 5 km à vol d'oiseau de La Chaux-de-Fonds, qui est le «nœud» de cette région de passage. Grand'Combe peut aussi être rejoint en venant de Morteau, au sud-ouest.

De là, le passage se fait à gué en plusieurs endroits du ravin du Doubs, notamment à Maison-Monsieur et surtout au moulin Delachaux45 (souvent mentionné comme «moulin de la Chaux»), suivi de l'escalade des Côtes du Doubs côté suisse, soit au moins 400 mètres de dénivelée. Deux frères anversois, fils d'un diamantaire, Aaron-Joseph et Henri-Michel Luks46, étudiants, sont partis en Suisse le 15 juillet 1942 après avoir dû subir la visite médicale pour le travail obligatoire. Leurs parents ont payé 60'000 francs belges pour le «voyage», qu'ils accomplissent en compagnie de deux autres étudiants. Après une nuit dans un hôtel de Maîche, ils sont amenés par leur passeur, un homme de Maîche, en voiture à Grand'Combe-des-Bois, un trajet de plus de 20 km. Là, un autre passeur prend le relais et les amène à pied à la frontière. Ils traversent le Doubs à gué vers 2 heures du matin au moulin Delachaux, puis remontent la pente de l'autre côté.

Fatigués, bien qu'il s'agisse d'hommes jeunes, ils se couchent un moment dans la montée de la côte. Leur arrivée ne passe pas inaperçue, car les habitants de la région veillent, même de bon matin: le groupe est signalé au poste de douane par un habitant des Joux-Derrière et intercepté sur la route cantonale menant des Planchettes à La Chaux-de-Fonds. On est en juillet et ils sont accueillis.

Les passeurs sont sans doute plusieurs à exploiter le ravin du Doubs derrière La Chaux-de-Fonds.

Ils travaillent soit pour les filières belgo-hollandaises, soit en indépendants. Un étudiant néerlandais arrêté le 2 août sur la même route, Charles Philips47, venu par le train Morteau –

43 Sur le Ve arrondissement des Douanes et son commandant, cf. infra III.3.4.4.

44 AF E 4264(-) 1985/196 dossier N 7881.

45 Le moulin Delachaux, situé sur la commune des Planchettes, remonte au XVIe siècle. Cf. BOREL, Pierre-Arnold,

«Ascendance de l'artiste-peintre Léon Delachaux…», in Généalogie suisse, annuaire 2002, pp. 139 sqq. Il est en ruine à l'époque de la Seconde Guerre mondiale.

46 AF E 4264(-) 1985/196 dossier N 3582.

47 AF E 4264(-) 1985/196 dossier N 3662.

Montbéliard, qu'il a quitté quelques stations avant Maîche, déclare avoir cherché un passeur dans les fermes de la région et avoir trouvé un nommé Chapotte, un homme d'environ 35 ans, qu'il a payé 20'000 francs français pour le passage. Ce passeur, domicilié à Grand'Combe-des-Bois, est connu des douaniers de Joux-Derrière, qui le considèrent, lui et un certain Marguet du même village, comme l'un des passeurs principaux de la zone du moulin Delachaux48. Il est possible que Chapotte demande plus cher aux fugitifs isolés que ce que lui rétrocèdent les filières de passage:

le douanier qui fait le rapport sur Chapotte et Marguet49 – un rapport objectif et remarquablement dénué de toute hostilité envers les fugitifs et ceux qui les aident – relève que les «agences» de Belgique et de Hollande pour lesquelles ils travaillent demandent entre 5'000 et 40'000 francs belges par personne, mais pour la totalité du voyage. Philips n'est pas un homme riche: en dehors de quelques timbres de valeur, il ne possède presque plus un sou après son passage.

Les douaniers du poste de Joux-Derrière ont aussi un joli coup de crayon, ce qui nous vaut plusieurs croquis illustrant avec précision le cours du Doubs, la frontière, les sentiers et le chemin emprunté par les fugitifs et leurs passeurs50.

Cette zone des Joux-Derrière est assez active en juillet et août 1942. Au tout début de septembre, elle est le théâtre d'au moins trois refoulements, dont celui du jeune couple Lajwe et Ita Hendlisz, qui débouche sur leur déportation de Belgique – où ils sont retournés, faute de solution alternative (ils sont rescapés). Pourtant, tous les fugitifs arrivés après la date fatidique ne sont pas refoulés. Le 22 août 1942 au soir, un groupe de sept fugitifs51 venus d'Anvers par Grand'Combe-des-Bois, passe le Doubs à gué au lieu-dit Moron. Interpellés le matin suivant par les gardes-frontière de Joux-Derrière, ils racontent «joliment des mensonges» au moment de leur arrestation (ils mentent sur leur âge, se déclarent catholiques, maintiennent leur fausse identité), car ils croient savoir que «seuls les juifs sont refoulés». Pourtant, ils sont tous accueillis. Il est vraisemblable qu'à ce poste au moins, on applique la politique de modération émise par la Division de police le 16 août. Le groupe, en effet, se compose de deux couples en attente de bébé (dont l'un naîtra en décembre) et de trois adolescentes entre 14 et 18 ans. La politique de ce poste, pourtant dépendant du Ve arrondissement, mérite une mention spéciale; nous en reparlons plus loin52.

II.4.4.2. L'itinéraire par Morteau et le lac des Brenets (2)

L'extrémité ouest de la frontière neuchâteloise du Doubs est accessible au départ de l'étape de Morteau, la petite «métropole» régionale, située sur une ligne ferroviaire et peuplée à l'époque de quelque 4'300 habitants – et siège d'un commissariat de la Douane allemande, comme Delle et Saint-Hippolyte. De Morteau, on gagne, à six kilomètres souvent parcourus à pied, Villers-le-Lac, une bourgade de 2'800 habitants située à proximité du lac des Brenets (ou lac de Chaillexon dans son appellation française), qui s'étend jusqu'au Saut du Doubs.

Dans cette zone, à moins d'arriver par la rive droite du Doubs en face de Morteau, il faut traverser l'eau, même si on vise la région du col des Roches, qui permet de gagner Le Locle, où on peut prendre le train pour essayer s'enfoncer loin dans le pays. Le Doubs ou l'étendue d'eau semi-lacustre se passent à gué ou en bateau, sous le village suisse des Brenets ou plus en aval dans le ravin du Doubs. Les dossiers nous permettent de repérer des passages en bateau les 10 et 17 août, des passages à gué les 16 et 27 août, sans doute pas exactement au même endroit. Bien qu'étroitement surveillée, cette zone est assez vaste et devient vite montagneuse. C'est donc un large terrain et non quelques sentiers qu'il faudrait «ratisser» pour intercepter tous les fugitifs, ce

48 App. K[…] matr 325, au poste de GF de Joux-Derrière, 11.10.1942. AF E 6358(-), sans n° (carton 16).

49 Ni Chapotte ni Marguet (dont nous ignorons tout à part le nom) ne semblent avoir été condamnés par la justice militaire pour faits de passage; ils sont absents des listes de la Commission de réhabilitation. On peut y voir un indice du fait que les douaniers du poste de Joux-Derrière n'étaient pas acharnés à poursuivre les passeurs, une attitude qui tranche sur celle d'autres douaniers du Ve arrondissement.

50 Nous reproduisons ces croquis en fin de partie.

51 AF E 4264(-) 1985/196 dossiers N 3856, 5871, 3851 et 8242.

52 Infra III.3.4.4.4.

qui explique qu'il y ait eu un assez grand nombre de passages réussis, et ce jusqu'en novembre 1942.

Un groupe de quatre fugitifs de Bruxelles53, dont un enfant de 5 ans, parti de Morteau «avec des passeurs dont ils ignorent le nom, à travers bois et pâturages», traverse le Doubs en bateau dans la nuit du 9 au 10 août, puis grimpe jusqu'au Locle sur au moins 7 km de terrain très accidenté et est arrêté à la gare; ils ont de la famille en Suisse. Adolf Goldschlaeger54, 34 ans, tailleur à Bruxelles, apatride d'origine roumaine, qui a reçu le 6 août la convocation pour Malines (dont il pense qu'elle émane du service belge du travail, selon lui contrôlé par la Gestapo, et que les convoqués sont déportés en Ukraine), est arrivé à Morteau le 13 août, via Nancy et Besançon. Il trouve un passeur «après quelque recherche», lequel, selon ses dires, lui demande seulement 1'000 francs français. Mais ce passeur semble se borner à lui montrer la Suisse en face du lac et l'endroit où il doit passer pour éluder le contrôle allemand aussi bien que suisse. Le fugitif franchit alors le Doubs à gué, les eaux étant «assez basses pour la saison». Il doit encore «gravir une montagne»

avant d'arriver au Locle (sans avoir rencontré de douanier) et prendre le train pour Zurich.

(Pourtant passé en pleine période de fermeture de la frontière, il est néanmoins interné). Il s'agit peut-être du pont de passage du lieu-dit les Comboles, où un groupe composé de deux femmes et de leur quatre enfants55 passe le 27 août en plein jour, à 150 m de la frontière, «renseignées par plusieurs personnes de Villers» et alors que la rivière est «presque à sec». Elles sont

«réceptionnées» côté suisse par un citoyen des Brenets, en promenade avec son chien (qui ne devait pas se trouver là par hasard). Mais les deux femmes craignent peu le refoulement, car l'une a son mari déjà réfugié en Suisse et l'autre y a de la famille.

Une variante, lorsqu'on a franchi le Doubs ou le lac aux environs de Morteau ou Villers, consiste à gagner la frontière du col des Roches, qui se trouve sur l'une des deux seules routes internationales du canton de Neuchâtel ouvertes, c'est-à-dire autorisées à certaines heures avec des papiers en règle (l'autre étant la route des Verrières). Le col des Roches semble, paradoxalement, assez lâchement surveillé par les douaniers suisses. Le 25 mars 1942, deux jeunes Hollandais juifs56 désireux de s'engager aux côtés des Alliés, partis de Morteau, arrivent tranquillement à pied à la douane allemande du col des Roches, se font passer pour des curistes et dessinateurs belges et prennent un repas avec cinq soldats allemands. Prétendant vouloir faire des croquis, ils se font indiquer le chemin de la Suisse par les Allemands! Sortis de la douane par la petite porte arrière qui donne vers la Suisse, ils arrivent sans encombre à La Chaux-de-Fonds où ils prennent le train pour Berne. Et le 4 juillet, un jeune Belge d'origine juive passe la frontière du col des Roches caché dans la camionnette d'un marchand de primeurs57.

Il semble qu'ici – avant août du moins – ce soit le contrôle allemand qui donne du fil à retordre aux fugitifs, non le contrôle suisse. Sophie Lopez Dias58, 20 ans, Hollandaise, juive, employée de bureau à Amsterdam, a réussi à gagner Villers-le-Lac vers le 20 juillet 1942 avec un camarade.

Munis, une première fois, de simples indications, les deux jeunes gens passent péniblement à travers plusieurs barrières de barbelés avant de tomber sur une patrouille allemande. Etant parvenus à se faire passer pour des Belges au vu de leurs faux papiers, ils sont relâchés par les Allemands. Ils retournent à Villers ou à Morteau, passent la nuit dans un café et tentent leur chance une deuxième fois le lendemain, avec une paysanne comme passeuse. Ils sont de nouveau interceptés par une patrouille allemande (la même?), mais leur passeuse réussit à les faire libérer.

Ils tentent le passage une troisième fois, cette fois avec l'aide de toute la famille tenancière du café, à qui ils ont donné presque tout leur argent. Celle-ci est la bonne: ils passent le 25 juillet près du col des Roches et vont à pied au Locle, d'où ils prennent aussitôt le train pour Lucerne.

53 AF E 4264(-) 1985/196 dossiers N 3723; 3725.

54 AF E 4264(-) 1985/196 dossier N 3834.

55 AF E 4264(-) 1985/196 dossier N 3875 et 3891; AF E 6358(-), vol. 30.

56 AF E 4264(-) 1985/196 dossier N 3137.

57 AF E 4264(-) 1985/196 dossier N 3526.

58 AF E 4264(-) 1985/196 dossier N 16789.

Tous les passages ne réussissent cependant pas. Dans cette zone occidentale de la frontière du Doubs, qui se trouve sous le contrôle des postes de douane suisse du Saut-du-Doubs, de Brenets-lac et de Brenets-route, les refoulements de fugitifs sont massifs dès avant les instructions du 13 août 1942, puis durant les mois d'août et septembre. Sur 122 passages répertoriés dans la zone des Brenets, il y a 47 refoulements, dont la plupart anonymes. Le 4 août déjà, jour de la promulgation de l'arrêté fédéral de fermeture, un couple hollandais avec un enfant59 est refoulé (ils repasseront par le Valais). Le 6 août, le sous-secteur du Locle annonce le refoulement de 9 Hollandais et de 7 Belges, certainement tous juifs. L'officier note froidement: «Comme dit précédemment déjà, il s'agit de personnes fuyant leur pays pour se soustraire à la domination et à la vindicte des Allemands»60. Le 17 août, c'est le refoulement brutal de 9 juifs de Bruxelles par le poste de Brenets-route, que nous décrivons plus loin et dont seront victimes Sura et Max-David Schmelc, venus d'Anderlecht avec leurs deux jeunes enfants, ainsi que la sœur adolescente de Sura, Rywka Kulczyk, 14 ans, tous assassinés à Auschwitz61. Dans la nuit du 1er au 2 septembre, le poste de Brenets-lac annonce le refoulement par le caporal Rittener, au lieu-dit Moron, d'un groupe de 11 juifs62. Le sous-officier les a fièrement «refoulés, ou empêché [sic] de pénétrer sur notre territoire, séance tenante». Alors qu'il y était tenu par les instructions, le valeureux sous-officier des gardes-frontière (qui a bien précisé son nom dans le rapport, ce qui est inhabituel) a négligé de prendre leur état civil, donnant pout excuse que «leur identité n'a pu être relevée» – de sorte que nous ne pouvons savoir, à ce jour, ni qui ils étaient, ni s'ils ont été déportés. Le 6 septembre, c'est un groupe de 10 juifs («deux hommes, trois femmes, une jeune fille, un jeune homme et trois enfants»), arrêtés par le poste du Saut-du-Doubs, qui sont refoulés. Le 7, le poste de Brenets-route refoule encore un jeune homme et une jeune fille.

II.4.4.3. Les points de passage des Montagnes neuchâteloises (3)

Le «nœud» de Morteau dessert aussi la chaîne des Montagnes neuchâteloises, une longue frontière émaillée par une série de petites douanes, entre le col des Roches et le nord des Verrières: Le Prévoux, Le Cerneux-Péquignot, Maix-Baillod (La Brévine), L'Ecrenaz, Le Bredot, Le Pré-Rollier. L'accès à cette zone se fait, de Morteau, par des villages proches de la frontière:

d'est en ouest, Grand'Combe-Châteleu, Les Gras, Montbenoit.

Cette zone exerce une certaine attraction: en effet, bien qu'elle soit assez montagneuse et parfois très difficile à passer, elle semble déserte, donc discrète, et permet de déboucher après quelques kilomètres de marche sur l'une des petites gares de la ligne de chemin de fer des Verrières à Neuchâtel, aux Bayards, à Boveresse ou à Travers. Mais ici, dès l'été 1942, la surveillance des gardes-frontière est particulièrement stricte et la tolérance, proche de zéro. Cela tient peut-être à la discipline de chefs de poste particulièrement zélés. La police est elle aussi active dans une large zone à l'intérieur du pays, notamment près des gares; à quoi s'ajoutent des patrouilles de gendarmerie d'armée, comme le montre le refoulement des Jurkowitsch et des Chapochnik, que nous relatons plus loin. Beaucoup de refoulements à l'issue tragique ont été opérés dans ce secteur.

Le 17 juin 1942, Manfred Alexander63, un jeune ingénieur allemand venu d'Anvers, sa fiancée et sa future belle-mère sont appréhendés peu avant minuit dans la ferme Drayer, au lieu-dit chez Blatzet, à la Côte-au-Cerf. Ils sont venus de Morteau par les Gras avec un passeur, ont très longuement marché en terrain dénivelé et sont dans un tel état d'épuisement que l'officier de secteur de la douane des Verrières juge qu'on ne peut pas leur infliger une nuit au poste de gardes-frontière «sans risques pour leur santé»; on les laisse donc dormir à la ferme, tout en les surveillant discrètement pour qu'il ne repartent pas avant qu'on ne les arrête en bonne et due

59 AF E 4264(-) 1985/196 dossier N 3804.

60 AF E 6358 (-) 1995/394 Zollkreisdirektion V, vol. 29, f° 2383.

61 Cf. infra III.2.3.1.3.

62 AF E 6358 (-) 1995/394 Zollkreisdirektion V, vol. 30, f° 2691; Rapport spécial du chef du poste de gardes-frontière Les Brenets-lac au chef du sous-secteur du Locle, 12 octobre 1942. AF E 6358 (-) 1995/394, carton 16.

63 AF E 4264(-) 1985/196 dossier N 3434. Cf. supra II.3.2.3.1.1.

forme… Ils sont les premiers juifs non hollandais à passer par la frontière neuchâteloise, et ils sont accueillis.

Plus tard, cette frontière devient beaucoup moins hospitalière: Rifka Bergmann64, 41 ans, est une mère de famille domiciliée à Anvers, où son mari travaille dans le commerce de diamants depuis 1923. Ce dernier a fui en juin 1942 en France non occupée avec leur fils de 14 ans, de peur de devoir partir au travail obligatoire. Restée avec sa fille de 12 ans, Rifka reçoit la convocation pour Malines pour le 6 août. Elle parvient à quitter aussitôt Anvers avec sa fille et à être à Morteau le 8 août. Le 10, elles passent la frontière près du Cerneux-Péquignot, mais sont aussitôt arrêtées par un garde frontière qui a vu les deux fugitives arriver de la ligne frontière «avec leurs valises»; elles sont refoulées une heure et demie plus tard en un autre endroit, dans un terrain boisé. Le douanier a noté: «Comme il s'agissait de ressortissantes Polonaises résidant en Belgique, j'ai reçu l'ordre du s[er]g[en]t-m[ajor] de les refouler sans autre». Le chef de poste a néanmoins signalé à son chef de sous-secteur qu'«elles étaient fortement déprimées». Sans doute, mais pas découragées! Elles repassent la frontière un peu plus loin et parviennent à gagner Zurich sans être interceptées.

Tous les passages ne se terminent pas aussi bien. Il y a eu 96 passages avérés par les Montagnes neuchâteloises, soit environ un quart du total. Or, 47 d'entre eux se sont soldés par le refoulement, soit plus de 50%; en août 1942, c'est même les trois quarts. La triste conséquence en est que onze des seize déportés que nous connaissons nominalement comme ayant été refoulés à la frontière neuchâteloise, l'ont été par un poste des Montagnes: quatre d'entre eux, faute de solution alternative, sont retournés en Belgique65, où ils ont été arrêtés par la suite; les sept autres ont été arrêtés immédiatement après leur refoulement.

Le refoulement le plus choquant est peut-être celui de Joséphine Jurkowitsch (ou Jurkiewicz ou Jurkovitch), 30 ans, de Bruxelles, qui fuit accompagnée de son fils Alain, né à Bruxelles-Etterbeek en juin 1936, donc âgé de 6 ans66. Les circonstances en sont éclairées par une série de documents67, aussi voulons-nous le relater en grand détail, pour sa valeur, hélas, exemplaire.

64 AF E 4264(-) 1985/196 dossier N 3778. Le mari et père, Rubin Bergmann, sera déporté du Lot-et-Garonne le 9 septembre 1942. Il a entretenu des liens étroits avec le rabbin Simon Fuks, aumônier du camp de Casseneuil. Cf.

FUKS, Un rabbin d'Alsace…, pp. 61-66. Le fils et frère, Saul-Manasse Bergmann, parviendra à rejoindre sa mère en Suisse par Genève, le 16 décembre 1942. AEG Justice et Police Ef/2-1011.

65 Louis Kleiner, né en 1899, de Bruxelles, refoulé à La Brévine le 10 août 1942, déporté dans le convoi XXI; Szaja et Paula Sztajnberg, de Bruxelles, refoulés au Prévoux le 11 août, déportés dans le convoi XX, évadés, repassés en

65 Louis Kleiner, né en 1899, de Bruxelles, refoulé à La Brévine le 10 août 1942, déporté dans le convoi XXI; Szaja et Paula Sztajnberg, de Bruxelles, refoulés au Prévoux le 11 août, déportés dans le convoi XX, évadés, repassés en