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LA FUITE DE HOLLANDE ET DE BELGIQUE VERS LA SUISSE

II.3. La fuite des juifs de Belgique

II.3.3. Des filières pour fuir

II.3.3.2. Les filières de la résistance

Au moment d'aborder les filières «de la résistance», il convient d'hésiter quelque peu quant à la distinction entre «privé» et «résistant», et ne pas tracer de frontières trop rigides entre les diverses aides vers lesquelles les juifs se tournent. En effet, les différents mondes de la clandestinité se touchent et s'interpénètrent. Et l'aide résistante n'est pas toujours gratuite, parce que la résistance a des frais.

La famille De Leeuw154 – le père de famille est un important négociant importateur de denrées alimentaires de Rotterdam – quitte la Hollande le 21 juillet 1942 pour Bruxelles, où le couple se procure «deux fausses cartes d'identité d'un nommé Bolle de Bruxelles, Hollandais» payées 6'000 francs belges. Ils fuient en direction de la frontière neuchâteloise, où ils sont refoulés début août; ils passent alors en zone libre avec un passeur payé 12'500 francs français, se rendent à Vallorcine et passent en Suisse par la montagne avec un autre passeur, payé 5'000 francs français. Filière interrompue, cassée par le refoulement, puis reconstruite sur un autre schéma. Filière «payante» de bout en bout.

Oui, mais le «Hollandais Bolle» est très probablement le résistant juif Maurits Bolle155, actif à Bruxelles. Son réseau œuvre principalement pour les Hollandais, notamment ceux qui fuient vers la France non occupée ou la Suisse, et son domicile à Ixelles est une étape sur le chemin de la fuite. Le témoignage d'Abraham De Leeuw nous apprend que l'aide résistante a un prix, notamment 6'000 francs pour deux fausses cartes d'identité. Contribution équitable, en l'occurrence, puisqu'il s'agit de fugitifs aisés et que les sommes récoltées par la résistance sont indispensables pour aider d'autres gens dans le besoin. D'ailleurs, rien n'est gratuit et les employés municipaux se font souvent payer pour établir les fausses cartes. Bolle dispose d'un réseau, mais est souvent à court d'argent.

D'autres fugitifs hollandais passés en Belgique ont sûrement eu recours aussi à l'aide de Maurits Bolle, sans que nous en soyons informés. Des témoignages autobiographiques évoquent parfois un passage avorté en Suisse, suivi d'une longue clandestinité en Belgique:

c'est le cas, par exemple, de Nico Hamme156, passé par Baarle-Nassau avec ses parents en juillet 1942 et arrivé chez Bolle, qui les case dans un village en attendant que le passage en Suisse devienne possible grâce à un passeur connu de lui; mais le passeur fait faux bond ou est arrêté, le départ n'a pas lieu, Bolle avise ses protégés que le seul moyen de rejoindre la Suisse est de partir seuls – et ils restent cachés en Belgique.

Il faut donc abandonner l'idée d'une distinction nette entre filières lucratives et filières bénévoles, distinction qui recouvrirait exactement celle entre filières privées et résistantes.

Certes, il y a des organisations privées qui font du passage en Suisse un commerce extrêmement lucratif, choisissant avec soin les fugitifs les plus aisés. Mais la résistance aussi a besoin de très fortes sommes, parce que la fuite, comme la planque, a un prix et que les prix

154 AF E 4264(-) 1985/196 dossier N 3804; AF E 6358 (-) 1995/394 Zollkreisdirektion V, vol. 29, f° 2453.

155 Maurits Bolle, né en 1890, membre de la résistance néerlandaise en Belgique, de tendance plutôt communiste, fait partie de la «commission d'action spéciale» du Comité de défense des juifs. Il travaille notamment sous les pseudonymes «Maurice», «Albert» ou «Monsieur Marius» et s'occupe de procurer des caches et de faciliter le départ de juifs, notamment de ses compatriotes néerlandais. Il travaille en contact avec le pasteur A.G.B. Ten Kate, de la communauté évangélique néerlandaise de Bruxelles. Le réseau Ten Kate/ Bolle est en contact avec la Dutch-Paris Line de Jean Weidner. Selon le chef du CDJ, Ghert Jospa, Bolle a aussi participé à la préparation de l'attaque du XXe convoi Malines-Auschwitz. Arrêté le 13 juillet 1943, il n'a pas été déporté et a témoigné après la guerre. Cf. STEINBERG, La Traque…, I, p. 180-181 et passim.

156 Cf. http:// dossier-bassines.nl

sont élevés parce que les risques sont élevés. Les résistants ne peuvent tout faire eux-mêmes et ont recours au «marché» pour les faux papiers d'identité comme pour les passeurs locaux à la frontière.

La différence effective entre filières privées et filières de la résistance réside alors peut-être ailleurs. Les premières vendent un service, à l'instar d'une entreprise commerciale ordinaire;

les secondes mutualisent les contributions des aisés et des nécessiteux pour assurer le même service à tous157.

II.3.3.2.1. La résistance sioniste et la fuite de Belgique

A partir d'août 1942 et durant toute l'année 1943, les fugitifs qui arrivent directement de Belgique à la frontière helvétique nord sont de plus en plus fréquemment des jeunes gens entre 15 et 22 ans, garçons et filles. Sur la frontière du Jura bernois, zone principale où l'on observe ce phénomène, ils sont 41 sur 74 passages de Belgique entre septembre et décembre 1942 (soit 55%), et 69 sur 74 pour l'année 1943 (soit 93%). La frontière jurassienne, en particulier l'Ajoie, semble être devenue le point de passage principal des filières utilisées par les organisations de jeunesse sionistes de Belgique pour exfiltrer une partie de leurs membres vers le havre suisse. Quelques-uns passent aussi par la frontière genevoise.

Comme en Hollande et en France à la même époque, les mouvements sionistes de Belgique s'unissent dès le début face à l'occupant, affirment avec fierté leur appartenance au judaïsme et organisent des manifestations de culture juive158. Ils sont d'emblée très actifs dans l'entraide sociale, ouvrent une école juive, puis organisent en février 1942 une hachsharah (formation agricole pour préparer à l'émigration en Palestine) à l'école d'agriculture de l'Abbaye de la Ramée à Bomal, dans le Brabant wallon. La hachsharah de Bomal est dirigée et semble en partie financée par l'industriel Benjamin Nykerk159, sioniste «général», actif dans les rangs des notables juifs légaux, mais aussi très vite devenu résistant et membre du comité du CDJ. Elle semble avoir accueilli deux volées de 60 jeunes, deux tiers provenant du Hashomer Hatzaïr (sioniste marxiste, le mouvement le plus nombreux) et un tiers du Bnei Akiva (sioniste religieux). Ils sont encadrés par des moniteurs dirigés par l'ingénieur agronome et futur célèbre volcanologue Haroun Tazieff, qui n'est pas juif, et qui entrera peu après dans la résistance belge.

Le mouvement sioniste cesse d'exister officiellement dès que la déportation se déclenche, et devient clandestin. L'école de Bomal se vide, tout en fonctionnant encore jusqu'au début de 1943. Concrètement, les jeunes militants se dispersent dans le grand Bruxelles, mais continuent à se rencontrer clandestinement. Quelques-uns d'entre eux entrent dans la Résistance; les mouvements communistes ne les acceptent qu'individuellement. La majorité, surtout les membres du Hashomer Hatzaïr et du Bnei Akiva, fidèles à l'idée sioniste, ne désirent pas prioritairement adhérer à la Résistance, ce qui les force à rester dans la diaspora;

ils veulent plutôt tenter de passer le plus rapidement possible en Palestine (britannique) et pensent, à tort, que cela peut, entre autres, se faire via la Suisse.

La manœuvre est en outre favorisée et aidée par le représentant en Suisse de la centrale mondiale du Hehaloutz (mouvement des jeunes pionniers), Nathan Schwalb160, qui siège à

157 Pierre Broder, du CDJ de Charleroi dira, après la guerre, que sa section ne faisait pas payer les faux papiers d'identité, sauf «aux juifs aisés ou riches», ce qui lui permettait de couvrir les frais d'impression et de renflouer la caisse d'aide aux familles nécessiteuses. STEINBERG, La Traque…, I, p. 186. De manière tout à fait analogue, l'abbé Glasberg, à Lyon, applique cette règle de fonctionnement à ses Centres d'accueil pour ex-internés, où il place un résident désargenté pour deux résidents ayant la capacité de payer leur pension.

158 Sur cette brève présentation des mouvements sionistes en Belgique, cf. MICHMAN, Dan, «The Belgian Zionist Youth Movements During Nazi Occupation», in MICHMAN (dir.), Belgium and the Holocaust…, pp.

373 sqq.

159 Sur Benjamin (Benno) Nykerk, v. infra, II.3.3.2.2.1.

160 Nathan Schwalb (1908-2004), né en Galicie austro-hongroise, émigré en Palestine en 1929 après des études à Lwow, devient citoyen britannique (palestinien), membre du kibboutz Hulda, délégué du syndicat juif

Histadrouth et du mouvement des pionniers Hehaloutz. Venu à Genève comme émissaire des autorités juives de Palestine et délégué au 21e Congrès sioniste qui s'ouvre le 17 août 1939, il reste en Suisse durant toute la guerre.

Il occupe à Genève la fonction de secrétaire de la Weltzentrale Hechaluz, rétribué par l'Agence juive et chargé de la formation des jeunes. Il est, à Genève, au cœur de multiples actions d'aide et de sauvetage, encore peu

connues.

Genève, où il est en contact tant avec le Congrès juif mondial qu'avec le Joint de Saly Mayer et le mouvement sioniste de Suisse. Profitant de sa position centrale dans la Suisse neutre – bien qu'il n'ait reçu aucune mission bien définie durant toute la guerre – Schwalb a travaillé dès 1940 à renforcer des liens de personne à personne avec les leaders des différents mouvements sionistes, de manière à maintenir quelque peu l'unité de la sphère juive, notamment en Belgique. Il est en contact, en particulier, avec Henri (Hersz) Bibrowski, employé à la synagogue de Bruxelles et responsable du mouvement Dror (l'aile droite du mouvement socialiste Poalei Zion); avec Abraham Wolsztain, étudiant en pharmacie et responsable du mouvement social-démocrate Gordonia; et avec David «Dougy» Donner, responsable du Hashomer Hatzaïr. La grande déportation de l'été 1942 porte des coups sévères à ce réseau, et les liens entre la centrale genevoise et les sionistes restés en Belgique se détendent, sans s'interrompre complètement. Le courrier fonctionne malgré la censure, les lettres mettant seulement cinq jours pour passer de Suisse en Belgique. Les messages sont codés, utilisant beaucoup de termes hébraïques, comme dans toute les correspondances des organisations juives clandestines. Il y a parfois de longues interruptions et le contact ne semble se régulariser qu'en juin 1943. Nathan Schwalb est aussi en liaison avec Abusz Werber, représentant des sionistes socialistes de gauche (Linke Poalei Zion) au CDJ, et reçoit par lui de l'information sur la situation des juifs clandestins en Belgique, qu'il aide par des envois de paquets; de l'argent du Joint a aussi passé de Suisse en Belgique par les réseaux de Schwalb.

Entre-temps, un certain nombre des membres de ces mouvements passent en Suisse, et non des moindres: ce sont souvent des responsables comme Donner et Wolsztain, qui choisissent de rejoindre Schwalb en Suisse pour tenter de maintenir le mouvement vivant – et ses membres en vie161.

Y a-t-il eu dans les mouvements sionistes belges une véritable organisation de fuite en Suisse, comme celle du Mouvement de la jeunesse sioniste de France (bien sûr situé plus près de la Suisse)? La question mérite d'être posée. Michman affirme que non: ce ne sont pas les mouvements sionistes qui ont organisé officiellement le départ de leurs jeunes membres vers la Suisse et, selon lui, ce n'était même pas leur priorité. Pourtant, d'autres chercheurs, auxquels nous ajoutons notre contribution, pensent que l'option «suisse» a eu une certaine importance pour le sionisme belge, en tout cas davantage qu'en Hollande.

La correspondance de Nathan Schwalb avec Saly Mayer, représentant en Suisse du Joint pour l'Europe, met en lumière ces efforts: il est prévu d'exfiltrer vers les pays neutres des adolescents et jeunes adultes appartenant aux milieux sionistes de Belgique et de Hollande (ceux de ces derniers qui sont déjà passés en Belgique)162, mais pas des enfants. Pour les enfants, le seul mode de sauvetage choisi – et qui sera partiellement financé par le Joint via Saly Mayer163 – est de leur trouver des cachettes sûres en Belgique même, un mode de faire qui sera couronné de succès, même pour ceux qui ont été «bloqués» dans des homes surveillés par les Allemands.

Pourtant, il y a eu davantage, comme nous le verrons plus loin.

Après le départ en Suisse de Donner et de Wolsztain, le principal «recruteur» pour la filière sioniste semble avoir été, selon Maxime Steinberg, le troisième correspondant de Schwalb à Bruxelles, Henri (Szic-Hersz) Bibrowski, qui réceptionnait aussi les colis de nourriture et l'argent venus de Suisse pour les jeunes «pionniers». C'est cependant compter sans la jeunesse belge du Hehaloutz. Steinberg affirme que celle-ci était réduite à une trentaine de membres (alors qu'elle avait 215 membres répertoriés en 1940, sans compter les adhérents des

161 Cf. WAGMAN-ESHKOLI, Hava, «The Contacts Between the World Hechaluz Center in Geneva and the Zionist-Pioneering Underground in Belgium», in MICHMAN (dir.), Belgium and the Holocaust, pp. 397 sqq;

STEINBERG, La Traque…, I, pp. 196-197, qui évoque ces départs, mais ne fournit pas beaucoup d'information à leur sujet.

162 Nathan Schwalb à Saly Mayer, 17 novembre 1943. AfZ fonds Saly Mayer (AJDC) / microfilm 10.

163 L'histoire du financement par le Joint et Saly Mayer du Comité de Défense des Juifs, notamment son action pour entretenir les 5'000 adultes et 2'000 enfants cachés en Belgique, peut être reconstruite à l'aide du fonds Saly Mayer (AfZ fonds Saly Mayer (AJDC)/ microfilm 10). L'homme de contact a été Benjamin Nykerk, cf. infra II.3.3.2.2.1.

mouvements sionistes religieux), mais qu'elle continuait à se rencontrer le dimanche dans les bois environnant Bruxelles, où l'on pouvait parler librement, semble-t-il, sans craindre la traque. Un témoin interrogé par Maxime Steinberg se rappelle avec émotion ces dimanches comme «de joyeux moments de rencontre»164. L'arrivée en Suisse de nombreux jeunes de Belgique, âgés de 15 à 23 ans, des deux sexes, prouve que le mouvement d'autodéfense articulé autour de la jeunesse sioniste était plus important que cela.

Selon les souvenirs de Heini Bornstein, alors membre de la section suisse du Hashomer Hatzaïr, un groupe de douze jeunes sionistes belges aurait passé en Suisse en juillet 1942 déjà, suivi par d'autres, environ quatre-vingts au total165. Ces indications ne sont pas vérifiables telles quelles dans les archives: il n'y a aucune arrivée de ce type en juillet.

D'ailleurs, dans le même passage de ses souvenirs, Bornstein situe le démarrage de l'action de fuite en Suisse après le meurtre du responsable juif de la mise au travail à Bruxelles, Robert Holzinger, par un commando de partisans juifs, un assassinat politique qui a eu lieu le 29 août. Les indications du militant suisse sont donc à prendre avec prudence; il se souvient surtout assez nettement du travail de ses camarades suisses pour assister leurs camarades réfugiés.

Heini Bornstein nous confirme néanmoins que les mouvements sionistes belges, au moment où démarrent les rafles et la déportation, n'envoient pas en Suisse d'enfants ni de jeunes adolescents, mais essaient de placer ceux-ci dans des cachettes en Belgique. Ceux qui viennent sont donc des adultes, ou considérés comme tels. Il nous dit aussi que l'action est coordonnée avec les sionistes suisses, lesquels recrutent eux-mêmes des passeurs locaux de frontière, en particulier, selon lui, dans la région du Locle; il serait plus juste de parler du Jura bernois.

Il est difficile de repérer dans les archives, à cette période, de véritables groupes de jeunes adultes venus de Belgique qui pourraient être des militants sionistes. Mais l'arrivée de

«Dougy» Donner166, accompagné de sa jeune épouse, est bien attestée le 25 septembre 1942, par la frontière genevoise. Abraham Wolsztain167 passe dans les Franches-Montagnes le 29 août déjà, avec trois camarades, dont Siegbert Daniel168, étudiant à la hachsharah de Bomal, et un écolier que les plus âgés ont, selon toute évidence, été chargés d'accompagner en Suisse.

Tous déclarent avoir reçu la convocation pour Malines. Ils ont trouvé, à Maîche, un passeur,

«Monsieur Jean», qui leur a demandé 2'000 francs français (par personne?) pour les passer à travers le Doubs, au lieu-dit Les Charbonnières. Ce prix très raisonnable indique que le passeur a dû être recruté par les militants sionistes belges ou suisses. Mais, sauf l'adolescent de 14 ans, tous sont refoulés, à la vue de soldats allemands qui braquent leurs fusils sur eux.

Qu'à cela ne tienne: ils repassent aussitôt sur sol suisse, se cachent dans la montagne, passent la nuit dans une grotte et gagnent Neuchâtel le lendemain. Daniel a moins de chance que ses deux collègues, il est refoulé une seconde fois après quelques jours de prison à Neuchâtel. Il rentre en Belgique et repasse cette fois avec succès en Suisse le 29 septembre, mais pas seul: à nouveau, il accompagne un enfant de 13 ans. Il témoignera d'ailleurs en 1998, devant la commission Bergier, qu'il est retourné plusieurs fois en Belgique pour aller y chercher des réfugiés169.

Il n'est pas le seul jeune sioniste à participer de cette manière à une filière informelle, visant – sans qu'il y ait de véritable organisation, mais simplement des contacts privés – à mettre des enfants et très jeunes adolescents à l'abri. Louis-Elie Hermelin170, 19 ans en 1942, étudiant et

164 STEINBERG, La Traque…, I, p. 196.

165 Heini BORNSTEIN, Insel Schweiz…, p. 102 et passim.

166 AF E 4264(-) 1985/196 dossier N 4984.

167 AF E 4264(-) 1985/196 dossier N 3912.

168 AF E 4264(-) 1985/196 dossier N 5333; Siegbert Daniel (1920-1999), ex-Allemand, né à Pleschen dans le district de Poznan (Pologne), fait ses études secondaires à Berlin, puis émigre en Belgique en juillet 1939, où il s'investit dans le mouvement sioniste. Soupçonné de politique anti-nazie, il est interné en 1941 au fort de Breendonk pendant six semaines. Il reçoit la convocation pour Malines au 28 août 1942 et quitte Bruxelles peu avant. Après son passage réussi en Suisse, il sera engagé en mars 1943 comme moniteur au home de l'Aliyah de la jeunesse à Pont-Céard et sera extrêmement actif dans l'aide au passage clandestin en Suisse. Il passera pour cela devant le Tribunal militaire. Ses parents et son frère sont restés à Berlin. Ses archives privées sont déposées à l'Archiv für Zeitgeschichte à Zurich, avec des restrictions sur la publication.

169 CIE, La Suisse et les réfugiés…, p. 123.

170 AF E 4264(-) 1985/196 dossier N 7276; SPIRA, La frontière jurassienne…, pp. 202-205; EILON, Eliahou [Louis Hermelin], Souvenirs en porte-à-faux – Une histoire d'Israël, Paris, L'Harmattan, 1997; son témoignage dans NEWMAN, Swiss Wartime Work Camps…, pp. 41-47.

membre actif de la Gordonia, qui ne réussira à passer en Suisse qu'à sa sixième tentative, raconte dans ses souvenirs qu'il a, lui aussi, convoyé deux enfants de 15 et 7 ans en Suisse fin octobre 1942, ayant accepté de faire le passeur «pour ne pas coûter trop cher à la Gordonia».

(Il avait déjà accompagné précédemment trois jeunes de 17 ans). L'argent versé par les parents payait en effet une partie des frais du passeur, pour le plus grand bénéfice de toute l'action. Il est probable que des parents, même éloignés de la mouvance sioniste, aient approché ces mouvements pour faire passer en Suisse leurs enfants. Henry Spira a retracé plusieurs de ces parcours, dont son père Armand Spira, industriel à Porrentruy, a été l'un des protagonistes, puisqu'il recevait chez lui ces jeunes fugitifs, avant de veiller à les exfiltrer discrètement vers le cœur de la Suisse. (Auparavant, ils étaient reçus par des fermiers suisses complices de cette filière, notamment à la Queue-au-Loup, dans un angle de la frontière à l'ouest de Boncourt)171. On devine que les jeunes militants responsables, eux-mêmes traqués et à la recherche d'une solution de survie, se font passeurs pour des familles angoissées qui cherchent à mettre leurs enfants en sécurité.

Le nombre d'adolescents et de jeunes adultes arrivés «seuls» de Belgique entre septembre 1942 et décembre 1943 (date à laquelle cette filière s'arrête tout à fait) est frappant, d'autant qu'ils sont presque les seuls à emprunter cette voie. Il est possible que le chiffre avancé par Bornstein, à savoir 80 jeunes sionistes (connus comme tels) passés en Suisse, soit exact. Nous avons compté environ 120 jeunes de Belgique passés par le Jura bernois, sans inclure les arrivées par Genève ni quelques passages par le Jura neuchâtelois.

La filière a des marges floues. Certains fugitifs semblent avoir utilisé les mêmes adresses, relais et points de chute que les jeunes sionistes, sans appartenir à proprement parler à la

La filière a des marges floues. Certains fugitifs semblent avoir utilisé les mêmes adresses, relais et points de chute que les jeunes sionistes, sans appartenir à proprement parler à la