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LA FUITE DE HOLLANDE ET DE BELGIQUE VERS LA SUISSE

II.3. La fuite des juifs de Belgique

II.3.2. La péjoration de la situation des juifs en Belgique et les motifs de départ

II.3.2.3. Le calendrier de la déportation

Le calendrier de la déportation des juifs de Belgique (25'126 personnes44) a une spécificité qui le distingue fortement du calendrier hollandais comme du calendrier français, une spécificité qui trouve son écho dans le calendrier de la fuite vers la Suisse: l'essentiel de la déportation se fait en cent jours, entre la fin de juillet et la fin d'octobre 1942.

Les dix premiers convois, constitués à Malines entre le 27 juillet et le 15 septembre 1942, rassemblent 10'040 déportés, soit le contingent exigé par le RSHA lors de sa séance du 11 juin à Berlin, au bureau d'Eichmann45. Sept autres convois sont constitués entre le 16 septembre et le 31 octobre 1942, qui rassemblent encore 6'585 déportés.

Au total, 16'625 juifs sont déportés de Belgique durant ces cent jours, dont 4'023 ont obéi à une convocation de «mise au travail», 4'715 ont été raflés en Belgique (quatre grandes rafles à Anvers et une à Bruxelles), 514 ont été raflés dans le Nord – Pas-de-Calais, 5'781 ont été arrêtés individuellement, et 1'592 sont des travailleurs forcés directement transbordés des camps Todt à Malines puis à Auschwitz46. L'obéissance aux convocations distribuées par l'AJB n'entraîne qu'un quart à peine de ces déportations des cent premiers jours, et c'est bien par la force (rafles sur une grande échelle, arrestation des travailleurs forcés et arrestations individuelles) que les trois quarts des déportés sont pris. L'insoumission, par ailleurs, va croissant.

Le reste de la déportation des juifs de Belgique s'étendra sur vingt et un mois, de novembre 1942 à juillet 1944, mais ne rassemblera plus que 8'283 victimes. Hormis le millier de victimes de nationalité belge raflées dans la nuit du 3 au 4 septembre 1943 dans le cadre de l'opération «Iltis», il s'agit de personnes traquées, souvent dénoncées, et arrêtées individuellement.

II.3.2.3.1. Le premier coup: la déportation au travail obligatoire

Comme en Hollande, la déportation des juifs commence en Belgique par une vraie déportation au travail forcé47, dans le cadre d'un décret du 3 mars 1942. Cet envoi au travail obligatoire, qui n'est pas encore la déportation générale, va brouiller la perception que les juifs ont de leur sort; mais sans doute moins qu'on ne l'a pensé, comme le montrent les interrogatoires des fugitifs qui ont pu quitter la Belgique à ce moment.

Cette déportation au travail est l'œuvre du commandement militaire allemand, qui a besoin des juifs pour ses travaux, et qui y affecte, du 13 juin au 3 août 1942, 2'252 juifs (dont 115 nationaux belges), choisis parmi les chômeurs. Ces derniers sont en effet très nombreux, la répression économique ayant détruit leurs possibilités normales de travail. Certains sont envoyés au camp de Masures dans les Ardennes, mais la plupart d'entre eux partent vers les camps de l'organisation Todt situés dans le Nord et le Pas-de-Calais.

Le mode de fonctionnement de ce départ au travail obligatoire ressemble à celui du futur STO français. L'intéressé reçoit une convocation pour une visite médicale – au cours de laquelle pratiquement tous, selon nos témoignages, sont déclarés aptes; puis il doit se présenter au bureau de l'organisation Todt, ce qui lui laisse un peu de temps pour s'enfuir s'il décide d'être réfractaire.

43 Rapport d'activité n°20, pour la période du 15 mars au 1er juin 1942, daté du 15 juin 1942, cité dans Steinberg, La Question juive…, p. 29, note 10.

44 Et 351 tsiganes.

45 Cf. supra II.2.3.2.

46 Chiffres selon STEINBERG & SCHRAM, Malines-Auschwitz, p. 141.

47 Cf. STEINBERG, Les Cent jours de la déportation…, pp. 141 sqq; p. 155.

Les travailleurs forcés qui ont répondu à la convocation sont acheminés en sept convois vers les camps de Boulogne, Dannes-Camiers, Condette, Peuplinges, Sangatte, Samer, Calais, Etaples, Hardelot-plage et le Touquet. Ces convois partent d'Anvers les 13 juin, 14 juillet, 15 août et 12 septembre 1942; de Bruxelles le 26 juin; de Charleroi le 31 juillet; et de Liège le 3 août. De ces camps, on s'évade parfois: y aura 196 évasions réussies, soit 8%.

En réalité, les deux actions de déportation des juifs de Belgique, à savoir celle de l'administration militaire vers les camps de travail obligatoire et celle du RSHA vers les camps d'extermination, se chevauchent. Lorsque, le 12 septembre 1942, le dernier convoi de travailleurs forcés part d'Anvers vers le Nord de la France, neuf convois de 1'000 personnes chacun (à quelques unités près), rassemblés sous couvert de «mise au travail» et sans lieu de destination, sont déjà partis depuis le 4 août du camp de rassemblement de Malines vers Auschwitz, vers la destruction planifiée. La différence réside dans le fait que les travailleurs forcés sont tous des hommes, alors que les convois de Malines mêlent hommes, femmes, enfants et vieillards.

Les convois de juifs menés à travers les rues des quatre grandes villes jusqu'à leurs gares, pour les embarquer vers les camps Todt, excitent la pitié et la réprobation publique; les nazis éviteront cette publicité en faisant partir les 28 convois destinés à «l'Est» de la gare de Malines, théâtre plus discret pour une telle opération. Mais le soupçon pèse d'emblée aussi sur le travail obligatoire. Les organisations de résistance ne croient pas à la destination officielle de ces convois, pourtant momentanément bien réelle: selon la Libre Belgique ressuscitée en 1940 clandestine, ces convois seraient dirigés en fait vers des mines de sel en Pologne ou vers des usines de tissage en Silésie allemande, moins vraisemblablement vers les travaux de fortification du Nord de la France. Une rumeur fausse (Steinberg pense que c'est le souvenir de la mise au travail forcé des Belges durant la Première Guerre mondiale qui a suggéré ce déchiffrage des intentions des Allemands, assimilés aux «Boches de 14») anticipe sur une vérité masquée, le mensonge qui couvre la déportation générale. Les interrogatoires de nos témoins indiquent pourtant aussi, parmi des causes hybrides et mêlées, une autre origine de l'inquiétude: leur savoir sur la déportation des juifs d'Allemagne vers divers territoires de l'Est sous contrôle allemand.

En fin de compte, la rumeur menaçante sur ces envois au travail obligatoire va s'avérer. Après avoir «servi» pendant quelques semaines dans les camps Todt – ils sont payés par quinzaine – , ces travailleurs juifs, 1'833 au total, sont ramenés au camp de Malines et versés dans les convois de déportation à Auschwitz. La plupart sont transférés du Nord – Pas-de-Calais à Malines sans même changer de wagon et agrégés au double convoi XVI-XVII, qui part le 31 octobre 194248. La décision de les déporter à Auschwitz a été prise le 25 septembre. Alertés, insoumis, sans même savoir ce qui les attend en réalité, nombre d'entre eux (241) s'évadent sur le trajet belge de la déportation vers l'Est, quelques-uns déjà avant leur arrivée à Malines.

II.3.2.3.1.1. Le travail obligatoire: qu'en disent les juifs arrivés en Suisse?

362 juifs passent en Suisse (ou se présentent à sa frontière), qui réussissent à fuir la Belgique entre le 1er janvier et le 22 juillet 1942, c'est-à-dire la période où la pression augmente sur les individus, en particulier à cause de la convocation au travail obligatoire. Pour beaucoup d'entre eux, la fuite, à ce moment, obéit encore aux mêmes mobiles qu'en 1941: ils fuient l'aggravation persistante de leur situation économique et sociale; pas encore, semble-t-il, une menace perçue comme individuelle et dirigée contre leur vie.

Pourtant, un certain nombre d'entre eux fuient expressément la réquisition au travail obligatoire, qui commence par une convocation à un examen médical. Le délai pour se présenter à cet examen est raisonnable et laisse le temps d'organiser une fuite: 12 jours selon le jeune apprenti typographe Paul Rozenberg49, qui quitte Saint-Gilles-lès-Bruxelles le 24 juillet, étant convoqué pour le 27. Beaucoup des convoqués fuient directement en Suisse, tandis que certains fuient en France, pensant échapper ainsi à la réquisition. Jean Boeklandt50,

48 Notamment, 238 travailleurs forcés font partie du convoi XV, parti le 24 octobre; 752 du convoi XVI et 562 du convoi XVII, partis tous deux le 31 octobre, réunis en un seul convoi. Il y a 241 évasions dans ce double convoi. Cf. Mémorial de la déportation des juifs de Belgique, p. 27-29.

49 AF E 4264(-) 1985/196 dossier N 3680.

50 AEG Justice et Police Ef/2-carton 098 (B-13).

Belge, demi-juif par sa mère, cartonnier, quitte la Belgique avec un camarade juif et un camarade catholique en mai 1942, peu après le début de la réquisition générale au travail obligatoire; ils se rendent à Nice. De là, les deux juifs fuiront le 24 septembre vers la Suisse, craignant à nouveau la «déportation des étrangers pour travailler en Allemagne»; la menace semble donc interprétée comme une véritable mise au travail.

Certains témoignages sont détaillés. Peter Bloch51, 20 ans, est un Allemand réfugié à Bruxelles avec ses parents depuis 1939, étudiant en lettres. Il déclare avoir été averti en mai 1942 par la Communauté juive de Bruxelles qu'il risquait d'être déporté «pour travaux forcés dans les régions bombardées de France septentrionale». Il attend le plus longtemps possible avec ses parents, puis, voyant que des centaines de jeunes sont déportés, décide de fuir; son état physique, dit-il, ne lui permet pas de faire de gros travaux. Le 28 juin 1942, muni d'une fausse carte d'identité belge, il quitte Bruxelles et passe en Suisse le 11 juillet par le Jura bernois. Il ne semble pas faire de doutes, pour ce jeune étudiant, que les juifs sont déportés pour accomplir des travaux forcés pénibles pour l'occupant. Son information vient probablement de l'AJB.

Les femmes aussi se méfient de la réquisition au travail obligatoire, prononcée par décret pour toute la Belgique: Augusta Helsinger52, Polonaise, ouvrière bobineuse à Anvers où elle réside depuis 1921, mais souvent sans travail «en raison de sa confession» – donc menacée en tant que chômeuse –, déclare que «depuis quelque temps, on parle beaucoup du travail obligatoire en Belgique pour les jeunes filles». Elle décide alors de tenter l'émigration en Palestine en passant par la Suisse, quitte Anvers le 15 juillet 1942 et franchit la frontière suisse le 30.

D'autres témoins insistent davantage sur le caractère de «déportation» que revêt cette réquisition au travail obligatoire. Ils semblent néanmoins ignorer le lieu où ils doivent être envoyés et le sort exact qui les attend: Mendel Goldeberg53, Polonais, ouvrier maroquinier qualifié à Bruxelles où il a immigré en 1931, a pu y travailler dans son métier jusqu'en juin 1942. A cette date, «les lois antisémites se précipitèrent et entre autres le service du travail obligatoire ou autrement dit la déportation». Convoqué le 20 juillet, il décide de partir en hâte, avec une fausse pièce d'identité donnée par un de ses camarades, sur laquelle il a simplement changé la photo. Arrivé en Suisse le 30 juillet, il déclare qu'il serait immédiatement fusillé s'il devait être refoulé en Belgique.

Pourtant, certains qui partent à ce moment croient savoir exactement où ils doivent en réalité être déportés: Salomon Albert54, Belge, fondé de pouvoir d'une firme de cartonnages à Bruxelles qui a été liquidée par l'occupant au printemps 1942, part avec sa femme le 23 juin, muni de faux papiers portant le tampon de la mairie de Schaerbeek – donc obtenus grâce à une complicité résistante. Il part «avec la ferme résolution de gagner le territoire suisse» (où il arrive le 11 juillet), car les Allemands «déportent les israélites dans la région de Calais - Boulogne pour être ensuite dirigés sur la Pologne». D'où tient-il cette information? Son dossier révèle ses liens avec les milieux sionistes, dont il connaît les représentants en Suisse (Nathan Schwalb). Est-ce par ces milieux, mieux informés que le gros de la population juive, ou est-ce par la presse clandestine, ou encore par les rumeurs provenant des milieux de réfugiés allemands? Alors qu'il arrive en Suisse plus de dix jours avant l'envoi de la première convocation mensongère pour la «mise au travail» à l'«Est», il semble savoir que la destination effective des déportés, même ceux envoyés au travail obligatoire, est la Pologne.

France ou Pologne? Les frères hollandais Elie et Samuel Noach55, l'un commerçant, l'autre traducteur, tous deux mariés et pères de famille, fuient ensemble de Bruxelles avec toute leur famille le 13 juillet vers Lyon. L'un a reçu une convocation «pour être transporté à l'Est», l'autre, une convocation «pour le service obligatoire du travail en France du Nord». Mais les deux destinations semblent interchangeables: ce qui est sûr, c'est qu'il faut tâcher d'éviter l'une et l'autre. Dans un second temps, ils repartiront de Lyon vers la Suisse le 15 septembre.

51 AF E 4264(-) 1985/196 dossier N 3532.

52 AF E 4264(-) 1985/196 dossier N 3673.

53 AF E 4264(-) 1985/196 dossier N 3673.

54 AF E 4264(-) 1985/196 dossier N 3529.

55 AEG Justice et Police Ef/2 carton 101 (N-11).

Les deux destinations paraissent également menaçantes et la réalité du travail forcé n'est pas crédible pour certains de nos témoins. Philippe Casoetto56, 48 ans, de nationalité hollandaise, photographe à Anvers, travaille pour la firme Gevaert. Son employeur, ne pouvant à cause des mesures allemandes le garder comme démonstrateur, l'a placé comme laborantin chez un photographe du commerce; il a donc, en principe, de quoi vivre. Mais il a dû passer, au début de juillet, une visite sanitaire qui lui a inspiré la plus grande méfiance. Les candidats étaient inspectés par un médecin flamand désigné par les Allemands. Tout le monde a été déclaré apte, «même un tuberculeux». Casoetto se doute aussitôt que c'est un examen «bidon» et s'enfuit le 24 juillet «pour éviter d'être déporté dans un camp de travail en France occupée ou en Pologne». Il fuit seul, apparemment sans aide, et passe la frontière suisse le 28 juillet. Nous le retrouverons.

D'autres partants expriment en termes clairs ce que signifie, selon eux, la déportation en Pologne: Jonas Witteboon57, 50 ans, Hollandais, diamantaire à son compte à la Bourse des diamants d'Anvers depuis 1923, a quatre enfants dont trois ont déjà émigré. Il va emmener avec lui sa femme et sa dernière fille de 18 ans, accompagnée de son fiancé. Ils partent le 2 août avec une filière lucrative. A son arrivée, huit jours plus tard, il déclare que les convocations pour un travail obligatoire (Landesdienst) pleuvent depuis plus de six semaines (soit bien avant le 22 juillet) sur les jeunes juifs hollandais, sur les filles comme sur les garçons, et aussi sur des gens de 40 à 50 ans. Une amie de sa fille est partie et il redoute maintenant la déportation pour elle aussi, ce qui le décide à fuir. Or, dit-il, «nous savons par expérience que les personnes convoquées, qui sont dans la plupart des cas déportées en Pologne, ne reviennent plus»58. Cette déclaration témoigne bien de l'amalgame qui se fait entre la déportation au travail obligatoire et la déportation vers l'Est. Il est possible aussi que la famille Witteboon, étant hollandaise, ait eu des nouvelles des Pays-Bas, où la déportation générale a bien commencé cinq semaines avant son arrivée.

Ce qui est frappant dans ces témoignages, comme dans ceux des réfugiés hollandais, c'est que la conclusion, fondée sur des prémisses tantôt erronées, tantôt inconnues ou hypothétiques, est, elle, parfaitement juste: ceux qui sont déportés en Pologne ne reviennent pas.

Tout aussi frappante est la précocité de ces affirmations, dont certaines sont faites à une date où la déportation générale de Belgique (et même de Hollande voisine) n'a pas commencé.

C'est donc qu'il y a probablement un autre élément amalgamé dans l'«expérience» d'un Jonas Witteboon et de tous ceux qui ressentent la menace de la même manière que lui. Cet élément ne peut être que le funeste pressentiment du sort dramatique et inexplicable des juifs qui depuis longtemps – au moins depuis octobre 1941 – ont été déportés d'Allemagne en Pologne et n'ont plus donné signe de vie. Ces pressentiments, assez forts pour induire une fuite extrêmement risquée – et dans laquelle de très nombreux fugitifs de Hollande et de Belgique laisseront leur vie après avoir été arrêtés et déportés – montrent que la politique nazie du mensonge et du secret n'avait en réalité aucune prise sur l'angoisse ressentie. Cette angoisse s'est souvent révélée lucide – du moins lorsque les intéressés osaient s'avouer la vraie nature de leur peur.

Nous avons des preuves que l'information sur la déportations des juifs d'Allemagne vers la Pologne est rapidement arrivée en Belgique et en Hollande. Elle est venue avec des juifs allemands ayant échappé de peu à la déportation à Minsk, Riga ou Izbica, ou dont la famille y a été déportée. Ainsi, Manfred Alexander59, un jeune ingénieur technicien juif du Baustab Speer à Berlin, a été déporté à la fin de 1941 «en Russie» (sic pour Biélorussie, à ce moment Reichskommissariat Ostland) avec ses parents, qui sont restés au camp de Minsk, et y périront. Lui-même a pu s'évader, rentrer en Allemagne puis passer en Belgique, à Anvers, en janvier 1942 avec sa fiancée et la mère de celle-ci. Puis, de Belgique, tous devaient «être déportés en Pologne». Ils fuient le 11 juin 1942 vers la Suisse dans la peur de cette nouvelle déportation, «car en Allemagne la vie des juifs est intenable» et passent en Suisse le 17 juin –

56 AF E 4264(-) 1985/196 dossier N 3666.

57 AF E 4264(-) 1985/196 dossier N 3807.

58 «Aus Erfahrung wissen wir, dass die Aufgebotenen und meistens nach Polen Deportierten nicht mehr zurückkehren».

59 AF E 4264(-) 1985/196 dossier N 3434.

quasi les premiers citoyens du Reich à le faire par la frontière nord. En qualifiant la situation en «Allemagne» d'intenable, le jeune ingénieur témoigne à la fois pour sa patrie, Berlin, pour les territoires sous domination allemande et pour la Belgique nazifiée.

II.3.2.3.2. Le deuxième coup: le simulacre de «mise au travail» et le rassemblement pour la déportation

La déportation générale des juifs de Belgique, réalisée par les «services compétents du Reich» (le service IVB4 du RSHA, dirigé par Adolf Eichmann) doit acheminer 10'000 juifs à Auschwitz avant le 3 septembre 1942, conformément au contingent fixé à Berlin le 11 juin et confirmé le 22. Son planning se chevauche avec celui de l'administration militaire pour la déportation au travail forcé, créant, on l'a vu, une certaine confusion. De plus, la nouvelle

«action» est d'envergure et les nazis considèrent les forces policières présentes en Belgique comme insuffisantes; il faudra donc recourir à la ruse. Ce sera, comme en Hollande, la simulation d'une «mise au travail» obligatoire. Pour éviter des ennuis avec les autorités belges, les juifs de nationalité belge seront exemptés de déportation dans cette première phase de l'action. Le pari nazi est gagné: les autorités belges n'élèvent aucune protestation durant les cent jours de la déportation des juifs étrangers. C'est la presse clandestine qui se fait l'écho de la réprobation du public60.

Le service anti-juif, installé au siège de la Sipo-SD à Bruxelles, 510, avenue Louise, est dirigé par le Judenreferent, SS-Obersturmführer (lieutenant) Kurt Asche61, qui reçoit, pour le lancement de l'action, le renfort d'un émissaire spécial d'Eichmann, le SS-Obersturmführer Anton Burger62. Asche ordonne le 15 juillet 1942 à l'Association des Juifs en Belgique de créer un service de «mise au travail» (Arbeitseinsatz). Ce service s'installe au 56, boulevard du Midi, et a ordre d'établir en 10 jours, sur la base du répertoire de ses membres, obligatoirement fichés, un fichier de 10'000 noms qu'il doit remettre au Judenreferent. Un administrateur de l'AJB, Maurice Benedictus63, est nommé à sa tête. Dans un mémoire qu'il a rédigé après sa fuite de Belgique, Benedictus affirme que les services du Judenreferent lui avaient assuré que les juifs «mis au travail» seraient certes envoyés hors de Belgique, mais à l'intérieur des frontières du Reich allemand (donc la même ruse qu'en Hollande); d'autre part, qu'on procéderait de façon calme et humaine et qu'on ne séparerait pas les familles; les juifs devaient comprendre que «si des milliers de héros allemands se sacrifi[aie]nt pour l'Europe, il [était] élémentaire que les Juifs travaillent et remplacent une partie de la main-d'œuvre

Le service anti-juif, installé au siège de la Sipo-SD à Bruxelles, 510, avenue Louise, est dirigé par le Judenreferent, SS-Obersturmführer (lieutenant) Kurt Asche61, qui reçoit, pour le lancement de l'action, le renfort d'un émissaire spécial d'Eichmann, le SS-Obersturmführer Anton Burger62. Asche ordonne le 15 juillet 1942 à l'Association des Juifs en Belgique de créer un service de «mise au travail» (Arbeitseinsatz). Ce service s'installe au 56, boulevard du Midi, et a ordre d'établir en 10 jours, sur la base du répertoire de ses membres, obligatoirement fichés, un fichier de 10'000 noms qu'il doit remettre au Judenreferent. Un administrateur de l'AJB, Maurice Benedictus63, est nommé à sa tête. Dans un mémoire qu'il a rédigé après sa fuite de Belgique, Benedictus affirme que les services du Judenreferent lui avaient assuré que les juifs «mis au travail» seraient certes envoyés hors de Belgique, mais à l'intérieur des frontières du Reich allemand (donc la même ruse qu'en Hollande); d'autre part, qu'on procéderait de façon calme et humaine et qu'on ne séparerait pas les familles; les juifs devaient comprendre que «si des milliers de héros allemands se sacrifi[aie]nt pour l'Europe, il [était] élémentaire que les Juifs travaillent et remplacent une partie de la main-d'œuvre