• Aucun résultat trouvé

LA FUITE DE HOLLANDE ET DE BELGIQUE VERS LA SUISSE

II.2. La fuite des juifs de Hollande 1. Les juifs de Hollande en chiffres

II.2.2. Engelandvaarders et fugitifs civils

II.2.3.1. Le calendrier de la persécution

La destruction des juifs, comme dans le Reich, commence aux Pays-Bas par des mesures de définition (qui est juif?), de discrimination et d'isolation (domaines et activités interdits aux juifs), suivies de mesures de destruction économique (confiscation, aryanisation). Viennent ensuite les mesures de concentration: relocation, déplacement de populations – sans création de ghettos toutefois; puis les mesures de destruction effective, par la déportation à l'Est. Nous ne donnons ici qu'un aperçu de ce calendrier48, afin de pouvoir situer en quel point s'insère la décision de la fuite en Suisse et quels éléments d'information sur leur sort les juifs possèdent en ce point donné. Ce résumé chronologique doit aussi servir à rendre concrète la mention générique des «mesures contre les juifs» devenues «insupportables», mention que l'on retrouve en ces termes, sans détails concrets, dans la quasi-totalité des interrogatoires de fugitifs parvenus en Suisse.

Le 13 septembre 1940 déjà, les fonctionnaires juifs sont licenciés, puis, en novembre, les journalistes juifs. Par décret du Reichskommissar du 10 janvier 1941, les juifs doivent se faire recenser; selon les historiens unanimes, il n'y a pas eu de réfractaires à ce recensement, sauf vraisemblablement quelques communistes.

Le 11 février 1941, les juifs sont soumis à un numerus clausus sévère dans les universités et pour les examens. Le même jour éclate, dans le vieux quartier juif amstellodamois de Waterlooplein, une émeute au cours de laquelle des activistes des groupes armés (Weerafdeling) du parti nazi hollandais NSB (Nacionaal-Socialistische Beweging) affrontent des groupes d'autodéfense juifs;

un activiste nazi est tué. Les soldats allemands, épaulés par la police municipale d'Amsterdam, bouclent le quartier par des barbelés: un ghetto pourrait naître, mais est aussitôt dissous sur ordre du Reichskommissar. En revanche, le Conseil juif (Joodse Raad), créé ad hoc sur ordre du délégué du Reichskommissar à la ville d'Amsterdam (où résident plus de 60% des juifs de Hollande) pour répondre des actes des groupes armés juifs, se maintiendra et deviendra, pour les Allemands, l'organe représentatif des juifs – en réalité, une simple courroie de transmission pour répercuter aux juifs les ordres des nazis. Huit jours après la première émeute en éclate une seconde. Himmler en personne décide de représailles musclées: les 22 et 23 février 1941, 600 policiers de l'Ordnungspoliziei raflent, de manière extrêmement brutale et sous les yeux de tous, 425 juifs âgés de 20 à 35 ans, dont 389 sont immédiatement déportés à Buchenwald, puis quelques mois plus tard, à Mauthausen, où ils périront tous49. En réponse à cette violence, et à l'instigation du parti communiste clandestin, éclate une grève générale à Amsterdam et Zaandam;

les occupants, surpris, répliquent par de fortes représailles et remplacent le bourgmestre d'Amsterdam. Cette déportation à Mauthausen hantera longtemps la population juive du pays, servant en quelque sorte d'épouvantail concret des pires mesures qui risquent de frapper les juifs.

Dès le printemps 1941, la mobilité des juifs est restreinte dans le pays. Les autorités locales hollandaises pro-allemandes ou nazies promulguent en série des lois de bannissement des juifs de leur territoire, les forçant, de fait, à s'établir dans la région d'Amsterdam. Le 15 avril, les juifs sont privés de postes de radio et les membres de professions libérales (médecins, pharmaciens, avocats) sont interdits d'exercice pour les non-juifs. Le 1er mai, les juifs sont bannis de la Bourse.

Le 15 mai, les musiciens juifs sont chassés des orchestres. A la fin du mois de mai, les juifs sont

48 Nous suivons, pour l'essentiel, MOORE, Victims and Survivors…, pp. 79-90.

49 Selon certaines sources, il y aurait eu 3 survivants sur 389.

bannis des parcs publics, des piscines et des plages.

En août-septembre 1941, les juifs sont forcés de transférer tous leurs avoirs financiers, propriétés immobilières comprises, à la banque Lippman-Rosenthal, une banque juive reprise par l'occupant. A la rentrée scolaire de 1941, les enfants juifs sont exclus des écoles publiques et scolarisés de force dans les écoles juives. En septembre, les juifs sont bannis par des écriteaux du reste de l'espace public, là où ce n'était pas déjà le cas, à l'instigation de tenanciers pro-nazis:

hôtels, restaurants, cafés, salles de concert, bibliothèques et cabinets de lecture – cette dernière interdiction étant particulièrement douloureuse. En octobre 1941, le Verordnungsblatt promulgue une disposition permettant d'ôter leur permis de travail aux juifs avec délai de trois mois et de les priver de retraite. Le 1er novembre 1941, plus de 1'600 travailleurs du textile sont ainsi licenciés, suivis des antiquaires, graveurs et imprimeurs, avant que la mesure ne s'étende à d'autres branches à la mi-1942.

Plusieurs rafles punitives ont lieu durant cette période: les juifs arrêtés sont déportés à Mauthausen, comme le premier groupe.

La relocation forcée des populations juives de Hollande prend de l'ampleur. Ceux qui n'ont pas la nationalité néerlandaise (essentiellement des Allemands) sont dans le collimateur depuis que Hitler a fait savoir à Seyss-Inquart, le 25 septembre, qu'il désirait les voir déportés de Hollande en premier. Le 5 décembre 1941, ils reçoivent l'ordre de se faire enregistrer pour l'«émigration volontaire», tout en s'apercevant qu'ils ont été collectivement dénaturalisés de leur citoyenneté allemande en novembre. Pris de panique, quelques-uns se suicident, mais neuf sur dix obéissent à l'ordre. A la même époque, les chômeurs juifs commencent à être regroupés de force dans des camps de travail; la visite médicale est au début effectuée par des médecins juifs, qui cherchent à obtenir un maximum d'exemptions, mais ils sont vite remplacés par des médecins nazis. En septembre 1942, plus de 5'000 chômeurs auront ainsi été regroupés et internés; proies faciles, ils seront tous déportés avec leurs familles en octobre.

Au début de 1942, tous les juifs non néerlandais sont assignés au camp de Westerbork, situé dans les landes de la province de Drenthe, dans le nord-est du pays; et tous les juifs néerlandais doivent s'établir de force dans la région amstellodamoise: ils ne peuvent prendre avec eux que ce qu'ils peuvent porter et doivent consigner à la police leurs clés et la liste de leurs biens de ménage.

En février 1942, une lettre distinctive est apposée sur les cartes d'identité: «J» pour jood (juif),

«B» pour bastaard (demi-juif), remplacé plus tard par «G» (gemengd, sang mêlé). Le 23 mars, le mariage entre juifs et non juifs est interdit, tout comme les relations sexuelles. Fin avril 1942, le port de l'étoile jaune à six branches est imposé, et les sanctions contre ceux qui se soustraient à cette obligation, définitivement fixées le 4 mai. En plus, le couvre-feu est imposé aux juifs, ce qui rendra facile leur arrestation à leur domicile, aux heures où ils s'y trouvent obligatoirement.

La «visibilité» forcée des juifs rend possible, dès ce moment, des discriminations spatiales encore plus poussées: bannissement de certains quartiers officiels de La Haye, exclusion des clubs sportifs, du marché au poisson, des épiceries non juives. Les magasins non juifs ne leur deviennent accessibles qu'entre 15 et 17 heures. Le 12 juin, on confisque leurs vélos et autres véhicules50.

Au début de l'été 1942, selon Moore, l'isolement dans lequel la population juive a été poussée est total. Les juifs n'ont pratiquement aucun recours, sauf ceux qui sont proches des mouvements de gauche clandestins. Le Joodse Raad ne les défend pas: convaincu d'une rapide victoire des Alliés, il poursuit la chimère d'une obéissance à l'ordre allemand qui devrait, à moyen terme, protéger la communauté juive de Hollande du sort de la population juive d'Allemagne, à savoir la déportation à l'Est. Chimère, puisque la déportation vers les camps d'extermination commence le 5 juillet 1942. Elle ne faiblira qu'à la fin de septembre 1943, lorsque toutes les organisations juives du pays auront disparu, que le Joodse Raad se sera dissous de fait et que les Allemands en seront réduits à traquer les derniers juifs dans leurs cachettes.

Ce message qui nous semble si clair reste cependant brouillé pour les principaux intéressés.

50 La confiscation des vélos (ainsi que celle des postes de radio) frappe par la suite l'ensemble de la population.

Certes, les juifs sont de plus en plus restreints dans leur liberté, mais les chômeurs non juifs ne sont-ils pas aussi astreints au camp de travail? Et les citoyens d'un pays occupé ne doivent-ils pas entière obéissance à l'occupant? Les juifs néerlandais, assez conservateurs dans leur ensemble, agissent spontanément avec déférence envers l'autorité, quelle qu'elle soit. De plus, les Allemands sont habiles, comme ils le sont aussi en Belgique. Ils font semblant d'entrer en matière sur certaines protestations relayées par le Joodse Raad et exemptent temporairement certaines catégories de juifs de la déportation, comme les fonctionnaires du Joodse Raad et leurs familles, le personnel médical, les pharmaciens, coiffeurs, boulangers et commerçants servant la communauté juive, quelques juifs convertis de longue date et les conjoints d'«aryen(ne)s» (sauf ceux qui ont la mauvaise idée de s'annoncer à la Sipo et qui sont immédiatement arrêtés). Une exception temporaire, parce qu'utile à l'occupant, est faite pour les chimistes et ingénieurs, ainsi que pour les travailleurs de la fourrure, du textile, du cuir et du diamant. Himmler songera même à «conserver» quelques centaines d'ouvriers diamantaires au camp de Vught, où il désire transférer une partie de la production de diamant industriel hollandais, utile à l'effort de guerre allemand. Les historiens estiment que les juifs «en sursis» à la fin de l'année 1942 étaient entre 17'000 et 46'000. Mais les exemptions ont été supprimées les unes après les autres.

II.2.3.2. La déportation

Selon De Jong51, pour le Reichskommissar et les plus hauts échelons de son administration, il était déjà clair au printemps 1941 que la «solution finale» pour les juifs de Hollande consisterait en leur déportation et, par conséquent, en leur destruction à court ou moyen terme. Certains fonctionnaires SS qui avaient des contacts directs avec Eichmann, comme Erich Rajakowitsch52 (prédécesseur, puis remplaçant du Judenreferent Zöpf), étaient peut-être plus vite et mieux informés que le Reichskommissar lui-même. Si l'accès à information est inégale au sein des divers organes nazis engagés dans la mise en œuvre de l'élimination des juifs – organes souvent en compétition entre eux –, les juifs eux-mêmes semblent également inégaux devant l'information, comme nous le verrons plus loin; le plus étonnant est que certains d'entre eux disposent d'informations qu'ils ne devraient pas avoir, vu la logique de secret et de mensonge pratiquée à leur égard.

La déportation à l'Est des juifs des Pays-Bas commence dans un brouillage dû à la simultanéité de la déportation de certains juifs vers de véritables camps de travail. Les historiens ont peu remarqué, à ce sujet, les similitudes entre la Hollande et la Belgique. En Belgique, les juifs

«asociaux» (donc chômeurs) sont envoyés de force entre juin et septembre 1942 dans des commandos de l'Organisation Todt dans le Pas-de-Calais (rattaché à l'occupation militaire de la Belgique); de là, la plupart d'entre eux seront déportés à Auschwitz en octobre 1942. Ce processus de mise au travail ressemble pourtant, dans ses objectifs comme dans sa réalisation, à l'internement obligatoire, de janvier à début octobre 1942, des juifs chômeurs de Hollande (puis de nombreux non chômeurs) dans des camps de travail situés dans le pays même; en octobre, ceux-ci aussi seront massivement déportés à Auschwitz.

Dans les deux pays, la convocation des juifs valides de sexe masculin pour des camps ou commandos de travail – plus précoce et rampante en Hollande, plus tardive en Belgique – précède donc, mais d'assez peu, et se chevauche partiellement avec la convocation pour la déportation de tranches plus larges de la population juive (cette fois, femmes et familles comprises). Les deux sortes de déportation ne sont guère distinguées par leurs victimes au début.

Cela est, bien entendu, intentionnel: dans les deux cas, les Allemands utilisent pour la déportation aux fins d'extermination le terme mensonger de «travail» (werkverruiming; Arbeitseinsatz).

51 Cité par Moore, Victims and Survivors…, p. 78.

52 Erich Rajakowitsch (1905-1988), juriste autrichien et SS-Obersturmführer, membre dès le printemps 1940 du bureau d'Eichmann comme consultant juridique. Chef du Judenreferat d'août 1941 à février 1942, il cède la place à Wilhelm Zöpf, qu'il remplace ad interim, et prend la direction du service II B (spoliation et dénaturalisation).

L'historiographie belge a remarqué ce brouillage depuis longtemps53, l'historiographie hollandaise est peut-être en retard sur ce point. Notre analyse des motivations des juifs au moment où ils fuient en Suisse montre, quant à elle, la parfaite similitude de l'effet atteint dans les deux pays, et – chose plus surprenante – un fort degré de lucidité quant aux véritables fins du processus. Nous en parlons plus loin.

Au début de juin 1942, en application du protocole de Wannsee, les services d'Eichmann à Berlin fixent les contingents respectifs de juifs à déporter des Pays-Bas, de Belgique et de France. Selon Moore, Eichmann prend à ce moment ses ordres directement chez le Reichsführer Heinrich Himmler, car Reinhard Heydrich, chef du RSHA, vient d'être assassiné à Prague et son successeur, Kaltenbrunner, n'est pas encore nommé54. L'infrastructure nécessaire à l'extermination des juifs (convois ferroviaires, capacité des camps) est planifiée simultanément. Un premier protocole est établi le 11 juin à Berlin par Eichmann, qui a convoqué ses trois Judenreferenten pour les pays en question, Theodor Dannecker pour la France, Kurt Asche pour la Belgique et Willi Zöpf pour la Hollande. Aux termes de ce protocole, la Hollande doit livrer 15'000 juifs dans les huit mois qui suivent; la France doit en livrer 100'00055 et la Belgique, 10'000. Un second protocole, dix jours plus tard, établit le contingent néerlandais à 40'000, sans doute parce que Dannecker a rencontré des difficultés à maintenir sa «contribution» française, et que la chose semble plus faisable en Hollande.

Les Allemands disposent de listes complètes des juifs, compilées d'après le recensement de janvier 1941. Le Joodse Raad, qui a collaboré à cette compilation, se voit, le 26 juin 1942, placé devant l'obligation de «fournir» 4'000 premiers noms de juifs pour la «déportation du travail en Allemagne». Il s'agit de juifs des deux sexes, âgés de 16 à 40 ans (limite vite élevée à 50 ans).

Les Allemands avancent masqués et cherchent à rassurer le Conseil juif: ce dernier n'aura qu'à fournir les noms et à envoyer les convocations, le reste sera fait par la police allemande; les juifs convoqués, déclare le chef de la Zentralstelle für jüdische Auswanderung Ferdinand Hugo Aus der Fünten, seront envoyés exclusivement dans des camps de travail situés en territoire allemand.

Mais cet organe, pseudo-interlocuteur entre les nazis et les juifs, qui figurera comme expéditeur des convocations, ne joue en réalité qu'un rôle d'exécutant pour la Sipo-SD et le Judenreferent.

Le Joodse Raad plie. L'un de ses co-présidents, David Cohen, a bien protesté que cette déportation était contraire au droit international, mais il se serait entendu répondre: «C'est nous qui décidons le droit international», vite corrigé en: «C'est nous qui décidons la mise au travail obligatoire. Nous sommes les vainqueurs»56. Aucun membre du comité du Joodse Raad ne démissionne, aucun ne se suicide, comme le fera un mois plus tard, placé dans la même situation, le président du Judenrat de Varsovie, Adam Czerniakow57, marquant par ce geste ultime sa résistance en même temps que son désespoir.

Le 4 juillet 1942, le Conseil envoie donc par la poste les premières convocations (oproep ou oproeping), qui arrivent à destination le lendemain58. A la fin de l'année 1942, 40'000 juifs auront été déportés à Auschwitz.

Selon un premier projet, la personne convoquée devait se présenter à la Zentralstelle pour y remplir un formulaire (notamment de santé) avec l'aide d'employés du Conseil juif; elle était dès lors enregistrée et assignée à un transport, c'est-à-dire convoquée à une date très proche à la gare centrale d'Amsterdam, à 01h du matin généralement, d'où elle serait transportée à Hooghalen, la gare la plus proche du camp de transit (polizeiliches Durchgangslager) de Westerbork.

53 Par ex. STEINBERG, Les Cent jours de la déportation…, p. 147: «En réalité, le pouvoir allemand réussit, en prenant les étrangers certes juifs pour le Nord de la France, à abuser tout un chacun, y compris les Juifs eux-mêmes, sur la finalité de la déportation raciale».

54 MOORE, Victims and Survivors…, p. 91.

55 Pour la France, voir infra, IV.2.2.1.5.

56 Cf. PRESSER, Ondergang…, I, p 246 sqq.

57 Czerniakow s'est suicidé le 23 juillet 1942.

58 Cf. notre illustration en fin de partie, tirée de la collection du NIOD Instituut voor Oorlogs-, Holocaust- en Genocidestudies – Kamparchieven, https://www.kamparchieven.nl.

Les juifs ne doivent en principe pas rester à Westerbork: le dispositif de convocation échelonnée a été imaginé par les Allemands pour remplir régulièrement les trains commandés, dont le premier doit partir immédiatement de Westerbork pour Auschwitz le 15 juillet. Il y aura sept trains de déportation durant le seul mois de juillet 1942, suivis de nombreux autres.

Dès le 12 juillet, les convocations ne sont plus envoyées par la poste, mais délivrées à domicile par la police: les Allemands ne sont pas sûrs de leur procédé et craignent de trop nombreuses désobéissances. De même, en juillet déjà, pour éviter que les juifs enregistrés ne s'enfuient avant de se présenter au train, les Allemands les tiennent enfermés dès leur enregistrement, qui a lieu à la Joodsche Schouwburg, anciennement Hollandse Schouwburg, un théâtre réquisitionné en 1941. Ils y attendront parfois pendant plusieurs jours, voire pendant plus d'une semaine, leur départ pour Westerbork. Il y aura quelques évasions.

La déportation vers le camp d'extermination est camouflée en service obligatoire du travail en Allemagne sous contrôle policier (politietoezichtstaande werkverruiming in Duitschland): chaque déporté doit emporter, dans une valise ou un sac à dos, une tenue de travail, des bottes, des sous-vêtements, deux couvertures et draps, une gamelle et des couverts, ainsi que des provisions pour trois jours. Mais aussi ses papiers d'identité, ainsi que les justificatifs de la totalité de son patrimoine: comptes et livrets bancaires, actions, participations, polices d'assurance, listes de toutes les possessions, objets d'art, bijoux, collections… jusqu'aux clés des safes.

La convocation est accompagnée d'un bon de transport gratuit pour le trajet Amsterdam – Hooghalen.

La menace implicite contenue dans la convocation ne devait guère laisser d'illusions aux juifs qui en étaient frappés, d'autant que leur envoi au «travail» s'accompagnait d'un abandon complet de tous leurs biens. Pourtant, elle contenait encore l'annonce d'une sanction en cas de désobéissance, sanction qui, dans le langage mensonger qui enveloppait l'opération d'extermination, devait paraître pire que le mal: celui ou celle qui n'obtempérait pas à la convocation serait met maatregelen van de Sicherheitspolizei gestraft, en clair: interné à Mauthausen, comme l'étaient les juifs qui ne portaient pas l'étoile ou changeaient de domicile sans autorisation. Lorsque les convoqués étaient des jeunes, c'étaient leurs parents qui encouraient la sanction en cas de désobéissance. Presser rapporte que de nombreux adolescents ont obéi à la convocation pour épargner leurs parents. La sanction était effrayante. Mauthausen signifiait, aux yeux du public hollandais, la mort quasi immédiate: en effet, de nombreux «avis de décès» de personnes parfaitement saines au moment de leur arrestation étaient arrivés en Hollande après les premières rafles punitives, au point même de provoquer une réaction diplomatique de la Suède, puissance protectrice des Hollandais sur territoire allemand.

Pourtant, les Allemands sont si peu sûrs de leur méthode qu'ils procèdent d'emblée à des rafles préemptives, la première le 14 juillet déjà (les otages seront libérés), puis les 6 et 9 août (une partie des raflés seront déportés). Ces rafles, selon Griffioen et Zeller, étaient destinées à semer la terreur parmi les juifs réfractaires et à impressionner le Joodse Raad, plutôt qu'à remplir les trains.

Ils utilisent encore un autre procédé pour rendre la population juive docile. Poursuivant une sorte de jeu du chat avec la souris, ils accordent dès le 14 juillet de nombreuses exemptions de déportation, ce qui offre pour eux un double avantage: d'une part, ils évitent le chaos en étalant la

Ils utilisent encore un autre procédé pour rendre la population juive docile. Poursuivant une sorte de jeu du chat avec la souris, ils accordent dès le 14 juillet de nombreuses exemptions de déportation, ce qui offre pour eux un double avantage: d'une part, ils évitent le chaos en étalant la