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La Louve : Organisation et finalités d’une coopérative d’un genre nouveau

3. La coopérative pour faire le collectif

2.2 La volonté d’être un projet social

2.2.1 La recherche de mixité sociale

Les membres fondateurs ont essayé d’œuvrer à plus de mixité sociale en orientant l’offre alimentaire et non alimentaire vers des produits de qualité accessibles en termes de prix. Il s’agit donc également de construire et de faire fonctionner des liens sociaux dans l’activité entre des personnes d’horizons différents.

« Il y a beaucoup de ménages asiatiques, beaucoup de ménages d’Afrique de l’Ouest, etcetera, si on veut répondre aux attentes et aux habitudes alimentaires de ces familles- là, évidemment il n’y aura pas que du local. C’est cela hein la promesse. C’est aussi de ne pas mettre sur les rayons des choses qui n’intéressent pas les gens qui habitent autour du supermarché. Cela fait partie de la promesse aussi parce que, sinon on va juste amener à La Louve des gens qui habitent dans d’autres arrondissements, avec des moyens et des ménages aisés. Ce n’est pas ce qu’on veut. On veut que le lieu soit pour les habitants autour, d’abord et pour les embarquer avec nous » (Manon)

Dans un premier temps, il y eut l’idée d’être aidé par un acteur externe, qui se chargerait de mobiliser les gens du quartier :

« Brad et Manon avaient rencontré Muse des Territoires sur la question de comment mobiliser les gens du quartier. C’est un bureau d’études qui travaille sur toutes les questions de démocratie participative. Finalement, ils s’étaient rencontrés pour voir, justement, comment cela pouvait être quelque chose qui pouvait être demandé à Muse et financé, éventuellement, par une subvention qu’on aurait touchée. Et finalement, il a été décidé qu’on pouvait faire cela nous-mêmes et que cela interviendrait aussi plus tard. Finalement, avec le lancement de la campagne de dons et souscriptions au départ on a essayé de toucher un petit peu tout le monde, donc on va dire sur l’Ile-de-France, parce qu’il n’y a pas que des Parisiens qui adhèrent à La Louve et c’est vraiment depuis on va dire mars où là on est plutôt sur une logique d’essayer de toucher les gens du quartier. » (Fanny)

population française127. La mobilisation des ménages populaires habitant à proximité du supermarché a longuement été retardée. Comme c’est le cas dans d’autres initiatives s’inscrivant dans une démarche alternative, les membres de La Louve sont majoritairement issus de classes moyennes fortement dotées en capital culturel et scolaire (Dubuisson-Quellier, 2009). Ce point questionne fortement les membres, et pour certains, si le projet n’arrive pas à créer de la mixité à terme, cela signerait son échec :

« Mais moi, ce qui me motive vraiment à La Louve c’est qu’effectivement les gens de la Goutte d’Or ils viennent quoi. Si, pour moi ils ne viennent pas, c’est qu’on a foiré le truc complètement. Je le vivrais mal parce que c’est cela aussi qui me motive, le côté - ce que je te disais - la bouffe pour tous, mais pour tous hein. Qu’on soit clairs là-dessus. […] le pour tous c’est peut-être, pour moi, la Mama africaine illettrée, qui a 12 gamins, peu importe les caricatures à la con mais oui moi j’espère que je vais en croiser à La Louve, clairement. Si je n’en croise pas, je pense que je ne le vivrai pas bien parce que le quartier…c’est le quartier » (Sandra)

« Un des points qui me questionne, les salariés qu’il y a, je les trouve très similaires, si cette similitude devient vraiment trop prégnante dans l’identité de La Louve, c’est quelque chose qui pourrait me gêner en fait. Voilà. Je ne sais pas encore si cela me ferait quitter ou pas mais j’aurais une vraie déception par rapport à cet idéal un peu de mixité sociale, de diversité sociale ou autre d’ailleurs, d’âges et tout cela et finalement ce soit…cela devienne un projet où seulement un petit groupe pourrait se reconnaître. Même un petit groupe de 2 000 hein, cela…pour moi, à l’échelle de Paris ce serait un petit groupe. » (Antonin)

Comme signalé précédemment, La Louve a mis en place la possibilité de ne payer qu’une part sociale pour les bénéficiaires des minimas sociaux, de même elle a mené des actions de recrutement dans le voisinage du supermarché sans parvenir à capter cette population.

« Même en étant présente depuis plusieurs mois dans le quartier de La Goutte d’Or, avec une devanture où était expliqué le projet, plusieurs de ceux qui habitaient la rue rentraient dans le local pour demander ce qui était fait, un des membres présents

expliquait le projet et les modalités d’adhésion/souscription. Les personnes ressortaient qui encourageant, estimant qu’un projet semblable aurait un impact positif sur cette zone du 18ème arrondissement, qui sa curiosité satisfaite continue son chemin, qui dit réfléchir, qui demande s’il y a du travail – rémunéré, etc.

Lors d’une soirée dégustation de bière artisanale dans le local de La Goutte d’Or, je suis sortie du local pour prendre l’air accompagnée d’une membre. De l’autre côté du trottoir, un groupe de jeunes gens buvaient eux aussi des bières, ils nous ont demandé ce que nous faisions à l’intérieur. Nous leur avons expliqué et leur avons proposé de rentrer goutter ce que le brasseur proposait. Ils ont refusé en prétextant que ce n’était pas leur monde. Une autre fois, lors d’une permanence dans le local, une femme d’une cinquantaine d’année est rentrée demander ce qu’on faisait. Nous lui avons expliqué le projet. Elle paraissait enthousiaste. Elle nous a demandé la date d’ouverture et nous a dit qu’elle nous laissait son numéro de téléphone pour la contacter si nous avions besoin d’une femme de ménage pour ce supermarché. Ces deux exemples, et j’ai vécu plusieurs expériences de ce genre lors de mes observations à La Louve, donnent à voir le décalage entre le projet et les attentes des personnes qui vivent dans ce quartier. »128

2.2.2 La création de valeur dans le quartier

Lors d’une discussion informelle avec des membres fondateurs de La Louve et des membres très impliqués, a été évoqué l’impact qu’aurait La Louve sur les commerces du quartier. L’un des intervenants, fondateur de La Louve, m’explique l’impact qu’a eu le supermarché PSFC sur le quartier, et anticipe ce qui se passerait dans le cas parisien :

« A New York, c’est ce qui s’est passé. C'est-à-dire que, en fait… cela fait monter la qualité de l’offre alimentaire même dans les petites supérettes… ce qu’on appelle les bodegas, enfin tu vois les petites… le truc où tu vas normalement pour acheter de la bière quand il est tard et… vraiment les petits commerces d’appoint, ils ont commencé à vendre de la bière artisanale… t’offrent des trucs bios… tu as tout hein. Donc, ils ont dû s’adapter. Les gens leur demandaient : « vous savez que cela existe aussi des bières

A partir de cette explication, il anticipe la transformation que pourrait amener La louve : « Une fois que tu auras amené de la qualité à un prix plus abordable, cela va rendre moins intéressant de faire de la basse qualité. Et ce sera, peut-être chez le commerçant primeur qui se dirait[...] « En fait, si je faisais un peu plus, si je me remettais en cause, si je regardais un peu les producteurs et…et si j’essayais de vendre une meilleure qualité plus chère ? » A ce moment-là, il y aura peut-être des services que nous…parce que c’est trop compliqué à gérer…avec des gens qui ne travaillent que trois heures toutes les quatre semaines. Des services ! C'est-à-dire que ton primeur va peut-être se réinventer un peu… être presque plus un traiteur qu’un primeur à faire un service expliquant comment utiliser le produit. Tu vois ? Des services immatériels que les gens seront prêts…tu vois, qu’ils voudront mais qu’ils seront prêts à payer d’une certaine façon… cela vaut mieux pour tout le monde quoi. »130

Lors d’une Assemblée Générale, une coopératrice a posé une question sur l’impact du projet sur la création d’emploi dans le quartier. Elle a reçu comme réponse :

« Le groupe “écosystème” a repéré toutes les associations autour de La Louve avec lesquelles nous pourrions avoir des interactions, notamment pour diminuer notre empreinte environnementale. Mais nous n’avons pas fait une démarche spéciale et quantifiée pour créer des emplois. Cependant de façon assez naturelle nous générons une consommation dans les commerces de proximité, comme nous l’avons fait le 6 juin131 »132.

Ainsi, le projet se veut créateur de valeur dans le quartier où il s’installera faute de créer directement de l’emploi.