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Des personnes structurantes : Des visionnaires et des gestionnaires

La Louve : Organisation et finalités d’une coopérative d’un genre nouveau

3. La coopérative pour faire le collectif

1.1 Des personnes structurantes : Des visionnaires et des gestionnaires

Comme signalé précédemment, l’association de La Louve a été créée en 2011 à l’initiative de deux américains vivant à Paris pour promouvoir une alternative citoyenne dans la ville de la gastronomie française, en obtenant l’aide d’appuis prestigieux tels les meilleurs ouvriers de France ou des potagers de renom à l’instar du potager du roi à Versailles.44

Ces deux fondateurs sont parvenus à rassembler un premier groupe de personnes autour de l’imaginaire de leur projet. Une des premières personnes à les avoir rejoint, devenue une pilote45 du projet, décrit ainsi les instances dirigeantes de la structure associative en avril 2014 :

« Les 7 personnes qui composent le comité de pilotage de La Louve : 3 américains plutôt dans la vision et 4 personnes qui sont plutôt dans la gestion. Et les deux composantes ont besoin l’une de l’autre. Nous sans eux on n’aurait pas osé, mais eux sans nous, ils ne pourraient pas faire, donc on est soudé par cette forme de complémentarité ». (Manon)

Cet extrait d’entretien donne le ton : la structure est chapeautée par des pilotes qui ont deux approches : l’« utopie46 » caractérise ceux qui sont considérés comme les « visionnaires47 »du projet et le « pragmatisme » caractérise les « gestionnaires ». Ces deux approches sont distinctes mais complémentaires. On retrouve des acteurs qui portent une vision stratégique et d’autres qui sont plus à l’aise avec sa mise en œuvre opérationnelle.

L’analyse montre que deux groupes de pilotes aux identités distinctes sont aux prises au sein de cette organisation et ces deux types de profil ressortent comme structurants pour et dans l’activité d’organisation de La Louve.

Les deux catégories de décisionnaires qui structurent l’activité de La Louve, les « visionnaires » et les « gestionnaires » ont des acceptations différentes de la norme. La norme s’entend ici dans un sens législatif ou organisationnel. Les décisions sont prises par les « gestionnaires » en tenant

44 Vidéo de présentation du projet pour la campagne de crowdfunding, voir le site Kiss kiss bank bank [en ligne].

Disponible sur <http://www.kisskissbankbank.com/le-supermarche-collaboratif-de-la-louve--3> (consulté le 29.04.15).

45 Au début de mon observation, les instances dirigeantes de La Louve se qualifiaient de « pilotes », ces pilotes se

réunissaient à une fréquence mensuelle pour prendre les décisions organisationnelles et stratégiques du projet. Dans un deuxième temps, ces pilotes ont pris le qualificatif de « coordinateurs ». Par la suite ils deviendront les membres élus du comité de gouvernance.

compte la faisabilité, les critères financiers, techniques etc. alors que « les visionnaires » vont généralement être guidés par « l’utopie » qu’ils portent, fondée sur le dépassement de soi des individus faisant le collectif. Ainsi, les « gestionnaires » s’appuient majoritairement dans leur prise de décisions sur des aspects normatifs gestionnaires, alors que les « visionnaires » n’y ont que ponctuellement recours. Ces derniers feront appel aux normes de gestion pour accélérer une prise de décision, pour s’opposer à un projet, lorsque les idées ne sont pas tout à fait conformes à leur conception actuelle du projet ou pourraient mettre en péril son développement rapide. Par exemple, pour reporter l’éventualité de la mise en place d’un service de livraison défendu48 par le porteur de l’idée, les visionnaires se sont opposés en considérant la livraison comme « trop complexe » à mettre en place et « trop individualisante surtout à ce stade d’élaboration du projet »49 . En d’autres circonstances, le mot porté par les visionnaires est

davantage « puisque c’est impossible nous le ferons ».

Les membres qu’ils appartiennent à la catégorie des « gestionnaires » ou des « visionnaires » manifestent une croyance profonde en la force imaginative portée dans le projet par les membres fondateurs. La culture américaine est valorisée comme un élément participant de la capacité d’entreprendre et à se tourner vers l’avenir sans se laisser arrêter par des freins ou des références historiques considérées passéistes :

« Parce que, pour te dire franchement, quand je suis rentrée dans La Louve, j’ai adoré le côté américain, newyorkais de Tom et Brian. Moi, je suis aussi venue beaucoup pour cela. Parce que ce sont des Américains. Ils ont un côté excessivement positif et moi, ce que j’adorais, c’est que Tom dise : « bon, on va essayer des choses. On va les faire et après cela on verra ». Donc pour moi, c’était ce : « tu veux le faire ? Discutons-en et vas-y. Vas y ! Après cela on débriefe mais vas-y ! » […] Moi, ce qui m’intéressait c’était le laboratoire social et le fait que les mentalités des gens pouvaient changer. Moi, c’est cela qui m’intéresse […] C'est-à-dire qu’il y avait quelque chose de… Parce que Tom et… Tom était très présent. Il était très aux manettes. Donc il était très à discuter avec chacune des personnes. Donc il y avait un esprit… cela se faisait de façon virale tu vois, il imbibait… Il insufflait et, sans que les gens le sachent, il changeait leur mode de comportement tu vois. Ils devenaient positifs… ils étaient enthousiastes. Ils avaient

Canadiens pendant huit ans, où il y avait ce minding-là et c’est très difficile de le créer en France. Donc en fait, moi quand j’ai vu La Louve : « oh ! » et que j’ai rencontré Tom et Brian, je me suis dit : « ouah !! Je veux être… je veux voir. Je veux voir les gens changer. Je veux voir ce minding français fondre ». Parce que je l’ai vu moi dans cette émission que j’ai faite pendant huit ans, c’était majoritairement des Canadiens et les Français pareils : ils changeaient les Français. Au départ, ils commençaient à tout critiquer et puis, petit à petit, c’était génial ! Et cela a duré 10 ans quand même, tu vois, et cela a fait des merveilles ! » (Stéphanie).

L’observation permet de voir émerger une sorte de discours porteur d’un mythe sur la création de la coopérative. Pour consacrer la jeune existence de La Louve, il a paru indispensable de produire le rapport d’activité de l’année 2014 en lui donnant un contenu et une épaisseur dont les 148 pages sont présentées en Assemblée Générale en disant : « ça nous permet d’historiciser La Louve »50. Cette assertion intervient alors que l’organisation n’a que trois ans d’existence et n’a pris que fin 2013 une ampleur réelle suite à la campagne de crowdfunding et l’importante couverture médiatique dont a alors bénéficié le projet51. Ce discours du mythe n’est pas propre à cette organisation et a déjà été pointé par Meyer et Rowan (1977) comme étant de l’ordre de l’activité symbolique et participant à la vie de l’organisation et à son institutionnalisation. Il est souligné comme indispensable pour différencier l’organisation concernée des organisations qui pourraient être considérées comme similaires ou du même champ : les supermarchés de l’économie traditionnelle ou de type coopératif dans le cas de La Louve.

Les pilotes du projet ont tissé un noyau dur autour duquel gravitent les autres membres organisés autour de la division du travail, du cloisonnement des tâches et du respect de la hiérarchie. Je développe plus en profondeur ces trois éléments dans la partie 1.4.

L’organisation du travail a progressivement évolué mais la coopérative s’est dotée très tôt d’un organigramme. Les pilotes ont disparu pour intégrer le Conseil d’Administration tant de l’association que de la SAS à forme coopérative.

Du point de vue juridique, il y a donc deux organes de fonctionnement qui représentent une organisation unique. Les membres des deux instances, qui sont en majeure partie les mêmes,

ont élu les mêmes Conseils d’Administration, à l’exception d’un membre, ainsi que le même président qui est l’un des deux membres fondateurs52.

Figure 20 Les instances dirigeantes de La Louve (Document interne de La Louve)

L’organigramme (Figure 22 Organigramme de La Louve en janvier 2016) présente 17 groupes de travail53 et se complexifie au fur à mesure du développement du projet (cf. Figure 21 Organigramme en avril 2014). Chaque coordinateur prend en charge un axe particulier du travail.

Figure 21 Organigramme en avril 2014