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Introduction au terrain de recherche et éléments de méthodologie

Chapitre 1 : Introduction au terrain de recherche et méthodologie

2. La démarche de la recherche

2.1 Les choix méthodologiques

2.1.1 Un positionnement interprétativiste pour comprendre en détails la construction et l’offre d’un supermarché collaboratif et participatif

Afin de montrer la manière dont ce travail de recherche conçoit et discute un rapport possible au monde et à la réalité, nous présentons ici notre fondement épistémologique qui permet à la fois de soutenir la validité et la légitimité de la recherche (Girod et Perret, 1999, p. 13). Il permet aussi de construire un objet de recherche et des outils conceptuels adéquats, capables de le saisir. Martinet et Pesqueux (2013, p. 41) définissent, en effet, l’épistémologie comme « ce qui fonde le processus de conceptualisation c’est-à-dire la construction d'une représentation (la sédimentation), la mobilisation ou circulation (du concept ainsi construit souvent avec d'autres concepts venant à l'appui de celui qui est mobilisé) et l'extension du concept dans le projet de comprendre une situation ».

La préoccupation quant au choix de l’approche méthodologique concerne donc le maintien de la cohérence entre l’objet de recherche, le but de la recherche, l’approche de recherche ainsi que la méthodologie mise en place. Il s’agit donc pour nous de présenter brièvement les différentes approches mobilisées en sciences de la gestion. Il s’agit aussi de montrer la pertinence de la perspective interprétativiste dans le cadre d’un travail sur la signification du travail pour les consommateurs de la coopérative La Louve.

La recherche en marketing a longtemps été dominée par un positionnement positiviste « pour ses fondateurs, il s'agissait avant tout de repérer et d'objectiver les « besoins » du consommateur, à l'aide de techniques toujours plus sophistiquées, et d'organiser en conséquence les flux de production » (Nizet et Pichault, 2015, p. 60). Les nombreuses critiques qui se sont élevées contre cette manière d’envisager la recherche ont mené au développement d’approches alternatives.

Ainsi, de plus en plus de travaux épousent une approche interprétativiste, mettant en avant le rôle actif du consommateur, la manière dont il s’approprie et détourne les usages prescrits, voire met en place de nouveaux usages. « L'accent est mis de plus en plus sur les études de nature ethnométhodologique. Certaines d'entre elles tentent de souligner le processus de sensemaking

Nous adhérons à l’évolution du marketing qui vise à mettre en avant le rôle actif du consommateur. Dans le cadre de cette recherche nous cherchons à saisir le sens que les individus mettent pour construire un supermarché coopératif.

L’objet de la recherche en posture interprétativiste est de produire une « compréhension de la réalité sociale » (Allard Poesi et Perret, 2014, p. 57). Cela se manifeste par la « compréhension des intentions et des motivations des individus participant à la création de leur réalité sociale et du contexte de cette construction, compréhension qui, seule, permet d’assigner un sens à leurs comportements. Cela consiste à appréhender un phénomène dans la perspective des individus participant à sa création, en fonction de leurs langages, représentations, motivations et intentions propres » (Ibid. p. 57).

L’interprétativisme met l’accent sur « la nature intentionnelle et finalisée de l'activité humaine ainsi que le caractère interactionnel, discursif et processuel des pratiques sociales. » (Thietart et al., 2014, p. 17). Il ne s’agit plus de découvrir des régularités causales stables mais, à travers des méthodologies compréhensives, de saisir « la nature construite des phénomènes sociaux » (Ibid.). Ainsi, on tente de saisir le sens plutôt que d’expliquer la fréquence et de « saisir comment le sens se construit dans et par les interactions, les pratiques et les discours » (Ibid. p. 17). Pour saisir le sens en train de se faire en situation, il est nécessaire d’adopter une méthode ethnographique et immersive permettant d’approcher les phénomènes, de saisir les motivations et les significations que les acteurs leur donnent lors de l’interaction (Allard Poesi et Perret, 2014). Compte-tenu de la nature du terrain, de la problématique et de la méthodologie, la présente recherche s’inscrit dans l’approche interprétativiste visant à restituer les interactions, les pratiques et les discours des membres de La Louve. Les recherches interprétativistes utilisent des données empiriques relatives aux personnes - intégrant le cadre de référence de l’acteur pour représenter les situations - ainsi que des concepts théoriques pluridisciplinaires (sociologie, anthropologie, ethnologie, etc) (Wacheux, 1996). Elles combinent une analyse des structures de sens (Spiggle, 1994) et des redondances émiques dans les discours (Wallendorf et Brucks, 1993).

Dans cette recherche une posture interprétativiste a été adoptée afin de produire une « thick description » (Geertz, 1973), c’est à dire une interprétation riche et détaillée des structures de

Dans ce rapport, nous allons donc mobiliser l’approche interprétativiste qui privilégie une définition de l’objet de recherche comme le produit de l’observation et des interactions en situation amenant à la compréhension de ses mécanismes. Ici, nous utilisons les données du terrain, les situations observées pour comprendre la construction par des acteurs d’un supermarché se voulant alternatif, coopératif et participatif, son évolution dans le temps, les écarts entre les pratiques souhaitées, invoquées et réelles. Nous nous intéressons aussi à façon dont les acteurs font sens de cette construction et de ces changements. Ensuite, nous nous pencherons plus précisément sur le travail, ses effets et la façon dont les acteurs le vivent.

Une fois la posture épistémologique établie, la réflexion porte sur le mode de raisonnement de la recherche. Il existe plusieurs idéaux (Bergadàa et Nyeck, 1992). La méthode abductive, par exemple, se base sur des hypothèses vérifiées et éventuellement corrigées en fonction des résultats. La méthode hypothético-déductive quant à elle repose sur la tension "conjecture - réfutation". Une troisième ligne de pensée, la méthode inductive, privilégie l’observation in situ, les hypothèses étant le fruit de cette dernière et non un point de départ (Martinet et Pesqueux, 2013).

Ce travail s’inscrit naturellement dans une démarche inductive qui « privilégie le cheminement des constatations particulières, tirées d’observations de terrain, vers les concepts généraux » (Guibert et Jumel, 1997, p.4). La démarche inductive conduit à aborder la recherche autrement, ainsi pour parler de la réalité du terrain, nous allons abandonner le « nous » académique pour un « je » narratif. Dumez (2013) souligne que la narration est une partie intégrante du processus de recherche. Employer le « je » donne de la cohérence et souligne la non-extériorité du chercheur.

2.1.2 Le design de recherche : une démarche ethnographique contribuant à la Consumer Culture Theory

Le design de recherche est « la trame qui permet d'articuler les différents éléments d'une recherche : problématique, littérature, données, analyse et résultat » (Royer et Zarlowski, 1999). Dans le cadre d’une démarche inductive, la problématique n’est pas spécifiée avant l’élaboration du design de recherche. Il s’agit plutôt de se baser sur le thème pour élaborer le design, la problématique se définissant au fur et à mesure de l’avancement de la recherche (Royer et Zarlowski, 2007).

concrètement, il s’agit d’analyser le fonctionnement de La Louve pour construire et énoncer le design de recherche.

D’un point de vue disciplinaire, la recherche s’inscrit dans le cadre de l’approche culturelle de la consommation dans la lignée des Consumer Culture Theory (CCT) et dans le prolongement des travaux ayant trait à la participation des consommateurs. L’effacement de la frontière entre producteur et consommateur est en effet un phénomène mis en lumière par les travaux en marketing visant à décrire la consommation relevant de la CCT (Arnould et Thompson, 2005 ; Ozcaglar-Toulouse et Cova, 2010). Ces recherches mettent en avant un consommateur qui n’est plus le bout de la chaîne de production ou de servuction mais est au cœur du processus de consommation/production (Firat et Dholakia, 2006 ; Cova et Dalli, 2009).

Mon travail, fondé sur la méthodologie inductive et interprétativiste, a d’abord consisté à récolter les données sur le terrain. C’est au fur et à mesure de l’immersion que mon cadre théorique pluridisciplinaire s’est construit (Robert-Demontrond, 2004), avec pour objectif de répondre au questionnement : comment des individus s’organisent-ils pour fonder un mode de distribution alternatif. Mon cadre théorique a alors permis d’établir le lien entre le travail des consommateurs, le travail coopératif, l’appropriation d’un circuit de distribution et du « faire » accompli par des individus à l’engagement variable. Ces différents prismes théoriques me permettent de répondre plus pertinemment à la problématique qui a émergé.

Au cours de son évolution, le marketing a intégré les méthodes propres aux sciences sociales pour améliorer la compréhension des comportements de consommation (Nizet et Pichault, 2015). Avec le tournant interprétatif qu’a connu la discipline (Sherry, 1991) et l’évolution du courant de la consumer culture, la méthode ethnographique est de plus en plus utilisée car elle permet de saisir et de comprendre, au plus près des consommateurs et de leurs pratiques, les dynamiques de consommation contemporaines et les mouvements de consommation marginaux. Arnould et Wallendorf (1994 : 484) parlent « d’ethnographie orientée marché » qui se définit comme « une approche ethnographique centrée sur les comportements d’individus constituant un marché pour un bien ou un service ».

Ainsi la démarche suivie dans cette recherche est ethnographique par observation participante d’une initiative définie comme une alternative de distribution pour une communauté de

richesse de l’expérience des participants, leurs réactions, leurs « ambiguïtés et paradoxes » (Cefaï et al., 2012, p. 9) sont saisies dans le cadre spécifique où elles se déroulent. Il s’agit de comprendre en quoi consiste le travail des membres les plus impliqués en rendant compte des modalités pratiques de leur participation au collectif au moment où celle-ci se produit.

Mon terrain s’inscrit, comme noté plus haut, dans le cadre d’une approche par observation participante et non-participante. Il ne s’agit pas ici de recherche-intervention ou de recherche- action. La recherche action ou la recherche intervention supposent une « recherche transformative dans les organisations » (Plane, 1995, p. 577). Ainsi, le chercheur doit participer activement, dans ce cas, au « développement organisationnel » de la structure, modifier sa réalité par son intervention (Plane, 2005, p. 143), ce qui n’est pas le cas ici.