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La Louve : Organisation et finalités d’une coopérative d’un genre nouveau

3. La coopérative pour faire le collectif

1.5 Le travail rémunéré :

1.5.2 Des divergences sur le nombre de salariés

L’une des fortes tensions que j’ai observées lors de mon enquête a porté sur l’embauche. Les personnes ayant réalisé les premiers montages du business plan de La Louve avaient prévu l’embauche de quinze salariés alors que les fondateurs américains voulaient avoir cinq salariés à l’ouverture100.

« Afin de tenir les horaires d’ouverture du Supermarché́ (9h-21h, 6j/7) et assurer son fonctionnement opérationnel, 3000 foyers membres et 15 salariés à temps plein seront nécessaires. Ils devront donc être recrutés et formés suffisamment en amont, ce qui constitue l’un des enjeux clé́ du projet en 2014 et 2015. »101

L’une des personnes à avoir réalisé ce business plan, pensait nécessaire que le modèle du supermarché rende possible et promeuve la création d’emploi, dans de bonnes conditions :

Je pense qu’il est important, à côté des bénévoles, que des salariés soient présents en…pas seulement pour des questions d’efficacité ou de gestion des tâches…qui demandent une gestion continue dans le temps qu’un bénévole ne peut pas assurer, mais aussi pour des questions de…juste pouvoir créer des emplois…classiques j’allais dire et montrer, justement, qu’on peut dans ce modèle-là traiter les salariés encore mieux

que ce qu’ils pourraient être traités chez Biocoop par exemple. Que ce soit aussi un modèle pour l’aspect de la gestion salariale. (Olivier)

Lorsque j’ai commencé mon observation, au moins deux personnes très impliquées souhaitaient être recruté par La Louve : Céline102 et Olivier. Céline confiait en novembre 2013, lors d’un entretien pour le blog du Monde « Même pas mal », un blog de référence pour le partage d’alternatives :

« [Céline] […] a rejoint le projet en mai 2013 : « Ce fut un véritable coup de cœur, confie-t-elle, alors qu’elle aimerait bien à terme faire partie de l’équipe en tant que salariée. Le projet porte des valeurs très positives, le mode de gouvernance est très impliquant, Brian et Tom arrivent à transmettre ce qui les anime à l’ensemble de la communauté, si bien que nous avons tous envie de le co-construire au mieux. »103

L’engagement dans et pour le projet, le temps et l’énergie que Céline et Olivier lui consacraient à titre bénévole leur semblaient être une raison suffisante pour devenir salarié. Ce sont effectivement des personnes qui, en période transitoire, consacraient leur journées, soirées et week-end à La Louve :

« Quand j’ai rencontré le projet de La Louve, je démarrais un projet perso et je me suis dit comme cela… : « voilà, je vais répartir mon temps, genre…trois jours par semaine ou quatre jours par semaine, au maximum, pour La Louve et un jour ou deux pour moi » - enfin pour mon projet. Et puis en fait…très rapidement, je me suis retrouvé à bosser…six jours sur cinq pour La Louve parce que c’est extrêmement prenant, cela m’intéressait beaucoup évidemment. Il y avait énormément de choses à faire et il y avait peu de gens pour les faire. On était…on avait la chance, avec XXX, à ce moment-là, d’être tous les deux full time pour La Louve, enfin possiblement on pouvait passer tout notre temps pour La Louve. Et puis, c’est un projet piège parce que…enfin dans ce sens que quand tu bosses avec des bénévoles - on était bénévoles nous aussi même si on bossait un peu comme des salariés mais on était à un rythme de salariés mais en tant que bénévoles -…quand tu bosses avec d’autres…personnes qui sont bénévoles et qui, elles, sont engagées dans leur travail par ailleurs, les réunions et bien tu les fais le soir ou le week-end. Et donc, on se retrouvait à beaucoup bosser, à faire notre

journée…de…quasi salariés, si tu veux, pour La Louve et puis le soir on a les réunions pour La Louve, le week-end les animations, les réunions machins pour La Louve parce que, les gens avec lesquels on bossait, on ne pouvait les voir que le soir ou le week-end.

Céline a cherché et obtenu le financement d’un emploi tremplin pour être recrutée par La Louve. Plusieurs échanges ont porté sur ces possibles recrutements parmi les membres du comité de coordination et ont donné lieu à un clivage au sein des instances dirigeantes de La Louve. Le débat a été tranché dans un premier temps par le refus des « visionnaires » d’un repli sur le modèle entrepreneurial, au motif que la professionnalisation des activités augurait mal de la suite du projet de supermarché collaboratif, basé sur l’investissement bénévole de ses membres.

Ainsi, les « visionnaires » venus des Etats-Unis considéraient le recrutement de salariés comme dangereux et le Président de l’association en juillet 2014 le dénonçait comme pervers, arguant qu’il ferait par la suite « coller » les innovations de La Louve au « catalogue de subventions » proposées par des institutions publiques.104 Même si elle n’est pas revendiquée comme telle, cette volonté d’indépendance correspond à un principe central du mouvement coopératif. Le quatrième principe de l’Alliance Coopérative Internationale intitulé « Autonomie et indépendance » précise que : « La recherche de fonds à partir de sources extérieures doit se faire dans des conditions qui préservent le pouvoir démocratique des membres et maintiennent l’indépendance de leur coopérative. ». Une partie de ceux qui s’opposaient aux recrutements avançait qu’il était dangereux pour La louve de se lancer dans le recrutement de personnes impliquées dans la structure car cela mettait en danger le modèle basé sur le bénévolat. D’autres contestaient le choix de la personne à recruter. Le Président de la coopérative était parmi les fervents opposants à ces recrutements. Il a essayé de fédérer autour de lui plusieurs personnes notamment moi. Il n’était pas d’accord sur le nombre de salariés nécessaires à l’ouverture et me confiera en avoir discuté avec PSFC. En s’appuyant sur les conseils de PSFC, il soutenait que seuls 5 salariés étaient nécessaires, au-delà, l’esprit coopératif ne pourrait pas s’ancrer parmi les membres : avec 15 salariés à l’ouverture, la plupart du travail serait fait par les salariés et peu de tâches pourraient être assurées par les membres, ce qui serait néfaste à la structure à

Cependant la possibilité de financement public partiel de la rémunération d’emploi à travers le dispositif de subvention a finalement été mise en place avec un « Emploi-tremplin » qui a débuté au 1er mars 2015. Comme identifié dans d’autres projets, « les subventions publiques […] n’exercent pas de pressions coercitives sur l’agent. Elles comportent cependant des incitations qui peuvent se traduire par des effets d’éviction au détriment des ressources volontaires » (Enjolras, 2008, p. 29). De fait, les tâches du poste salarié ont été définies à partir des contraintes imposées par le Conseil Régional pour bénéficier du dispositif 106.