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La Louve : Organisation et finalités d’une coopérative d’un genre nouveau

3. La coopérative pour faire le collectif

1.4 Le travail salarié : la référence pour les membres

1.4.5 L’essoufflement et le désenchantement

L’observation a fait ressortir une exploitation de soi comme ressource qui trouve parfois ses limites à travers le développement de risques psychosociaux, qui s’exprime par la fatigue manifestée par certains membres et l’expression de la saturation, voire même le désengagement de coopérateurs très actifs :

« Oh ! Quand j’ai rencontré le projet de La Louve, je démarrais un projet perso et je me suis dit comme cela… : « voilà, je vais répartir mon temps, genre…trois jours par semaine ou quatre jours par semaine, au maximum, pour La Louve et un jour ou deux pour moi » - enfin pour mon projet. Et puis en fait…très rapidement, je me suis retrouvé à bosser…six jours sur cinq pour La Louve parce que c’est extrêmement prenant, cela m’intéressait beaucoup évidemment. Il y avait énormément de choses à faire et il y avait peu de gens pour les faire. On était…on avait la chance, avec Céline, à ce moment-là, d’être tous les deux full time pour La Louve, enfin possiblement on pouvait passer tout

elles, sont engagées dans leur travail par ailleurs, les réunions et bien tu les fais le soir ou le week-end. Et donc, on se retrouvait à beaucoup bosser, à faire notre journée…de…quasi salariés, si tu veux, pour La Louve et puis le soir on a les réunions pour La Louve, le week-end les animations, les réunions machins pour La Louve parce que, les gens avec lesquels on bossait, on ne pouvait les voir que le soir ou le week-end. Et puis…est arrivé un moment où je me suis vu complètement absorbé par le projet et à en oublier ce que je voulais faire moi. Donc… Mais en fait, ce n’est pas moi qui m’en suis aperçu c’est quelque chose qui a dû s’en apercevoir pour moi parce que j’ai été cloué au lit du jour au lendemain par une sciatique - une sciatique c’est là que cela se passe – et cela m’a permis, justement, de prendre du recul forcé et de me dire que…j’allais dans le mur si je continuais comme cela. » (Olivier).

Alors que ressort dans nos entretiens la volonté de « multiplier les activités latérales au travail comme construction de soi » (Cingolani, 2012 : 8), l’émancipation ne paraît pas nécessairement au rendez-vous. L’engagement dans cette activité apparaît plutôt marqué par son intensité avec une charge de travail élevée et la rapidité de l’essoufflement conduisant à des désengagements souvent brusques : la rotation importante des membres du groupe noyau constitue un élément général, avec le renouvellement d’un tiers des coopérateurs de ce groupe très investis dans l’activité de la coopérative entre juin 2014 et juin 2015.

Le désengagement intervient aussi comme réaction au processus de prise de décision :

« quand je passe par hasard à La Louve, […] et qu’il y a X qui dit : « ah eh bien oui, et bien bon je vais être élue…- je vais être élue trésorière » (…). Elle dit cela, je ne suis pas dans la discussion. Ils ont un petit rendez-vous, une petite réunion compta. […] il y a une espèce de…il y a une hiérarchie et il y a un truc qui se passe. Il y a un truc sombre, tu vois. C’est qu’on sait qui va être Président, on sait qui va être trésorière, pff. Nous on ne sait pas et puis elle va nous être présentée. Je pense qu’à l’AG on l’a présentée : « elle va être trésorière » […] c’est quand même bizarre enfin le fonctionnement c’est…la base n’est pas cela. La base n’est pas…qu’il y ait 5 ou 10 personnes qui gèrent. Enfin, soit une adhésion est une voix, soit non. Mais là, j’ai l’impression que ce n’est pas une adhésion une voix quoi, s’il y a des décisions qui sont prises en amont » (Alix) Ou comme réaction à l’apparition d’une verticalité, qui s’éloigne de la représentation que se font certains membres du fonctionnement de La Louve :

très, très bien. C'est-à-dire : tu n’exerces pas du pouvoir ! Ce n’est pas toi qui décides unilatéralement. Et moi je l’ai dit au groupe dès le départ. C’est que je n’ai pas d’autre pouvoir que de faire de la coordination, c'est-à-dire transmettre de l’information. Et j’aimais bien cette idée. C'est-à-dire qu’en fait, je suis interchangeable. C’est pour cela que je suis descendue si vite du cheval, c’est que j’assure une fonction. Mais ce n’est pas moi, Stéphanie, je ne suis pas investie d’un pouvoir. Je n’ai pas le pouvoir de dire : « toi, tu fais cela. Toi, tu fais cela ». Non ! Si je pense que cela reflète l’esprit du groupe…c’est une espèce de leader démocratique d’une certaine façon, tu vois. Alors effectivement, il y a un côté leader parce que qui je suis dans les faits ? Si je suis enthousiaste et bien cela va colorer le groupe mais dans mon cahier des charges je ne suis pas cela. Je suis réellement animatrice de groupe ! Et je ne sais pas si tu m’as vue dans le groupe, c’est extrêmement cela. Chose que Fanny n’est pas du tout. Fanny c’est « moi » …elle coupe la parole des gens en réunion. Enfin tu vois, mercredi elle coupe la parole : « ok », elle dit des choses, dans le compte-rendu, dont on n’a pas…bon, mais sans le mentionner elle a pris le pouvoir. Pour moi ce n’est pas cela. Et moi Tom quand il m’avait dit : « tu es coordinatrice » il m’avait… j’aimais bien cela, tu vois ce côté horizontal. C'est-à-dire que je suis là au service d’un travail. Mais ce n’est pas ma petite pomme, cela n’a rien…cela n’a aucun intérêt. Et donc, je suis interchangeable avec n’importe qui d’autre qui peut continuer à reprendre le flambeau. Et moi, j’adore cela. Parce que c’est cela le minding de La Louve c’est du…c’est de l’horizontal ! Et malheureusement, je vois X et Fanny qui font de…qui font du vertical. (Stéphanie) A travers la description du travail fourni, les membres dans leur activité bénévole s’apparentent aux pro-ams, décrits par Divard (2011) « une nouvelle catégorie d’acteurs qui ont des connaissances, sont éduqués, impliqués et connectés, et mènent leurs activités d’amateurs avec l’exigence de professionnel ». Ce fonctionnement, tout en verrouillant les groupes de travail aux personnes n’ayant pas les compétences spécifiques pour le projet, permet un rendu professionnel dans cette activité bénévole dans le cadre d’un projet « visionnaire », en se basant sur les procédures et outils d’une entreprise classique.

accusation de travail dissimulé, et prenant appui sur le travail accompli par les crèches parentales, le groupe de travail juridique s’est longuement penché sur cette problématique. Ses membres ont, dans ce cadre, rencontré à plusieurs reprises l’URSSAF Ile de France. Leurs recherches ont donné lieu aux conclusions suivantes :

« - La qualification d'une activité au regard du régime général de la sécurité sociale ne relève pas de la procédure de rescrit prévue par l’article L 243-6-3 du code de la sécurité sociale qui fixe limitativement les questions pouvant en faire l'objet et par conséquent l’administration n’émettra aucun avis par écrit ;

- L’URSSAF Ile de France concorde avec La Louve sur le fait que la participation des membres de la Coopérative au fonctionnement du supermarché constitue bien du bénévolat et ne saurait être requalifiée en relation salariée ».97

La position de l’URSAFF (sans remise de papier officiel) repose sur deux critères : d’abord l’absence de rémunération attachée au travail des membres, ensuite l’absence de lien de subordination dans la mesure où seule la présence des membres aux « créneaux » mensuels est nécessaire sans aucune obligation de résultat.

Encadré 13 : Définition juridique du bénévolat

Le bénévolat est défini au niveau du site du ministère de la ville, de la jeunesse et des sports comme suit :

1. « Le bénévole ne perçoit pas de rémunération (en espèce ou en nature : prêt d’un véhicule automobile par exemple). Il peut cependant être remboursé des frais induits par son activité (déplacement, hébergement, achat de matériel...) ;

2. Le bénévole n’est soumis à aucune subordination juridique (critère du contrat de travail). Il ne reçoit pas d’ordre et ne peut pas être sanctionné par l’association, comme pourrait l’être un salarié (licenciement...). Sa participation est volontaire : il est toujours libre d’y mettre un terme sans procédure ni dédommagement. Il est en revanche tenu de respecter les statuts de l’association, ainsi que les normes de sécurité dans son domaine d’activité. »

Source : Ministère de la ville de la jeunesse et des sports [http://www.associations.gouv.fr/736-les- caracteristiques-du-benevolat.html] en ligne consulté le 3/02/2016

Ainsi, le bénévolat se distingue du travail salarié, qui suppose un assujettissement aux dispositions du code du travail et une obligation d’affiliation au régime général de la Sécurité Sociale.

La définition classique du lien de subordination suppose que l’individu qui effectue un travail n’a pas le droit d’intervenir de façon unilatérale sur les modalités de son exercice, qu’il est dans l’obligation de se conformer aux instructions qui lui sont données et au pouvoir disciplinaire de celui qui lui fournit la prestation de travail, avec un contrôle et sous peine de sanction en cas de non-respect des paramètres convenus. La personne qui effectue le travail reçoit une contrepartie en argent ou en nature.