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Des motivations de mise en place d’une alternative à la grande distribution

La Louve : Organisation et finalités d’une coopérative d’un genre nouveau

3. La coopérative pour faire le collectif

2.5 Des motivations de mise en place d’une alternative à la grande distribution

Le discours de La Louve attire des individus qui s’inscrivent tout à fait dans cette « alternative séduisante ». Les personnes souscrivent à La Louve ont des niveaux d’engagement différents, la majorité n’a jamais eu d’expériences associatives ultérieures. L’alternative a un système alimentaire varie selon les individus qui font ce collectif.

Les habitudes alimentaires des membres sont très variables. A côté de membres étant attentifs à la provenance de leurs aliments, d’autres font leurs courses dans des circuits décriés par ailleurs :

Pas du tout. Je réfléchis, non pas du tout. Franprix…DIA. Oh ! DIA, ce matin, j’ai entendu une émission sur les supermarchés genre DIA, LIDL et tout et je me suis dit : « il faut que j’arrête d’y aller ». Mais…non, non pas du tout. Pas du tout…gros supermarché dégueu… (Alix)

« Moi je suis en coloc et ma coloc adore cuisiner… Elle a du temps en ce moment et…elle aime les bons produits (…). C’est clair qu’on n’achète pas de la merde[…] Elle, elle peut aller prendre le temps de faire les courses à droite, à gauche, où moi je n’aurais pas forcément le temps parce que je travaille et que, finalement, je fais souvent mes courses au Monoprix parce que c’est ce qui est ouvert tard alors qu’elle, elle va plutôt aller au Biocoop ou sur le marché, ou prendre les commandes à La Louve. Et après, comment on consomme ? Donc…le maximum en Biocoop, donc tout ce qui est[…]: les yaourts, les céréales, les œufs, tout ce qui est vrac notamment les pâtes, le riz, les céréales, le lait. Enfin, les produits de base. Et en fait, on n’achète pas de produits transformés » (Fanny)

« Essentiellement les Nouveaux Robinsons, c’est une coopérative aussi…parce que, et bien elle est à…quelques centaines de mètres de chez moi mais…voilà, essentiellement du bio…(…) Je suis énormément fruits et légumes. » (Antonin)

2.5.1 Sentiment de dépossession de l’alimentation

Le processus de souscription à La Louve est amorcé par l’envahissement d’un sentiment de dépossession d’un élément important pour les répondants : l’alimentation.

« Alors, tu as cela et après, quand tu ne vas pas dans du bio, du coup tu te retrouves dans les supermarchés ou les je ne sais plus quoi où là tu te sens pris en otage parce que tu sais très bien que ce que tu achètes c’est de la merde et (rires) et que cela va te rendre malade à long terme. Donc, au bout d’un moment tu fais : « ouah ! C’est chaud quoi ». » (Sandra) Ce sentiment de dépossession amène à un questionnement autour de la provenance des aliments, les impacts en terme de santé, une réflexion sur la justice (accessibilité pour tous et rémunération du producteur).

« En fait [la participation à cette initiative] c’était suite à pas mal de discussions que j’avais eues avec pas mal de gens sur quoi manger ? […] Quelle est la meilleure façon de se nourrir ? Est-ce qu’on achète au supermarché ? Enfin bon, où est-ce qu’on achète ? Est-ce qu’on mange des choses qui viennent d’hyper loin ? Est-ce qu’on mange des concombres en hiver ? Voilà, toutes ces questions-là… Est-ce qu’on a le fric pour manger… Pour bien manger ? » (Alix).

« l’alimentation, de manière générale, c’est un sujet qui m’anime beaucoup et que je trouve fondamental. Enfin, c’est ce qui nous permet de rester…enfin, d’une manière très simple et bien, si tu te nourris mal…cela peut très vite avoir un impact etc. Donc, je trouve qu’il y a un rôle sociétal hyper fort de l’alimentaire et à travers ce projet-là, cela me permet d’explorer, de me poser des questions sur le rôle de l’alimentation…de, aussi…essayer de proposer au plus grand nombre - même si ce n’est que parisien pour le moment mais -…une alimentation qui soit plus saine, mieux faite, plus rémunérateur pour ceux qui le font. » (Camille)

Ce sentiment peut engendrer jusqu’à une impression de perte de repères, de déshumanisation de la société. Il est nourri par une critique des méthodes employées par les grands distributeurs et de leurs conséquences sur les manières de produire, sur le devenir des producteurs, sur les consommateurs, la société ou l’environnement. Ces conséquences telles que perçues par les répondants sont d’autant plus troublantes qu’elles semblent complexes, opaques, inaccessibles, car l’information disponible sur les systèmes alimentaires est parfois trop incomplète, les

2.5.2 Les formes alternatives ne répondant pas aux attentes

Les formes alternatives de distribution déjà existantes pour s’approvisionner en produits de qualité apparaissent souvent, pour diverses raisons propres à chacun des systèmes, insatisfaisantes, mal adaptées, voire inexistantes, avec un prix excessifs. Ces constats nourrissent les projets dans lesquels les membres s’engagent et les réflexions qui leur font prendre corps.

« Donc oui. Donc c’est cela qui m’a plu : le côté « ah, je vais enfin pouvoir manger des choses bonnes à un tarif qui ne me dérange pas que je me sens payer ». Parce que, quand je vais dans les magasins bios, je rentre et souvent je ressors je n’ai…j’ai acheté un truc, à la rigueur deux trucs. Je n’arrive pas à faire mes courses dans un magasin bio parce que je trouve que c’est trop cher ! Cela me dérange de mettre cher dans…un truc que je trouve…(…) oui, de l’alimentation de base. Je me sens prise en otage. Cela me dérange » (Sandra)

« Et l’idée, aujourd’hui ici, c’est - grâce aux prix justement - de faire venir ces gens autour d’une consommation plus responsable et de produits bios ou issus de l’agriculture…raisonnée… Voilà l’idée […] J’ai parlé plusieurs fois, j’ai fait référence plusieurs fois à l’aspect prix qui est très important quand on parle de l’alimentation de qualité ou de produits bios… L’idée c’est de proposer, dans ce magasin un peu particulier, des prix attractifs pour ces produits-là qu’on a l’habitude de trouver à des niveaux assez élevés par ailleurs. » 133

L’argument du prix central au sein de La Louve est souvent repris comme élément de motivation par les individus ayant intégré le projet, ou encore comme un élément différenciant de La Louve par rapport aux autres circuits alternatifs.

2.5.3 Construction de ce qu’est une noble intermédiation

Nourries par des insatisfactions multiples, une réflexion et une négociation avec soi-même sont engagées, sur le rôle, le sens et la légitimité de la distribution et de l’intermédiation. Dans cette phase, le consommateur construit sa propre représentation du rôle d’intermédiaire ou de distributeur, dont le fondement est celui de la mise en relation, de l’orchestration (Bradford et Sherry, 2013) de la rencontre entre la production et la consommation, entre l’offre et la demande, entre un humain-producteur et un humain-consommateur. Le circuit de distribution est vu comme un support de soutien à un modèle de production durable

« Voilà, les circuits courts notamment et puis tout ce qui est au niveau…mettons fruits et légumes bios…mais pas seulement bios…avec des gens qui produisent de manière… …responsable, écologique et puis…oui tous les réseaux locaux et puis la permaculture et tout cela. Et donc de suite on…il était question que, quand le supermarché serait (…) en fonctionnement, se mettraient en place, en Ile-de-France, des liens avec des gens qui pourraient cultiver en Ile-de-France pour La Louve, où on leur achèterait leur production et qui produiraient donc soit en permaculture, soit dans d’autres systèmes respectueux de l’environnement quoi. » (Ronan)

« Le levier le plus important c’est de partir sur des circuits d’approvisionnement qui soient le plus court possible. C’est cela qui permet d’avoir des prix… vraiment plus bas en shuntant toutes les étapes, tous les intermédiaires des circuits de distribution classique que sont les centrales d’achat nationales, les plateformes de distribution régionales, j’en passe et des meilleures et des gens qui prennent, à chaque fois, une marge… qui fait que, entre le prix payé aux producteurs qui ne suffit pas, en général, pour vivre, et celui que paie le consommateur, il y a tout un gap… qui est réalisé par les marges que prennent ces intermédiaires. » 134

Un sens noble de l’intermédiation est construit au travers de cette mise en relation qui fonctionne sur la logique de la coopération qui profite à la fois aux producteurs et aux consommateurs faisant écho au discours porté par La Louve. Cette définition permet ainsi de se distinguer de l’intermédiation impie, celle pratiquée par les grands distributeurs, qui, mus

par des intérêts mercantiles, développent des rapports antagonistes et asymétriques avec les producteurs.