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UN CAMP DANS LA VILLE : ROYALLIEU A L’ÉPREUVE DE LA SECONDE GUERRE MONDIALE

Chapitre 1 Vivre sous l'Occupation : une situation exceptionnelle dans un quotidien habituel ?

B. Les relations pacifistes des Compiégnois avec les autorités d'occupation

2. Comment vivre avec un camp dans sa ville ?

Les Compiégnois vivent quotidiennement avec la présence allemande administrant le camp de Royallieu et participant à la gestion de la ville. Ceux qui habitent sur les trajets entre le camp et la gare sont régulièrement confrontés aux convois des internés, sous leurs fenêtres. Comment les Compiégnois réagissent-ils face aux autorités d'occupation et à la présence des internés ?

Même si la présence allemande dans la ville est significative d'une défaite totale pour les Compiégnois, les relations entre les habitants et les nazis semblent assez stables. A l'exception de quelques incidents mentionnés dans les archives administratives, les Compiégnois ne semblent pas s'opposer aux directives allemandes. Je ne mentionne pas ici les actes de Résistance mais uniquement les actes de rébellion. Des collégiens et leur principal ont été accusés d'avoir lacéré des affiches et une gerbe de fleurs apposées par les Allemands.43

L'inspecteur de l'Académie de l'Oise reconnaît cet acte comme inconsidéré mais souhaite les défendre en justifiant l'absence de naissance d'un mouvement politique à Compiègne et en demandant une punition non cruelle en vue de leur jeune âge. Cet acte qui pourrait être considéré aujourd'hui comme une banalité est rapidement maîtrisé par les autorités d'occupation. Ces dernières demandent une surveillance renforcée de la part de la municipalité. Un contrôle accru de la population et surtout de la jeunesse est décidé, comme dans toute la France, afin d'éviter la naissance de mouvements résistants gaullistes et communistes.44 Le contrôle des autorités allemandes, renforcé par leur présence sur le

territoire des Compiégnois, conduit-il à une réduction des actes de rébellion de la part de la population ?

Les contacts directs entre les témoins et les autorités d'occupation sont peu nombreux. Au-delà du regard hostile de certains Compiégnois sur le nazisme, les autorités d'occupation sont les vainqueurs et ont un rapport d'autorité direct sur eux. L'humiliation de la défaite accentuée par l'Occupation conduisent à des adaptations quotidiennes des habitants : remise en question de sa propre image et de celle de son pays, surmonter la barrière de la langue ou

43 ADO, 33W 8240/1, Arrestations, 1940-1944, Occupation allemande, arrestations opérées par les autorités allemandes, renseignements, rapports, correspondances.

44 LAGROU Pieter, Mémoires patriotiques et occupation nazie : résistants, requis et déportés en Europe

occidentale, 1945-1965, [éd. originale 2000] ; traduit du néerlandais par Pieter Lagrou, Bruxelles/Paris,

encore apprendre à cohabiter – voire collaborer – avec le pays vainqueur.45 Des contacts

existent tout de même et j'aimerais mentionner ici quelques exceptions car les particularités locales constituent le fondement de ce travail. Les contacts avec les autorités d'occupation sont-ils toujours le fruit de leur bon vouloir, des situations hasardeuses ou des volontés personnelles des Compiégnois ? Lors de mon entretien avec Émile Hérisson, ce dernier m'a confié une anecdote sur un déplacement en voiture.46 Habitant à La Croix-Saint-Ouen, il était

obligé d'emprunter la rue de Paris, longeant le camp de Royallieu, afin de faire le trajet entre le centre ville de Compiègne et son domicile. Résistant, il transportait fréquemment des armes. Un jour, il a été arrêté devant le camp par un Allemand. Malgré la fouille de son véhicule et quelques échanges verbaux incompréhensibles avec lui, ce dernier n'a pas trouvé les armes cachées au fond de son sac de pommes de terre. Pour Émile Hérisson, il s'agit aujourd'hui d'un risque inconsidéré qu'il n'a pu prendre qu'en raison de sa jeunesse. Ce contact avec l'occupant se limita exclusivement à un échange verbal dans le cadre du respect des ordres imposés par la Kommandantur.

Par ailleurs, les Compiégnois ne perçoivent pas d'un très bon œil la présence allemande à Compiègne, synonyme de défaite. Par exemple, le regard de Violette D. sur les Allemands est très négatif :

Dans les rues, toutes les pancartes c'etait a eux, les escaliers des ho-pitaux c'etait a eux, tout etait marque. Ils prenaient les plus belles maisons, les gens les plus propres et ils n'avaient le droit de ne rien dire. […] Ils etaient chez eux, tout etait ecrit en allemand. J'avais ma cousine… la belle-fille de mon oncle qui etait de Lorraine mais disons que son pere etait un allemand, elle savait parler allemand. Et donc, il y a beaucoup de femmes françaises qui allaient faire le menage ou de la lessive chez ces gens-la. C'etait la debrouille, ce n'est pas pour ça qu'elles couchaient avec les Allemands. Il fallait se debrouiller, il fallait que les femmes travaillent. Leurs maris etaient prisonniers en Allemagne.47

Cependant, sa perception envers les Allemands reste plus positive que celle qu'elle peut avoir envers les Américains. Le regard de Violette D. est double : à la fois une accusation envers les autorités d'occupation qui ont pu monopoliser son environnement mais également une défense envers les femmes tondues à la Libération. Son récit est plus victimaire que peut l'être celui d’Émile Hérisson car elle choisit de mettre en avant ses conditions de vie précaires et les traumatismes de l'Occupation en tant que femme et enfant pendant la Seconde Guerre

45 BURRIN Philippe, La France à l'heure allemande, 1940-1944, Paris, Seuil, 1995. 46 Entretien avec Émile Hérisson, le 11 avril 2019, réf. cit.

mondiale. Ce récit se justifie-t-il car elle raconte son histoire pour la première fois ? Les femmes ont-elles une vision différente des autorités d'occupation ou est-ce uniquement des questions sociales propres à chaque individu ? Contrairement à elle, le récit d’Émile Hérisson est-il davantage influencé par ce qu'il a pu entendre dans les associations d'anciens combattants et par les réactions diverses à chaque fois qu'il peut raconter son histoire ? Ces questions sont valables pour l'ensemble des thématiques abordées mais je les trouve d'autant plus pertinentes quant à la perception sur les Allemands, les internés du camp de Royallieu et la population juive compiégnoise.

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