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Perceptions et réactions du camp de Royallieu (1941-1944)

UN CAMP DANS LA VILLE : ROYALLIEU A L’ÉPREUVE DE LA SECONDE GUERRE MONDIALE

Chapitre 1 Vivre sous l'Occupation : une situation exceptionnelle dans un quotidien habituel ?

B. Être juif à Compiègne pendant la guerre : l'exemple de Léon Malmed

2. Être juif à Compiègne sous l'Occupation : le destin hors du commun de Rachel et Léon Malmed

2.3. Perceptions et réactions du camp de Royallieu (1941-1944)

Pour se rendre dans les jardins de Henri Ribouleau, Léon Malmed est contraint d'emprunter la rue du Mouton, adjacente au camp de Royallieu. Il décrit ce passage ainsi : « Je tenais la main de papa [Ribouleau] qui me disait : ''ne me sers pas si fort, tu me fais mal''. Lorsque nous arrivions dans ces jardins […], il y avait des oies et ces oies me courraient après. […] J'avais la peur de passer devant cette caserne et la peur des oies ».102 En effet, si

Léon Malmed ne sait pas réellement ce que signifie « être juif », il a conscience qu'il peut être arrêté pour ses origines et craint le camp de Royallieu qu'il considère, malgré son jeune âge, comme une prison. Sa remarque précédente est intéressante car sa peur est double : la peur même de l'arrestation assez irrationnelle pour un enfant de cinq ans et la peur des oies, déjà plus rationnelle car matérialisée. J'associe plutôt la peur de l'arrestation à la peur de la séparation – comme celle déjà vécue avec ses parents biologiques – ou au comportement des adultes qui ont réellement conscience des dangers encourus par Léon Malmed, sa sœur et la famille Ribouleau. Toute forme de solidarité envers les Juifs est une désobéissance envers les ordres nazis et vichystes dont la population française a pleinement conscience. La propagande contre les « ennemis de la nation » est telle – signalisation des commerces juifs dès 1940, port de l'étoile jaune dès mai 1942 en zone nord – que personne ne peut ignorer la répression contre les Juifs en France.103 Le camp de Royallieu terrorise Léon Malmed mais les dangers

sont partout. De la voisine hollandaise fréquentant un officier allemand au fermier hollandais réputé comme étant un collaborateur, ces personnes – et certainement beaucoup de Compiégnois – connaissent l'existence de Léon et Rachel. Toutefois, malgré la peur ou leurs convictions, personne ne semble les avoir dénoncés.104

Dans son ouvrage, Léon Malmed décrit le camp de Royallieu et le déroulement des trajets des internés entre le camp et la gare mais non des événements qu'il a pu voir de ses propres yeux. Mais, il précise tout de même : « Nous parlions souvent du sort de ces malheureux qui défilaient sous nos fenêtres dans un sens ou dans l'autre, arrivant ou partant ».105 Les Compiégnois semblent préoccupés par le sort réservé aux internés. En effet,

que ce soit par la compassion ou par l'insensibilité, la situation des internés et le protocole à

102 Entretien par Skype avec Léon Malmed, le 27 mai 2019, réf. cit.

103 LABORIE Pierre, Les Français sous Vichy et l'Occupation, Toulouse, Éditions Milan, 2003.

104 Entretien avec Pierre et sa femme Annie Boursier, le 06 mai 2019, à son domicile, La Croix-Saint-Ouen (Oise), 02h24.

respecter pour les habitants ne peuvent pas laisser les Compiégnois indifférents car ils touchent directement leur quotidien.

Par innocence, Rachel Malmed communique régulièrement avec les internés, accompagnée de son amie Marie Lesueur, en faisant passer des messages de la part de leurs familles qui se sont déplacées pour les voir une dernière fois :

Alors, je lui [Marie Lesueur] disais, je l'appelais euh… Par le nom qu'elle avait, je l'appelais and comme ça les epoux qui etaient la dans le camp savaient que leurs femmes etaient pres de… Alors, ils criaient comme ça parce-qu'on pouvait entendre. Alors quand nous, quand moi je disais, quand moi j'appelais Marie ou que Marie me disait le nom, alors les types ils venaient le plus pres possible qu'ils pouvaient and il se parlaient comme ça en criant. Et apres, un moment, les Allemands ce sont aperçus de ce qu'on faisait alors ils ont ferme la rue, ils [la famille de Marie Lesueur] n'avaient plus le droit de louer les chambres. Ce sont les Allemands qui sont venus et qui ont vecu dans ces chambres-la.106

Pour Rachel Malmed, ce n'était qu'un jeu et elle reconnaît aujourd'hui son insouciance. Plus âgée pendant l'Occupation, elle parvient plus facilement à discerner ce qu'elle a vécu avec son regard d'enfant de toutes les atrocités qu'elle a pu apprendre par la suite.

Aujourd'hui, Léon et Rachel Malmed ne parviennent pas à oublier ces images traumatisantes et le camp de Royallieu, où ils espéraient probablement retrouver leurs parents. Lors de la Libération, le 1er septembre 1944 – que je ne décrirai pas ici car les points de vue de

Léon et Rachel ont été évoqués précédemment –, cet espoir est encore plus grand comme l'explique Léon Malmed dans son ouvrage : « ''Léon ! Nos parents ! Ils vont bientôt revenir'', me dit Rachel en m'étreignant de toutes ces forces. Nous éclatons en sanglots, incapables de nous contenir plus longtemps. Tant le bonheur nous submerge. ''C'est fini, les enfants, c'est fini'', répète Suzanne d'une voix apaisante. ''Le cauchemar est terminé. Nous allons enfin revivre.'' ».107 Mais, il s'avère rapidement que la réalité est toute autre. Srul et Chana Malmed

appartiennent aux 97 % de Juifs compiégnois déportés qui ne reviendront pas des camps de travail et des centres de mise à mort.108 Rachel et Léon Malmed sont confrontés à la mort de

leurs parents dont ils ne parleront publiquement que soixante ans après la guerre. Cependant, ces derniers portent une grande attention à la famille Ribouleau, dont les parents ont été

106 Entretien téléphonique avec Rachel Malmed, le 30 mai 2019, réf. cit. ; Annexe n° 8 « Entretien téléphonique avec Rachel Malmed (née le 29 avril 1932), enfant juive cachée avec son frère, Léon Malmed, chez ses voisins, la famille Ribouleau, à Compiègne pendant la Seconde Guerre mondiale », p. 177.

107 MALMED Léon, Nous avons survécu, enfin je parle, p. 111, op. cit.

108 Voir Annexe n° 2 « Base de données des Juifs compiégnois connus administrativement de 1940 à 1944 », p. 169.

reconnus « Justes parmi les nations » en 1977, qu'ils souhaitent remercier pour son courage et ses sacrifices au cours de l'Occupation.

La Seconde Guerre mondiale a bouleversé le quotidien des Compiégnois. Cependant, l'Occupation s'est tout de même bien déroulée – sauf pour la population juive stigmatisée et persécutée par l'application des lois raciales allemandes et vichystes – et ce malgré la présence exceptionnelle d'un camp d'internement au sein de la ville. Les souvenirs des témoins ont subi l'épreuve du temps influençant et altérant leurs perceptions des acteurs et dans une moindre mesure, du lieu. Les perceptions du lieu sont d'autant plus intéressantes pour le camp de Royallieu, transformé en camp de transit vers l'est, que beaucoup connaissaient comme caserne ou hôpital militaire avant la défaite française du 22 juin 1940.

Chapitre 2 Perceptions du Fronstalag 122 Compiègne-Royallieu

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