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Le 23 février 2008 : une inauguration attendue ?

NATIONALE DU CAMP

Chapitre 5 Un projet aux multiples acteurs après le départ de l'armée en

B. Quels enjeux économiques et politiques pour les Compiégnois et les autorités locales ?

2. Le 23 février 2008 : une inauguration attendue ?

Après la pose de la première pierre à Royallieu, le 25 mai 2007, marquant le lancement du projet, la construction du mémorial débute à la demande de la mairie.35 Il ne

convient pas de mentionner l’ensemble des acteurs du projet et du comité de pilotage mais uniquement ses principaux instigateurs. Le projet a été confié par le maire de Compiègne, Philippe Marini, à l'architecte Jean-Jacques Raynaud, que j'ai eu l'opportunité de rencontrer dans le cadre des journées nationales de l'architecture, le 19 octobre 2019, au mémorial de Royallieu. Selon lui, il n'était pas nécessaire d'avoir un rapport particulier avec la thématique de la Seconde Guerre mondiale et ses mémoires pour réaliser ce projet mais de savoir écouter l'histoire du lieu, son contexte d'hier et d'aujourd'hui et de réaliser la commande demandée grâce à ses compétences professionnelles.36 La conception du parcours historique est

notamment et également piloté par l'historien et réalisateur Christian Delage, spécialiste des procès filmés et de l’image comme preuve dans les procès historiques, notamment de la Seconde Guerre mondiale. En adéquation avec la demande du maire de Compiègne, le mémorial a pour objectifs « un aménagement sobre, [de] créer de l'émotion, et [de] faire en sorte que les visiteurs ne ressortent pas indemnes de ce parcours ».37

Les enjeux historiques et mémoriels de l'aménagement du mémorial sont visibles lors de son inauguration, le 23 février 2008. Un programme de rencontres et de projections documentaires est mis en place les 23 et 24 février 2008 en présence d'historiens spécialistes

33 Entretien écrit réalisé avec Joël Dupuy de Méry, conseiller municipal délégué à la citoyenneté, aux relations avec l’armée, aux cérémonies patriotiques depuis 2001, reçu le 02 mai 2019.

34 ROUSSO Henry, Face au passé. Essais sur la mémoire contemporaine, Paris, Belin, 2016. 35 MIDR, Pochette orange « Première pierre Royallieu ».

36 Entretien écrit réalisé avec Jean-Jacques Raynaud, architecte du mémorial de Royallieu, reçu le 05 novembre 2019.

de la Seconde Guerre mondiale dans l’Oise – Christian Delage et Beate Husser –, d'auteurs et de réalisateurs de documentaires historiques – Emmanuel Migeot, Cédric Condom et de nouveau Christian Delage –, de l'équipe de maîtrise d'œuvre, de témoins de l'internement, de la déportation et de la Shoah à Compiègne – notamment Léon et Rachel Malmed, deux enfants juifs cachés par leurs voisins pendant la guerre38, présentés précédemment tout comme

Michel Drucker, appelé au service militaire à la caserne de Royallieu en 1962 et fils d'Abraham Drucker, médecin au camp de Royallieu en 194239 –, et enfin, d'associations

locales.40 Le rôle des associations d'anciens combattants, internés et résistants n'est pas à

négliger dans l'élaboration du mémorial. Dans son témoignage, Raymond Lovato, né en 1940 et président de différentes associations pour la mémoire de la résistance et de la déportation, explique que la municipalité n'aurait pas réalisé le mémorial sans l'insistance des associations.41 L'objectivité du témoin n'est sans doute pas totale car, étant lui-même président

d'associations et très proche d'anciennes familles d'internés et de déportés, il défend sa perception de président et valorise le rôle des associations au détriment des réelles démarches entreprises par la municipalité. Mais, ce n'est pas pour autant que la municipalité est la seule instigatrice du mémorial. Si elle a apporté un financement indispensable et contribué à en trouver d'autres, la municipalité subit tout de même la pression des associations, menant bien souvent à des conflits pour parvenir à un consensus et faire respecter les intérêts de tous.42 En

effet, d'une part les associations sont nombreuses et cherchent à faire reconnaître leur mémoire plus qu'une autre, d'autre part, malgré son intérêt pour la mémorialisation du lieu, le maire de Compiègne devait déterminer des intérêts économiques, politiques et sociaux avant de lancer le projet de mémorial. Selon Raymond Lovato, la date de l’inauguration du mémorial était beaucoup trop lointaine :

Il faut savoir qué lé mémorial était éspéré dépuis 1946 . Un dossiér avait été proposé par lés assos c'était uné tour pénchéé avéc chaqué féné.tré pour un camp ét un grand gisant pour lé mémorial. Architécté, financés, tout y était.

Séulémént la Francé ét Compiégné n'étaiént pas pré.tés a sé régardér én facé. Trop dé témoins (résistants, collabos, étc). En 1972, jé mé souviéns dé la bagarré pour qué la municipalité né placé pas, commé éllé l'avait prévu, lé monumént dés déportés én foré.t dé Compiégné. Il fallait éloignér la déportation dé

38 Voir partie 1, chapitre 1, B. Être juif à Compiègne pendant la guerre : l’exemple de Léon Malmed. 39 Voir partie 2, chapitre 3, B. Perceptions de l’espace par un appelé : l’exemple de Michel Drucker.

40 MIDR, Carton blanc « Inauguration du mémorial de Royallieu, le 23 et 24 février 2008 », programme des journées d'inauguration.

41 Entretien écrit réalisé avec Raymond Lovato, président du Comité d'Entente des Associations Issues de la Résistance et de la Déportation de l'Oise ; président de l'Association des Déportés, Internés, Résistants et Patriotes de l'Oise ; adjoint de la Trans'mission – Mémoire du camp de Royallieu, reçu le 10 décembre 2019.

la cité impérialé… Encoré aujourd'hui, j'ai réncontré dés pérsonnés dé viéillés famillés compiégnoisés qui né véulént pas én parlér (faut pas, c'ést gé.nant). Mainténant qué lés témoins sont partis, lés jéunés én parlént plus librémént surtout qué c'ést au programmé scolairé. Uné grandé majorité dés géns dé Compiégné (50, 60 ans, lés Gloriéusés) qui n'ont pas été sénsibilisés par léurs parénts né sont jamais vénus au mémorial. C'ést du passé ét én plus il y a dé bonnés sériés a la télé...

Lés assos, amicalés dés camps, fondations avaiént donc dépuis longtémps travaillé a l'élaboration du mémorial (ba.timénts ét muséographié). Lorsqué l'arméé (qui voulait bién du mémorial dépuis 1946) quitta lé camp, sous la préssion dés assos ét j'én suis témoin, la municipalité a été obligée dé fairé un mémorial.43

Raymond Lovato évoque ici le projet avorté du « Monument national du souvenir » de 1946, présenté précédemment. Selon lui, l'abandon du projet n'est pas lié uniquement à des questions économiques ou de représentations de la mémoire collective. Tout comme pour le deuxième monument aux morts en hommage aux déportés de 1972 – en pierre et aujourd'hui situé à côté du mémorial –, le projet semble avoir été mené par les associations afin de lutter contre l'oubli et le silence des Compiégnois sur leur passé. Les associations semblent avoir reçu l’accord, en amont, de l’armée pour penser le mémorial tandis que la municipalité, plus réticente dans un premier temps, a fini par céder tout en y servant ses propres intérêts. Cependant, Raymond Lovato néglige le contexte national de l'époque et fait de Compiègne, un cas particulier. Jusque dans les années 1970, le mythe résistancialiste domine en France, mettant en avant une généralisation de la résistance à l'ensemble de la nation, ce qui ne favorise pas une reconnaissance des mémoires de toutes les victimes dans l'espace public.44

Enfin, l'inauguration du mémorial est une véritable cérémonie nationale où sont conviées de nombreuses personnalités représentant l'Etat, l'armée et les associations telles que : Olivier de Baynast, procureur général de la République ; le colonel Hoarau, commandant second de la base de Creil – dernière base militaire aérienne de l'Oise située à 37 kilomètres de Compiègne – ; ou encore Tom Remfrey, président de l'association des déportés de Guernesey et ancien interné des camps de concentration d'Aurigny, situés sur des îles anglo-normandes.45 D'autres donateurs, témoins, chercheurs, représentants divers et variés ont

également été contacté. L'objectif n'est pas de faire une liste énumérative de ces invités mais de montrer les efforts réalisés par la municipalité pour rassembler, à Compiègne, différentes sphères de la société. Ces personnes sont une véritable publicité pour le mémorial et la ville,

43 Entretien écrit réalisé avec Raymond Lovato, reçu le 10 décembre 2019.

44 LAGROU Pieter , Mémoires patriotiques et occupation nazie. Résistants, requis et déportés en Europe

occidentale, 1945-1965, Bruxelles, Complexe, 2003.

45 MIDR, Carton blanc « Inauguration du mémorial de Royallieu, le 23 et 24 février 2008 », liste des personnalités présentes.

elles permettent de concilier les intérêts politiques, économiques et mémoriels de tous, à différentes échelles.

L’inauguration du mémorial est également relayée dans la presse nationale et locale. Le mémorial de Royallieu est présenté comme le symbole d’une longue histoire militaire à Compiègne ainsi que de la cristallisation des mémoires de la Seconde Guerre mondiale et de l’armée française qu’il est nécessaire de faire vivre en attirant les visiteurs.46 La médiatisation

de l’inauguration est également centralisée autour de la présence de Michel Drucker, appelé au service militaire à la caserne de Royallieu en 1962 et fils d’Abraham Drucker, interné et médecin au camp de Royallieu en 1942.47 En effet, l’histoire de Royallieu étant méconnue du

grand public, la municipalité et les membres du comité de pilotage pour l’élaboration du mémorial redoublent d’efforts, par l’intermédiaire des médias, pour favoriser la (re)connaissance du lieu auprès de la population française et pas uniquement de la haute sphère de la société ou des victimes directes et indirectes de la répression nazie au sein du

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