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NATIONALE DU CAMP

Chapitre 5 Un projet aux multiples acteurs après le départ de l'armée en

C. Comment conserver spatio-temporellement et symboliquement la mémoire du camp ?

1. Un projet scientifique à vocation pédagogique

Dès l’annonce du projet de mémorial à Royallieu en 1994, les enjeux historiques et pédagogiques que ce dernier suscitent sont au cœur des préoccupations de la municipalité et du comité de pilotage. Le dossier préalable de programmation et de financement mentionne expressivement le parti pris historique et pédagogique du parcours envisagé : « Le mémorial doit donner à voir et à comprendre les formes de l’oppression nazie dans ses manifestations les plus radicales, la mise hors la loi et la négation de la qualité d’être humain à des millions d’Européens ; il situera également des effets provoqués sur la population française ou résidant en France. »50 Les années 1990 sont marquées par la reconnaissance publique des victimes de

la Shoah et la responsabilité du régime Vichy dans les arrestations et les déportations ainsi que l’essor des Cultural heritage studies – étudiant les relations entre les personnes et le patrimoine matériel et immatériel – dans l’historiographie française.51 Ce tournant politique,

mémoriel et scientifique se répercute à différents échelles de la société française ; ainsi, l’école et les arts n’y échappent pas. L’apprentissage des drames du passé auprès de la population, notamment des plus jeunes, est le principal enjeu de la patrimonialisation et de la mémorialisation afin d’assurer le devoir de mémoire envers les victimes récemment reconnues, de lutter contre l’oubli, d’éviter que ces événements ne soient déformés et ne se reproduisent ainsi que de graver dans le temps et l’espace les événements du passé.

Afin de mener à bien cette mission historique et pédagogique, des premiers supports pédagogiques sont proposés – une exposition permanente, l’accès libre à des livres, des films,

49 DROUGET Noémie, GOB André, La muséologie : Histoire, développement, enjeux actuels, Paris, Armand Colin, 2014.

50 Voir annexe n° 10, Mémorial de l’internement et de la déportation de Royallieu, pochette orange « Projet mémorial 1994 », dossier préalable de programmation et de financement (extraits), p. 198.

51 AMBROISE-RENDU Anne-Claude, OLIVESI Stéphane, « Du patrimoine à la patrimonialisation. Perspectives critiques », Diogène, n° 258-259-260, 2017, p. 265-279.

des témoignages audiophoniques et des objets – pour permettre de traiter différents sujets : le nazisme, le transit des internés à Royallieu et leur déportation vers l’Est ainsi que la Libération et le retour des survivants.52 Pour cela, une recherche d’archives et d’objets

d’histoire et de mémoire est principalement menée par Françoise Theys, chargée de mission à la mairie de Compiègne de 2003 à 2008.53 Dans son entretien écrit, cette dernière énumère les

principaux objectifs de sa mission : « rechercher les témoins encore vivants ayant eu un lien, quel qu’il soit, avec le camp de Royallieu et bien sûr, les internés eux-mêmes ou leur famille, afin de recueillir leurs paroles, souvenirs, témoignages ; et les objets, documents, photos, dessins, lettres, vêtements, etc en rapport avec le camp, son histoire afin de constituer la " matière première " du mémorial ».54 Tout objet peut devenir une source historique et

patrimoine, qu’il soit matériel ou immatériel. En effet, si la matérialité des sources est traditionnellement reconnue par le champ scientifique, notamment les antiquisants confrontés au manque de sources textuelles, la dématérialisation des sources et plus précisément, les archives orales sont une source de plus en plus légitime pour l’historien depuis les années 1990. En outre, la reconnaissance officielle par l’Organisation des nations unies pour l’éducation, la science et la culture du patrimoine culturel immatériel en 2003 valorise l’utilisation des corpus oraux permettant, selon l’historienne Florence Descamps, d’archiver la mémoire d’un point de vue scientifique, d’écouter la parole des témoins même lorsqu’ils auront disparus et de toucher, au-delà des enjeux didactiques du témoignage, les émotions de son auditeur.55

Le parcours historique – illustré ci-après – est élaboré dans deux des trois baraquements militaires conservés par la municipalité. La scénographie finale choisie par le comité de pilotage le divise en dix salles relatant : les conditions militaires et politiques de la défaite de 1940 ; la propagande vichyste ; l’administration militaire allemande en France ; la Résistance, les otages et la radicalisation de la répression contre les ennemis du Troisième Reich ; la responsabilité française dans la « Solution finale » ; l’internement au camp de Royallieu et son administration ; les convois de déportation ; la Libération et les procès d’après-guerre.56

52 Voir annexe n° 10, Mémorial de l’internement et de la déportation de Royallieu, pochette orange « Projet mémorial 1994 », dossier préalable de programmation et de financement (extraits), p. 198.

53 MIDR, Carton blanc « Documents Françoise Theys ».

54 Entretien écrit réalisé avec Françoise Theys, reçu le 25 novembre 2019.

55 DESCAMPS Florence, Archiver la mémoire : de l'histoire orale au patrimoine immatériel, Paris, Éditions de l'EHESS, 2019.

Fig. 19 - Plan de visite du mémorial de Royallieu

Source : Mémorial de l’internement et de la déportation de Royallieu, « plan de visite », 2019, disponible à : http://www.memorial-compiegne.fr/visiter-le-memorial.aspx

Pour illustrer ces différents tableaux, les sources retenues et reproduites sont, comme convenu entre les membres du comité de pilotage, de natures diverses : archives administratives, correspondance, témoignages écrits et oraux, photographies, films, ouvrages, presse et affiches dont les originaux sont conservés dans différents centres d’archives – notamment les archives municipales de Compiègne et les archives départementales de l’Oise – ou par le mémorial grâce aux donations recueillies par Françoise Theys.57 Le parcours

historique reprend les grandes lignes de l’histoire politique et sociale française pendant la Seconde Guerre mondiale en insistant sur les préoccupations politiques, sociétales et historiographiques contemporaines à l’élaboration du projet : la France de Vichy et la parole des témoins.

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