• Aucun résultat trouvé

Un parcours muséographique plus symbolique qu’historique ?

NATIONALE DU CAMP

Chapitre 5 Un projet aux multiples acteurs après le départ de l'armée en

C. Comment conserver spatio-temporellement et symboliquement la mémoire du camp ?

2. Un parcours muséographique plus symbolique qu’historique ?

Le mémorial a été conçu dans un contexte national et une historiographie particuliers. Ainsi, il aurait été pensé totalement différemment – ou pas du tout pensé – quelques années auparavant car le régime de mémorialité était tout autre : celui du mythe résistancialiste. La conservation, la restauration et la médiatisation d’un objet de patrimoine constituent une temporalité en adéquation avec ses contemporains.58 Des choix pédagogiques mais également

esthétiques et émotionnels sont proposés afin d’attirer l’attention et de sensibiliser les visiteurs. Par exemple, la conservation et la présentation du tunnel d’évasion – creusé secrètement et il a permis l’évasion de 19 internés en 1942 et de 13 en 1944 – dans l’enceinte du mémorial permet également, à mon sens, de susciter l’admiration des visiteurs envers le courage des internés, en hommage à leur mémoire. La mémoire est omniprésente, sous différentes formes, comme le souhaitait le comité de pilotage. En effet, indépendamment du parcours historique, un jardin de la mémoire ornementé de plusieurs témoignages audiophoniques, de monuments, d’un mur des noms est accessible pour les visiteurs tout comme la chapelle – elle n’est pas d’époque mais rappelle l’existence de pratiques religieuses au sein du camp et offre la possibilité aux visiteurs de se recueillir à la mémoire des victimes, s’ils le souhaitent –.59 Les visiteurs sont libres de conduire leur visite sous le versant

historique et/ou mémoriel même si faire ressentir la « charge émotionnelle » du lieu était un enjeu dès l’élaboration du projet. Françoise Theys estime que : « l’aboutissement

57 MIDR, Classeur bleu « mémorial, direction générale ».

58 DODEBEI Vera, TARDY Cécile (dir.), Mémoire et nouveaux patrimoines [En ligne], Marseille, OpenEdition Press, 2015, consulté le 14 août 2020.

muséographique et mémoriel est satisfaisant à la fois sur le plan scientifique et historique, mais aussi " émotionnel " (dimension qu’il ne fallait pas négliger pour un tel sujet, sans pour autant tomber dans la " victimisation mémorielle ", ni dans un " pathos " dramatisant...) ».60

Ainsi, le mémorial de Royallieu peut prétendre être, grâce à cette double démarche historique et mémorielle, un symbole de la reconnaissance des victimes de l’internement en France et des mémoires de la Seconde Guerre mondiale.

Cependant, les avis ne sont pas unanimes sur l’aboutissement muséographique et mémoriel du mémorial. Anne Bonamy, chargée de l'accueil et de la médiation des publics, scolaires et groupes adultes au mémorial de 2008 à 2011 puis, directrice de 2011 à 2018, relève quelques lacunes justifiées par le renouvellement récent de l’historiographie sur la question :

Cé qui ést cértain, c'ést qué vu lé nombré trés important dé connaissancés nouvéllés sur l'histoiré du camp ét l'évolution globalé dé l'historiographié dé la déportation dés camps d'intérnémént français vérs lés camps dé concéntration, la muséographié actuéllé ést désuété, déséquilibréé voiré parfois éntraî.né dés contré- séns dés visitéurs […]

A mon séns, ét jé l'ai dit a dé nombréusés réprisé a la villé dé Compiégné dépuis plusiéurs annéés, lé parcours historiqué doit absolumént é.tré répénsé ét réécrit dans sa totalité, a la lumiéré dés récéntés découvértés, ét avéc la misé én valéur dés plus béllés piécés dés colléctions : actuéllémént, vous né trouvéréz aucun objét original, aucun documént mé.mé én fac-similé én vitriné. Or, céla va a l'éncontré dés bésoins d'un public toujours plus én réchérché d'authénticité ét dé vérité. L'idéé n'ést pas dé récréér lé camp, mais dé sé sérvir dés objéts ét dé l'histoiré dé céux qui lés ont possédés pour touchér ét émouvoir. Dans un but pédagogiqué ét dé réfléxion, pour nourrir lés citoyéns én dévénir ét céux qui détiénnént lé pouvoir qu’ést lé droit dé voté.61

Le parcours mémoriel tel que présenté aujourd’hui ne semble plus en conformité avec les avancées scientifiques et la demande du public car le rapport à l’histoire et à la mémoire de cette période évolue. En effet, d’après Anne Bonamy – et depuis l’inauguration du mémorial en 2008 –, plusieurs projets de mémoriaux davantage en adéquation avec les attentes du public ont vu le jour en France.62 Cependant, le mémorial de Royallieu étant un

établissement municipal, seule la ville peut accepter ou non la modification de la scénographie. La perception du maire de Compiègne, Philippe Marini, diffère sur cette

60 Entretien écrit réalisé avec Françoise Theys, reçu le 25 novembre 2019. 61 Entretien écrit réalisé avec Anne Bonamy, reçu le 06 avril 2020. 62 Ibid.

question car ce dernier considère que « aujourd’hui des évolutions significatives, avec la présentation d’objets dont [ils ne disposaient] pas, […] utilisant le progrès des connaissances historiques » sont exploitées.63 Si ces préoccupations n’appartiennent pas à la période étudiée,

elles confirment que la mémorialisation et la muséification d’un lieu ne sont pas deux phénomènes figés dans le temps mais qu’ils nécessitent un renouvellement régulier afin de s’adapter aux nouvelles découvertes scientifiques, pour se rapprocher le plus possible de la vérité historique, et continuer de contribuer au devoir de mémoire en sensibilisant le public, selon les attentes de son temps, à l’obligation morale de se souvenir des événements tragiques de la Seconde Guerre mondiale et de leurs victimes afin qu’ils ne se reproduisent pas.64

La transmission des mémoires de la Seconde Guerre mondiale dans les années 1990 s’inscrit dans un contexte national de reconnaissance officielle des victimes de la Shoah et de la participation active du régime de Vichy dans leur déportation. La ville de Compiègne et plus particulièrement le camp de Royallieu sont investis par l’État afin de mener à bien cette mission. Le rôle de la municipalité compiégnoise est central pour sa mise en place car cette dernière souhaite à la fois en tirer des avantages politiques et économiques considérables tout en accomplissant une démarche mémorielle sur le modèle national et selon les aspirations personnelles de ses acteurs. L’élaboration du mémorial est réfléchie, dans son fond comme dans sa forme, pour la transmission de savoirs et de mémoires mais elle nécessite tout de même des choix méthodologiques liés à l’histoire du lieu et à des enjeux touristiques pour attirer les visiteurs.

63 Entretien écrit réalisé avec Philippe Marini, reçu le 06 décembre 2019.

Chapitre 6 : L'inauguration du mémorial en 2008 : quelle(s) histoire(s)

raconter ?

La muséographie du mémorial a nécessité un long travail de recherche scientifique et pédagogique comme nous l’avons vu précédemment. Transmettre les mémoires du passé était un enjeu primordial pour le comité de pilotage mais tout projet de cette ampleur nécessite de faire des choix afin de livrer à tous les visiteurs – quels que soient leur âge, leur genre, leur nationalité, leurs origines et leurs connaissances sur la thématique – un message précis, en accord avec les volontés de son instigateur.1 Le jeune public est tout de même la cible privilégiée pour l’équipe scientifique

et pédagogique du mémorial. En adéquation avec les écoles locales – du secondaire, principalement –, plusieurs visites sont organisées au mémorial, depuis son ouverture, en conformité avec les attentes de l’État.2 En effet, l’école a un rôle essentiel à jouer dans

l’enseignement de l’histoire et la transmission des mémoires du passé afin, d’une part, de lutter contre l’oubli et d’éviter que de telles tragédies du passé ne se reproduisent ; d’autre part, de construire une unité nationale autour d’une histoire commune à tous les citoyens.3 Les musées et

lieux de mémoire deviennent en ce sens des partenaires privilégiés de l’éducation nationale. Instaurée dès les années 1990 et 2000, cette pédagogie peut être également considérée comme une instrumentalisation de la mémoire à des fins politiques plus qu’à un renouveau des demandes sociales en lien avec les avancées historiographiques, mais l’idée principale reste de former des citoyens raisonnés, lucides sur leur passé – quelques fois culpabilisant – et, dans le meilleur des cas, engagés dans la participation aux commémorations locales.4

Le mémorial propose une histoire de l’internement et de la déportation, comme l’indique son appellation complète : Mémorial de l’internement et de la déportation – camp de Royallieu. Ainsi, est-il présenté, dès sa dénomination, comme un symbole de l’histoire de l’internement et de la déportation à l’échelle nationale, voire internationale – les visites étant disponibles dans plusieurs langues grâce aux audio-guides – ? A l’échelle locale, la population est confrontée quotidiennement à son passé, qu’elle souhaite visiter le mémorial ou non, au cœur même de sa ville, comme illustré ci-après.

1 ANTICHAN Sylvain, GENSBURGER Sarah, TEBOUL Jeanne, « La commémoration en pratique : les lieux sociaux du rapport au passé », Matériaux pour l’histoire de notre temps, vol. 121-122, n° 3, 2016, p. 5-9.

2 Entretien écrit réalisé avec Anne Bonamy, chargée de l'accueil et de la médiation des publics, scolaires et groupes adultes (2008-2011), puis directrice (2011-2018) du Mémorial de Royallieu, reçu le 06 avril 2020.

3 TUTIAUX-GUILLON Nicole, « Mémoires et histoire scolaire en France : quelques interrogations didactiques »,

Revue française de pédagogie [En ligne], n° 165, 2008, mis en ligne le 01 octobre 2012, consulté le 24 janvier 2020.

4 ANDRIEU Claire, LAVABRE Marie-Claire, TARTAKOWSKY Danielle, Politiques du passé, usages politiques du

Fig. 20 – Vue satellite de Compiègne (2018)

Source : Vue satellite de Compiègne, Géoportail, 2018

Quelles mesures sont mises en place par le mémorial afin de transmettre l’histoire du lieu et de ses acteurs ? Quels sont les rapports des visiteurs avec le lieu ? Perçoivent-ils un camp, une caserne militaire ou un objet patrimonial lors de leur visite au mémorial ? Quelle place est accordée à l’histoire de l’armée française, ayant occupé les lieux pendant plus de 80 ans ?

L’objectif de ce chapitre est de comprendre que la muséographie propose une histoire de la déportation accessible à tous, notamment auprès des plus jeunes, confrontant, en apparence, les visiteurs à cette unique perception du lieu et marginalisant la place de l’histoire militaire française au sein de la muséographie.

Outline

Documents relatifs