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UN CAMP DANS LA VILLE : ROYALLIEU A L’ÉPREUVE DE LA SECONDE GUERRE MONDIALE

Chapitre 1 Vivre sous l'Occupation : une situation exceptionnelle dans un quotidien habituel ?

B. Être juif à Compiègne pendant la guerre : l'exemple de Léon Malmed

2. Être juif à Compiègne sous l'Occupation : le destin hors du commun de Rachel et Léon Malmed

2.2. Un quotidien sous pression (1942-1944)

Après l'arrestation de leurs parents, Rachel et Léon Malmed rejoignent l'appartement de la famille Ribouleau. L'espace est très restreint pour six personnes. En effet, Henri Ribouleau, né en 1901, et sa femme Suzanne Mouton, née en 1905, sont déjà les parents de deux jeunes garçons : René Ribouleau, né en 1923 et âgé de 19 ans en 1942, ainsi que Marcel Ribouleau, né en 1924 et âgé de 18 ans. Pourtant, pour Suzanne Ribouleau, il était impossible d'abandonner les enfants Malmed : « Je n'ai pas pensé à moi, j'ai pensé aux enfants. […] Vous ne laisseriez pas partir deux enfants à la mort comme ça. C'est pas possible. Moi je... Tout de

88 MEYERS Daniel (réalisateur), 17, rue Saint Fiacre [DVD], témoignage de Rolande Clausse, 1999, 24 min. 89 JOLY Laurent, L’État contre les juifs : Vichy, les nazis et la persécution antisémite, op. cit.

90 ADO, 121W 12/2, Affaires juives, recensements, délivrance de l'étoile jaune, aryanisation des biens juifs, 1940-1944, Juifs de l'arrondissement de Compiègne en 1941.

suite, j'ai sauvé les enfants. Parce-que je ne crânais pas, j'avais peur ».91 Si les conditions de

vie sont difficiles, au-delà des restrictions alimentaires et matérielles imposées par l'Occupation, la famille Ribouleau doit nourrir six personnes alors qu'elle ne possède que quatre cartes de rationnement. Après le départ de leurs parents, les enfants Malmed sont considérés comme absents administrativement et pour les protéger, la famille Ribouleau ne signale pas leur présence aux autorités locales et d'occupation.92 Les enfants Malmed ne

portent pas non plus l'étoile jaune. Léon Malmed n'a pas six ans et n'est pas contraint de la porter pour être en règle tandis que Rachel Malmed n'a pas été signalée sur le bordereau de ses parents du 5 juin 1942 quant à la réception de son insigne.93 En effet, à partir du printemps

1942, tous les Juifs français doivent porter l'étoile jaune dès l'âge de six ans.94 Cette omission

administrative – probablement volontaire de la part de Srul et Chana Malmed – a permis d'épargner les enfants Malmed de l'arrestation et de la déportation, dans un premier temps.

Si le rationnement alimentaire limité est partiellement comblé grâce au jardin, à la pêche et aux animaux chassés l'été par Henri Ribouleau, pour Léon Malmed une chose est sûre : « La peur d'une dénonciation, constante pesait lourdement sur nous tous ».95 La famille

Ribouleau tient à ce que les enfants Malmed continuent à mener une vie normale en allant à l'école, même irrégulièrement. Pour Léon Malmed, l'école est une échappatoire où personne ne parle de la guerre et où le fait d'être juif ne semble pas problématique. En revanche, Rachel Malmed ne retrouve pas ce même espace sécuritaire à l'école :

Pendant la guerre, de jours en jours, on ne savait jamais ce qui allait se passer and a l'ecole, moi a l'ecole, d'un seul coup quand tout ça est arrive, toutes les amies, toutes, toutes, toutes les autres filles qui allaient a l'ecole avec moi, d'un seul coup, d'un seul coup, elles se sont arre-tees de me parler, de me voir, de me toucher. And, seulement une copine qui est restee avec moi tout le temps. […] Et elle etait a co-te de moi, elle m'a soutenue, elle etait toujours, toujours tres gentille. Mais, cela dit, quand l'ecole, quand il y avait les Allemands et des trucs arrivaient, vraiment les institutrices cachaient mes livres. Mais non, il y a personne qui n'a jamais rien dit contre moi avec les Allemands. […] Ils m'appelaient ''sale juif''. Il m'appelaient ''sale juive'' parce que d'un seul coup, je suis devenue sale.96

91 MEYERS Daniel (réalisateur), 17, rue Saint Fiacre [DVD], témoignage de Suzanne Rbouleau, réf. cit. 92 ADO, 121W 12/2, Affaires juives, recensements, délivrance de l'étoile jaune, aryanisation des biens juifs, 1940-1944, Juifs de l'arrondissement de Compiègne en 1942.

93 ADO, 121W 13/2, Affaires juives, recensements, délivrance de l'étoile jaune, aryanisation des biens juifs, 1940-1944, bordereaux pour l'attribution des insignes des Juifs compiégnois.

94 POZNANSKI Renée, Les Juifs en France pendant la Seconde Guerre mondiale, op. cit. 95MALMED Léon, Nous avons survécu, enfin je parle, p. 58, op. cit.

96 Entretien téléphonique avec Rachel Malmed, le 30 mai 2019, réf. cit. ; Annexe n° 8 « Entretien téléphonique avec Rachel Malmed (née le 29 avril 1932), enfant juive cachée avec son frère, Léon Malmed, chez ses voisins, la famille Ribouleau, à Compiègne pendant la Seconde Guerre mondiale », p. 177.

Léon Malmed est probablement trop jeune pour subir ces insultes contrairement à sa sœur. Personne n'ignore la présence d'une enfant juive à l'école et, malgré certains propos antisémites, personne ne cherche à la dénoncer. Plusieurs questions se posent alors : Léon et Rachel doivent-ils leur survie à un concours de circonstance ? Les autorités locales et d'occupation ont-elles délibérément choisi d'épargner ces deux enfants ? La police française est chargée de l'arrestation des Juifs et doit suivre une liste de noms. Cet acte de collaboration avéré n'est pas toujours une tâche facile pour les policiers qui peuvent choisir de n'arrêter, par acquis de conscience, qu'une partie des individus mentionnés sur la liste pour satisfaire la demande de leurs supérieurs et des autorités d'occupation.97

Le 19 janvier 1944, Charles Malmed, le cousin de Léon et Rachel Malmed, et fils de Joseph Malmed et Madeleine Rozenwurcel – arrêtés le 19 juillet 1942 comme Srul et Chana Malmed – est arrêté. Depuis l'arrestation de ses parents, la famille Beaugis, des voisins, s'occupe de lui comme leur propre enfant. Comme Rachel et Léon Malmed, Charles Malmed est connu comme « absent » administrativement.98 Le 4 janvier 1944, une grande rafle est

organisée dans l'Oise et la Somme conduisant à l'arrestation de 51 Juifs par la police française.99 Toutes les personnes arrêtées dans l'Oise sont immédiatement conduites au camp

de Creil, puis, à Drancy avant d'être déportées vers Auschwitz, dans le convoi 66, le 20 janvier 1944. A cette période, le temps de transit est très court et le processus d'extermination est intensif. A Compiègne, 18 Juifs sont arrêtés pendant cette rafle, soit 35 % des Juifs raflés, sans compter Charles Malmed, arrêté le 19 janvier mais déporté dans le même convoi.100

97 JOLY Laurent, L’État contre les juifs : Vichy, les nazis et la persécution antisémite, op. cit.

98 ADO, 121W 12/2, Affaires juives, recensements, délivrance de l'étoile jaune, aryanisation des biens juifs, 1940-1944, Juifs de l'arrondissement de Compiègne en 1942.

99 VIEY Frédéric, Histoire des Communautés Juives du Nord et de Picardie, Archives départementales de la Somme, 2009.

100 Voir Annexe n° 2 « Base de données des Juifs compiégnois connus administrativement de 1940 à 1944 », p. 169.

Fig. 6 – Les enfants Malmed en 1943

De gauche à droite : Charles Malmed, Rachel Malmed et Léon Malmed en 1943

Source : Photographie personnelle de Léon Malmed, « Les enfants Malmed », Compiègne, 1943

L'arrestation de Charles Malmed a lieu dans sa salle de classe, dans laquelle Yvette Beaugis, la fille des parents Beaugis, est son institutrice. Léon et Rachel Malmed auraient dû être arrêtés le même jour mais lorsque Suzanne Ribouleau rentre du travail, elle s'aperçoit que la police française est devant le logement de la famille Beaugis. Alertée, elle conduit les enfants chez sa belle-sœur avec son mari. A leur retour, leur fils, René Ribouleau, leur apprendra que Rachel et Léon auraient dû être arrêtés, comme leur cousin. Après cette épreuve, les enfants Malmed restent enfermés à la cave pendant plusieurs jours, comme à chaque situation dangereuse. Henri Ribouleau prend le risque de se rendre à la Kommandantur et explique sa situation à Herr Hoffmann, un soldat allemand avec qui il avait sympathisé quelques temps auparavant. Celui-ci garantit que les enfants Malmed ne seront pas arrêtés. Effectivement, la police française n'est plus jamais venue au domicile des Ribouleau. Cet échange avec Herr Hoffmann est-il responsable de la non-arrestation des enfants Malmed ? Il est difficile de l'affirmer d'autant plus que seules deux arrestations sont à relever à Compiègne après celle de Charles Malmed, le 19 janvier 1944.101

101Voir Annexe n° 2 « Base de données des Juifs compiégnois connus administrativement de 1940 à 1944 », p. 169.

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