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De la famille Malmed à la famille Ribouleau (1940-1942)

UN CAMP DANS LA VILLE : ROYALLIEU A L’ÉPREUVE DE LA SECONDE GUERRE MONDIALE

Chapitre 1 Vivre sous l'Occupation : une situation exceptionnelle dans un quotidien habituel ?

B. Être juif à Compiègne pendant la guerre : l'exemple de Léon Malmed

2. Être juif à Compiègne sous l'Occupation : le destin hors du commun de Rachel et Léon Malmed

2.1. De la famille Malmed à la famille Ribouleau (1940-1942)

A partir de l'armistice signé entre la France et l'Allemagne, le 22 juin 1940, un climat d'insécurité s'installe pour les Juifs sur le territoire français. En effet, en zone occupée, principalement, et en zone dite libre, les Juifs craignent la mise en place de lois antisémites semblables à celles ayant cours en Allemagne nazie.75 La famille Malmed n'échappe pas à

cette crainte. Ainsi, selon Rachel Malmed : « en 1940, quand les troupes allemandes se sont avancées, on s'est sauvés à Paris. De Compiègne à Paris et on s'est sauvés. Et on était là-bas pendant un an et quand tout Compiègne a été occupée, alors on est revenus, on est revenus. Ils nous ont mis dans une [nouvelle maison], comme notre maison a été bombardée parce-qu'on habitait tout à côté du pont [de l'Oise] ».76 Dans un premier temps, la famille Malmed choisit

l'exode en mai 1940 afin de fuir l'avancée des troupes allemandes, comme de nombreux Belges, Hollandais, Luxembourgeois et Français.77 Cependant, probablement par manque

d'argent, la famille ne peut partir en zone non-occupée et préfère revenir à Compiègne, en 1941.78 Srul Malmed n'est alors plus propriétaire du commerce de confection pour femmes et

enfants, rue de l'Oise, qu'il gérait avec ses frères, Joseph et Zelman Malmed. Il a été contraint de liquider son stock et de fermer son magasin au 25 décembre 1940 après la première ordonnance sur le statut des Juifs du 27 septembre 1940 et l'ordonnance d'aryanisation du 18 octobre 1940, plaçant sous séquestre les biens des Juifs absents ou arrêtés.79 Pour subvenir aux

72 Voir ma base de données des Juifs compiégnois connus administrativement de 1940 à 1944 ; Annexe n° 2 « Base de données des Juifs compiégnois connus administrativement de 1940 à 1944 », p. 169.

73 Entretien par Skype avec Léon Malmed, le 27 mai 2019, réf. cit.

74 ADO, 121W 12/2, Affaires juives, recensements, délivrance de l'étoile jaune, aryanisation des biens juifs, 1940-1944, listes des Juifs de l'arrondissement de Compiègne.

75 KASPI André, Les Juifs pendant l'Occupation, Paris, Seuil, 1991.

76 Entretien téléphonique avec Rachel Malmed, le 30 mai 2019, réf. cit. ; Annexe n° 8 « Entretien téléphonique avec Rachel Malmed (née le 29 avril 1932), enfant juive cachée avec son frère, Léon Malmed, chez ses voisins, la famille Ribouleau, à Compiègne pendant la Seconde Guerre mondiale », p. 177.

77 PRIME Christophe, SIMMONET Stéphane, Atlas de la Seconde Guerre mondiale : La France au combat, de

la drôle de guerre à la Libération, Paris, Autrement, 2015.

78 MARIOT Nicolas, ZALC Claire, Face à la persécution. 991 Juifs dans la guerre, op. cit.

79 ADO, 121W 13/2, Affaires juives, recensements, délivrance de l'étoile jaune, aryanisation des biens juifs, 1940-1944, rapports du commissaire-gérant Charles Lambert sur les entreprises juives compiégnoises.

besoins de leur famille, Srul et Chana Malmed continuent clandestinement à travailler à leur domicile et à rendre service à leur fidèle clientèle.

La famille Malmed entretient des relations cordiales avec son voisinage. A son retour de l'exode, en 1941, elle s'installe dans un logement fourni par la mairie au 17, rue Saint Fiacre, à quelques mètres du camp de Royallieu. Leur logement précédent, près de l'Oise, a été détruit par les bombardements. Leur nouveau domicile se situe au deuxième étage de l'immeuble tandis qu'au rez-de-chaussée se trouvent la famille Clausse et au premier étage, la famille Ribouleau. Régulièrement, Marcel Clausse suggère à Srul Malmed : « Tu devrais partir et te cacher avec ta famille avant qu'il ne soit trop tard ».80 Mais, comme beaucoup de

Juifs, Srul Malmed pense certainement que les autorités d'occupation arrêtent et spolient uniquement les Juifs riches ou pouvant poser problème aux autorités nazies et vichystes.81

D'après Léon Malmed, la judéité de sa famille n'est pas problématique pour son voisinage, malgré la mise en place des lois sur le statut des Juifs par le régime de Vichy. En effet, dès octobre 1940, les Juifs compiégnois sont contraints de se faire recenser à la mairie car la ville se trouve en zone occupée. Srul Malmed se recense ainsi que sa femme et ses deux enfants. Rachel et Léon Malmed sont indiqués comme possédant la nationalité française car ils sont nés sur le territoire français. La nationalité française leur a-t-elle permis d'échapper à l'arrestation et à la déportation ou du moins de les retarder ? Possiblement.82 Ainsi, dans un

premier temps, les quatre membres de la famille Malmed sont connus administrativement par les autorités d'occupation et locales. Selon Léon Malmed, « la municipalité de Compiègne, présidée en janvier 1941 par Jean Lhuillier, troisième adjoint, collabore avec l'Occupant et le gouvernement de Pétain ».83 Le climat de peur est de plus en plus grand à Compiègne,

notamment pour les populations persécutées – Juifs, communistes, résistants, etc –, et pour survivre, le marché noir devient monnaie courante. Marcel Clausse et Srul Malmed participent tous les deux à cette pratique.

Le 19 juillet 1942, après la rafle du Vélodrome d'Hiver des 16 et 17 juillet à Paris ayant conduit à l'arrestation de plus de 13 000 Juifs – et dont le chiffre insuffisant selon les autorités nazies nécessite l'arrestation de nouvelles personnes –, tout bascule pour la famille

80 MALMED Léon, Nous avons survécu, enfin je parle, p. 42, op. cit.

81 POZNANSKI Renée, Les Juifs en France pendant la Seconde Guerre mondiale, op. cit.

82 JOLY Laurent, L’État contre les juifs : Vichy, les nazis et la persécution antisémite, Paris, Grasset, 2018. 83 MALMED Léon, Nous avons survécu, enfin je parle, p. 44, op. cit.

Malmed.84 Deux gendarmes viennent à leur domicile afin d'arrêter Srul et Chana Malmed. Il

s'agit pour Léon Malmed du seul souvenir qu'il possède avec ses parents : « Je me souviens de l'arrestation de mes parents, c'est la seule image que je garde de mes parents. Ce jour où ils ont été arrêtés. A part cela, je n'ai aucun souvenir de mes parents. ».85 L'arrestation se déroule

tôt, à 05h30, comme la coutume le recommandait pour que les Juifs soient bien présents à leur domicile et que la scène se déroule à l'abri des regards.86 Léon Malmed décrit dans son

ouvrage une situation assez commune, riche en émotions et traumatisante pour un enfant de cinq ans. Plus tard dans la journée, Srul et Chana Malmed reviennent à leur domicile pour récupérer quelques affaires. Pour Rachel Malmed, la description de la scène est similaire :

Mon pere etait aussi tailleur. Alors il avait un commerce, il avait un commerce et a cause du commerce il connaissait beaucoup les gendarmes français. Et il etait tres bien avec eux. And, ce jour-la, quand les gendarmes français sont venus a notre porte, pour les arre-ter, ils n'ont pas ete gentils du tout avec mes parents. Et mes parents, quand ils les ont vus, ils leur ont dit un grand '' bonjour '' car ils croyaient qu'ils venaient pour demander de reparer des pantalons ou des trucs, des costumes, quelque chose comme ça. Mais ils sont venus la et ils avaient un ordre pour prendre mes parents. Alors ce jour-la seulement, mes parents, mon pere, ma mere et mon oncle, j'avais le frere de mon pere aussi qui habitait a Compiegne et sa femme ; seulement les flics sont venus arre-ter quatre juifs qui venaient de Pologne. Et, les autres juifs, ils venaient tous de Roumanie ou de Tchecoslovaquie ou… Mais la, ils arre-taient seulement les juifs qui venaient de Pologne.87

Au regard des deux versions, je pense que Rachel Malmed possède le plus de souvenirs sur l'événement. Elle utilise pratiquement les mêmes mots que son frère, le même cheminement argumentatif, comme si c'était un souvenir formé de longue date, et souvent répété depuis, fixant le récit de façon immuable. Malgré l'interdiction imposée aux Juifs de ne plus exercer leur profession, des personnes non-juives, même les autorités locales, semblent continuer à fréquenter leurs commerces clandestins. Ainsi, il convient de nuancer regards et réactions. Tout le monde à Compiègne n'est pas antisémite même si la question des relation interpersonnelles et de l'imprégnation, voire de la conviction, antisémite est assez difficile à démêler. Les gendarmes français semblent en mesure de distinguer leurs convictions personnelles et les ordres professionnels. Cependant, cette vision n'est pas exclusive car certains acteurs peuvent agir par intérêt ou par altruisme.

84 JOLY Laurent, L’État contre les juifs : Vichy, les nazis et la persécution antisémite, op. cit. 85 Entretien par Skype avec Léon Malmed, le 27 mai 2019, réf. cit.

86 JOLY Laurent, L’État contre les juifs : Vichy, les nazis et la persécution antisémite, op. cit.

87 Entretien téléphonique avec Rachel Malmed, le 30 mai 2019, réf. cit. ; Annexe n° 8 « Entretien téléphonique avec Rachel Malmed (née le 29 avril 1932), enfant juive cachée avec son frère, Léon Malmed, chez ses voisins, la famille Ribouleau, à Compiègne pendant la Seconde Guerre mondiale », p. 177.

Les deux familles voisines – les Ribouleau et les Clausse – sont alertés par les pleurs et décident de venir en aide aux enfants Malmed, totalement démunis. La famille Ribouleau promet de protéger Léon et Rachel Malmed jusqu'au retour de leurs parents car leur arrestation est longtemps considérée comme une erreur pour elle. Pour Rolande Clausse, ce soutien est une évidence, malgré la pression exercée par les autorités d'occupation et le voisinage craintif : « Il est arrivé que des gens nous disent : ''Avec ces deux enfants dans votre immeuble, vous ne craignez pas… Les Ribouleau s'exposent et vous exposent aussi'' ».88 Tout

le monde ne prendrait pas de risque pour sauver des Juifs à Compiègne comme dans le reste de la France mais tout ne monde ne les dénonce pas pour autant. Malgré la politique répressive menée par les autorités d'occupation et vichystes, une grande partie de la population ignore la destination finale des Juifs arrêtés et déportés mais certains Français connaissent tout de même l'existence des camps à l'Est en juillet 1942.89 La protection de cette

information est capitale, notamment au début de l'Occupation, pour éviter les soulèvements populaires, les changements d'identité et l'exode massif des Juifs. A cette date, Léon et Rachel Malmed ne peuvent pas compter sur le reste de leur famille pour plusieurs raisons : certains ont été arrêtés, notamment Joseph Malmed et Madeleine Rozenwurcel, le même jour que leurs parents ; d'autres sont réfugiés en zone libre, comme Zelman Malmed, d'après les sources de Charles Lambert, commissaire-gérant de Compiègne.90 La famille Ribouleau devient alors la

seule source de rattachement des enfants Malmed à la vie et ces derniers dépendent totalement d'eux, aussi bien en termes de protection que financièrement.

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