• Aucun résultat trouvé

La célébration des premières commémorations (1945 aux années 1970)

DE LA LIBÉRATION DE COMPIÈGNE EN SEPTEMBRE 1944 A LA MÉMORIALISATION DES ANNÉES 1990 : LA CASERNE DE

Chapitre 4 Quelles mémoires de la Seconde Guerre mondiale à Compiègne ?

B. Le souvenir de la collaboration ou l'absence de mythe résistancialiste

2. La célébration des premières commémorations (1945 aux années 1970)

Dès l'immédiat après-guerre, la municipalité de Compiègne organise différentes commémorations annuelles, notamment l'anniversaire de la Libération de la ville dès 1945 et la Journée nationale de la déportation dès 1946. Si les Compiégnois ignorent le retour des déportés et préfèrent rester silencieux sur leur passé collaborateur, la municipalité organise différentes cérémonies sur le modèle national.36

Les vendredis, samedis et dimanches précédents la date de la Libération de Compiègne, le 1er septembre 1944, sont organisées différentes commémorations à

Compiègne. Jusque dans les années 1970, elles se déroulent sous le même modèle : dépôt de gerbes au camp de Royallieu en l'honneur des déportés morts au camp, rassemblement de personnalités officielles des délégations d'anciens combattants et des associations patriotiques à la mairie de Compiègne, allocution du maire – James de Rothschild de 1945 à 1947, Jean Legendre de 1947 à 1954 et de 1959 à 1987 ainsi que Henri Adnot de 1954 à 1959 – et de représentants d'associations, remise de différentes distinctions, écoute de la Marseillaise et de l'hymne américain The Star-Spangled Banner, départ du cortège pour le monument aux morts de la ville, cérémonies religieuses – uniquement catholique et protestante – et repas à la mairie.37 Si ces événements ne sont pas systématiquement organisés dans cet ordre, ils sont

tout de même répétés chaque année et relayés dans la presse locale. Par exemple, le 1er

septembre 1945, la Libération de l'Oise fait la une du journal L'Oise républicaine.38 L'article

sur Compiègne constitue le ventre de la page et est agrémenté de photographies contrairement aux autres. Deux ans après la Libération, L'Oise populaire consacre également le ventre de la une de son journal aux fêtes de la Libération, le 04 septembre 1946.39 Ainsi, la population est

avertie des festivités locales et ne peut ignorer ces manifestations même si la presse connait

35 TORRENT Régine, La France américaine : controverses de la Libération, Paris, Editions Racine, 2004. 36 Entretien réalisé avec Joël Dupuy de Méry, reçu le 02 mai 2019.

37 Archives municipales de Compiègne (AMC), Margny-lès-Compiègne, 4 H 32, Anniversaires de la Libération de Compiègne, correspondance du maire de Compiègne avec différentes personnalités officielles.

38 ADO, 181PRS P4, L'Oise républicaine, n° 72, deuxième année, 1er septembre 1945.

une crise du lectorat dans les années d'après-guerre, les lecteurs préférant la presse plus généraliste.40

Chaque commémoration se ponctue par un concert et un bal public gratuit à l'initiative de la municipalité – par l'harmonie municipale, autrement dit la formation orchestrale de la commune – et/ou de l'armée. Par exemple, en 1956, le 25e régiment du génie de l'air dont les

quartiers se trouvent à la caserne de Royallieu clôt les festivités.41 Ainsi, les militaires présents

à Royallieu sont susceptibles d'être réquisitionnés pour les cérémonies – défilés, orchestres – et sensibilisés à l'histoire de la ville pendant la Seconde Guerre mondiale. Il s'agit du public privilégié pour les cérémonies au même titre que les associations locales même si la municipalité encourage ses représentants à sensibiliser les Compiégnois à ces événements.

En effet, le 21 août 1946, les membres de la Commissions des fêtes se sont réunis et ont conclu leur rapport par la mention suivante : « inviter la population à pavoiser ».42 En

d'autres termes, la population est encouragée à orner des drapeaux à ses fenêtres. A l'échelle locale, cette invitation prouve bien que les Compiégnois ne sont pas suffisamment sujets à le faire d'eux-mêmes alors que la ville est au cœur de l'actualité nationale. Du 15 au 18 août 1946, un documentaire intitulé Compiègne, lieu de souvenir et d'espoir a été filmé à l'occasion des Journées nationales du souvenir, des manifestations organisées en l'honneur des combattants et des victimes des deux guerres mondiales ainsi que pour le retour de la dalle commémorative pour les héros de la Première Guerre mondiale évoquée précédemment – elle avait été détruite sous les ordre d'Hitler lors de sa venue à Compiègne le 21 juin 1940 et ses ruines ont été retrouvées près de Berlin après la guerre –.43 Réalisé à la demande de la

Fédération des prisonniers, des déportés et des anciens résistants et de Laurent Casanova, résistant communiste et ministre des anciens combattants et des victimes de guerre en 1946, ce documentaire est le premier à présenter Compiègne, et plus particulièrement la clairière de l'armistice, comme un lieu de mémoire à l'échelle nationale. Cette démarche s'inscrit dans la logique du parti communiste visant à rassembler les foules et à affirmer son rôle majeur dans les attentats menés par la Résistance intérieure pendant la Seconde Guerre mondiale.44 En

40 DUSSERE Aurélia, HOUTE Arnaud-Dominique, Atlas de la France au XXème siècle, 1914-2002 : De la

Grande Guerre à une nouvelle société, Paris, Autrement, 2008.

41 AMC, 4H32, Anniversaires de la Libération de Compiègne, Anniversaires de la Libération de Compiègne, douzième anniversaire de la Libération de Compiègne en 1956.

42 AMC, 4H32, Anniversaires de la Libération de Compiègne, Anniversaires de la Libération de Compiègne, deuxième anniversaire de la Libération de Compiègne en 1946.

43 Anonyme (réal.), Compiègne, lieu de souvenir et d'espoir, 1946, 35 min.

effet, le parti communiste souhaite s'emparer le plus rapidement possible de la mémoire du camp de Royallieu où ont été internés une majorité de d'opposants politiques, notamment des communistes.45

Cependant, cette volonté de transformer la ville de Compiègne en lieu de mémoire n'échappe pas au général de Gaulle. Le 7 mars 1948, il se rend à son tour à la clairière de l'armistice. A la tête du Rassemblement du peuple français – parti politique qu'il a créé en 1947 –, il soutient l'expansion du mouvement gaulliste dans le contexte de la guerre d'indépendance d'Indochine (1946-1954) menaçant la grandeur de l'Empire colonial français ; du déséquilibre économique et social dû à la reconstruction du pays après-guerre ; et de la Guerre froide entre les États-Unis et l'URSS et leur bloc respectif.46

Fig. 16 - Charles de Gaulle à Compiègne, le 07 mars 1948, en compagnie de Jean Legendre, maire de Compiègne

Source : Photo Hutin (photographe), « Charles de Gaulle à Compiègne », Compiègne, le 07 mars 1948, 77574-G

Malgré un recueillement inévitable devant la dalle commémorative, dans son discours, le général de Gaulle n'évoque pas le passé collaborateur de la ville, mentionne brièvement les

45 BESSE Jean-Pierre (dir.), Frontstalag 122 Compiègne-Royallieu : un camp d'internement allemand dans

l'Oise : 1941-1944, op. cit.

victimes de Royallieu et les héros de la Première Guerre mondiale, mais surtout la situation économique et politique de la France dans le monde : « Je vais parler de la situation de la France, des dangers qui la menacent et des moyens de son salut [...] dans le cadre historique de la noble ville de Compiègne, auprès des lieux aussi marqués de notre gloire que le Carrefour de la Victoire de Foch, de nos douleurs que Royallieu, de notre fierté que la rue du Général Leclerc ».47 Encore une fois, la ville de Compiègne est principalement reconnue pour

la Première Guerre mondiale. Si le général de Gaulle prend bien soin de ne mentionner que brièvement le souvenir des deux guerres, il marque par sa présence à la clairière de l'armistice, la ville de Compiègne de l'empreinte gaulliste.

D'autres cérémonies sont célébrées à Compiègne dès l'immédiat après-guerre telle que la Journée nationale de la déportation à partir de 1946. Elle se déroule sur le même modèle que l'anniversaire de la Libération de Compiègne mais s'organise davantage autour du parcours des internés.48 En effet, le camp de Royallieu et la gare de Compiègne sont les points

de rassemblement stratégiques choisis par la municipalité pour ces événements car ils représentent spatialement et symboliquement l'itinéraire des internés vers les camps de travail et les centres de mise à mort. Certains projets sont envisagés mais n'aboutiront jamais tel que le Monument national du souvenir auquel la Commission nationale des monuments commémoratifs s'est opposée en 1946.49 Cependant, une mémoire ne semble pas célébrée à

Compiègne, celle des victimes de la Shoah. La municipalité ne prévoit aucun office pour les Juifs lors des cérémonies et le statut des victimes du génocide ne semble pas être particulièrement reconnu à Compiègne alors qu'à l'échelle nationale, les milieux catholiques et protestants célèbrent la mémoire des victimes dès l'immédiat après-guerre.50

C. La Shoah : une mémoire oubliée jusqu'à la libération de la parole des

Outline

Documents relatifs