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Une histoire de l’internement et de la déportation qui se veut accessible à tous

NATIONALE DU CAMP

Chapitre 5 Un projet aux multiples acteurs après le départ de l'armée en

A. Une histoire de l’internement et de la déportation qui se veut accessible à tous

La muséographie du mémorial a été pensée, a priori comme au sein de tous les musées, afin d’être intelligible pour une grande partie de la population. Quels moyens sont mis en place afin de

transmettre aux visiteurs, notamment les plus jeunes, l’histoire de l’internement et de la déportation à Compiègne, en France et en Europe ? L’inauguration du mémorial, tant attendue par les associations locales et la municipalité, et les deux années qui s’en suivent ont-t-elles suscité l’intérêt des visiteurs ?

1. Des projets et outils pédagogiques pour les plus jeunes

Avant même l’inauguration du mémorial en février 2008, plusieurs projets ont été mis en place avec les écoles locales, afin de transmettre la mémoire de l’internement et de la déportation ainsi que la portée symbolique du mémorial dans les enjeux de mémoire contemporains, aux plus jeunes, dès l’année scolaire 2006/2007. Afin d’investir leurs élèves dans ces projets, le lycée Mireille Grenet – situé à deux rues du mémorial – ou encore l’Université de technologie de Compiègne – située à quatre rues du lieu – ont proposé à leurs étudiants de réaliser des brochures sur la thématique de la « déportation par le rail ».5 Ce projet s’inscrit dans le cadre de la création du

mémorial du wagon de la déportation gare de Compiègne. En effet, plusieurs associations locales – notamment l’association Trans’mission – Mémoire du camp de Royallieu à la tête de laquelle se trouvent Alain Lorriaux et Raymond Lovato –, le mémorial de Royallieu ainsi que la mairie de Margny-lès-Compiègne – ville sur laquelle est érigé le mémorial du wagon de la déportation depuis mars 2013 –, en coopération avec d’anciens déportés et la Société nationale des chemins de fer français, ont participé à l’élaboration de ce projet et ont décidé de sensibiliser les plus jeunes en leur demandant de concevoir des « silhouettes, des maquettes de panneaux didactiques, des brochures d’accompagnement, des expositions, des analyses d’images et des travaux d’écriture » permettant d’illustrer l’histoire des deux wagons conservés.6

Par la suite, d’autres projets et participations d’élèves de différentes envergures se sont succédés. Par exemple, au cours de leur année scolaire 2008/2009, les élèves d’une classe de troisième du collège Gaëtan Denain – situé à trois rues du mémorial – ont réalisé un carnet de route retraçant le trajet des internés entre le camp et la gare pendant la Seconde Guerre mondiale, dans le cadre d’un travail de mémoire intitulé « Les parcours de mémoire et d’histoire », organisé et financé par le Conseil général de l’Oise, l’inspection académique, l’organisation nationale des anciens combattants et le centre départemental de documentation pédagogique.7

5 Mémorial de l’internement et de la déportation de Royallieu (MIDR), Compiègne, carton blanc « Projets éducatifs mémoire ».

6 MIDR, carton blanc « Projets éducatifs mémoire », brochure « projet éducatif et culturel » ; Entretien écrit réalisé avec Raymond Lovato, président du Comité d'Entente des Associations Issues de la Résistance et de la Déportation de l'Oise ; président de l'Association des Déportés, Internés, Résistants et Patriotes de l'Oise ; adjoint de la Trans'mission – Mémoire du camp de Royallieu, reçu le 10 décembre 2019.

Tous les établissements scolaires proches du mémorial de Royallieu n’ont pas participé à de tels projets. En effet, les professeurs de l’Oise sont tenus d’accompagner leurs élèves, en accord avec les directives départementales et dès la primaire, à de simples visites du mémorial et à des activités pédagogiques dans le prolongement des visites.8 Depuis 2005 et pour les collégiens, le

Conseil général de l’Oise a mis en place le « contrat départemental de développement culturel » visant à favoriser l’ouverture culturelle des élèves pour contribuer à leur formation citoyenne.9

L’objectif est de garantir l’accès à différents parcours culturels favorisant l’expérimentation, permettant de familiariser les élèves à leur environnement et réduisant les inégalités sociales entre les établissements. Pour l’année 2010/2011, le « contrat départemental de développement culturel » a prévu pour les élèves de troisième, un projet autour de la thématique suivante : « D’une guerre à l’autre : histoire et mémoire des conflits mondiaux dans l’Oise ».10 Le projet est construit, dans un

premier temps, autour de la Première Guerre mondiale, et dans un second, autour de la Seconde, plus particulièrement la déportation. Une visite du mémorial de Royallieu, partenaire du projet, est prévue afin de sensibiliser, sur le terrain, les élèves.

Afin d’organiser au mieux les visites, l’équipe pédagogique du mémorial a mis en place des dossiers pédagogiques pour les élèves des collèges et des lycées ainsi que des livrets d’accompagnement pour les professeurs.11 Le dossier se présente sous la forme d’un cahier

d’activités mêlant à la fois des questions et des points de repère iconographiques issus de l’exposition permanente. Le cahier d’activités est organisé en fonction des salles et est également doté de quelques pages vierges afin de laisser l’élève noter ses perceptions et ses réactions vis-à-vis du lieu. Ainsi, l’objectif final n’est pas uniquement de sensibiliser les élèves aux mémoires du passé mais le fait qu’ils deviennent eux-mêmes, auprès de leur famille, de leurs amis et par la suite, de leurs enfants, des vecteurs de la transmission et qu’ils construisent leur propre rapport à la mémoire.12

8 MIDR, carton blanc « projet manuel pédagogique », pochette grise « Contrat départemental de développement culturel », organisation des visites scolaires.

9 BORDEAUX Marie-Christine, NENTWIG Anne-Cécile, « Le Contrat départemental de développement culturel du Conseil général de l’Oise. Un accès à l’éducation artistique et culturelle pour tous les collégiens », L'Observatoire, vol. 42, n° 1, 2013, p. 89-93.

10 MIDR, carton blanc « projet manuel pédagogique », pochette grise « Contrat départemental de développement culturel », contrat de l’année 2010/2011.

11 MIDR, carton blanc « projet manuel pédagogique », dossier pédagogique.

2. Le mémorial de Royallieu : un lieu de mémoire attractif ?

Parmi les archives du mémorial, j’ai eu accès au dossier des réservations scolaires entre 2007 et 2010.13 A partir des confirmations de visite conservées dans ce dossier, j’ai relevé une

cinquantaine de classes de lycéens, environ 70 classes de collégiens et une vingtaine de classes de primaires venues visiter le mémorial pendant cette période. Les établissements sont principalement situés dans l’Oise, notamment à Compiègne, mais également dans les départements alentours, dans les Hauts-de-France et l’Île-de-France – soit environ un tiers de l’effectif total –. Les publics les plus nombreux sont pour les primaires, les classes de CM2 car les élèves commencent à être suffisamment matures pour faire face à la réalité du lieu et surtout, la Seconde Guerre mondiale est au programme tout comme pour les classes de troisième au collège ainsi que de Première et de Terminale au lycée.14

Afin de déterminer l’attractivité du mémorial de Royallieu, j’ai également consulté les archives relatives aux journées européennes du patrimoine de 2008 à 2010.15 Ces dernières

permettent au public d’accéder gratuitement ou à prix réduit au patrimoine national – musées, châteaux, églises, monuments, etc – et à de nombreux bâtiments habituellement fermés au public. Les 20 et 21 septembre 2008, le mémorial de Royallieu compte 525 visites, soit dix fois moins que le palais impérial de Compiègne, cinq fois moins que le théâtre impérial – construit à la demande de Napoléon III en 1867 mais définitivement achevé en 1991 – et trois fois moins que la clairière de l’armistice de la Première Guerre mondiale.16 Ainsi, le mémorial de Royallieu est moins attractif,

probablement pour les raisons suivantes.

Tout d’abord, l’inauguration du 23 février 2008 est très récente, par conséquent, la connaissance de son existence n’était sans doute pas encore très répandue. Ensuite, dans l’imaginaire collectif, Compiègne est toujours une ville impériale. Par exemple, la visite de lieux relatifs aux Premier et Second Empire semble privilégiée. De plus, le souvenir de la Première Guerre mondiale est toujours très présent à Compiègne et pourrait faire écran. Contrairement à la Seconde Guerre mondiale marquée par la défaite et la collaboration, la Grande Guerre s’est terminée par une victoire française dont les événements majeurs se sont déroulés à Compiègne, notamment la signature de l’armistice, le 11 novembre 1918. Les visiteurs privilégient des lieux

13 MIDR, carton blanc « réservations scolaires 2007-2010 ».

14 CORBEL Laurence, FALAISE Benoît, « L'enseignement de l'histoire et les mémoires douloureuses du XXème siècle », Revue française de pédagogie, n° 147, 2004, p. 43-55.

15 MIDR, pochettes bleues et rouge « Journées européennes du patrimoine 2008-2010 ».

16 MIDR, pochettes bleues et rouge « Journées européennes du patrimoine 2008-2010 », liste de fréquentation des journées du patrimoine en 2008.

représentant le passé glorieux de la France, dont la charge historique et émotionnelle n’est pas culpabilisante.17 En effet, les journées européennes du patrimoine sont avant tout perçues comme

une occasion divertissante de s’intéresser au patrimoine français et de le célébrer tout en contribuant au rayonnement culturel de la France.

Lors de ces journées européennes du patrimoine, le mémorial de Royallieu est principalement visité par des habitants de l’Oise et plus particulièrement de Compiègne.18 En effet,

53 % des visiteurs sont compiégnois en 2008, 31 % en 2009 et 38 % en 2010. La première année, la visite massive de Compiégnois s’explique, comme mentionnée précédemment, par l’inauguration récente du mémorial. Les Compiégnois ont vécu l’avancée des travaux et sont plus à même de connaître son existence. Chaque année, plus de 80 % des visiteurs résident dans l’Oise. Ils viennent visiter le mémorial car ils habitent à proximité tout comme les visiteurs des départements voisins. Contrairement à ce qui était espéré lors de l’inauguration, le mémorial semble avoir un rayonnement régional plus que national, comme le montrent à la fois les réservations scolaires et les visites lors des journées européennes du patrimoine. Pour autant, la municipalité semble satisfaite par l’attractivité du mémorial. Au cours de son entretien écrit, Philippe Marini – maire de Compiègne depuis 1987 – explique que :

Dès l’ouvèrturè du mèmorial, bèaucoup dè Compiègnois èt dè visitèurs dè toutès originès, près dè 10 000 par an, y sont passès, èt on ètè marquès par cèttè visitè. Lè rèlais a ètè vitè pris par lès ènsèignants, lès profèssèurs d’histoirè èn particulièr, qui trouvènt ici unè sourcè d’inspiration èt dè travaux pour lèurs èlèvès. Dès groupès dè jèunès ont dèvèloppè a partir du mèmorial dès projèts qui lès ont conduits a Auschwitz èt sur d’autrès sitès dè la dèportation.19

Joël Dupuy de Méry – conseiller municipal délégué à la citoyenneté, aux relations avec l’armée, aux cérémonies patriotiques depuis 2001 – est un peu plus nuancé.20 Selon lui, le nombre

de visites au mémorial est faible et dépend aussi des expositions temporaires, qui ne sont pas directement rattachées à l’histoire et à la mémoire du lieu. Les expositions et les événements organisés par le mémorial semblent valoriser le lieu plus que la muséographie elle-même. Les visiteurs ne reviennent que très rarement à l’exception des associations souhaitant depuis les premières années suivant l’inauguration, transformer le mémorial en patrimoine national et non plus communal afin d’agrandir son rayonnement à une toute autre échelle.21

17 ENGEL Laurence, « Le patrimoine est une fête », Esprit, n° 11, 2014, p. 128-131.

18 MIDR, pochettes bleues et rouge « Journées européennes du patrimoine 2008-2010 », liste de fréquentation par origine géographique.

19 Entretien écrit réalisé avec Philippe Marini, reçu le 06 décembre 2019. 20 Entretien écrit réalisé avec Joël Dupuy de Méry, reçu le 02 mai 2019. 21 Entretien écrit réalisé avec Raymond Lovato, reçu le 10 décembre 2019.

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