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La violation du droit à la santé résultant d’une utilisation de ressources naturelles non rationnelle : le déversement de déchets toxiques

Section I- Les ressources naturelles dans le cadre des droits de l’homme de « deuxième génération »

C) Le droit à la santé et les ressources naturelles

2) La violation du droit à la santé résultant d’une utilisation de ressources naturelles non rationnelle : le déversement de déchets toxiques

Parmi les hypothèses de violation par l’État de ses obligations relatives au droit à la santé, figurent certaines omissions. Parmi celles-ci, figure le fait de ne pas réglementer l’activité des particuliers pour les empêcher de porter atteinte au droit à la santé d’autrui513. C’est notamment le cas où l’État ne règlemente pas de manière appropriée, les activités d’exploitation de ressources naturelles par des entreprises privées – nationales ou étrangères – dont les activités peuvent nuire la santé de la population des alentours. Les effets nuisibles de

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Voir article 12 §2 b, c, d du PIDESC de 1966. D’autres textes internationaux traitent du droit à la santé parmi lesquels la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale de 1965 (article 5 c (iv)), la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes de 1979 (article 11 §1 f et article 12), la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant de 1989 (article 24), ou encore la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille (articles 8,12 et 13)509

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CESCR. Observation générale no14 sur le droit au meilleur état de santé susceptible d’être atteint

, UN. Doc. [E/C.12/2000/4], 11 août 2000, § 12 a, b et c. 511 Ibid., § 12 c. 512 Ibid., § 12 d. 513 Ibid., § 35.

ces activités ont déjà fait l’objet de préoccupations de la part de l’ancien Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à la santé, P. Hunt514.

C’est le sens des conclusions de l’actuel Rapporteur spécial, A Grover, tirées de sa mission en Argentine en 2011. A. Grover a en effet relevé le cas de l’entreprise privée Metal

Huasi, qui a installé une fonderie de plomb dans la région argentine d’Abra Pampa où habitaient environ 13 000 personnes. L’entreprise a exercé ses activités entre 1955 et 1987 et, lors de la fermeture de la fonderie, aucune mesure n’a été prise pour traiter adéquatement les déchets toxiques résultant des activités minières. Aucune mesure n’a été prise non plus pour protéger la population locale de la contamination occasionnée par ces déchets.

Par conséquent, une quantité considérable de résidus de plomb a été laissée dans la région. Des études de santé menées sur les habitants locaux ont montré que 81 % de la population infantile du village présentaient une concentration excessive de plomb dans le sang, sachant qu’une haute concentration de plomb dans le sang peut affecter le développement neurologique des enfants515. Dans ce cas, l’État aurait pu obliger l’entreprise à

trouver une méthode moins nuisible pour fondre le plomb516, ou réglementer la manière dont

l’entreprise jette les déchets, de façon à ne pas affecter la santé de la population locale.

Le problème des déversements illicites de produits et déchets toxiques nocifs a été déjà reconnu comme une cause de la violation des droits de l’homme à la santé, comme dans l’affaire Communauté de San Mateo de Huanchora et ses membres c. Pérou (2004). Dans cette affaire, la communauté de San Mateo de Huanchora faisait valoir devant la Commission interaméricaine le fait que son droit à la santé avait été violé, eu égard aux effets de la contamination causée par les déchets toxiques reversés par les activités minières de l’entreprise privée Lizandro Proaño S.A. Les requérants affirmaient que l’État péruvien avait violé une série de droits garantis par la Convention interaméricaine des droits de l’homme ainsi que dans la législation péruvienne517, et qu’une telle contamination affectait la santé des

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HUNT, P. (Rapporteur spécial). Rapport sur le droit qu’a toute personne de jouir du meilleur état de santé

physique et mental possible – Mission au Pérou, Commission des droits de l’homme, 61ème

session , UN. Doc [E/CN.4/2005/51/Add.3], 4 février 2005, § 53.

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GROVER, A. (Rapporteur spécial). Report on the right of everyone to the enjoyment of the highest attainable

standard of physical and mental health – Summary of communications sent and replies received from States and other actors, Conseil des droits de l’homme, 17ème

session, UN. Doc [A/HRC/17/25/Add.1], 16 mars 2011. Voir également ANAYA, J. (Rapporteur spécial). Report by the Special Rapporteur on the situation on human rights

and fundamental freedoms of indigenous people: cases examined by the Special Rapporteur (June 2009-July 2010), Conseil des droits de l’homme, 15ème

session, UN. Doc.[A/HRC/15/37/Add.1], 15 septembre 2010.

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À cet égard, il convient de mentionner que l’on envisage à l’heure actuelle des pratiques plus écologiques pour fondre le plomb. À l’exemple du « Code de pratiques écologiques » pour les fonderies et raffineries de métaux communs, résultant de la loi canadienne pour la protection de l’environnement de 1999 qui établit des taux minimaux pour l’utilisation d’autres métaux ou des produits chimiques pour la fixation du plomb,

disponible en ligne sur :[http://www.ec.gc.ca/lcpe-cepa/documents/codes/famc-bmsr/famc-bmsr_fra.pdf],

consulté le 21 mai 2014.

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Comme, par exemple, le droit à la vie et le droit à l’intégrité physique, vu que la Convention interaméricaine ne reconnaît pas expressément le droit à la santé.

habitants de la communauté518. Le Ministère de Mines et de l’Énergie péruvien a finalement choisi de déplacer les déchets à un autre endroit. Cependant, la question de la réparation pour les dommages causés en raison de la contamination n’est à ce jour pas résolue.

La Commission des Nations Unies pour les droits de l’homme a, en 1995, souligné sa préoccupation à ce sujet à travers sa Résolution no 1995/81519, particulièrement en ce qui concerne les pays en voie de développement, où l’exploitation des ressources semble être à la fois plus ambitieuse quant à l’envergure des projets et faire l’objet de moins de prudence quant au reversement de déchets toxiques. Considérant « les conséquences néfastes » sur le droit à la santé, la Commission des droits de l’homme a créé un organe spécial pour veiller sur cette question : le Rapporteur spécial sur les incidences sur les droits de l’homme de la gestion et de l’élimination écologiquement rationnelles des produits et déchets dangereux. Ce Rapporteur spécial a déjà soulevé la question des déchets toxiques ou dangereux produits par les activités d’exploitation de ressources naturelles, par exemple, dans les villes d’Arlit et d’Akokan au Niger où les méthodes d’exploitation de l’uranium avait déjà consommé plus de 270 milliards de litres des ressources en eau, l’avait entièrement épuisé dans quelques régions, et avait causé la libération d’un haut niveau de matériaux radioactifs520.

Néanmoins, considérant le risque de violation du droit à la santé par les déchets toxiques résultants de l’exploitation de ressources, l’État peut également prendre des mesures en vue de prévenir ou de déterminer la réparation pour les dommages causés. C’était le cas dans l’affaire Chevron-Texaco (2011), dans laquelle les tribunaux équatoriens ont condamné l’entreprise transnationale à verser des milliards de dollars pour réparer le préjudice subi par la population de la région521.

Que les déchets toxiques résultant de l’exploitation de ressources naturelles affectent directement le droit à la santé, engendrant de facto une convergence entre la jouissance des ressources naturelles et le respect de ce droit, c’est une évidence. Mais de quelle manière pourrait-on échapper aux conséquences de la jouissance économique des ressources ? Comment l’État pourrait-il envisager de jouir économiquement de certaines de ses ressources, tel que le plomb, sans forcément entraîner la violation du droit à la santé de sa population ? Pour un équilibrer les intérêts de l’État et de la population, il faudrait envisager

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Affaire Communauté de San Mateo de Huanchora et ses membres c. Pérou, requête no

504/03, arrêt du 15 octobre 2004, disponible en ligne sur : [http://www.cidh.oas.org/french.htm], consulté le 21 mai 2014.

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Résolution de la Commission des droits de l’homme no

1995/81 du 8 mars 1995, UN. Doc. [E/CN.4/1995/176].

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Communication envoyée à l’État du Niger, le 28 juillet 2010, dans GROVER, A. Rapport sur le droit de toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale possible – Résumé des communications envoyées et réponses reçues des États et des autres acteurs, Conseil des droits de l’homme, 7ème

session, UN. Doc. [A/HRC/17/25/Add.1], 16 mai 2011, §231.

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Cour de justice provinciale de Sucumbios, affaire Maria Aguinda et autres c. Chevron-Texaco, no

2003-002, sentence du 14 février 2011.A propos de l’affaire devant les cours américaines dans le cadre de l’Alien Tort

une possible articulation entre la jouissance économique des ressources par l’État et le droit à la santé.

À ce stade du raisonnement, le droit à la santé comprend également le droit à l’accès à l’eau potable et à l’assainissement, lequel est également susceptible d’être concerné par la jouissance des ressources naturelles.

3) Le droit à l’accès à l’eau potable compris dans le droit à la santé : la nécessité d’une

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