Section I- L’exercice de la souveraineté permanente à l’égard des droits de l’homme : un conflit concret
A) L’évolution de la portée du concept de « développement » de l’État en droit international
4) Le déclin de l’idéologie du développement centrée sur l’État : la reconnaissance d’un droit de l’homme au développement
Dans les années 1980, la décomposition du bloc soviétique a contribué à ce que l’idéologique du droit de développement centrée sur la figure de l’État et les idées du NOEI commencent à décliner.
En 1986, a été adoptée la Déclaration de Séoul de l’Association du droit international (« ILA ») relative à l’application du droit du développement comme un principe
du NOEI328. La Déclaration de Séoul présente le développement comme un principe relevant à
la fois du droit international général et du droit international des droits de l’homme329. Quelques mois plus tard, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté la Résolution
41/128 du 4 décembre 1986, « la Déclaration sur le droit au développement »330, selon
laquelle l’être humain est considéré comme le sujet central du processus de développement331.
Par conséquent, le droit du développement, qui portait uniquement le droit de l’État au développement et les rapports interétatiques Nord-Sud, deviendrait le droit de l’homme au développement.
D’après le « droit de l’homme au développement », la personne humaine doit être le sujet central du développement et le principal bénéficiaire de toute politique de développement332. C’est le droit inaliénable de l’homme de participer et de contribuer à un développement économique, social, culturel et politique dans lequel tous les droits de
328
Dans la version anglaise originale, la Déclaration s’intitule « ILA Seoul Declaration : implementing the right to development as a NIEO Principle ». Cette Déclaration, adoptée lors du Séminaire à Calcutta en août 1986, fut le résultat de huit années de travaux par le Comité de l’Association du droit international (International Law Association) portant sur les objectifs et le contenu du droit du développement.
329
CHOWDHURY, S.R., DE WAART, P. J. I. M., « Significance of the right to development : an introductory view », in CHOWDHURY, S.R. , R., DENTERS, E. M. G., WAART, P. J. I. M. (éd.). The Right to Development
in International Law, , p. 11.
330
Aussi dénommée “Déclaration des Nations Unies sur le droit au développement”. La Déclaration a été votée par 146 voix contre 1 – celle des États-Unis, et 8 abstentions : Danemark, Finlande, République Fédérale d’Allemagne, Islande, Israël, Japon, Suisse, Grande-Bretagne. L’Albanie, la République Dominicaine et le Vanuatu étaient absents. Il convient de mentionner qu’en 1981, la Commission des droits de l’homme, à travers la Résolution no
36 (XXXVII), avait créé un groupe de travail de 15 experts chargés d’étudier la definition et la portée juridique du « droit au développement ». Dans leur rapport du 25 janvier 1982, les experts s’accordaient sur l’élaboration d’une déclaration internationale sur ce droit. Voir KAMTO, M., « Retour sur le ‘droit au développement’ au plan international : Droit au développement des États ? », Revue universelle des droits de
l’homme, vol. 11, 1999-III, p. 2. Voir aussi, ISRAEL, J.-J., « Le droit au développement », RGDIP, 1983, p. 16. Il convient de rappeler qu’au niveau régional, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples de 1981 (entrée en vigueur le 21 octobre 1986) prévoyait déjà un droit de l’homme au développement dans son article 22 : §1 –Tous les peuples ont droit à leur développement économique, social et culturel, dans le respect strict de
leur liberté et de leur identité, et à la jouissance égale du patrimoine commun de l’humanité ; §2 –Les États ont
le devoir, séparément ou en coopération, d’assurer l’exercice du droit au développement ».
331
Préambule §14 et article 2 §1 de la Déclaration des Nations Unies sur le droit au développement.
332
Préambule §14 et Article 2 § 1 de la Déclaration des Nations Unies sur le droit au développement. À ce sujet, voir également : infra, Première Partie, Titre II, chapitre 1, la rubrique « Le droit de l’homme au développement et les ressources naturelles ».
l’homme puissent être réalisés333. Il s’agit de respecter les droits de l’homme, individuels et
collectifs, dans le processus de développement334, et notamment le droit à la santé, le droit à
un logement convenable, le droit à une alimentation adéquate, le droit à l’eau potable, le droit à un environnement sain et propre.
Par la suite, dans les années 1990, et particulièrement depuis 1992, une série de conférences mondiales ont eu lieu, visant à renforcer la protection des droits de l’homme et de l’environnement. Peut notamment être citée la Conférence des Nations Unies sur l’environnement et sur le développement, au cours de laquelle fut adoptée la Déclaration de
Rio sur l’environnement et le développement, la « Rio 92 » 335. Depuis lors, on a constaté une
« évolution considérable de normes concernant les droits de l’homme » , comme les
Nations Unies elles-mêmes l’ont déjà remarqué336. C’est à partir de ces deux dernières décennies qu’a ainsi débuté un véritable progrès du droit international contemporain, davantage orienté vers la protection des droits de l’homme et soucieux d'une utilisation responsable des ressources naturelles.
Par conséquent, le concept de « développement national » ne renvoie plus désormais uniquement à l’aspect économique, mais aussi à l’aspect humain, et vise à l’amélioration des capacités humaines et l’obtention d’un niveau de vie convenable et de seuils minimums au niveau nutritionnel, de la santé, du logement, de l’éducation, etc337. En d’autres termes, est désormais visé, comme le soutient le PNUD338, un développement qui prenne en compte l’être humain, dont la promotion est, d’ailleurs, considérée comme un des grands défis actuels339.
Ainsi, dans le cadre de l’exploitation et de la maîtrise des ressources naturelles, nous avons d’un côté : le droit de homme au développement qui requiert la réalisation des tous les droits de l’homme dans le processus de développement, et de l’autre : le droit de l’État au développement, y compris ses droits permanents et absolus sur ces ressources
333
Article 1er
§1 de la Déclaration des Nations Unies sur le droit au développement
334
Centre pour les droits de l’homme. La réalisation du droit au développement – consultation mondiale sur la
jouissance effective du droit au développement en tant que droit de l’homme, Genève, Nations Unies, 1991, p. 27, § 82.
335
Adoptée durant la Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement à Rio de Janeiro (Brésil) du 13 au 14 juin 1992. (Sommet « planète terre »), UN. Doc. [A/CONF.151/26 (vol. 1)] du 12 août 1992.
336
Haut-Commissariat des Nations Unies, « Note d’information : le rôle essentiel des droits de l’homme pour un développement durable », document portant les objectifs de la Rio+20 (2012), disponible en ligne : [http://www.ohchr.org/Documents/Issues/Food/Rio20BackgroundNote1_fr.pdf], consulté le 25 mai 2013.
337
À ce sujet, voir l’article de NAYAK, R. K., « Evolving right to development as a principle of human rights law», in CHOWDHURY, S. R., DENTERS, E.M.G., DE WAART, P.J.I.M. (éds). The Right to Development in
International Law, Martinus Nijhoff Publishers, Dordrecht/Boston/London, 1992, pp. 145-154. Voir infra, Première Partie, Titre 3, chapitre 2.
338
Voir les rapports du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), surtout le Rapport sur le
développement humain, 1e éd, 1990, p.20 qui apporte une définition du « développement humain ».
339
naturelles. Ces deux intérêts juridiques antagonistes peuvent faire naître des situations conflictuelles au niveau infra-étatique, mais aussi au niveau international.
B) L’apparition de confrontations entre des intérêts concurrents dans la jouissance de