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La confrontation de sources formelles entre la souveraineté permanente et les droits de l’homme

Section I- L’exercice de la souveraineté permanente à l’égard des droits de l’homme : un conflit concret

C) La confrontation de sources formelles entre la souveraineté permanente et les droits de l’homme

Doit être ici évoqué ce qu’il en est de la hiérarchie des normes en droit international. Cette hiérarchie détermine en effet le degré d’engagement de l’État au niveau international. Pour découvrir cette hiérarchie normative, il est nécessaire de recourir à l’analyse de la source de ces normes, c’est-à-dire l’étude de la méthode par laquelle elles ont été créées427.

Quant aux sources du droit international, il faut mentionner l’article 38 du Statut de la Cour internationale de Justice. Ce dispositif, généralement cité par la doctrine pour énumérer une typologie de sources formelles du droit international, ne fournit pas

d’indications sur une éventuelle hiérarchie normative entre eux428. Certains auteurs

soutiennent que l’ordre énumératif présenté par l’article 38 préscrit une méthode opérationnelle au juge international, qui devrait d’abord examiner les conventions internationales, puis la coutume internationale, puis les principes généraux du droit et enfin la jurisprudence et la doctrine429. D’autres auteurs soutiennent au contraire l’impossibilité en droit international d’affirmer l’existence d’une telle hiérarchie entre les sources430.

Sans trancher cette question d’un éventuel ordre hiérarchique dans l’article 38, il est possible d’affirmer que la doctrine et la jurisprudence admettent majoritairement que les

426

En plus d’être une proposition générale dont découlent des règles particulières, il convient de souligner qu’un « principe» du droit international renvoie également à une « proposition généralisatrice obtenue par un raisonnement inductif sur la base de règles particulières » (SALMON, J. (dir.). Dictionnaire de droit

international public, op. cit., vo

« principe », p. 878). MATHIEU, B. , VERPEAUX, M. Droit constitutionnel, Paris, Presses universitaires de France, 2004, p. 211.

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COMBACAU,J., SUR, S. Droit international public, op. cit., pp. 48-50.

428

Ibid., pp. 43-50; DUPUY, P-M., KERBRAT, Y. Droit international public, op. cit., pp. 295-297. Article 38 du Statut de la CIJ, « §1. La Cour, dont la mission est de régler conformément au droit international les

différends qui lui sont soumis, applique : (a) les conventions internationales, soit générales, soit spéciales, établissant des règles expressément reconnues par les Etats en litige; (b) la coutume internationale comme preuve d'une pratique générale acceptée comme étant le droit; (c) les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées; (d) sous réserve de la disposition de l'Article 59, les décisions judiciaires et la doctrine des publicistes les plus qualifiés des différentes nations, comme moyen auxiliaire de détermination des règles de droit; §2. La présente disposition ne porte pas atteinte à la faculté pour la Cour, si les parties sont d'accord, de statuer ex aequo et bono ».

429Ibid

., pp. 295-297.

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normes conventionnelles ou les normes coutumières présentent le même degré normatif. Alors que pour les principes du droit international, étant donné leur caractère de « proposition générale », ceux-ci sont globalement considérés comme dénués de force obligatoire, quand bien même ils serviraient de « lignes directrices » aux règles particulières qui en découlent.

En ce qui concerne la confrontation formelle entre la souveraineté permanente et les droits de l’homme, même si l’on prend en compte la hiérarchie normative résultant de la source qui les a créés, il reste difficile de trancher cette question. La pluralité des sources existantes pour établir les pouvoirs d’imperium et de dominium sur les ressources naturelles de son territoire, et celles qui ont reconnu les droits fondamentaux des individus ou des collectivités entrave la reconnaissance de la primauté d’une des normes par le biais de sa source formelle.

De même, la solution de conflit de normes fondée sur l’ordre chronologique, par laquelle la norme postérieure prévaut sur la norme antérieure, ne peut pas être appliquée. En effet, en dépit des normes conventionnelles qui les soutiennent, la souveraineté permanente et les droits de l’homme sont tous les deux fondamentalement issus de principes ou de normes coutumières et il n’est en effet pas possible d’identifier précisément la date de leur création.

En dehors de la confrontation formelle qui résulte de la grande variété des sources de droit, il faut discuter maintenant de la confrontation qui peut naître à cause du contenu divergent de ces normes.

§2 – La « confrontation matérielle » entre le contenu de la souveraineté permanente et les droits de l’homme concernés

En raison de l’impossibilité de résoudre le conflit normatif formel entre la souveraineté permanente et les droits de l’homme, il est nécessaire de passer à la substance, c’est-à-dire au contenu de ces normes, afin de savoir s’il est ainsi possible de trancher le conflit de normes. Si l’on se réfère à leur contenu, peut-être pourra-t-on alors déceler différents degrés de généralité de ces normes, et ainsi appliquer une règle bien connue de résolution des conflits de normes, qui postule que la norme spéciale déroge à la norme générale ?

La maxime lex specialis derogat legi generali est « une méthode généralement

Groupe de l’étude sur la fragmentation du droit international de la Commission du droit international des Nations Unies (CDI) l’a souligné431.

D’après les conclusions de ce Groupe, cette maxime doit être entendue de la manière suivante : « chaque fois que deux normes ou plus traitent de la même matière,

priorité devrait être donnée à la norme la plus spécifique » 432. Ce principe peut s’appliquer entre deux normes conventionnelles ou entre une norme conventionnelle et une norme non conventionnelle ou encore, entre deux normes non conventionnelles433. En effet, pour la détermination de la lex specialis, la source normative n’a pas d’importance434.

Le droit international des droits de l’homme s’inscrit, selon le Groupe de la CDI, dans les « régimes autonomes spéciaux » du droit international. Apparus notamment à partir de 1945, ces « régimes spéciaux », traitent d’un sujet particulier (comme par exemple, les droits de l’homme) et comportent tous les règles et tous les principes qui régissent ce sujet, formant un ensemble normatif porteur d’une certaine autonomie (« d’ordres juridiques quasi- autonomes »). Cet ensemble normatif peut également créer un ensemble institutionnel, comme des organisations ou des instances juridictionnelles (telles que les commissions et cours des droits de l’homme), dans le but de réglementer les questions relatives au sujet pour lequel le régime spécial a été créé435. D’après cette logique, un « régime international spécial », qui détient une certaine forme d’autonomie et de spécialisation, peut déroger à une norme de droit général (lex generalis), dans les mêmes conditions qu’une norme de droit général (lex specialis)436.

Si l’on considère que le droit international des droits de l’homme appartient à un régime spécial du droit international et que la souveraineté permanente sur les ressources naturelles et ses règles particulières relèvent du droit international général, serait-il alors admissible de lui appliquer l’adage selon lequel la « norme spéciale prévaut sur la norme générale » ?

Cette hypothèse pour la solution de ce conflit normatif reste assez fragile. En particulier, si l’on considère que la souveraineté permanente reste, en fin de compte, un prolongement du principe de la souveraineté de l’État, qui est l’un des principes

431

Commission du droit international, « Conclusion des travaux du Groupe d’étude de la fragmentation du droit international : difficultés découlant de la diversification et de l’expansion du droit international », op. cit., §5.

432 Ibidem. 433 Ibidem. 434 Ibidem. 435

À cet égard, voir la contribution de AMINI, S. Les ordres publics international et économique en droit

international : entre confrontation et articulation, thèse, Université Paris 1, 2012, pp. 36-37.

436

Commission du droit international, « Conclusion des travaux du Groupe d’étude de la fragmentation du droit international : difficultés découlant de la diversification et de l’expansion du droit international », op. cit., §14.

fondamentaux de l’ordre juridique international437, ayant son origine dans le droit international classique.

Cette confrontation entre une norme dérivée du principe de la souveraineté de l’État et les normes relatives aux droits de l’homme, qui constitue une des questions les plus polémiques de nos jours, aurait pu être discutée dans le cadre de la Cour internationale de Justice dans l’affaire relative aux Immunités juridictionnelles de l’Etat (2012)438, même si la question ne s’est pas posée directement. Dans cette affaire, la question était de savoir si des violations graves des droits de l’homme à l’égard de la population civile auraient pu remettre en cause les immunités juridictionnelles de l’État allemand, sachant que celles-ci émanent du principe de la souveraineté de l’État, tout comme le principe de la souveraineté permanente sur les ressources naturelles. Finalement, la confrontation entre les contenus d’une norme coutumière du droit international général émanant du principe de la souveraineté de l’État – les immunités juridictionnelles –, et des normes relatives aux droits de l’homme n’a pas été traitée ni tranchée par la Cour439. En effet, la question de savoir si les droits de l’homme doivent être réellement traités comme lex specialis et si ces droits doivent prévaloir vis-à-vis de la souveraineté de l’État, lex generalis, reste ouverte.

Par conséquent, la solution pour la confrontation normative matérielle entre la souveraineté permanente et les droits de l’homme reste aussi incertaine, ainsi que pour la confrontation de sources formelles.

437

Affaire relative aux Immunités juridictionnelles de l’Etat (Allemagne c. Italie, Grèce comme intervenant), arrêt du 3 février 2012, Recueil 2012, §57.

438

Ibid., p. 99.

439

Voir l’opinion dissidente du juge A. A. Cançado Trindade, affaire relative aux Immunités juridictionnelles de

l’Etat (Allemagne c. Italie, Grèce comme intervenant), arrêt du 3 février 2012, Recueil 2012, p. 179; Opinion dissidente du juge A. A. Yusuf, affaire relative aux Immunités juridictionnelles de l’Etat (Allemagne c. Italie, Grèce comme intervenant), arrêt du 3 février 2012, Recueil 2012, p. 291.

Conclusion du Titre I

Comme on l’a vu, depuis sa consécration, le principe de la souveraineté permanente est porteur d’une certaine ambiguïté, puisqu’il a donné lieu à des revendications divergentes et peut servir à légitimer des intérêts parfois opposés. Dans les années de la formation normative du principe de la souveraineté permanente, on observe une confrontation existante dans sa

conception : d’abord, une confrontation portant sur les fondements idéologiques de la souveraineté permanente – le développement économique et l’autodétermination économique. Par la suite, une confrontation existante à propos du titulaire des droits découlant de ce principe : serait-il le « peuple » ou l’État ? L’ambigüité sur le titulaire de la souveraineté permanente n’était que le reflet des différentes idéologies qui ont entraîné la reconnaissance de ce principe en droit international.

Dans l’exercice de la souveraineté permanente sur les ressources naturelles, un certain nombre de conflits se font jour avec l’évolution de la protection des droits de l’homme. Concrètement, la confrontation entre les droits de l’État sur les ressources naturelles – issus de la souveraineté permanente – et l’obligation pour l’État de respecter les droits de sa population est évidente, notamment si l’on prend en considération les deux éléments qui ont servi de fondement pour la consécration des intérêts juridiques de l’État sur ses ressources naturelles : le développement économique et l’autodétermination économique. Les conséquences juridiques de cette « confrontation concrète » seront présentées plus loin, lorsque l’on traitera, de manière plus approfondie, de la mise en œuvre du principe de la souveraineté permanente par l’État440.

Ainsi, ces deux notions apparaissent effectivement en concurrence, si le principe de la souveraineté permanente sur les ressources naturelles tient à conserver la même portée qu’à l’époque de la Résolution 1803 (XVII) de 1962. Néanmoins, la consolidation du droit international des droits de l’homme n’a pas uniquement occasionné l’émergence des nouveaux contentieux. Elle a infléchi lourdement la portée du principe de la souveraineté permanente sur les ressources naturelles, ce qui a contribué à la convergence de la souveraineté permanente et de la protection internationale des droits de l’homme.

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- TITRE II -

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