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La reconnaissance ou non du droit des États de nationaliser leurs ressources naturelles

Section I – Éléments de la souveraineté permanente issus des intérêts divergents : les fondements controversés du principe

B) La reconnaissance ou non du droit des États de nationaliser leurs ressources naturelles

Le clivage d’intérêts entre les États du Nord et du Sud devait apparaître au grand jour après la déposition du projet uruguayen le 5 novembre 1952, qui deviendrait la Résolution 626 (VII) de 1952214, intitulée « droit d’exploiter librement les richesses et les ressources naturelles ». Comme traité ci-dessus, présentée comme « la résolution de la nationalisation » 215, la Résolution 623 (VII) de 1952 parvenait finalement à reconnaître « à

tous les Etats Membres, lorsqu’ils exerceront leur droit d’utiliser et d’exploiter librement

211

ABI-SAAB,G.,« souveraineté permanente sur les ressources naturelles », op. cit., p. 640.

212

UN. Doc.[A/C.2/L.81], le 26 novembre 1951, préambule §1.

213

Voir supra, « Introduction générale ».

214

ROSENBERG, D. Le principe de souveraineté des États sur les ressources naturelles, op. cit., p. 103.

215

leurs richesses chaque fois qu’ils le jugent souhaitable pour leur progrès et leur développement économique (…) dans la mesure compatible avec leur souveraineté (…) » 216.

Par ailleurs, la Résolution recommandait aux États de s’abstenir de toute pression directe ou indirecte destinée à empêcher un État quelconque d’exercer sa souveraineté sur les ressources naturelles217, visant donc à protéger tout acte qui « menacerait l’exécution des

programmes de développement économique intégral ou la stabilité économique des pays insuffisamment développés » 218.

Ainsi, la reconnaissance de la souveraineté sur les ressources naturelles au niveau international avait pour but de sauvegarder les intérêts des pays en voie de développement vis-à-vis des intérêts des pays développés et avait également pour ambition de promouvoir le développement économique de ces pays exportateurs de matières premières. À travers le

développement économique, on prétendait, en outre, garantir l’indépendance économique de

ces pays, assurant en effet l’autodétermination économique.

Cependant, ce feu vert aux nationalisations a provoqué une forte crainte des États développés fondée sur le fait que, d’après eux, l’expropriation des capitaux étrangers par les États en voie de développement pouvait se réaliser, de façon immédiate, soudaine et surtout,

sans aucune sorte d’indemnisation219. L’indemnisation en cas de nationalisation et

d’expropriation a été une question largement discutée dans les décennies qui ont suivi la Résolution 623. Ainsi qu’il a été évoqué, à la fin des années 1970, les pays capitalistes ont réussi à faire en sorte que cette question soit tranchée de manière pacifique dans la jurisprudence et la doctrine: une indemnisation prompte et adéquate est reconnue comme un droit de l’État investisseur220.

216

En ce qui concerne l’inquiétude des pays du Nord à propos des effets de la Résolution 623 (VII) de 1952, voir HYDE, J. N., « Permanent Sovereignty over Natural Wealth and Resources », op. cit., p.854. Nous soulignons.

217

Résolution 623 (VII) du 21 décembre 1952, §2 (voir Annexe II).

218

UN. Doc. [A/C.2/L.164/Rev.1], 25 novembre 1952 (voir Annexe I).

219

Dans le même sens, voir l’opinion dissidente du juge Levi-Carneiro dans l’arrêt de l’affaire Anglo-Iranian Oil

Company, op. cit., p. 162.

220

BROWLIE, I., « Legal Status of Natural Resources », op. cit., p. 253. A cet égard, il convient de mentionner que même certains pays d’Amérique du Sud ont soutenu la reconnaissance de l’indemnisation. Ceci a notamment été le cas du Brésil, qui à cette époque, avait pour projet de démarrer son plan de développement industriel, lequel dépendrait des investissements étrangers directs (UN.Doc.[A/C.3/L.441], du 26 novembre 1954). Voir CAPUTO, A.C. , PEREIRA DE MELO, H., « A industrialização brasileira nos anos de 1950 : uma análise da Instrução 113 da SUMOC », Estudos Économicos, vol. 39(3), São Paulo, 2009, pp. 313-338). Le Pérou, depuis 1950, s’appuyait sur un Code minier très favorable au capital étranger dans le but d’exploiter de grands gisements qui n’avaient pas encore été exploités (GLAVE, M.A. , KURAMOTO, J., « Minerías, minerales y desarrollos sustentable en Perú », in Minerías, minerales y desarrollo sustentable en América del Sur,

Equipo MMSD América del Sur, 2002, p. 544). La question de l’indemnisation a fait l’objet des affaires Anglo-

Iranian Oil Company Limited (1952), British Petroleum Exploitation Company Limited c. Gouvernement Lybien (1973), Texaco-Calasiatic c. Gouvernement Lybien (1977), Libyam American Oil Company (Liamco) (1977),

Aminoil c. Koweit (1982)(liste non exhaustive). D’abord, la question était de savoir s’il y avait ou non une obligation d’indemnisation à l’égard de l’investisseur en cas de nationalisation ou d’expropriation. Une fois que l’existence d’une obligation d’indemnisation a été reconnue, plutôt comme une obligation découlant du droit international privé pour la rupture d’un contrat, la discussion est passée à la définition plus précise des termes « prompte », « adéquate » et « effective ». Au sujet des discussions sur l’indemnisation, voir PÉTREN, S., « La

Visant à garantir la promotion du développement économique et profitant de leur

majorité à l’Assemblée générale dans les années 1950221, les États en voie de développement

ont persévéré dans leur objectif de parvenir à une pleine reconnaissance internationale de leur souveraineté sur les ressources naturelles. Pour ce faire, il était encore nécessaire de déterminer de manière plus précise le contenu et les effets de cette souveraineté. Ainsi, grâce à la participation active des pays en voie de développement, particulièrement en Amérique du Sud222, l’Assemblée générale a créé le 12 décembre 1958, après quatre ans de débats, la Commission des Nations Unies pour la souveraineté permanente sur les ressources naturelles, en vue de déterminer la portée et d’interpréter adéquatement la souveraineté sur les ressources naturelles223.

Durant trois ans, la Commission a élaboré des travaux préparatoires dont le rapport final a été à l’origine du projet chilien pour la Résolution 1803 (XVII) du 18 décembre 1962, également connue sous le nom de Déclaration sur la souveraineté permanente sur les ressources naturelles. La Résolution 1803 a représenté, d’une certaine manière, l’aboutissement de la formation normative du droit de souveraineté permanente et de la reconnaissance de sa portée à l’échelle internationale. Mais surtout, elle a marqué l’intention des pays en voie de développement d’affirmer leur droit de développement au niveau interétatique224.

Ainsi, le potentiel de l’utilisation de ressources naturelles dans les échanges économiques, dans le commerce international et dans les investissements étrangers représentait une question vitale pour les pays en voie de développement225. En revanche,

confiscation des biens étrangers et les réclamations internationales », op. cit., p. 562 ; FOUILLOUX, G. La

nationalisation et le droit international public, op. cit., p. 187 et p. 444, SHIHATA, I. F. I. , « Destination Embargo Oil Arab: its legality under international law », AJIL, vol. 68, 1974, pp. 591-627, BINSCHEDLER, R. L., « La protection de la propriété privée en droit international public », RCADI, vol. 90, 1956, p. 195 ; BASTID- BURDEAU, G., « Droit international et contrats d’État – la sentence Aminoil contre Koweit du 24 mars 1982 »,

op. cit., pp. 454-470; BALORO, J., « Some international legal problems arising from the definition and application of the concept of ‘permanent sovereignty over wealth and natural resources’ of States », The

Comparative and International Law Journal of Southern Africa, vol. 20, 1987, pp. 335-352; RODMAN, K.A.

Sanctity versus Sovereignty – the United States and the Nationalization of Natural Resources Investments, New York, Columbia University Press, 1988, 403 p. ; VISSER, F., « The principle of permanent sovereignty over natural resources and the nationalization of foreign interests », The Comparative and International Law Journal

of Southern Africa, vol. 21, 1988, pp. 76-91.

221

Particulièrement à la Deuxième Commission de l’Assemblée générale qui traite des questions économiques et financières et à la Troisième Commission qui traite de traite des questions sociales, humanitaires, culturelles et des droits humains. Voir SCHRIJVER, N. Sovereignty over natural resources – Balancing rights and duties,

op.cit., pp. 51-56.

222

Tels que le Brésil, le Chili, l’Uruguay et la Bolivie.

223

Résolution 1314 (XIII) du 12 décembre 1958 (voir Annexe II). A propos de la Commission, voir SCHRIJVER, N. Sovereignty over natural resources – Balancing rights and duties, op. cit., p. 59.

224

À ce propos, voir ce qui observe GESS, K.N., « Permanent sovereignty over natural resources ; an analytical review of the UN Declaration and its genesis », op. cit., p. 398.

225

ELIAN, G., « Le principe de la souveraineté sur les ressources nationales et ses incidences juridiques sur le commerce international», op. cit., p. 10. À propos de la conception économique des ressources naturelles voir BROWNLIE, I., « Legal Status of Natural Resources », RCADI, vol. 162, 1979, pp. 249-317. D. Colard soutient de plus que l’accès aux ressources naturelles serait encore un outil des pays en voie de développement pour contester l’ordre international économique (voir COLARD, D., « La Charte des droits et devoirs économiques des États », Études Internationales, vol. 6, 1975-IV, pp. 439-461).

l’affirmation de la souveraineté permanente sur les ressources naturelles était comprise par les pays développés comme une menace. Jusqu’à l’approbation de la Résolution 1803 (XVII) de

1962, et même pour les résolutions qui l’on suivi226, la question de la souveraineté permanente

est restée fondamentalement une question interétatique. Une querelle entre États du Sud et États du Nord227.

Ces intérêts divergents sur la question du développement économique ont, en fin de compte, participé à la formation normative du principe de la souveraineté permanente. Le fait que ces divergences se concentraient sur des intérêts étatiques a mené à une conception du

développement économique – fondement du principe de la souveraineté permanente – depuis une perspective économique interétatique, laissant de côté en effet le développement économique au niveau infra-étatique.

C) La prédominance d’une conception qui entraînerait la confrontation avec les droits

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