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L’impact progressif des droits de l’homme sur la portée du principe de la non ingérence dans les affaires intérieures

Section I- Les ressources naturelles dans le cadre des droits de l’homme de « deuxième génération »

B) L’impact progressif des droits de l’homme sur la portée du principe de la non ingérence dans les affaires intérieures

Outre le principe de la souveraineté étatique, l’autre élément qui soutient la base normative du principe de la souveraineté permanente est le principe de la non-ingérence dans les affaires intérieures de l’État. Issu du principe de la souveraineté étatique et de l’égalité souveraine, ce principe consiste en l’obligation pour les États de ne pas contrarier, de ne pas gêner ou faire obstacle à l’exercice de la liberté d’un État727, tel qu’exposé

724

Après l’entrée en vigueur du Premier Protocole facultatif au Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966.

725

À propos de ces comités, voir infra, Deuxième Partie, Titre II, chapitre 2, dans la rubrique « Les treaty bodies des Nations Unies et le Comité des droits de l’homme ».

726

CANÇADO TRINDADE, A.A. Le droit international pour la personne humaine, op. cit., p. 151.

727

précédemment728. Dans l’ordre interne, ce principe, appelé « compétence exclusive nationale », a été cristallisé par l’article 2 §7 de la Charte des Nations Unies729.

Néanmoins, de même que la souveraineté étatique, le principe de la non-ingérence paraît être affecté par la consolidation des droits de l’homme, notamment depuis les deux dernières décennies, particulièrement à travers la promotion de la doctrine du « devoir d’ingérence humanitaire » (1) et à travers la théorie des obligations positives pour l’État relatives aux droits de l’homme (2).

1) L’émergence de la doctrine du « droit d’ingérence » et du « devoir d’assistance humanitaire »

S’agissant de l’influence des droits de l’homme sur le principe de la non-ingérence dans les affaires intérieures, ont émergé certaines notions, comme par exemple la doctrine du « droit d’ingérence humanitaire » au début des années 1990730. Cette doctrine consistait à légitimer une permission donnée aux États ou aux organisations non-gouvernementales (ONG) de recourir à la force en vue de faire cesser des violations des droits de l’homme commises contre des personnes se trouvant dans le territoire et sous l’autorité de l’État, objet de l’intervention731.

Parallèlement, le concept du « devoir d’assistance humanitaire » a émergé sur la scène internationale. Il s’agit d’une obligation pour les États, ou pour les organismes humanitaires, de prêter secours aux victimes de conflits armés, de catastrophes naturelles ou

728

Voir supra, « Introduction générale ».

729

L’article 2 §7 « « [a]ucune disposition de la présente Charte n'autorise les Nations Unies à intervenir dans

des affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale d'un Etat ni n'oblige les Membres à soumettre des affaires de ce genre à une procédure de règlement aux termes de la présente Charte (…) ».

730

La doctrine du « droit d’ingérence humanitaire » consiste en une permission aux États ou aux ONG de recourir à la force en vue de faire cesser des violations des droits de l’homme commises contre des personnes situées sur le territoire de l’État objet de l’intervention, et sous son autorité (SALMON, J. (dir.) Dictionnaire de

droit international public, op. cit., vo

- « intervention humanitaire », p. 610). Voir à cet égard la contribution de TSAGARIS, K. Droit d’ingérence humanitaire, mémoire, Université de Lille II, 2001, 127 p. , TOURNEPICHE, A.-M., « Le droit d’ingérence humanitaire », in MARGUÉNAUD, J.-P., PAULIAT, H. Les droits de l’homme

face à la guerre : d’Oradour à Srebrenitsa, Paris Dalloz, 2009, pp. 37-44 ; HERLEMONT-ZORITCHAK, N., « Droit d’ingérence » et droit humanitaire : les faux amis », Revue humanitaire – enjeux pratiques et débats, 23 décembre 2009, disponible en ligne sur :[http://humanitaire.revues.org/594], consulté le 18 août 2014 ; BETTATI, M., « Un droit d’ingérence ? », RGDIP, 1991, pp. 639-670.

731

SALMON, J. (dir.) Dictionnaire de droit international public, op. cit., vo

- « intervention humanitaire », p. 610. Voir également, PETERS, A., « Le droit d’ingérence et le devoir d’ingérence – vers une responsabilité de protéger », Revue de droit international et de droit comparé, 2002, pp. 290-308 ; CORTEN, O., KLEIN, P., « Devoir d’ingérence ou droit de réaction armée collective ? Les possibilités d’actions armées visant à assurer le respect des droits de la personne face au principe de non-ingérence », RBDI, vol. 24, 1991, pp. 46-131. Certains auteurs parlent d’un « devoir d’ingérence » au lieu de « droit d’ingérence ». Mais ce « devoir » serait ainsi considéré dans la mesure où il incarne un mécanisme de « sécurité collective », prévu dans l’article 24 de la Charte des Nations Unies, selon lequel le Conseil de Sécurité aurait le devoir du « maintien de la paix » (TSAGARIS, K. Droit d’ingérence humanitaire, op. cit., p. 49).

d’autres situations d’urgence732. Afin d’accomplir cette obligation, l’État dans le territoire duquel se présente une situation d’urgence doit faciliter la mise en œuvre des opérations d’assistance733. Selon cette doctrine, l’absence de consensus sur la légitimité juridique de ces « devoirs humanitaires »734 ne doit pas y faire obstacle. Il en résulte une relativisation de la compétence exclusive de l’État sur son territoire, cette exclusivité étant désormais subordonnée au constat de violations des droits de l’homme sur son territoire. Ainsi, comme l’ont souligné P.-M. Dupuy et Y. Kerbrat, les droits de l’homme ont conditionné l’exclusivité de l’exercice de la compétence territoriale de l’État735.

Le même phénomène se constate à propos de l’élargissement d’obligations positives, à la charge de l’État, qui visent à procurer une protection effective aux individus se trouvant sous son autorité.

2) L’État acteur d’une protection accrue de l’individu en droit international

La relativisation du principe de la non-ingérence dans les des affaires intérieures de l’État est due non seulement à la multiplication de normes relatives aux droits de l’homme, mais aussi à l’affirmation d’obligations positives pour l’État découlant de ces normes ainsi que leur « justiciabilité »736. Un des facteurs qui a contribué à cette évolution réside dans l’élaboration de la théorie des obligations positives, développée au début des années 1980 par Alston et H. Shue737.

Cette théorie implique trois catégories d’obligations pour l’État : les obligations de respecter, les obligations de protéger et les obligations de mettre en œuvre. Les obligations de respecter impliquent que l’État s’abstienne d’entraver directement ou indirectement l’exercice

732

SALMON, J. (dir.) Dictionnaire de droit international public, op. cit., vo

- « devoir d’assistance humanitaire », p. 99.

733

Voir les Résolutions de l’Assemblée générale des Nations Unies no

43/100 du 8 décembre 1988 et no

45/100 du 14 décembre 1990. Et encore : PELLET, A., « La mise en œuvre des normes relatives aux droits de l’homme », in THIERRY, H., DECAUX, E. (dir.). Droit international et droits de l’homme – la pratique

juridique française dans le domaine de la protection internationale des droits de l’homme, Paris, Montchrestien, 1990, pp. 101-141.

734

À ce propos, voir le cours de V.S.MANI donné à l’Académie de droit international de la Haye en 2005 : MANI, V.S., « Humanitarian Intervention Today», RCADI, vol. 313, 2005, pp. 9-323.

735

DUPUY, P-M., KERBRAT, Y. Droit international public, op. cit., p. 242.

736

À ce propos, voir l’article de SUDRE, F., « Les obligations positives dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, Rev. trim. dr. h., 1995, pp. 363-384. FLAUSS, J.-F., « La protection des droits de l’homme et les sources du droit international », op. cit., p. 28. Voir aussi COHEN-JONATHAN, G., « Cour interaméricaine des droits de l’homme – l’arrêt Velasquez », RGDIP, 1990, pp. 455-471

737

En réalité, H. Shue parle de « subsistence rights », qui seront interprétés par P. Alston comme comprenant aussi le droit à une alimentation suffisante. Voir SHUE, H. Basic Rights : Subsistence, Affluence and US Foreign

du droit en question738. Ces obligations ont plutôt un caractère négatif et interdisent à l’État d’agir directement ou indirectement d’une manière qui reviendrait à nier l’accès au droit en question739. Les obligations de protéger exigent que l’État prenne des mesures législatives, administratives ou de toute autre nature, en vue d’empêcher que des tiers puissent violer les droits des individus soumis à sa compétence740. Les obligations de réaliser, ou de mettre en œuvre, comprennent toutes les obligations pour l’État qui visent à faciliter l’exercice du droit en question, à l’assurer à le promouvoir741. Dès lors, cette théorie a permis la détermination d’obligations positives pour l’État rendant possible, en pratique, leur « justiciabilité ».

Un autre phénomène notable relatif aux obligations positives est l’élargissement de ces obligations pour les droits de « première génération », dont traditionnellement n’en découlaient que des obligations négatives pour l’État. Ainsi, l’on considère actuellement que le droit à la vie, par exemple, entraîne des obligations positives pour l’État de garantir le droit à la vie de toute personne soit respecté742. Ainsi, « l’importance croissante des obligations

positives de l’État en matière des droits de l’homme [devient] une réalité incontestable (…) », comme l’a souligné R. P. Mazzeschi743.

Il faut pourtant rappeler que les obligations positives entraînent des actions ou des prestations de la part de l’État. Ce dernier doit mobiliser l’appareil étatique en vue d’accomplir ses obligations internationales relatives aux droits de l’homme. En pratique, l’État doit notamment créer ou modifier sa législation, adopter ou s’abstenir d’adopter certaines mesures, afin de respecter ses obligations internationales. Par conséquent, dans l’exercice de ses compétences exclusives sur son territoire, l’État est de plus en plus contraint par des obligations internationales relatives aux droits de l’homme. Ainsi, d’après le principe de la non-ingérence dans les affaires intérieures, résultant de la souveraineté étatique, l’État exerce, sans ingérence extérieure, des compétences exclusives sur les choses et les personnes sur son territoire. Mais la portée de ce principe est modérée par sa subordination au développement du droit international des droits de l’homme.

Conséquence de la modération progressive, particulièrement au cours des dernières décennies, du principe de la souveraineté étatique et du principe de la non-ingérence sur les

738

CESCR. Observation générale no 13 sur le droit à l’éducation

, UN. Doc. [E/C.12/1999/10], 8 décembre 1999, §33.

739

PISILLO MAZZESCHI, R., « Responsabilité de l’État pour violation des obligations positives relatives aux droits de l’homme », op. cit., p.245.

740

Ibidem.

741

CESCR. Observation générale no 13

, op. cit., §33.

742

Voir, par exemple, l’affaire emblématique de la Cour interaméricaine des droits de l’homme, Affaire

Velasquez Rodrigues c. Honduras, fond, Série C no

4, arrêt du 29 juillet 1988, §188. Quant à la Cour européenne des droits de l’homme, voir par exemple, l’article de DUTHEIL-WAROLIN, L., « La Cour européenne des droits de l’homme aux prises avec la preuve de violations du droit à la vie ou de l’interdiction de la torture : entre théorie classique aménagée et innovation européenne », Rev. trim. dr.h, 2005, pp. 333-347.

743

PISILLO MAZZESCHI, R. « Responsabilité de l’État pour violation des obligations positives relatives aux droits de l’homme », op. cit., p. 188.

affaires intérieures de l’État, on observe une relativisation de la place de l’État en ce qui concerne l’exercice de la souveraineté permanente sur les ressources naturelles au niveau intra-étatique.

§2 – L’influence des droits de l’homme sur la place actuelle du titulaire des pouvoirs souverains sur les ressources naturelles

La consolidation progressive des droits de l’homme a emporté la remise en question des éléments qui forment la base normative du principe de la souveraineté permanente sur les ressources naturelles. Mais l’influence des droits de l’homme a également impliqué une transformation de la place actuelle de l’État, titulaire des pouvoirs souverains sur les ressources naturelles.

Comme observé, le droit international comporte, de nos jours, une croissante et constante production de normes relatives aux droits de l’homme, l’affirmation de la capacité d’ester en justice de l’individu, ainsi que la consolidation de notions ou l’apparition de nouvelles notions qui visent la sauvegarde de la personne humaine. Ces éléments constituent ce que certains auteurs ont appelé l’« humanisation du droit international »744 .

Selon cette doctrine, ce phénomène s’est particulièrement développé depuis les années 1990, après la chute du mur de Berlin. Il s’agit d’un retour au jus gentium, d’après lequel l’individu occupe une place centrale dans le droit international745, qui a fait que le droit international « turned rather to the fulfilment of the needs of protection and aspirations of

human beings and humanking as a whole »746. Par conséquent, l’État n’occupe plus une place centrale en droit international, la personne humaine se substitue désormais à lui.

Un des effets de ce phénomène du droit international contemporain est la relativisation croissante du volontarisme étatique, issu de la souveraineté étatique, qui comprend, en substance, « la qualité de l’Etat de n’être obligé ou déterminé que par sa

propre volonté »747. Le volontarisme étatique a inspiré le droit international pendant longtemps. L’ordre international se conduisait selon la conception volontariste

744

Voir à ce sujet, la contribution de A. A. Cançado Trindade : CANÇADO TRINDADE, A.A. A Humanização

do Direito Internacional, op. cit., 436 p. Pour parler du même phémonène, J.-F. Flauss employ l’expression « recentrage humaniste du droit international », voir FLAUSS, J.-F., « La protection des droits de l’homme et les sources du droit international », op. cit., p. 49

745

Le juge A.A. Cançado Trindade est le grand promoteur de cette doctrine à l’heure actuelle. Il nomme ce phénomène le « nouveau jus gentium ».

746

CANÇADO TRINDADE, A.A. « International Law for Humankind : towards a new jus gentium (I)», op.

cit., p. 24.

747

« lotusienne »748, selon laquelle le droit international était le résultat de la volonté des États

indépendants. En pratique, « le droit international existait pour les États et non les États pour

le droit international »749. Ainsi, d’après la volonté étatique, l’État était le centre du droit international et les normes internationales se fondaient sur les relations interétatiques. Comme l’a souligné M. Virally, dans son cours à l’Académie de droit international de la Haye, « tous

ces développements du droit international ont remodelé le visage de la souveraineté »750.

Cette théorie a des conséquences sur le principe de la souveraineté permanente sur les ressources naturelles. La volonté de l’Etat relativisée vis-à-vis des normes d’intérêt commun à l’humanité ou d’intérêt à la personne humaine, implique par conséquent une

relativisation de la volonté étatique sur ses ressources naturelles. De plus, si l’État n’occupe plus la place exclusive du droit international, les concepts fondés uniquement sur les relations interétatiques, tels qu’admis traditionnellement par le principe de la souveraineté permanente, seront aussi remis en cause. En effet, les rapports intra-étatiques, comme ceux entre l’État et sa population, retiendront aussi l’attention du droit international.

L’affaire SERAC and CESR c. Nigéria (2001)751, jugée par la Commission africaine

des droits de l’homme, est exemplaire à cet égard. Des massacres et des violations massives des droits de l’homme avaient été perpétrés par le gouvernement nigérian avec des acteurs privés sur les peuples Ogoni, et ce en vue de pouvoir exploiter librement les ressources naturelles existant dans le territoire traditionnellement occupé par ces peuples752. L’État nigérian n’était pas partie à la Convention africaine sur les droits de l’homme et des peuples de 1981, ni à aucun pacte ou convention relatif à la protection du droit à la vie. La violation avait été commise dans son propre territoire contre sa propre population. L’État nigérian avait agi en vue d’exercer ses droits souverains sur ses propres ressources naturelles. Pourtant, la violation massive des droits à la vie dans ce cas s’est révélée susceptible d’entraîner la violation des obligations erga omnes et par conséquent, la responsabilité internationale de l’État.

Il en va de même pour la violation de normes de « jus cogens ». Peut être notamment évoqué le travail de la Commission interaméricaine des droits de l’homme sur la

748

Terme issu de l’affaire Lotus (1927), dans laquelle la Cour permanente de Justice internationale (CPJI) a réaffirmé que « [l]e droit international régit les rapports entre des États indépendants. Les règles de droit liant

les États procèdent donc de la volonté de ceux-ci, volonté manifestée dans les conventions ou dans des usages acceptés généralement comme consacrant des principes de droit et établis en vue de régler la coexistence de ces communautés indépendantes ou en vue de la poursuite de buts communs », CPIJ, affaire du Lotus, série A, no

10, are du 7 septembre 1927, p. 18.

749

CANÇADO TRINDADE, A.A. Le droit international pour la personne humaine, op. cit., p. 116.

750

VIRALLY, M., « Panorama du droit international contemporain -Cours général de droit international public », RCADI, vol. 183, 1983-V, p. 124.

751

Affaire Social and Economic Rights Action Center (SERAC) and Center for Economic and Social Rights

(CESR) c. Nigéria, op. cit.

752Ibid.

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