Section I- L’exercice de la souveraineté permanente à l’égard des droits de l’homme : un conflit concret
TITRE II La convergence
du principe la souveraineté permanente sur les ressources naturelles et de la protection internationale des droits de l’homme
Dans son opinion dissidente dans l’affaire Anglo-Iranian Oil Co. (1952), le juge A. Alvarez a souligné que :
« [u]ne différence fondamentale existe entre ces deux droits [le droit international classique et le droit international nouveau]. Le droit
international classique était statique, ne changeait presque pas parce que
la vie des peuples subissait très peu de modifications ; en outre, il était fondé sur le régime individualiste. Le droit international nouveau est
dynamique ; il se transforme constamment et rapidement en
conformité avec les nouvelles conditions de la vie internationale qu’il doit toujours refléter. Ce droit n’a donc pas un caractère de quasi-
immutabilité ; il est une création continue »441.
Ainsi, prenant en compte le droit international tel qu’il est aujourd’hui considéré,
à savoir comme un système dynamique et de création continue442, le principe de la
souveraineté permanente sur les ressources naturelles ne saurait être envisagé de manière statique, comme lors de sa formation normative dans les années 1950 et 1960.
Considérant l’évolution du droit international contemporain et la consolidation des droits de l’homme, les éléments du principe de la souveraineté permanente ont été inévitablement appelés à interagir avec des nouvelles notions ou des nouvelles approches, notamment celles relatives aux droits de l’homme.
Comme il sera discuté, l’émergence d’un droit international plus orienté vers les droits des individus affectera les éléments de la souveraineté permanente, de sorte qu’il sera possible d’observer, au-delà de la confrontation analysée dans le titre précédent, une
441
Opinion dissidente du juge A. Alvarez, Affaire de l’Anglo-Iranian Oil Co., op. cit., p. 124. Nous soulignons.
442
Voir l’opinion individuelle du juge A. A. Cançado Trindade, Affaire relative à la Demande en Interprétation
de l’arrêt du 15 juin 1962 en l’affaire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande), demande en indication de mesures conservatoires, ordonnance du 18 juillet 2011, Recueil 2011, § 13 ; l’opinion individuelle du juge M. Bennouna, affaire relative à l’Application de l’Accord Intérimaire du 13 septembre 1995 (ex- République yougoslave de Macédoine c. Grèce), arrêt du 5 décembre 2011, Recueil 2011, p. 711. Voir aussi l’ouvrage de DIEHL, P. F., KU, C. Dynamics of International Law, Cambridge/New York, Cambridge University Press, 2010, 206 p.
convergence entre le principe de la souveraineté permanente et les droits de l’homme. La convergence entre ces deux notions peut être observée à travers l’objet du principe de la
souveraineté permanente, c’est-à-dire les ressources naturelles et les activités y relatives. Ainsi, dans un premier temps, sera examinée la manière dont la prise en compte des droits de l’homme influence la notion de l’objet du principe de la souveraineté permanente : les ressources naturelles (Chapitre 1).
Cette convergence peut être, de même, observée dans la portée juridique du
principe de la souveraineté permanente. Afin de le démontrer, sera mise en exergue l’influence des droits de l’homme sur la place du titulaire de la souveraineté permanente (l’État) en droit international et sur les attributs souverains de l’État sur les ressources naturelles, issus du principe de la souveraineté permanente, ce qui sera analysée dans un deuxième temps (Chapitre 2).
- CHAPITRE 1 -
Les ressources naturelles à la rencontre de la protection des droits de l’homme : la convergence quant à l’objet du principe de la souveraineté permanente
La notion de ressources naturelles présentait, depuis sa formation normative, une
portée essentiellement économique443. C’est envisagé comme tel que le principe de la
souveraineté permanente a été consacré au sein des Nations Unies dans les années 1960. À l’époque, la préoccupation était de reconnaître l’apport que l’utilisation des ressources naturelles pouvait apporter aux échanges économiques, au commerce international, aux investissements étrangers et au progrès économique des pays, en particulier des pays en voie de développement pour lesquels les revenus tirés de ces ressources étaient vitaux444. En somme, l’accès aux ressources naturelles et la jouissance de celles-ci étaient envisagés comme un outil des pays en voie de développement pour se réaffirmer dans l’ordre international économique445.
Cependant, cette conception exclusivement économique s’est transformée sous l’effet de l’évolution des droits de l’homme. La consolidation des droits de l’homme en droit international a influencé la conception des ressources naturelles, amenant un aspect plus humain et social à la notion de ressources naturelles. L’influence des droits de l’homme est particulièrement visible dans le cas de certains droits de l’homme, dont la portée a évolué du fait de l’incorporation des questions liées aux ressources naturelles. Il en a résulté une
convergence entre ces droits de l’homme et les ressources naturelles, convergence qui sera l’objet de ce chapitre.
Cette convergence entre certains droits de l’homme et les ressources naturelles peut être notée notamment dans deux contextes. Premièrement, cette convergence s’est manifestée à travers l’idée selon laquelle l’utilisation des ressources naturelles est nécessaire pour la
réalisation de certains droits de l’homme. Deuxièmement, la convergence a pu apparaître à l’occasion de la jouissance économique de ces ressources, et en particulier de leur exploitation, soit par l’État soit par des entreprises privées, entraînant la violation de certains
droits de l’homme.
443
Voir supra, « Introduction générale ».
444
ELIAN, G., « Le principe de la souveraineté sur les ressources nationales et ses incidences juridiques sur le commerce international», op. cit., p. 10. À propos de la conception économique des ressources naturelles, voir BROWNLIE, I., « Legal Status of Natural Resources », op. cit., pp. 249-317.
445
Gardant ces deux contextes à l’esprit, l’on examinera la convergence entre les droits de l’homme et les ressources naturelles à partir des droits de l’homme les plus
concernés par la jouissance de ressources naturelles, afin de démontrer le rapport existant entre ces droits et les ressources naturelles. Pour ce faire, il sera tenu compte de la présentation classique des droits de l’homme en « générations » successives.
En utilisant cette distinction entre générations de droits de l’homme, on peut remarquer que les droits individuels de « première génération », tels que le droit à la liberté d’expression, le droit de propriété ou le droit d’accès à la justice, peuvent éventuellement être rattachés à la jouissance de ressources naturelles, comme il sera observé plus loin446. Cependant, ce que l’on vise à examiner à ce stade sont les droits les plus rattachés à la notion
de survie et aux conditions de vie de l’être humain, en tant qu’elles sont liées à la jouissance de ressources naturelles. Ceux-ci sont au cœur des droits de l’homme et appartiennent, notamment à la catégorie des droits individuels de « deuxième génération », c’est-à-dire des droits sociaux et culturels447. Ceux-ci impliquent, en général, la mise en place de moyens
économiques nécessaires à satisfaire les droits-créances, comme le précise J. Dhommeaux448. Ainsi, et de par leur nature même, ces droits se rapprochent de l’approche fonctionnelle des
ressources naturelles449, approche fondée sur l’économie, entendue comme l’ensemble des
activités d’une collectivité humaine relatives à la production et à la consommation de
richesses450 (Section I). Cependant, les droits de l’homme de « troisième génération » peuvent
se présenter également comme directement liés à la jouissance des ressources naturelles, dès lors que ceux-ci visent à intégrer les intérêts de toute l’humanité, de ses générations présentes et futures (Section II).
446
Voir infra, Deuxième Partie, Titre I, chapitre 2, en ce qui concerne notamment le droit d’accès à la justice.
447
A propos des droits de deuxième génération, voir supra, « Introduction générale ».
448
Les droits-créances sont les droits qui créent des obligations positives pour l’État. DHOMMEAUX, J., « Pacte
international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels », in ANDRIANTSIMBAZOVINA, J.,
GAUDIN,H.et al. (dir.). Dictionnaire des droits de l’homme, Paris, PUF, 2008, p. 741.
449
À propos de l’approche fonctionnelle des ressources naturelles, voir supra, « Introduction générale ».
450
Dictionnaire Encyclopédique « Grand Usuel Larousse », vol. 2, Poitiers, Ligugé, 1997, vo
- « économie », p. 2474.
Section I- Les ressources naturelles dans le cadre des droits de l’homme de « deuxième