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L’évolution de la portée du concept d’ « autodétermination » en droit international

Section I- L’exercice de la souveraineté permanente à l’égard des droits de l’homme : un conflit concret

A) L’évolution de la portée du concept d’ « autodétermination » en droit international

L’autodétermination économique était fondée sur l’idée de l’inaliénabilité de l’identité économique et de la capacité de contrôler concrètement la vie économique nationale369. Comme nous l’avons vu, ce concept a servi d’inspiration idéologique pour la consécration normative du principe de la souveraineté permanente, mais à ce niveau, il s’agissait de l’autodétermination économique de l’État (1). À l’heure actuelle l’autodétermination économique est pourtant employée de plus en plus dans la notion de l’autodétermination des peuples autochtones au niveau infra-étatique (2), comme il sera discuté par la suite.

1) Le contenu du principe de l’autodétermination économique de l’État dans l’établissement de la notion de la souveraineté permanente sur les ressources naturelles

À l’époque de la consécration du principe de la souveraineté permanente, l’insistance sur la réaffirmation de l’autodétermination économique des États était issue de la volonté des pays en voie de développement – ainsi que des pays socialistes – de définir leur place dans les relations internationales et les rapports économiques en opposition aux États

occidentaux développés370. L’autodétermination économique, devenue une réalité grâce à

l’exercice de la souveraineté permanente, représentait pour les nouveaux États un moyen de soutenir leur indépendance politique récente, tandis que pour les pays en voie de développement, c’était un moyen de promouvoir leur développement économique.

Par conséquent, la souveraineté permanente était donc un concept très important pour garantir l’autodétermination, voire la souveraineté, et la non-intervention d’autres États dans les affaires économiques domestiques. Elle garantissait à chaque État le pouvoir de contrôler, de disposer et d’exploiter ses propres richesses et ressources naturelles. Comme le consacre la Résolution 1803 (XVII) de 1962, « la prospection, la mise en valeur et la

disposition de ces ressources ainsi que l’importation des capitaux étrangers nécessaires à ces fins devraient être conformes aux règles et conditions que les peuples et nations considèrent en toute liberté comme nécessaires ou souhaitables (…) »371. La souveraineté permanente

369

CARTY, A., « Towards a Theorical and Sociological Framework for a Study of the Right to Economic Self- Determination of Peoples », in DE WAART, P., PETERS, P., DENTERS, E. (éd.). International Law and

Development, op. cit., pp. 45-46 et PELLET, A., DAILLIER, P., FORTEAU, M. Droit International Public, op.

cit. , p. 1156.

370

Ibidem.

371

§2. De même, la la Résolution 2158 (XXI) du 25 novembre 1966 : « l’exploitation des ressources naturelles

consistait ainsi en la garantie de déterminer son propre système économique, particulièrement celui d’exploitation des ressources naturelles.

Cependant, la garantie de l’autodétermination économique et de non-intervention dans les affaires de l’État relatives aux ressources naturelles a été atteinte dans les dernières décennies par le développement des mécanismes internationaux de protection des droits de l’homme et de la portée nouvelle donnée à la notion d’« autodétermination ». Si, dans les années 1960, le concept d’autodétermination profitait aux intérêts des territoires occupés, aux États nouveaux et aux pays en développement, l’autodétermination renvoie désormais aux

peuples, c’est-à-dire à une collectivité d’êtres humains reconnue au niveau infra-étatique.

2) Le développement de l’autodétermination des peuples au niveau infra-étatique

Il faut rappeler qu’à l’origine, le droit à l’autodétermination des peuples se rapporte fondamentalement au droit d’exister, de s’épanouir comme peuple et d’être respecté en tant que tel par les autres peuples372. Actuellement, l’autodétermination est envisagée dans les rapports interétatiques, mais surtout dans les problématiques au niveau infra-étatique : elle peut se rapporter aux minorités ethniques à l’intérieur de l’État, et particulièrement les peuples autochtones373. Ces derniers sont ainsi dénommés puisqu’ils descendent des populations qui habitaient le pays ou une région géographique à laquelle appartenait le pays avant leur conquête ou leur colonisation et l'établissement des frontières actuelles de l’État.

En droit international, deux instruments ont particulièrement reconnu les droits des

peuples autochtones : la Convention de l’Organisation internationale du travail (OIT) no 169

du 27 juin 1989 et la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones du 13 septembre 2007. En reconnaissant leurs droits, ces textes ont également voulu préciser

l’identification des « peuples autochtones », comme l’article premier de la Convention no 169

de l’OIT :

« [les] peuples dans les pays indépendants qui sont considérés comme

indigènes du fait qu’ils descendent des populations qui habitaient le pays, ou une région géographique à laquelle appartient le pays, à l’époque de la conquête ou de la colonisation ou de l’établissement des

frontières actuelles de l’État, et qui, quel que soit leur statut juridique,

372

SAGANASH, D.R., « Le droit à l’autodétermination des peuples autochtones », Revue générale du droit, 1993, p. 87.

373

Les deux termes sont employés comme synonymes par le dictionnaire J. Salmon, voir SALMON, J. (dir.)

Dictionnaire de droit international public, op. cit., vos

conservent leurs institutions sociales, économiques, culturelles et politiques propres ou certaines d’entre elles »374.

Largement adoptée, notamment par les pays d’Amérique du Sud375, la Convention

no169 de l’OIT de 1989 est le principal texte contraignant sur le sujet. En reconnaissant des

droits collectifs aux « peuples autochtones » sur le plan international376, la Convention no 169 marque « finalement l’évolution très importante, même radicale, du droit international pour

ce qui concerne la reconnaissance des droits des peuples autochtones », selon D. R. Saganash377.

Par la suite, la Déclaration sur les droits des peuples autochtones de 2007378, malgré son manque de force obligatoire, va plus loin, admettant un « droit à l’autodétermination des

peuples autochtones »379. Ainsi, selon la Déclaration de 2007 :« [l]es peuples autochtones ont

le droit à l’autodétermination. En vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur développement économique, social et culturel » (article 3), et « dans l’exercice de leur droit à l’autodétermination, [ils] ont le droit d’être autonomes et

de s’administrer eux-mêmes pour tout ce qui touche à leurs affaires intérieures et locales, ainsi que de disposer des moyens de financer leurs activités autonomes » (article 4)380.

Ainsi, la Déclaration des Nations Unies de 2007 énonce que « le droit à l’autodétermination des peuples autochtones » traite de leur droit d’administrer eux-mêmes leurs affaires intérieures et locales ainsi que de déterminer et « de développer leurs

institutions politiques, économiques, sociaux, de jouir en toute sécurité de leurs propres moyens de subsistance et de développement et de se livrer librement à toutes leurs activités

374

Nous soulignons. À propos de la discussion sur l’identification des peuples autochtones en droit international, voir la contribution : GESLIN, A., « La protection internationale des peuples autochtones : de la reconnaissance d’une identité transnational autochtones à l’interculturalité normative », AFDI, 2010, pp. 657-687. Il est également intéressant de voir le rapport de la Commission interaméricaine à cet égard: Commission interaméricaine des droits de l’homme, « Derechos de los pueblos indigenas y tribales sobre sus tierras ancestrales y recursos naturales – normas y jurisprudencia del Sistema interamericano de Derechos Humanos », OEA, Doc. 56/09, 30 décembre 2009.

375

La Convention no

169 a été ratifié par les pays suivants : Argentine, Bolivie, Brésil, Chili, Colombie, Costa Rica, Danemark, Dominique, Équateur, Espagne, Fiji, Guatemala, Honduras, Mexique, Népal, Nicaragua, Norvège, Paraguay, Pays-Bas, Pérou, République centre africaine, Venezuela. Information disponible sur ligne en :[http://www.ilo.org], consulté le 19 août 2014.

376

Article 1er

de la Convention n o

169, par exemple.

377

SAGANASH, D.R., « Le droit à l’autodétermination des peuples autochtones », op. cit., p. 90.

378

Voir l’article 3 (aussi l’article 4 et préambule § 16). La Déclaration de l’ONU sur les droits des peuples autochtones a été Adoptée par la Résolution de l’Assemblée générale 61/295 du 13 septembre 2007 par 143 votes contre 4 et avec 11 abstentions.

379

Voir l’article 3 (aussi l’article 4 et préambule § 16). La Déclaration de l’ONU sur les droits des peuples autochtones a été Adoptée par la Résolution de l’Assemblée générale 61/295 du 13 septembre 2007 par 143 votes contre 4 et avec 11 abstentions.

380

Selon F. Deroche, le fait que l’article consacrant le droit à l’autonomie (article 4) figure juste après le droit à l’autodétermination (article 3) pourrait signifier une approche restrictive, à savoir que l’article 4 explique ou précise l’article 3. D’après l’auteur, les délégations gouvernementales ont justifié cette disposition des articles en soutenant qu’elle permettrait une meilleure lisibilité du texte (DEROCHE, F. Les peuples autochtones et leur

économiques, traditionnelles et autres »381. De plus, à part le texte des Nations Unies, la jurisprudence du Comité des droits de l’homme des Nations Unies renforce le droit à l’autodétermination des peuples autochtones et les obligations internationales de l’État de respecter ce droit382.

Le droit à l’autodétermination des peuples autochtones se fonde essentiellement sur

leur rapport avec la terre et les ressources naturelles. Ce rapport se dégage en une dimension économique – de développement des activités traditionnelles et de subsistance – et en une dimension culturelle – telle que la préservation des lieux sacrés pour les cérémonies et rites, héritage culturel pour les générations futures383.

À la lumière de ce rapport entre l’autodétermination des peuples autochtones et les ressources naturelles, la Déclaration des Nations Unies de 2007 détermine l’étendue de la responsabilité de l’État quant à la dépossession de terres traditionnelles autochtones, et prévoit des processus de compensation tels que la restitution, la réparation et l’indemnisation, en plus de prévoir l’obligation de consultation et de consentement avant d’entreprendre des projets dans leurs terres traditionnelles384.

Ainsi, le concept d’autodétermination des peuples autochtones se trouve directement lié à leurs droits fonciers sur les terres qu’ils possèdent traditionnellement, et les ressources naturelles qui s’y trouvent. Le rapport des peuples autochtones avec leurs terres et leurs ressources naturelles fait partie des particularités de leur vie sociale et culturelle et de

leurs moyens économiques de subsistance385.

Ce rapport a été considéré si fondamental qu’en 2004, E.-I. A. Daes, Rapporteuse spéciale de la Commission des droits de l’homme des Nations Unies, a invoqué une

381

Article 20 de la Déclaration de 2007. À ce propos, il convient de souligner que le projet de Déclaration interaméricaine sur le droit des peuples autochtones de 1994, élaboré dans le cadre du système interaméricain, reconnaît également le droit d’autodétermination des peuples autochtones (article 15).

382

Comité des droits de l’homme, États-Unis, UN. Doc. [CCPR/C/USA/CO/3], 15 septembre 2006, §37. Voir à ce propos, DEROCHE, F. Les peuples autochtones et leur relation originale à la terre – un questionnement pour

l’ordre mondial, op. cit., p. 254.

383

Ibid., pp. 251-252; Commission interaméricaine des droits de l’homme, « Derechos de los pueblos indigenas y tribales sobre sus tierras ancestrales y recursos naturales – normas y jurisprudencia del Sistema interamericano de Derechos Humanos », OEA, Doc. 56/09, 30 décembre 2009, p.1; GESLIN, A., « La protection internationale des peuples autochtones : de la reconnaissance d’une identité transnational autochtones à l’interculturalité normative », op. cit., p. 662. Ã propos de la portée du droit de l’autodétermination des peuples autochtones, voir également infra, Première Partie, Titre 2, chapitre 1, section II, § 1, la rubrique « Le droit des peuples autochtones et les ressources naturelles ».

384

Voir article 25 a 32 de la Déclaration sur les droits des peuples autochtones de 2007.

385

Voir dans la Convention de l’OIT no

169 de 1989, les articles 2, 5, 7 et notamment, les articles 13, 14, 15 et 16. Dans la Déclaration des Nations Unies de 2007, voir le préambule et notamment les articles 5, 10, 11, 12, 19, 20, 25, 26, 30, 31 et 32. Voir à cet égard, infra, Première Partie, Titre II, chapitre 1, la rubrique « Le droit des peuples autochtones et les ressources naturelles », ainsi que les arrêts de la Cour interaméricaine des droits de l’homme : infra, Deuxième Partie, Titre II, chapitre 1.

« souveraineté permanente des peuples autochtones sur leurs ressources naturelles »386. Cette souveraineté consiste, selon E.-I. A. Daes, en un droit collectif en vertu duquel l’État s’engage à respecter, à promouvoir et à protéger les intérêts fonciers des peuples autochtones, en tant

que collectivité, sur leurs ressources naturelles387. Cette conception a été également soutenue

par une partie considérable de la doctrine, notamment celle qui est favorable à une prise en

compte accrue des droits de l’homme388. À ce niveau, une question réapparaît dans l’exercice

de la souveraineté permanente sur les ressources naturelles : qui est le titulaire réel de la souveraineté sur les ressources naturelles ? Les peuples autochtones, ou l’État ?

Ainsi, dans la pratique de l’exploitation des ressources naturelles, nous constatons l’existence de deux intérêts juridiques opposés. D’une part, les droits de l’État découlant du principe de la souveraineté permanente sur les ressources naturelles qui visent notamment à assurer l’autodétermination économique de l’État. D’autre part, les droits des peuples autochtones sur leurs terres ancestrales et leurs ressources naturelles – droits de l’homme collectifs – qui sont considérés par certains comme les titulaires légitimes de la souveraineté permanente sur les ressources naturelles.

B) Le développement de la confrontation entre des intérêts concurrents dans la

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