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L’impact progressif des droits de l’homme sur la portée du principe de la souveraineté étatique ?

Section I- Les ressources naturelles dans le cadre des droits de l’homme de « deuxième génération »

A) L’impact progressif des droits de l’homme sur la portée du principe de la souveraineté étatique ?

Comme traité précédemment, un des concepts du droit international classique sur lesquels la figure de l’État s’appuie, et qui constitue la base normative du principe de la

souveraineté permanente sur les ressources naturelles, est le principe de la souveraineté

étatique (summa potestas)694. En vertu du principe de la souveraineté étatique, l’État ne peut être soumis à aucun autre pouvoir de même nature, et il dispose de pouvoirs considérés comme absolus, constants et entiers695. Ainsi, c’est par le biais de la souveraineté étatique que l’État occupe une place privilégiée en droit international : l’État est le seul sujet de droit

international détenteur de la souveraineté et des pouvoirs absolus696.

Cependant, depuis l’adoption de la Charte des Nations Unies en 1945 et de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, le droit international ne s’intéresse plus exclusivement aux relations interétatiques, mais aussi aux rapports entre l’État et les individus. Ce changement de perspective évoluera, de manière plus intensive, à partir des années 1990, ce qui peut être constaté par l’importance conférée à l’individu en droit international (1), ainsi que par la mise en place de mécanismes de protection des droits de l’homme qui offrent à l’individu la capacité de faire valoir ses droits vis-à-vis de son propre État (2).

1) L’importance conférée à la sauvegarde de l’individu, notamment depuis les années 1990

Dès 1945, la Charte des Nations Unies a entendu faire figurer la protection des droits de l’homme parmi les buts de l’Organisation des Nations Unies ainsi que dans les obligations pour ses États membres697. Depuis lors, le nombre de textes et de conventions relatives aux droits de l’homme s’est multiplié, particulièrement à partir des années 1990, entraînant un phénomène d’« inflation normative » à propos des droits de l’homme, selon

694

Voir à ce sujet : supra, « Introduction générale ».

695

SALMON,J. (dir.). Dictionnaire de droit international public, op. cit., vo

- « souveraineté », p. 1045.

696

DUPUY, P-M. , KERBRAT, Y. Droit international public, op. cit., pp. 31-32.

697

l’expression de J.-F. Flauss698. Cela démontre une véritable préoccupation du droit international de garantir la sauvegarde de l’individu à travers le droit positif. Ceci a pour conséquence d’engager l’État dans un processus normatif, au niveau intra-étatique, pour qu’il exerce ses pouvoirs de dominium et d’imperium en conformité avec les règles internationales.

Outre le constat d’une « inflation normative » en matière de protection des droits de l’homme, l’importance conférée à l’individu en droit international peut être également observée par la reconnaissance de nouveaux concepts qui ont conduit à la formation d’un

droit objectif, qui se réaffirme de plus en plus dans le droit international. Plus précisément, le droit objectif traite des normes dont la normativité ne dépend pas de la volonté ou du consentement des États, telles que les obligations erga omnes et les normes de jus cogens. Ces notions visent la sauvegarde des valeurs qui sont communes à l’humanité, comme par exemple la nécessité de protéger la personne humaine. Comme l’a précisé M. Kamto, dans son cours général donné à l’Académie de La Haye en 2004 :

« [l]a notion d’ordre public international est fondée sur l’idée

essentielle qu’il existe dans la société internationale contemporaine un certain nombre de valeurs fondamentales communes à toutes les nations et à toute l’espèce humaine. Ces valeurs peuvent se regrouper autour de deux idées majeures : sacralisation de l’homme et exaltation de l’humanité »699.

Les obligations erga omnes, c’est-à-dire « à l’égard de tous » en latin, sont des obligations contraignantes applicables à tous les États, puisqu’elles génèrent un intérêt juridique à la communauté internationale dans son ensemble700, comme « la mise hors la loi

des actes d'agression et du génocide, mais aussi des principes et des règles concernant les droits fondamentaux de la personne humaine, y compris la protection contre la pratique de

l'esclavage et la discrimination raciale » 701 , et même la protection du droit à l’environnement702.

Les normes de jus cogens, ou normes impératives du droit international, du latin « droit contraignant » ou « droit impératif », sont des normes reconnues par la communauté

698

FLAUSS, J.-F., « La protection des droits de l’homme et les sources du droit international », op .cit., pp.13- 79.

699

KAMTO, M., « La volonté de l’Etat en droit international », op. cit., p. 314. Nous soulignons.

700

Comme l’a reconnu la CIJ en 1974 dans l’affaire Barcelona traction, light power company limited (Belgique c. Espagne), arrêt du 5 février 1970, Recueil 1970, §33. Voir également, CIJ, Avis consultatif sur l’Application

de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), exceptions préliminaires du 11 juillet 1996, Recueil 1996, p. 616

701

Affaire Barcelona traction, light power company limited, op. cit., § 34. Nous soulignons.

702

Voir, par exemple, ce que soutient le juge C.J. Weeramantry dans son opinion individuelle dans l’affaire

internationale dans son ensemble, et pour lesquelles aucune dérogation n’est permise703. Il s’agit des actes d’esclavage ou de génocide, ou de la violation de principes fondamentaux du droit humanitaire704, c’est-à-dire des normes qui concernent, in fine, la sauvegarde de la personne humaine. En raison des normes de jus cogens, les États ne peuvent plus déroger à ces normes selon leur volonté, pas plus sous la forme de traités que sous la forme de contrats705.

Par ailleurs, le concept de « communauté internationale », de plus en plus employé, qui s’ajoute à cette notion d’un droit objectif tourné vers la « sacralisation de

l’homme et l’exaltation de l’humanité »706, ne se rapporte pas uniquement à l’ensemble des États, mais aussi aux organisations internationales à vocation universelle, à la société civile et à l’opinion publique internationale707. Il est vrai que l’expression « l’intérêt de la communauté internationale » est utilisée moins dans un sens juridique que dans un sens politique, mais elle permet d’inclure l’ensemble des acteurs internationaux, comme les individus708. Cependant, l’emploi d’une telle conception représente une aspiration contemporaine qui, bien qu’idéaliste, vise à consolider des valeurs communes, un intérêt général et universel709, ce qui mène à l’émergence d’un droit objectif.

La formation d’un droit objectif en droit international, impose l’assujettissement des pouvoirs absolus, entiers et constants de l’État dans l’ordre interne à des valeurs

communes, comme les « droits fondamentaux de la personne humaine »710.

Par ailleurs, le développement d’autres concepts juridiques dans l’ordre international démontre également l’importance progressive portée à l’individu. Il s’agit ici des

703

Seule une nouvelle norme de droit international général ayant le même caractère peut y déroger. Voir SALMON, J. (dir.) Dictionnaire de droit international public, op. cit., vo

« jus cogens », p. 631.

704

Lors des travaux de la Commission du Droit International et de l’élaboration des Conventions de Vienne, ces exemples étaient le plus souvent admis comme contraire aux normes de jus cogens, voir SALMON, J. (dir.)

Dictionnaire de droit international public, op. cit., vo

-« jus cogens », p. 631.

705

Bien que la reconnaissance de l’existence des normes de jus cogens reste controversée, il faut souligner que ces normes ont été reconnues comme faisant partie du droit positif par l’article 53 de la Convention de Vienne sur le droit des traités entre États de 1969 et l’article 53 de la Convention de Vienne sur le droit des traités entre États et organisations internationales ou entre organisations internationales de 1986. Sans parler du projet d'articles de la CDI sur la Responsabilité Internationale des États du 2001 (Adopté par l’Assemblée générale de l’ONU, UN. Doc. [A/ RES-56/83], 12 décembre 2001), et dont les articles 41 et 42 traitent de la violation grave d’obligations découlant de normes impératives du droit international général. La jurisprudence internationale a également reconnu l’existence de ces normes, par exemple dans la jurisprudence du Tribunal Pénal International pour l’ex-Yougoslavie, dans les affaires Le procureur c. Anto Furundzija, arrêt du 10 décembre 1998, IT-95- 17/1-T, Aleksovski, arrêt du 25 juin 1999, IT-95-14/1 et Prosecutor c. Milomir Stakic, arrêt du 31 octobre 2002.

706

KAMTO, M., « La volonté de l’Etat en droit international », op. cit., p. 314. Nous soulignons.

707

Autrefois, on parlait de la « communauté des États dans son ensemble ». Voir SALMON, J. (dir.)

Dictionnaire de droit international public, op. cit., vo

« communauté internationale », pp. 205-206.

708

À ce sujet, voir également DECAUX, E., FROUVILLE, O. de. Droit international public, 8ème

éd., Paris, Dalloz, 2012, pp. 31-32.

709

À propos de la communauté internationale, voir l’article intéressant de DUPUY, P.-M., « La communauté internationale, une fiction », in Droit du pouvoir, pouvoir du droit : mélanges offerts à J. Salmon, Bruxelles, Bruylant, 2007, pp. 374-375. À cet égard, voir ce que N. Mandelstam soutenait déjà en 1931 MANDELSTAM, A. N., « La protection internationale des droits de l’homme », op. cit., pp. 129-231.

710

Voir l’affaire Barcelona traction, light power company limited, op. cit., § 34 en ce qui concerne les obligations erga omnes.

concepts qui renvoient à la notion d’« humanité ». À titre d’exemple, citons la notion de

« patrimoine commun de l’humanité »711, développée notamment depuis l’adoption de la

Convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982 qui traite d’espaces ou de biens

reconnus en droit international comme appartenant à l’humanité toute entière vu son intérêt712.

Peut également être citée la notion de « crime contre l’humanité »713, consacrée par le Traité

de Rome de 1998 qui a établi la Cour pénale internationale. Ces crimes recouvrent des violations graves et caractérisées des droits de l’homme714, des violences qui lèsent l’être

humain, transcendant l’individu et affectant tout l’humanité715. Or, la notion d’« humanité » « n’est pas une notion sans signification en droit positif »716 : elle représente « l’importance

nouvelle accordée à l’être humain dans l’ordre juridique international »717.

D’ailleurs, après le nouvel ordre économique international, qui a influencé les relations internationales jusqu’aux années 1980, l’Assemblée générale des Nations Unies a décidé d’établir un « nouvel ordre humain international », à travers la Résolution 55/2 du 24 novembre 2000718. Ce document a pour finalité de promouvoir un nouvel ordre mondial privilégiant l’humain719. Ce nouvel ordre invite les États à « instaurer des conditions

nationales et internationales propices à la promotion du bien-être et à la pleine réalisation du potentiel humain »720.

À côté de ces nouvelles notions juridiques privilégiant la dignité de la personne humaine, se sont établis des mécanismes internationaux de protection des droits de l’homme qui ont contribué à rendre encore plus importante la place de l’individu vis-à-vis du seul sujet plein du droit international, l’État souverain.

711

Cette notion fut introduite pour la première fois par l’Assemblée générale le 16 décembre 1970 (Résolution no

2749 (XXV) et était encore employée dans la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982.

712

SALMON, J. (dir.) Dictionnaire de droit international public, op. cit., vo

- « patrimoine commun de l’humanité », pp. 810-811.

713

Depuis le Tribunal de Nuremberg (1945), la notion s’est consolidée dans la jurisprudence et dans le droit positif à travers le Statut du Tribunal Pénal International pour l’ex-Yougoslavie de 1993 (article 5), du Statut du Tribunal Pénal International pour le Rwanda de 1994 (article 3) et du Statut de la Cour Pénale International de 1998 (article 7).

714

SALMON, J. (dir.) Dictionnaire de droit international public, op. cit., vo

-« crime contre l’humanité », pp. 285-287.

715

TPIY, Affaire Le Procureur c. Drazen Erdemovic, Chambre 1e

instance, (IT-96-22), arrêt du 29 novembre 1996, § 28.

716

CARILLO -SALCEDO, J.-A., « Le concept de patrimoine commun de l’humanité », in Hommage à René-

Jean Dupuy, Paris, Pedone, 1991, p. 65.

717

AMINI, S. Les ordres publics international et économique en droit international : entre confrontation et

articulation, thèse, Université Paris 1, 2012, p. 239, § 553.

718

Résolution de l’Assemblée générale 55/2 du 24 novembre 2000, UN. Doc. [A/55/L.15/Rev.2].

719

Résolution de l’Assemblée générale no

55/2 du 24 novembre 2000, UN. Doc. [A/55/L.15/Rev.2], §1.

720

Résolution de l’Assemblée générale no

2) L’établissement de mécanismes de protection des droits de l’homme : la reconnaissance progressive de la capacité d’ester en justice de l’individu

À travers les mécanismes juridictionnels de protection des droits de l’homme, il est possible à l’individu d’attraire son propre État devant un organe international. La Cour interaméricaine des droits de l’homme en est un bon exemple. Les individus peuvent en effet y introduire une requête par l’intermédiaire d’un organe quasi-juridictionnel du système interaméricain, la Commission interaméricaine des droits de l’homme. Établie en 1979, la productivité de la Cour interaméricaine a considérablement augmenté depuis 2001, date à laquelle le système interaméricain a fait l’objet d’une réforme qui a mieux délimité les fonctions de la Commission et de la Cour, et qui visait à élargir la compétence de la Cour et à privilégier une participation plus autonome de la victime au cours de la procédure.

Par ailleurs, le Protocole no 11 du 11 novembre 1998, annexé à la Convention européenne des droits de l’homme de 1950, généralise à tous les États membres le droit de recours individuel devant la Cour européenne des droits de l’homme. La généralisation du recours direct individuel devant les instances européennes a contribué à multiplier par cinq le

nombre de requêtes introduites devant la Cour au cours des années suivantes721.

La Cour africaine des droits de l’homme, établie depuis le 25 janvier 2004, a également admis la réception de requêtes individuelles dans certains cas où l’Etat concerné avait adopté la déclaration qui autorise ses nationaux à introduire des requêtes directement devant la Cour722. De plus, l’organe quasi-juridictionnel du système africain mis en place le 2 novembre 1987, la Commission africaine des droits de l’homme, admet qu’il est possible de déroger à la règle de l’épuisement des recours internes pour examiner des cas concernant des violations graves et massives des droits de l’homme, si elle constate que les recours internes sont inapplicables ou inefficaces, ou qu’ils n’offrent pas de garanties de réussite723. Cette position audacieuse de la Commission illustre l’importance attribuée à la sauvegarde des individus vis-à-vis de l’imperium étatique sur les personnes relavant de sa compétence.

721

Voir à cet égard le rapport publié par la Cour européenne le 1er

janvier 2009 à propos des statistiques relatives

à chaque pays depuis 1959, disponible en ligne

sur :[http://www.echr.coe.int/Documents/Country_Statistics_2009_ENG.pdf], consulté le 26 mai 2014. Voir à ce propos, FLAUSS, J.-F., «Le droit de recours individuel devant la Cour européenne des droits de l’homme – le protocole no

9 à la Convention européenne des droits de l’homme », AFDI, 1990, pp. 507-519

722

Protocole relatif à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples portant la création d’une Cour africaine des droits de l’homme et des peuples du 9 juin 1998, articles 5 §3 et 34 §6.

723

À cet égard, la Commission elle-même a justifié sa position ainsi : « La Commission n’a jamais considéré que

la condition d’épuisement des voies de recours internes s’appliquait à la lettre lorsqu’il n’est ni pratique ni souhaitable que le plaignant saisisse les tribunaux nationaux dans le cas de chaque violation. Cela est le cas dans les présentes communications étant données l’ampleur et la diversité des violations des droits de l’Homme» (Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, communications nos

25/89, 47/90, 56/91, 100/93, affaire Free Legal Assistance Group, Lawyers’ Committee for Human Rights, Union interafricaine des droits de

De surcroît, comme déjà mentionné, la création, au sein des Nations Unies, d’organes quasi-juridictionnels pour traiter de la violation des conventions relatives aux droits de l’homme, les treaty bodies, admet également que des requêtes puissent être déposées directement par les individus ou par l’intermédiaire d’organisations non-gouvernementales. C’est notamment le cas du Comité des droits de l’homme établi en 1976724, du Comité des droits économiques, sociaux et culturels en 1985, ou du Comité sur les droits des enfants en 1991725.

Ainsi, les dernières décennies marquent un développement progressif de la personne humaine reconnue comme un sujet susceptible d’avoir la capacité processuelle en droit international, c’est-à-dire, l’« émancipation de l’individu comme sujet du droit

international »726. La mise en exergue de la sauvegarde de l’être humain a entraîné la remise en cause des pouvoirs souverains de l’État dans l’ordre interne, qui doivent désormais s’assujettir de plus en plus à des règles internationales relatives aux droits de l’homme, à la consolidation d’un droit objectif et d’un ordre international orientés vers la protection de l’être humain ainsi qu’à l’émancipation de l’individu vis-à-vis de son propre État. Cette relativisation contemporaine sous l’influence des droits de l’homme est aussi observée à propos de l’autre élément normatif de la souveraineté permanente sur les ressources naturelles : le principe de non-ingérence dans les affaires intérieures.

B) L’impact progressif des droits de l’homme sur la portée du principe de la non-

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