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Section I- Les ressources naturelles dans le cadre des droits de l’homme de « deuxième génération »

B) Les droits culturels et les ressources naturelles

Pour concevoir le rapport entre les droits culturels et les ressources naturelles, il faut d’abord exposer la portée juridique de ces droits en droit international (1). Par la suite, sera démontrée la convergence qui s’établit entre les droits culturels et la jouissance des ressources naturelles (2), ainsi que la problématique de leur violation par la jouissance économique des ressources (3).

1) La portée juridique des droits culturels en droit international

Avant tout, il faut préciser que la culture consiste en l’ensemble des traits distinctifs – spirituels et matériels, intellectuels et affectifs – qui caractérisent une société ou

un groupe social, englobant leurs modes de vie, leurs façons de vivre ensemble, leurs systèmes de valeurs, leurs traditions et leurs croyances637. Les droits culturels constituent donc des droits collectifs, vu qu’ils se rapportent à une société ou à un groupe social638.

Les droits culturels ont été notamment réaffirmés dans le cadre de la Déclaration de Fribourg sur les droits culturels de 2007, de la Déclaration universelle de l’UNESCO sur la diversité culturelle de 2001 ainsi que dans la Convention de l’UNESCO sur la promotion et la protection de la diversité des expressions culturelles de 2005639.

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Définition adoptée dans le cadre de la Déclaration de l’UNESCO sur la diversité culturelle, adoptée le 2 novembre 2001, lors de la 31e

Conférence générale de l’UNESCO, préambule §5. Voir aussi l’article 2, alinéa a de la Déclaration de Fribourg sur les droits culturels. Cette Déclaration est le fruit du travail du groupe international d’experts, connu sous le nom de « groupe de Fribourg », créé lors d’un colloque ayant eu lieu en 1991 intitulé « Les droits culturels, une catégorie sous-développée de droits de l’homme ». La Déclaration sur les droits culturels fut adoptée le 7 mai 2007 dans le cadre de l’Université de Fribourg et parrainée par une cinquantaine d’experts, tels que R. Stavenhagen et J. Ziegler, anciens Rapporteurs spéciaux des Nations Unies. Bien que le concept de culture fasse toujours l’objet de débats, nous avons décidé d’adopter la définition présentée dans la Déclaration de l’UNESCO et à la Déclaration de Fribourg sur les droits culturels comme référence.

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Les droits culturels compris individuellement traitent des droits de chaque personne de déterminer et d’exprimer librement son identité culturelle (BIDAULT, M. La protection internationale des droits culturels, Bruxelles, Bruylant, 2009, p. 5). L’identité culturelle est comprise comme l'ensemble des références culturelles par lequel une personne, seule ou en commun, se définit, se constitue et entend être reconnue dans sa dignité humaine (article 2, alinéa c de la Déclaration de Fribourg de 2007).

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Adoptée à Paris, le 20 octobre 2005, lors de la 33e

2) Les effets directs de la jouissance de ressources naturelles sur les droits culturels : la convergence entre les deux éléments

Le rapport entre les droits culturels et les ressources naturelles s’explique par le fait que l’utilisation de ces dernières peut entrainer des effets directs sur les premiers640. À l’instar de ce qui a lieu pour les communautés indigènes, qui bénéficient de droits culturels en tant que groupe641, il existe un lien étroit entre la manière qu’ont les peuples autochtones d’occuper leurs terres et d’utiliser leurs ressources naturelles, et leur mode de vie, leurs institutions, leurs croyances et leur bien-être spirituel, comme l’’ont déjà reconnu la Convention no 169 de l’OIT et le Comité des droits de l’homme642.

La Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones souligne que le contrôle sur leurs terres et les ressources permet aux peuples autochtones de maintenir leur culture en vie et de la renforcer643. C’est à travers leur relation avec la terre et les ressources que ces peuples développent leurs rites religieux, leurs traditions et leur mode de vie. Le contrôle sur les terres et les ressources naturelles est donc fondamental pour la réalisation des droits culturels des peuples indigènes, voire pour la survie de leur culture de groupe644. R. A. Williams Jr. et le Rapporteur spécial des Nations Unies pour les droits des peuples indigènes, Sir J. Anaya, ont affirmé que les ressources naturelles sont essentielles aux peuples autochtones en raison des valeurs culturelles et spirituelles que ces ressources représentent pour eux645. Leur lien avec les ressources et les terres traditionnelles soutient la préservation de leur culture646.

La jurisprudence internationale a également reconnu la valeur culturelle des terres et des ressources naturelles pour les peuples indigènes ou autochtones, à l’exemple de de la

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WIESSNER, S., « The Cultural Rights of Indigenous Peoples : Achievements and Continuing Challenges », op.

cit., p. 129 ; GILBERT, J. Indigeneous Peoples’and Land Rights under International Law – from Victims to

Actors, op. cit., 2006, p. 88).

641

La Déclaration des Nations Unies sur les peuples autochtones énonce, à maintes reprises, que ces peuples ont le droit de manifester, de pratiquer et de promouvoir leurs traditions culturelles, coutumes et rites religieux et spirituels (l’article 11 §1, l’article 12 §1, l’article 13 §1, l’article 14 §1 et §3, l’article 15 §1 et l’article 16 §1).

642

Voir l’article 7 de la Convention no

169 de l’OIT et voir aussi l’Observation générale no

23 sur les droits de minorités (article 27) du Comité des droits de l’homme, §7.

643

Préambule § 10.

644

NORTHCOTT, A.H., « Realization of the right of indigenous peoples to natural resources under international law through the emerging right to autonomy », op. cit., p. 86. ; Working Group on Indigenous Peoples - UN. Doc. E/CN.4.Sub.2/AC.4/1985/WP.4, at 5; IACHR, Report on the situation of Human Rights in Ecuador, OAS. Ser. L/V/II.96.Doc.10 Rev1, at 115 (Apr. 24, 1997).

645

ANAYA, J., JUNIOR WILLIAMS, R.A., « The Protection of Indigenous Peoples’ Rights over Land and Natural Resources under the Inter-American Human Rights System », op. cit., p. 61. Certains auteurs, comme S. WIESSNER, ont même soutenu que tous les droits qui concernent les peuples indigènes - y compris le droit à l’autodétermination et le droit collectif de propriété sur leurs terres et ressources - sont, en réalité, des droits culturels « The Cultural Rights of Indigenous Peoples : Achievements and Continuing Challenges », op. cit., p. 129.

646

Ibid., p. 121. Pour reprendre ses termes : « « the preservation and flourishing of a culture inextricably, and

Cour interaméricaine dans l’affaire sur la communauté indigène Yakye Axa c. Paraguay (2005)647 et dans l’affaire sur la Communauté indigène Sawhoyamaxa c. Paraguay (2006)648. Pourtant, la jouissance des ressources naturelles peut aussi impliquer la violation des droits culturels.

3) La violation des droits culturels par la jouissance économique des ressources naturelles : un enjeu inévitable ?

Bien que permettant la réalisation des droits culturels, la jouissance des ressources naturelles à des fins économiques peut également entraîner la violation des droits culturels,

comme il a été souligné dans l’affaire Ralco (2004) au Chili649, portée devant la Commission

interaméricaine des droits de l’homme. En l’espèce, l’installation d’un projet hydroélectrique dans la région d’Alto de Bío-Bío et son impact sur l’environnement ont mené à la destruction de lieux de culte et de cimetières, entravant les pratiques des croyances de la communauté

Pehuenche des Mapuches650.

Cette affaire peut être rapprochée de l’affaire G. E. c. Norvège (1983)651, jugée par la Cour européenne des droits de l’homme, où la question était de savoir si la construction d’un barrage affectant le mode de vie traditionnel de la communauté locale, les Lapons, engageait ou non la responsabilité de la Norvège pour violation des droits de l’homme. Il faut préciser ici que les communautés indigènes ne devraient pas être les seules à pouvoir bénéficier de la protection offerte par les droits culturels. Devraient également pouvoir en bénéficier des communautés locales, tels que les peuples autochtones ou tribaux, dont la culture, les coutumes et le mode de vie sont rattachés à l’utilisation de ressources naturelles sur un territoire donné652.

À la lumière de ces exemples, une fois encore, la même problématique se pose. Considérant que la portée des droits culturels et les ressources naturelles font l’objet d’une convergence, ne serait-il pas concevable d’envisager une jouissance de ces ressources en

647

Affaire Communauté indigène Yakye Axa c. Paraguay, op. cit. : « (…) members of tribal and indigenous

communities have the right to own the natural resources they have traditionally used within their territory for the same reasons that they have a right to own the land they have traditionally used and occupied for centuries. Without them, the very physical and cultural survival of such peoples is at stake » (§125,§137).

648

Affaire Communauté indigène Sawhoyamaxa c. Paraguay, (fond, réparation et dépens), arrêt du 29 mars 2006, Série C no

146, §118. Voir également l’opinion individuelle des juges A. A. Cançado Trindade et A. Abreu Burelli dans l’affaire Communauté Mayagna (Sumo) Awas Tingni c. Nicaragua, op. cit.

649

Affaire Mercedes Julia Huentao Beroiza y otras c. Chili (affaire Ralco), requête no

4617/02, 11 mars 2004.

650

ORELLANA, M. A., « Indigenous Peoples, Energy and Environmental Justice – the Pangue/Ralco Hydroelectric Project in Chile’s Alto BíoBío », pp. 511-528.

651

Affaire G. et E. c. Norvège (irrecevabilité), no

9278/81

et 9415/81, D.R. 35, décision de la Commission du 3 octobre 1983, pp. 30-45

652

Voir Comité des droits de l’homme. Observation générale no 23 sur les droits de minorités (article 27 du

harmonie avec la réalisation de ces droits ? De quelle manière serait-il possible d’articuler le respect des droits culturels avec la jouissance économique des ressources par l’État ?

Ainsi, les questions touchant aux ressources naturelles font apparaître une liaison essentielle avec les droits de l’homme collectifs, comme les droits des peuples autochtones ou les droits culturels. De la même manière, ces questions peuvent également se rapprocher de la portée d’autres droits de l’homme, lesquels disposent également d’une dimension collective, à savoir les « droits de solidarité ».

§2- La réalisation des droits de « solidarité » et leur rapport avec les ressources naturelles

Les droits dits de « solidarité » intègrent des droits de la « troisième génération »653, comme le droit au développement et le droit de l’environnement. Il s’agit de droits qui ne concernent pas directement l’individu, mais visent à sauvegarder l’intégrité de l’humanité dans son ensemble, impliquant dans la pratique un certain degré de coopération internationale.

S’agissant des questions relatives aux ressources naturelles, nous observons qu’elles sont étroitement liées avec les droits de « solidarité », et plus particulièrement avec le

droit au développement (A) et le droit de l’environnement (B).

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