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Ouverture ou clôture de l’accès aux ressources naturelles ?

Section I – Éléments de la souveraineté permanente issus des intérêts divergents : les fondements controversés du principe

A) Ouverture ou clôture de l’accès aux ressources naturelles ?

Au niveau international, depuis longtemps, les ressources naturelles sont un facteur déterminant pour les relations économiques entre les États. Ainsi qu’il a été mentionné, jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, l’accès aux ressources dépendait essentiellement des conditions fixées par les traités interétatiques, les règles touchant à la liberté des océans, ou encore les règles gouvernant l’intervention et l’acquisition de territoires. Le fait de posséder des ressources naturelles dans son territoire ne conférait pas par lui-même un pouvoir aux États196. Ainsi, au cours du XIXème siècle, les pays d’Amérique du Sud, détenteurs de ressources naturelles en abondance, ont tenté de poser des limites au contrôle étranger de leurs ressources naturelles en signant des contrats entre l’État et les entreprises étrangères197. Mais ce ne serait qu’à partir de la période des deux guerres mondiales qu’apparaîtrait un véritable souci à propos de l’accès aux ressources naturelles en droit international198.

L’éclatement de la Première Guerre mondiale a entraîné des efforts visant à priver l’adversaire de ressources stratégiques, de nourriture, de combustible et de matières premières nécessaires à l’approvisionnement de la population et de l’armée199. Du fait de la crise – particulièrement dévastatrice – des années 1930 ainsi que de la Seconde Guerre mondiale, les

195

Préambule §10.

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Voir infra, « Introduction générale ».

197

BROWNLIE, I., « Legal Status of Natural Resources », op. cit., p. 253.

198

L’éclatement de la Première Guerre mondiale a entraîné des efforts visant à priver l’adversaire de ressources stratégiques, qu’il s’agisse de nourriture, de combustible ou de matières premières nécessaires à l’approvisionnement de la population et de l’armée. (Organisation Mondiale du Commerce, « Les ressources naturelles: définitions, structure des échanges, mondialisation » in Rapport sur le commerce mondial 2010, Organisation Mondiale du Commerce, 2010, p. 64).

199

Organisation Mondiale du Commerce, « Les ressources naturelles: définitions, structure des échanges, mondialisation » in Rapport sur le commerce mondial 2010, Organisation Mondiale du Commerce, 2010, p. 64.

préoccupations portant sur le contrôle et l'accès aux ressources naturelles est devenue centrale pour des raisons à la fois stratégiques, économiques et de sécurité200.

L’Organisation des Nations Unies est ainsi née dans ce contexte. En tant qu’organisation internationale à vocation universelle, l’ONU est devenue, à la fin des années 1940, un forum pour des débats à propos de la question qui avait « toujours constitué un enjeu

majeur de politique étrangère pour les États »201 : l’accès aux ressources naturelles. Marqués par un clivage idéologique entre les pays « du Sud », exportateurs de matières premières, et les pays « du Nord » 202, les importateurs, ces débats au sein des Nations Unies visaient essentiellement à mettre en exergue les intérêts des États : soit du Sud, soit du Nord.

Cependant, si les ressources naturelles se situaient en abondance dans le territoire des pays du Sud, c’était dans les pays du Nord que le capital destiné à être investi dans les activités d’exploitation et d’importation de ces ressources se concentrait. Ainsi, poussés par leurs propres intérêts capitalistes, les pays du Nord, particulièrement les États-Unis, soutenaient une ouverture internationale de l’accès aux ressources naturelles203 en vue d’obtenir plus facilement l’accès aux ressources des pays du Sud. Alors que ces derniers défendaient les intérêts nationaux présidant au maintien du contrôle des ressources naturelles sous l’égide de l’État, et comptant, pour ce faire, sur la coopération internationale204. Tenant compte du fait qu’au sein des Nations Unies prédominait une volonté conjointe de garantir l’égalité souveraine des « nations grandes et petites »205, les pays du Sud ont commencé à revendiquer leurs bénéfices à propos de l’exploitation de leurs ressources naturelles.

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À ce propos, E. W. Zimmerman affirme que « In peacetime available resources are also known as

commercial reserves in capitalistic countries because availability is measure by commercial standards, i.e., in

terms of profitableness reckoned in money. But in war, when victory and the lives of many hinge on certain mineral supplies, the cost-price relationship drops more or less out of sight and availability becomes a matter of geological realities and of technical proficiency, scientific know-how, and availability of capital and labor determined not by a free and automatic market but by government decree (…) ». World Resources and

Industries : A Functional Appraisal of Availability of Agricultural and Industrial Materials, op. cit., p. 445.

201

BASTID-BURDEAU, G., « Le principe de souveraineté permanente sur les ressources naturelles à l’épreuve de la mondialisation », Mélanges en l’honneur de Jean-Pierre Puissochet – l’État souverain dans le monde

d’aujourd’hui, Paris, Pedone, 2008, p. 28.

202

Nous emploierons de manière interchangeable l’expression “pays du Nord” pour les “pays développés” et “pays du Sud” pour les “pays en voie de développement”.

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De manière plus discrète, l’ambition d’ouvrir internationalement l’accès aux ressources naturelles s’était déjà présentée dans les articles des accords adoptés avant la fin de la Seconde Guerre mondiale, tels les accords de

Bretton Woods de 1944. Les accords de Bretton Woods sont des accords économiques, adoptés le 22 juillet 1944 à Bretton Woods, qui avaient l’ambition de dessiner les grandes lignes du système financier international en 1944. Deux organismes ont vu le jour lors de cette conférence: la Banque Mondiale (BM) et le Fonds Monétaire International (FMI). Dans les Statuts de la BIRD et du FMI, dans leur article 1er

, il est fait discrètement allusion à cet esprit, promu par les pays du Nord afin d’engager et d’élargir l’accès aux ressources naturelles. De plus, de nombreuses propositions ont été faites dans ce même esprit, à l’exemple de l’Alliance Coopérative Internationale (ACI), dont le siège est à Genève et qui, en 1947, a soumis au Conseil Économique et Social des Nations Unies une proposition de contrôle sur les ressources mondiales de pétrole.

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Comme le démontrent les dispositifs de la Résolution 1803 (XVII) de 1962, par exemple, le §6 : « [c]onsidérant qu'il est souhaitable de favoriser la coopération internationale en vue du développement

économique des pays en voie de développement et que les accords économiques et financiers entre pays développés et pays en voie de développement doivent se fonder sur les principes de l'égalité et du droit des peuples et des nations à disposer d'eux- mêmes ».

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En réalité, l’idée des pays du Sud de maintenir le contrôle sur leurs ressources en vue de défendre leurs intérêts nationaux datait d’avant même la Seconde Guerre. Les nationalisations pétrolières de 1938 au Mexique avaient fait ressortir une problématique qui a eu des répercussions internationales : d’un côté, le gouvernement mexicain qui estimait exercer l’un de ses droits fondamentaux, en tant que souverain de son territoire, et de l’autre côté, des États capitalistes soucieux de préserver leurs intérêts économiques. Selon D. Rosenberg, il s’agissait du premier différend portant spécifiquement sur la souveraineté permanente sur les ressources naturelles206.

Ainsi, les nationalisations mexicaines sont restées présentes dans les mémoires des pays de l’Amérique Latine, qui ont décidé d’entamer des discussions relatives à la nationalisation des ressources naturelles dès que l’occasion s’est présentée dans la période de l’après-guerre207. Au-delà de ces discussions, certains pays ont aussi décidé de mettre en place ce qu’ils considéraient comme leur droit à la nationalisation de leurs ressources naturelles, issu de leur souveraineté étatique. Ainsi, en 1951, la Bolivie a nationalisé ses mines et le Guatemala était en train de démarrer une réforme agraire qui impliquerait l’expropriation de titres de propriété de l’United Fruit Company, tandis que le Chili et l’Argentine envisageaient de prendre les mêmes mesures. En parallèle, le différend portant sur l’Anglo-Iranian Oil

Company (1950-1952) au sein de la Cour internationale de Justice (CIJ) est devenu une question brûlante au niveau international208, en plus de représenter le premier grand différend

économique Nord-Sud dans la période de l’après-guerre, selon N. Schrijver209.

Par conséquent, les pays socialistes et les pays en voie de développement sont devenus les grands promoteurs du droit de souveraineté permanente au sein des Nations Unies, centrant davantage la question sur le droit de nationaliser et d’exproprier la concession de ressources naturelles faite aux capitaux étrangers210. En soutenant la reconnaissance de leur souveraineté sur leurs propres ressources naturelles, ces pays visaient à assurer des moyens de promouvoir leur développement économique.

206

ROSENBERG, D. Le principe de souveraineté des États sur les ressources naturelles, op. cit., p. 80.

207

SCHRIJVER, N. Sovereignty over natural resources – Balancing rights and duties, op. cit., p. 4. À propos des nationalisations de l’après-guerre, voir PÉTREN, S., « La confiscation des biens étrangers et les réclamations internationales », RCADI, vol. 109, 1963, en particulier, pp. 545-559. En 1946, suite à une proposition des États- Unis en 1946, le Conseil économique et social, associé à d’autres agences spécialisées comme le FAO, a également organisé une Conférence Scientifique des Nation-Unies sur la Conservation et l'Utilisation des ressources dont l’objectif premier a été d’échanger des idées à propos de la gestion et de l’usage des ressources naturelles mettant l’accent sur la situation des ressources naturelles dans le monde (Voir [http://www.fao.org/docrep/x5339e/x5339e0b.htm], consulté le 15 mai 2013). À propos de ces discussions, voir aussi UN.Doc. [E/449, 2 juillet 1947, p. 2 ; UN. Doc.[E/449/Add.1, 31 juillet 1947 ; Documents officiels du Conseil Économique et Social sur le 111e

session, 11 août 1947, p. 195 ; et Annuaire des Nations Unies 1947-

1948, p. 549.

208

Affaire de l’Anglo-Iranian Oil Company, op. cit. L’affaire portait sur la nationalisation par l’Iran de la compagnie pétrolière britannique Anglo-Iranian Oil Company. Selon D. Rosenberg, cette affaire représente « la première tentative de l’après-guerre de rendre un peuple maître de sa principale richesse naturelle ». ROSENBERG, D. Le principe de souveraineté des États sur les ressources naturelles, op. cit.,p. 94.

209

SCHRIJVER, N. Sovereignty over natural resources – Balancing rights and duties, op. cit., p. 41.

210

Par ailleurs, il importe de remarquer que les États nouveaux n’avaient pas encore de voix au sein de l’ONU, sans parler des territoires sous tutelle ou non autonomes.

En réaffirmant le contrôle sur les ressources naturelles existantes dans leur territoire, les pays du Sud mettraient en place des montages juridiques vis-à-vis du capital étranger des pays du Nord. D’abord, ces pays procèderaient à des montages juridiques pour revendiquer leur participation aux revenus issus des activités y relatives, et par la suite, des moyens pour déterminer la manière dont ces activités se dérouleront ainsi que pour se réapproprier ces ressources à travers la nationalisation et l’expropriation. Ainsi, la reconnaissance de la souveraineté sur les ressources naturelles était considérée comme l’aboutissement de la formulation juridique du principe211.

Durant les années de l’affaire Anglo-Iranian Oil Company, le Conseil économique et social et l’Assemblée générale de l’ONU ont engagé une discussion sur le droit de veiller sur ses propres ressources. Les discussions de la souveraineté permanente au sein de l’Assemblée générale portaient essentiellement sur la préoccupation d’établir de meilleures méthodes de financement du développement économique des pays en voie de développement. En 1951, comme déjà évoqué, la Pologne a déposé un projet de résolution soulignant l’importance de respecter les projets de développement économique de ces pays et leurs intérêts nationaux212, projet qui a donné naissance à la Résolution de l’Assemblée générale 523 (VI) du 12 janvier 1952213.

Cette question de l’ouverture de l’accès ou non aux ressources naturelles a été suivie par la discussion de la reconnaissance ou non d’un droit des États de nationaliser leurs ressources naturelles.

B) La reconnaissance ou non du droit des États de nationaliser leurs ressources

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