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La problématique qui se pose dans le contexte actuel et l’objet de la présente thèse

Au cours des deux dernières décennies, le système de normes relatives à la protection des droits de l’homme s’est développé de façon remarquable. L’élargissement de la gamme de droits de l’homme qui bénéficie de la protection d’instruments internationaux, la jurisprudence des cours spécialisées en matière de droits de l’homme ainsi que la création d’autres mécanismes internationaux de protection des droits de l’homme ont contribué à mettre en exergue les droits fondamentaux de l’individu en droit international.

En parallèle, a pu être observée l’évolution du droit de l’environnement, à travers la mise en place de politiques écologistes de grande ampleur et d’une prise de conscience croissante de la nécessité de protéger la nature en fonction des intérêts humains182. Cette perspective rend l’homme tout-puissant par rapport à la nature, jusqu’au point où le dommage à cette dernière peut menacer l’homme lui-même183. Cette idée apparaît dans les principaux textes du droit international de l’environnement – comme la Déclaration de Stockholm de 1972, le Rapport Brundtland de 1987 et la Déclaration de Rio de 1992 – ainsi que dans les normes juridiques élaborées au niveau local, national et international qui ont connu un grand essor à partir des années 1990184.

Du fait de cette attention portée à la protection de l’environnement, la question de l’épuisement des ressources naturelles n’a plus uniquement une perspective économique. L’épuisement des ressources, ainsi que la manière dont ces ressources sont exploitées, ont poussé à incorporer une perspective humaniste. La disparition de ces ressources ou les dommages causés à l’environnement par une exploitation inconsciente de ces ressources peuvent menacer les conditions de vie de l’homme. La Convention mondiale sur la biodiversité de Nagoya de 1992 illustre bien cette préoccupation de la gestion et de la prévention de l’épuisement de ressources naturelles, l’utilisation rationnelle de ces ressources et la préservation d’un environnement propre et sain pour les êtres humains des générations présentes et futures : un droit de l’homme à l’environnement.

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Il s’agit là d’une perspective anthropologiste du droit de l’environnement, qui a prédominé lors de l’élaboration des principaux textes internationaux relatifs au droit de l’environnement, comme la Déclaration de Stockholm de 1972 et la Déclaration de Rio de 1992. Dans cette perspective, la nature est conçue comme objet des droits, alors que l’homme est le sujet des droits. La perspective anthropocentriste du droit de l’environnement adoptée par le droit international a été critiquée par les écologistes, qui soutenaient que l’homme doit se régler sur la nature, vu qu’il est une partie non privilégiée d’un ensemble écologique (vision écocentriste). Voir GUTWIRTH, S., « Trente ans de théorie du droit de l’environnement : concepts et opinions », Environnement et Société, vol. 36, 2001, pp. 5-7. Voir à propos de cette discussion, l’entretien avec les philosophes français Luc Ferry (défenseur de la vision anthropocentriste) et Phillippe Descola (défenseur de la vision écocentriste) : MANIAUD, C., « La bombe écologique. Changer le rapport homme et nature – Luc Ferry et Phillipe Descola : l’homme ou la nature, faut-il choisir ? », Philosophie Magazine, no

13, 27 septembre 2009, disponible en ligne sur :[http://www.philomag.com/lepoque/dialogues/luc-ferry-philippe-

descola-lhomme-ou-la-nature-5615], consulté le 9 mai 2014.

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GUTWIRTH, S., « Trente ans de théorie du droit de l’environnement : concepts et opinions », op. cit., §6.

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Du fait de l’évolution de ces nouveaux domaines du droit international, l’exercice de la souveraineté permanente de l’État sur les ressources naturelles est remis en cause, comme il peut être observé dans les exemples précités de la construction du barrage de Belo Monte au Brésil ou du projet minier Marlin au Guatemala. Par le biais d’une entreprise étatique, comme dans le cas brésilien, ou dans le cas d’une concession accordée à une entreprise étrangère, comme le cas guatémaltèque, les deux États ont organisé l’exploitation de leurs ressources naturelles – hydrauliques et minérales – dans le but de profiter des avantages économiques que cette exploitation peut apporter. D’autres pays d’Amérique du Sud, tels que le Brésil - pays « émergent » – et le Guatemala – pays en voie de développement – considèrent l’exploitation de leurs ressources naturelles comme un moyen de promotion de leur progrès économique.

Néanmoins, pour exploiter leurs ressources naturelles, ces pays doivent se confronter à des droits fondamentaux de la population locale, comme les droits des peuples autochtones (les « amérindiens »), qui établissent leur subsistance ou même leur survie sur la jouissance de ressources naturelles. De plus, ces pays doivent se confronter aux dommages environnementaux que cette exploitation peut potentiellement causer. Cela dit, les États devraient-ils cesser d’exploiter leurs ressources naturelles en vue de préserver ces populations et l’environnement ?

Du point de vue du droit international, l’État détient des droits exclusifs d’exploiter librement et de maîtriser ses ressources naturelles, issus de sa souveraineté permanente sur les ressources naturelles. Ces droits sont liés à la jouissance économique de ces ressources, comme les bénéfices économiques apportés à l’État brésilien par la construction du barrage de Belo Monte ou à l’État du Guatemala par l’exploitation de l’or.

Il y a, en parallèle, les droits fondamentaux de la population locale, qui peuvent être directement affectés par les effets nuisibles d’une méthode d’exploitation de l’or (dissolution au mercure) ou par la construction d’un barrage sans étude d’impact environnementale et sociale adéquate, pouvant résulter en des inondations, des dommages à la biodiversité du fleuve, ou entraîner la non relocation de personnes déplacées.

Ainsi, dans l’exercice de sa souveraineté permanente sur les ressources naturelles, l’État doit se confronter à des obligations internationales relatives aux droits de l’homme. Mais y a-t-il une réelle confrontation juridique entre ces droits et ces obligations de l’État dans le cadre des ressources naturelles ? De plus, s’agissant d’un côté d’un principe du droit international, et de l’autre, de normes des droits de l’homme, peut-on considérer qu’il existe une confrontation de valeur relative aux sources du droit international ? N’aurait-y-il pas une

voie conciliatrice entre les intérêts juridiques divergents de l’État et de la population ? Ou peuvent-ils être combinés de manière à avoir une application articulée ?

Dans l’hypothèse où il serait possible d’envisager leur combinaison, comment cette combinaison pourrait-elle être mise en œuvre ? Quels seraient alors les effets juridiques de cette combinaison ? Cette combinaison serait-elle prise en considération par l’État au niveau national ? Et par les mécanismes internationaux au niveau international ? Serait-il d’ailleurs possible d’engager la responsabilité internationale de l’État pour violation des droits de l’homme dans le cadre de l’exercice de ses pouvoirs souverains sur les ressources naturelles ?

Il faut d’ores et déjà noter que la Résolution 1803 établit, comme son objectif fondamental, que la souveraineté permanente sur les ressources naturelles « doit s’exercer

dans l’intérêt du développement national et du bien-être de la population de l'État intéressé » (§1). Serait-il possible d’envisager, à l’heure actuelle, que ces deux finalités

énoncées dans la Résolution 1803 – le développement national et le bien-être de la population – soient conciliées de manière à établir que l’exercice de la souveraineté permanente puisse se réaliser en vue de la sauvegarde des droits de l’homme ?

- Hypothèses envisagées et proposition de thèse

Considérant les questions posées, nous tenterons d’y répondre en partant essentiellement de deux hypothèses.

La première hypothèse proposée sera de faire ressortir une interprétation contemporaine du principe de la souveraineté permanente sur les ressources naturelles, dans une perspective plus conceptuelle. À travers l’interprétation traditionnelle du principe, on peut avoir une confrontation juridique entre les droits de l’État sur les ressources naturelles et les droits de l’homme de la population. Néanmoins, une interprétation contemporaine du

principe de la souveraineté permanente comprendrait la prise en compte des obligations internationales pour l’État relatives aux droits de l’homme à l’égard de sa population, affectée par la jouissance de ses ressources. Autrement dit, nous envisagerons une relecture du principe de la souveraineté permanente permettant son articulation avec la protection des droits de l’homme, tenant compte particulièrement du texte de la Résolution 1803 elle-même qui prévoit que l’exercice de la souveraineté permanente « doit s'exercer dans l'intérêt du

développement national et du bien-être de la population de l'État intéressé » (§1). Par le

biais de cette relecture contemporaine du principe de la souveraineté permanente, l’on visera à contester la confrontation entre la souveraineté permanente et les droits de l’homme et à soutenir la convergence de ces deux éléments ainsi que leur mise en œuvre articulée.

La deuxième hypothèse concerne l’application de cette interprétation contemporaine. D’abord, sera observée cette application au niveau national, où les États exercent leur souveraineté sur les ressources naturelles et où ils doivent remplir un certain nombre d’obligations internationales à l’égard de leur population. Par la suite, il faudra vérifier si cette interprétation est prise en considération par les mécanismes internationaux – juridictionnels ou non – et les conséquences juridiques de cette prise en compte au niveau international. Ainsi, l’on visera les possibilités et les effets juridiques de la mise en œuvre de l’interprétation contemporaine du principe de la souveraineté permanente au niveau national et international.

Le présent travail vise en fin de compte à soutenir que, dans le contexte actuel, il n’est plus possible de concevoir l’exercice du principe de la souveraineté permanente sur les ressources naturelles comme conférant uniquement des droits exclusifs et permanents à l’État pour la jouissance économique de ses ressources. Eu égard à l’évolution du droit international et à sa dynamique, l’exercice de la souveraineté permanente doit également envisager d’incorporer une perspective plus humaniste qui vise à la jouissance de ces ressources en accord avec la protection des droits de l’homme. Autrement dit, l’exercice de la souveraineté permanente sur les ressources naturelles peut entraîner des droits pour l’État mais aussi des obligations pour cet État à l’égard de sa propre population dans le cadre des ressources naturelles.

Conformément au droit international, l’État, en tant que titulaire des droits exclusifs sur les ressources naturelles et en tant que garant de la protection des droits de l’homme dans son territoire, serait en effet le principal responsable pour l’exercice des droits sur les ressources naturelles au service de la protection des droits de l’homme.

Dès lors, il peut être soutenu qu’il n’existe pas réellement de confrontation juridique entre le principe de la souveraineté permanente et les normes relatives aux droits de l’homme mais que, par le biais d’une interprétation contemporaine du principe, il est plutôt possible d’envisager une articulation de ces deux notions juridiques applicable par les États au niveau national et prise en compte par les mécanismes internationaux à l’échelle universelle. Cette nouvelle relecture aura pour thèse qu’il découle du principe de la souveraineté permanente que l’État n’est pas uniquement titulaire de droits mais aussi débiteur d’obligations.

-Intérêt de l’étude

Dans un contexte d’épuisement des ressources naturelles par l’exploitation démesurée et d’actes de violation de droits de l’homme liés à l’exploitation de ressources naturelles, le besoin d’un contrôle consciencieux et respectueux des normes internationales, sur les ressources naturelles se fait sentir de nos jours. Ainsi, la présente étude a l’intention de proposer une voie médiane, dans le cadre de l’application du droit de souveraineté permanente, entre les intérêts de l’État et les intérêts de sa population, de populations locales ou de peuples autochtones affectés par l’exploitation de ressources naturelles.

Par ailleurs, ce travail aura pour but de mettre en question la place du principe de la souveraineté permanente sur les ressources naturelles sur la souveraineté aujourd’hui dans le cadre de l’exploitation des ressources naturelles, ainsi que de contribuer à la sauvegarde du droit des peuples et des droits de l’homme, en renforçant l’engagement international de l’État à ce propos ainsi que l’esprit de coopération internationale.

En substance, le principal intérêt de notre étude est de montrer de quelle manière le principe de la souveraineté permanente sur les ressources naturelles peut conférer à l’État des droits relatifs à la jouissance de ressources naturelles dans son territoire et, simultanément, que ce principe est susceptible d’engager l’État à des obligations relatives aux droits de l’homme dans le cadre de la jouissance de ces ressources.

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