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Le projet chilien du 8 mai 1952 au sein de la Commission des droits de l’homme

Section I – Éléments de la souveraineté permanente issus des intérêts divergents : les fondements controversés du principe

A) Des interprétations divergentes sur le lien de la souveraineté permanente avec un droit fondamental : le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes

3) Le projet chilien du 8 mai 1952 au sein de la Commission des droits de l’homme

De même que pour le projet initial uruguayen-bolivien pour la Résolution 626, le Chili a déposé un projet d’article devant la Commission des droits de l’homme qui attribuait aussi un aspect plus humaniste au principe de la souveraineté permanente, en considérant que ce principe a été une branche du droit fondamental des peuples à disposer d’eux-mêmes.

243

Voir supra, « Introduction générale ».

244

Voir Annuaire des Nations Unies 1952, p. 387. Projet de résolution UN Doc. [A/C.2/L.165], 5 novembre 1952 et UN Doc. [A/C.2/L.165/Corr. 1 à 3], 6 novembre 1952.

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Le projet chilien du 8 mai 1952 avait pour ambition d’ajouter un paragraphe relatif à la souveraineté permanente au premier article des projets de deux pactes internationaux des Nations Unies relatifs aux droits de l’homme, lequel énonçait que « [t]ous les peuples ont le

droit de disposer d'eux-mêmes »246. D’après ce projet, la souveraineté permanente sur les ressources naturelles devait être entendue comme signifiant qu’« en aucun cas, un peuple ne

pourra être privé de ses propres moyens de subsistance »247. En d’autres termes, un peuple ne pourra être privé de ses ressources naturelles, selon le principe de la souveraineté permanente248.

En outre, comme précédemment mentionné249, la proposition chilienne a provoqué

un grand malaise, en particulier de la part des pays occidentaux capitalistes, investisseurs dans les pays en voie de développement, qui craignaient que cette affirmation puisse justifier des nationalisations et des expropriations sans conditions, et permettre d’invalider toutes les concessions250. Face à cette gêne, le représentant chilien a essayé de pacifier le dialogue. Il a fait valoir que l’expression « souveraineté permanente » renvoyait à la notion selon laquelle

ce droit était inhérent à la souveraineté, et ne remettait pas en cause la validité des concessions. D’après lui, loin de constituer une menace d’expropriation ou de confiscation vis-à-vis des investissements étrangers251, employer l’expression « permanente » avait pour objectif d’offrir une protection « against such foreign exploitaion as might result in depriving

the local population of its own means of subsistence »252. En effet, le projet chilien soulignait le caractère de « permanence » de la souveraineté sur les ressources naturelles afin d’accentuer l’importance de la reconnaissance de ce droit pour la subsistance économique de

la population d’un État, comme l’a souligné M. Bossuyt253.

La proposition d’inclusion de ce paragraphe a entraîné des discussions à propos du principe de la souveraineté permanente au sein de la Commission des droits de l’homme et à la lumière des projets de conventions qui visaient à consacrer les droits de l’homme en droit

246

Pacte international relatif aux droits civils et politiques et Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.

247

BOSSUYT, M. Guide to the « travaux préparatoires » of the International Convenant on Civil and Political

Rights, op. cit., p. 38.

248

L’élaboration des deux projets a démarré en 1947 (du 9 à 25 juin) et a duré jusqu’au 16 avril 1954. Ensuite, l’Assemblée générale a pris douze ans pour les adopter au 16 décembre 1966 (Ibid., pp. xix-xx).

249

Voir supra, « Introduction générale ».

250

SCHRIJVER, N. Sovereignty over natural resources – Balancing rights and duties, op. cit., pp. 49-50.

251

Voir pour la déclaration du représentant chilien M. Valenzuela, UN.Doc.[E/CN.4/SR.257], 6 mai 1952, p. 11 (Chili), voir Annexe I.

252

BOSSUYT, M. Guide to the « travaux préparatoires » of the International Convenant on Civil and Political

Rights, op. cit., p. 39, voir également UN.Doc.[E/CN.4/SR.260], p.6 (Chili) et p. 10 (Lebanon). Nous soulignons.

253

Ibidem. C’est ainsi que le représentant chilien a présenté sa position en faveur d’un droit souverain permanent des peuples sur leurs propres ressources naturelles, en dépit des sérieuses oppositions des pays développés occidentaux, comme la France et la Royaume-Uni (Voir UN.Doc. [E/CN.4/SE.257], 6 mai 1952, pp. 6-7 et UN. Doc [E/CN.4/SR. 257], 6 mai 1952, pp. 13-14, annexe II).

international254. Cependant, malgré l’importance de ces discussions durant le processus de la reconnaissance juridique du principe de la souveraineté permanente, les résolutions des années 1950 qui ont précédé la Résolution 1803, ainsi que la Résolution 1803 elle-même,

n’ont pas mis en exergue l’aspect humaniste du principe de la souveraineté permanente. De même, ces résolutions n’ont pas souligné le fait que la source de la souveraineté permanente, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, constituait le droit fondamental « d’une

collectivité d’êtres humains attachée à un territoire commun »255. De surcroît, ce projet chilien qui reconnaissait la souveraineté permanente parmi les droits fondamentaux dans les deux conventions internationales des Nations Unies, ne serait adopté qu’en 1966, c’est-à-dire après l’approbation de la Résolution 1803.

Il importe d’ailleurs de rappeler que la création de la Commission des Nations

Unies pour la souveraineté permanente sur les ressources naturelles (1958-1961)256 s’est faite

sur recommandation de la Commission des droits de l’homme, organe des Nations Unies chargé de la promotion des droits de l’homme257. Dans sa recommandation, la Commission des droits de l’homme envisageait de renforcer le concept de la souveraineté permanente afin d’assurer la jouissance complète de nombreux droits énoncés dans les projets des pactes des droits de l’homme à travers la reconnaissance pleine de la composante économique du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes258.

Ceci étant dit, il faut remarquer que le fait que n’ait pas été mis en avant ce rapport du principe de la souveraineté permanente à un droit qui était considéré comme un droit fondamental n’est pas réellement traité dans la doctrine. De plus, l’on ne trouve pas d’observations à ce propos dans les débats au sein de l’Assemblée générale ou de la Commission des droits de l’homme.

En tout état de cause, les tentatives visant à confirmer ce rapport entre principe de la souveraineté permanente et un droit de l’homme ont été mises de côté. Ne pas mettre en avant que la souveraineté permanente a été reliée à un droit fondamental de l’homme a

254

UN.Doc. [E/CN.4/L.24], 16 avril 1952. Voir aussi ROSENBERG, D. Le principe de souveraineté des États

sur les ressources naturelles, op. cit., p. 102. J.N. Hyde souligne que lors des débats pour l’adoption des Pactes internationaux des droits de l’homme, la souveraineté permanente sur les ressources naturelles est devenue « [i]n the jargon of the Human Rights Commission, as well as its draft article on self-determination, this

principle came to be known as economic self-determination. ». HYDE, J. N., «Permanent Sovereignty over Natural Wealth and Resources», op. cit., p. 855.

255

SALMON, J. (dir.). Dictionnaire de droit international public, op. cit., vo

- « peuple », p. 827. Nous soulignons.

256

Voir supra, « Introduction générale ».

257

Voir information disponible en ligne sur :[http://www2.ohchr.org/french/bodies/chr/], consulté le 11 avril 2014.

258

Commission des droits de l’homme, Rapport sur la 10è

session, 23 février – 16 avril 1954, UN.Doc. [E/2573], § 324 et §326.Voir également, Commission des droits de l’homme, Rapport sur la 10è

session, 23 février – 16 avril 1954, UN.Doc. [E/2573], §§ 323-335; SCHRIJVER, N. Sovereignty over natural resources – Balancing

rights and duties, op. cit., pp. 57-70. Voir Annuaire des Nations Unies 1954, pp. 209-211 ; ROSENBERG, D. Le

probablement été le résultat d’une conception plutôt interétatique empruntée à l’autodétermination économique à l’époque.

B) La prédominance du caractère interétatique de l’autodétermination économique sans

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