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La reconnaissance progressive des nouveaux droits relatifs à l’autodétermination des peuples autochtones

Section I- L’exercice de la souveraineté permanente à l’égard des droits de l’homme : un conflit concret

B) Le développement de la confrontation entre des intérêts concurrents dans la jouissance de ressources naturelles : États versus peuples autochtones

1) La reconnaissance progressive des nouveaux droits relatifs à l’autodétermination des peuples autochtones

En ce qui concerne la reconnaissance des nouveaux droits des peuples autochtones relatifs à leur autodétermination et à la jouissance de ressources naturelles, il est possible d’en souligner notamment deux : le droit de propriété collective des peuples autochtones (a) et le droit à une consultation préalable, libre et éclairée dans le cadre de l’exploitation des ressources naturelles (b).

a) Un droit de propriété collective des peuples autochtones ?

Une autre question apparaît à propos du droit de propriété collective des peuples indigènes sur les terres et les ressources naturelles, qui découle de leur droit à l’autodétermination397, voire l’autodétermination économique, étant donné que la jouissance

395

Affaire Communauté indigène Yakye Axa c. Paraguay, op. cit.

396

Affaire Communauté indigène Sawhoyamaxa c. Paraguay, (fond, réparations et dépens), Série C no

146, arrêt du 29 mars 2006.

397

À ce propos, J. Gilbert explique que le droit de propriété classique comporte des droits sur les terres (land

des ressources entretient un lien étroit avec la vie économique de ces peuples. Considérant que ces peuples ont un rapport particulier avec leurs terres et leurs ressources naturelles, puisqu’ils en dépendent pour leur subsistance, pour le développement de leur culture, de leur économie et de leur société, leur droit de propriété collective a été considéré comme fondamental pour leur épanouissement en tant que peuple, c’est-à-dire pour leur autodétermination.

Le droit de propriété entraîne le droit de disposer, de posséder et de jouir des fruits ou des revenus de ces biens398. En effet, la reconnaissance de ces droits fonciers sur les terres traditionnels impliquerait, du même coup, la reconnaissance de différents droits sur les ressources naturelles. Cela pose, d’ailleurs, plusieurs conflits entre les droits fonciers de l’État, qui découlent de sa souveraineté permanente sur les ressources naturelles, et les « droits fonciers légitimes » des peuples autochtones399.

Cependant, outre le droit de propriété et le droit à l’autodétermination, la reconnaissance de ces droits fonciers à ces peuples garantirait leur droit au logement, vu que leurs territoires, contenant leurs terres et ressources, sont leur foyer. En outre, les droits fonciers assureraient à ces peuples leur droit à l’alimentation et leur droit à la santé, vu que leur subsistance provient des ressources naturelles de leurs terres. De plus, dépourvus de leurs terres et ressources, il est possible qu’ils ne trouvent aucun autre moyen de subsistance, ce qui peut les conduire à la violation de leur droit à la vie. E.-I. A. Daes, ancienne Présidente et rapporteuse du Groupe de travail des Nations Unies sur les peuples autochtones400, souligne que l’absence de reconnaissance de leur droits fonciers sur les territoires, terres traditionnelles et ressources, en plus de la dépossession et même du déplacement forcé de leurs terres,

peuvent expliquer la détérioration actuelle des communautés indigènes401.

Un autre droit attribué aux peuples autochtones dont la reconnaissance se consolide actuellement en droit international est le droit de consultation préalable, libre et éclairée.

traditionnelles consiste en l’attribution du droit de propriété (GILBERT, J. Indigeneous Peoples’and Land Rights

under International Law – from Victims to Actors, op. cit., p. 87).

398

SALMON, J. (dir.) Dictionnaire de droit international public, op. cit., vos

« propriété (droit de) », p. 896.

399

Voir infra, Première Partie, Titre II, chapitre 1 pour un aspect plus théorique de la question et voir infra Deuxième Partie, Titre I, chapitre 1, pour un aspect plus pratique.

400

Les études de ce Groupe de travail (Working Group) ont contribué à l’adoption de la Déclaration des Nations Unies sur les peuples autochtones de 2007.

401

b) Un droit de consultation préalable, libre et éclairée des peuples autochtones ?

Établi dans la Convention de l’OIT no 169 de 1989402, le droit de consultation préalable, libre et éclairée des peuples autochtones voit de plus en plus sa portée juridique reconnue par la doctrine et la jurisprudence internationale403. Cependant, ce droit semble être susceptible d’entraver la réalisation des droits de l’État sur les ressources naturelles, puisque l’État doit subordonner ses décisions à l’information et à la consultation des peuples autochtones de la région concernée par la future exploitation.

En guise d’illustration, il faut citer l’affaire Communauté indigène U’wa c.

Colombie (1997)404, jugée par la Commission interaméricaine des droits de l’homme. En l’espèce, les intérêts des communautés indigènes locales, les U’wa, se sont opposés aux intérêts économiques de l’État colombien. Il s’agissait de l’exploitation pétrolière réalisée par un consortium d’entreprises transnationales et nationales, d’abord l’OXY (Occidental

Petroleum Company) conjointement à la Shell, et ensuite l’Ecopetrol dans la réserve de Samoré appartenant à la communauté indigène U’wa. En l’espèce, la discussion principale était de savoir si l’autorisation octroyée par le gouvernement colombien au consortium d’entreprises transnationales pour l’exploitation des ressources pétrolières était légitime, alors que l’État, avant d’exercer son droit de concéder les ressources naturelles à l’exploitation, n’avait pas réalisé la consultation préalable libre et éclairée des peuples U’wa. La Commission interaméricaine a finalement décidé que l’État colombien avait violé les droits des peuples U’wa en exerçant ses droits sur les ressources naturelles.

D’autres exemples pourraient être soulevés, comme l’affaire Yanomani (Brésil,

1985)405, l’affaire Communautés indigènes Maya (Belize, 2004)406 devant la Commission

interaméricaine ou la récente affaire Peuple indigène Kichwa de Sarayaku c. Equateur

402

Voir articles 6, 27 et 28 de la Convention de l’OIT no

169/1989.

403

DESMARAIS, F. « Le consentement préalable, libre et éclairé des peuples autochtones en droit international : la nécessaire redéfinition de son cadre conceptuel », RQDI, vol. 19, 2006, pp. 161-210 ; ORELLANA, M. A., « Indigenous and tribal peoples’ rights-land, territory, and natural resources – consultations and prior informed consent – environmental and social impact assessment – concessions and foreign direct investment – environmental damage », op. cit., pp. 841-847 ; COLCHESTER, M. , MACKAY, F., « In Search of Middle Ground – Indigenous Peoples, Collective Representation and the Rights to Free, Prior and Informed Consent »,

Forest Peoples Program, août 2004, p. 8, disponible en ligne sur : [http://www.forestpeoples.org], consulté le 2 avril 2014.

404

OEA, Commission interaméricaine des droits de l’homme, affaire Association of Senior Councils of the U’wa

People, ONIC, et the Coalition for Amazonian Peoples and Their Environment, Colombie, requête no

11.754, 7 octobre 1997.

405

OEA, Commission interaméricaine des droits de l’homme, affaire Peuples Yanomamis, Brésil, Requête no

7615, le 5 mars 1985.

406

OEA, Commission interaméricaine des droits de l’homme, affaire Communautés indigènes Maya de la ville

de Toledo, Belize, Requête no

(2012)407 devant la Cour interaméricaine. Dans tous ces cas, on observe la même confrontation juridique, qui comprend à la fois des droits de l’homme en général et des droits

de l’homme spécifiques reconnus aux peuples autochtones408. Encore une fois, la question se

pose : cette confrontation dans l’exercice de la souveraineté permanente est-elle inévitable ? Dans les exemples de confrontation précités, l’État demeure l’arbitre entre ses

intérêts d’autodétermination économique vis-à-vis d’autres États et ceux de

l’autodétermination (économique) des peuples autochtones relatifs à la conservation de leurs institutions traditionnelles et moyens de subsistance. Néanmoins, comme pour le développement économique, on note que cette confrontation d’intérêts juridiques est la résultante de la conception d’autodétermination économique de la souveraineté permanente qui a été conçue au moment de la consécration normative du principe, où l’affirmation des droits de l’État sur les ressources était au centre des préoccupations internationales.

Ainsi, il existe des divergences essentielles qui conduisent à une confrontation entre les fondements idéologiques sur lesquels la conception traditionnelle du principe de la souveraineté permanente s’appuie et le développement des droits de l’homme en droit international.

Néanmoins, dans l’exercice de la souveraineté permanente, il n’existe pas simplement une confrontation d’intérêts ayant des conséquences juridiques, mais aussi une confrontation qui a lieu entre les différents types de normes concernées.

Section II – L’exercice de la souveraineté permanente à l’épreuve des droits de l’homme : un conflit entre les différents types de normes concernées

Après avoir constaté l’existence d’intérêts juridiques divergents dans la pratique, et la confrontation des intérêts juridiques concrète qui en résulte, il faut maintenant nous arrêter sur la confrontation qui apparaît entre les différents types de normes concernées, c’est-à-dire la confrontation de la souveraineté permanente et des droits de l’homme, considérés en tant que normes juridiques. La confrontation normative, ou conflit de normes, est établi dès que

deux normes sont à la fois valables et applicables et mènent à des décisions incompatibles409.

407

Affaire Peuple indigène Kichwa de Sarayaku c. Equateur, op. cit., A cet égard, voir KIMBERLING, J., « Transnational Operations, Bi-national Injustice : Chevrontexaco and Indigenous Huaorani and Kichwa in the Amazon Rainforest in Ecuador », American Indian Law Review, vol. 31, 2006-2007, pp. 445-508.

408

Il importe de mentionner que dans l’affaire Ralco (Chili), la question des droits des peuples autochtones apparaissait également. L’entrée en vigueur de la Loi sur les peuples indigènes (Loi n° 19 253 du 5 octobre 1993) a rendu la question encore plus controversée.

409

C’était le cas dans les exemples mentionnés précédemment, où il fallait choisir entre les droits de l’État sur les ressources naturelles et les normes relatives aux droits de l’homme.

En réalité, cette confrontation normative se pose essentiellement devant le juge – national ou international – qui tentera de trancher le conflit de normes. Ainsi, nous nous intéresserons ici à la manière dont les juges nationaux et internationaux, d’un point de vue formel, pourraient trancher ces intérêts divergents qui opposent d’un côté les droits de l’État, et de l’autre les obligations relatives aux droits de l’homme.

À ce propos, plusieurs questions se posent. Par exemple, existe-t-il une confrontation formelle entre la souveraineté permanente et les droits de l’homme ? Existe-t-il une hiérarchie normative entre ces deux notions juridiques ? Dans le cas l’on trouve une confrontation formelle, de quelle manière serait-il possible de la résoudre ? Par quel juge ?

Au niveau national, la solution des litiges concernant les droits de l’État issus de la souveraineté permanente et les obligations internationales de l’État relatives aux droits de l’homme sont étroitement dépendantes de l’organisation choisie par cet ordre juridique national. Il incombe en effet à ce dernier de déterminer la place des droits de l’homme dans son système juridique, lesquels sont incorporés par l’État à travers la ratification de conventions, comme par exemple le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966410. La solution des litiges sera également dépendante de la liberté d’appréciation conférée au juge national pour appliquer les normes coutumières relatives aux droits de l’homme. Les droits de l’État relatifs aux ressources naturelles sont issus de ses pouvoirs d’imperium et dominium, et consistent, en réalité, en une prolongation de la souveraineté territoriale de l’État411. Les normes relatives à la souveraineté de l’État sont donc, en général, réaffirmés dans les constitutions comme se situant au niveau le plus élevé dans la hiérarchie des normes de chaque État. En revanche, particulièrement dans les systèmes sud-américains, les réglementations concernant l’exploitation ou la gestion de ressources sont couramment créées par des lois ordinaires fédérales ou locales412.

Dans le cas où les deux notions juridiques – souveraineté permanente et droits de l’homme – occupent la même position dans l’ordre juridique interne, le juge dispose alors de différents principes pour l’aider à résoudre ce conflit de normes, comme le principe selon lequel la loi spéciale prévaut sur la loi générale, ou bien celui qui fait prévaloir la loi

international : difficultés découlant de la diversification et de l’expansion du droit international », Annuaire de la

Commission du droit international, vol. 2, 2006, UN. Doc. [A/61/10], §2.

410

À ce sujet, de manière plus approfondie, voir infra, Deuxième Partie, Titre I, chapitre 2.

411

À propos de l’appréciation de litiges au niveau national, voir infra, Deuxième Partie, Titre I, chapitre 2.

412

postérieure sur la loi antérieure ou bien encore d’autres principes du droit ou de la jurisprudence ou d’autres normes d’interprétation413.

En définitive, l’émergence de la confrontation purement formelle entre la souveraineté permanente et les droits de l’homme, ainsi que la manière dont le juge national tranchera la question, est subordonnée à l’ordre juridique interne de chaque État.

Toutefois, bien que la confrontation juridique, qui se présente au niveau infra- étatique, comporte parfois uniquement des éléments d’ordre interne, comme dans le cas de Belo Monte, la problématique a été tout de même été prise en compte par le droit international.

Ainsi, comme pour la « confrontation concrète » précédemment exposée (concernant les faits), on identifie une confrontation de normes qui sont concernées dans ce contexte. Dans ce cas là, trancher le conflit de normes paraît plus compliqué. Si le juge national peut compter sur des règles précises dans l’ordre interne pour résoudre ce conflit, devant le juge international, la solution se trouve plus nébuleuse. Il faut distinguer deux cas de conflits distincts. Tout d’abord le conflit de normes sur le plan formel, c’est-à-dire, la confrontation de plusieurs sources formelles distinctes (§1). Puis, la confrontation de normes

sur le plan matériel, qui concerne le contenu des normes (§2).

§1 – La « confrontation formelle » entre le principe de souveraineté permanente et les droits de l’homme

Dans l’exercice de la souveraineté permanente, apparaît une confrontation formelle entre la souveraineté permanente et les droits de l’homme du point de vue du droit international. En effet, différentes normes issues de sources différentes coexistent au niveau international. Les exigences procédurales d’élaboration de ces normes diffèrent en fonction de

l’auteur et de la source de cette norme414. Ainsi, une même norme peut être issue de plusieurs

sources différentes, comme l’a déjà souligné la Cour internationale de Justice415. C’est d’ailleurs le cas de chacune de ces deux notions juridiques. La souveraineté permanente sur les ressources naturelles et les normes relatives aux droits de l’homme sont issues de plusieurs

413

Voir à cet égard FERRAZ JUNIOR, T. S. Introdução ao Estudo do Direito : Técnica, Décisão, Dominação, 4ème

éd., São Paulo, Atlas, 2003, 362 p. ; BRUNET, P., « Les principes généraux du droit et la hiérarchie des normes », in BRUNET, P. , DE BÉCHILLON, D. , CHAMPEIL-DESPLATS, V. , MILLARD, E. (coord.).

L’architecture du droit. Mélanges en l’honneur de Michel Troper, Paris, Economica, 2006, pp. 207-221.

414

PELLET, A., DAILLIER, P., FORTEAU, M. Droit International Public, op. cit., p. 126.

415

CIJ, affaire du Plateau continental de la mer du Nord (République fédérale de l’Allemagne c. Danemark), arrêt du 20 février 1969, Recueil 1969, §25.

sources normatives, ce qui rend le conflit de normes encore plus difficile à trancher. C’est pourquoi il nous faut distinguer le pluralisme de sources formelles dans la souveraineté permanente (A) et dans les normes relatives aux droits de l’homme (B), pour enfin saisir la confrontation des sources qui peut advenir entre ces deux notions (C).

A) Le pluralisme de sources formelles dans la souveraineté permanente sur les

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