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Chapitre  II   –  Lieux  d’enquête  :  Recife  et  sa  région  métropolitaine

1.   Recife  :  de  la  ville  d’hier  à  la  capitale  d’aujourd’hui

1.1.   La  ville  dans  l’histoire

Fondée en 1537, Recife figure parmi les plus anciennes villes brésiliennes. Au début du 16e siècle, elle n’était qu’un port où les embarcations coloniales accostaient. Progressivement, ce port est devenu un point incontournable du commerce maritime international développé par les Portugais, du fait de l’exportation du bois59 et de la canne-à-sucre vers l’Europe. C’est également le premier port d’arrivée d’esclaves des Amériques, où les premières populations noires venues d’Afrique ont été débarquées (Alencastro, 2000 ; Bastide, 1996).

Au cours du 17e siècle, Recife s’est transformée. A cette époque, elle a reçu des installations modernes et une population cosmopolite, dont des Portugais, des Hollandais, des Français, des Espagnols, des Anglais, des Africains et des Indigènes. Si au début du 16e siècle, la ville a été sous l’égide des Portugais, au 17e siècle, elle a connu une occupation hollandaise qui a duré de 1630 à 1654. Durant cette période, les Hollandais ont projeté la ville dans l’ère moderne, notamment avec des constructions reflétant une architecture de style européen. Sous l’occupation hollandaise Recife était appelée de « Nova Holanda », soit la Nouvelle Hollande.

En 1645, encore sous occupation hollandaise, la ville a connu l’un de ses plus grands événements historiques : une insurrection pour renverser le pouvoir hollandais au profit des colonisateurs portugais. Cette insurrection fut l’amorce de l’expulsion des Hollandais du territoire brésilien en 1654. Par la suite, entre le 18e et le 19e siècle, Recife a été le théâtre d’autres événements historiques importants, dont la « Guerre dos Mascates » (1710-1711), la « Revolução Pernambucana » (1817) et la « Revolução Praieira » (1848-1850). La Révolution de Pernambouc (1817) a conduit au détachement de la province de Pernambouc du royaume du Portugal. Ce fait historique a eu une portée nationale, il a en effet été le point de départ du processus d’indépendance du Brésil (Calmon, 1947).

Par ailleurs, Recife a été aussi une ville où s’est amorcé le régime esclavagiste brésilien, lequel a commencé au 16e siècle et s’est poursuivi jusqu’au 19e siècle. Ces quatre cents ans de pratiques esclavagistes ont fait du Brésil le dernier pays à avoir aboli l’esclavage (Alencastro, 2000 ; Hébrard, 2012). Cette longue période ayant marqué la société brésilienne a été nommée par Gilberto Freyre de « La société des maîtres et esclaves » (Freyre, 1980). Pour ce dernier, il s’agissait d’une société dualiste, qui s’est développée particulièrement au Nordeste du Brésil.

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Il s’agissait du bois brésil qui, à cause de son essence exotique et de son teint rougeâtre, était amené en Europe pour la fabrication de meubles et pour la teinturerie (Calmon, 1951).

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Les maîtres, propriétaires latifundiaires, possédaient des grandes parcelles de terre où ils cultivaient principalement la canne-à-sucre. Ils détenaient les moyens de production, le contrôle de la main d’œuvre esclave, le capital économique, social et culturel de l’époque.

La région Nordeste était le centre de la production sucrière au Brésil, et Recife en constituait un pôle très important. Pour Freyre (1951), « (…) durant la période décisive de la

formation brésilienne, l’histoire du Brésil a été l’histoire du sucre » (Freyre, 1951 : 42). Matière

première très convoitée en Europe, le sucre était à la base d’une « culture brésilienne » au sens large du terme, renvoyant aux rapports socioéconomiques, mais aussi aux positions de prestige, individuels et collectifs, dans une atmosphère sociale particulière que Freyre a appelé « la

société du sucre » (Freyre, 1956).

Jusqu’au début du 18e siècle, le sucre a constitué la principale richesse du Brésil. Ce produit a alimenté un marché international Outre-Atlantique durant trois siècles. Les esclaves, venus d’Afrique avec la traite négrière, étaient soumis au travail forcé dans les champs de canne-à-sucre sous l’emprise de leurs maîtres. Ils résidaient dans les propriétés agricoles entassés dans un local appelé « senzala » qui correspond à un endroit rudimentaire où les esclaves se reposaient la nuit après leur longue journée de travail. Ils y vivaient dans la promiscuité et sans aucun confort. Chez leur maître, ils devaient obéir aux ordres et toute tentative d’évasion, de rébellion ou de révolte était sévèrement condamnée au prix de leur vie.

Pourtant, cela n’a pas empêché quelques évasions et soulèvements dont un des plus célèbres, celui de Zumbi dos Palmares. Esclave évadé et guerrier, il a fondé un quilombo60 appelé Palmares. Capturé et assassiné, sa tête fut exposée sur une place du centre-ville de Recife jusqu’à sa décomposition afin de servir de leçon aux autres esclaves. Depuis, l’histoire de ce personnage est devenue un mythe. Il a été considéré comme un martyr et est un symbole national de la résistance noire au Brésil. En 1995, le gouvernement brésilien a reconnu le 20 novembre, jour de la mort de Zumbi, journée de la conscience noire dans le pays, et certaines municipalités et villes brésiliennes ont décrété ce jour férié.

Dans cet univers socioéconomique, mené par une main d’œuvre esclave, s’est produit le premier mélange ethnico-culturel de l’histoire du pays à travers la rencontre du Blanc avec le Noir. Il s’agit du métissage (Ramos, 1952), dont le syncrétisme religieux est l’expression par excellence (Bastide, 1995). Reçus par leur maître, les esclaves ont été contraints à la

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Lieu et communauté où vivaient les esclaves évadés. Pour aller plus loin, voir l’ouvrage collectif de Flávio dos Santos Gomes et João José Reis, publié en 1996, en version brésilienne : Liberdade por um fio. História dos quilombos no Brasil, traduit au français par Georges da Costa, 2018. Quilombos : communautés d’esclaves insoumis au Brésil, Éditions l’Échappée, Paris.

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christianisation, et ils recevaient des prénoms chrétiens inspirés de personnages bibliques ou de saints catholiques. Or, lorsque les esclaves se recueillaient dans leur senzala, ils pouvaient se retrouver entre eux et songer à leurs traditions de leur pays d’origine (Ibid., 1995). C’est ainsi qu’ils sont parvenus à garder leurs croyances en la dissimulant derrière les images des saints catholiques des Blancs. A partir de cet amalgame, le syncrétisme religieux émerge basé sur des éléments religieux des Blancs, lesquels ont été appropriés par les Noirs, et ceux appartenant à l’univers socioculturel des Noirs (Ibid., 1995).

L’étude de Bastide (1995) n’a fait que corroborer ce que Freyre avait déjà mis en avant sur le syncrétisme entre Blancs et Noirs au début du 20e siècle (Freyre, 1980). Pour ce dernier, la relation rapprochée entre ces deux ethnies au quotidien a fait émerger des pratiques hybrides chez les populations noires, principalement sur le plan religieux. C’est pourquoi, au 19e siècle, ce mélange ethnique, culturel et social va donner naissance aux cultes « afro-descendants », également connus comme « afro-brésiliens » (Lima, Guillen, 2012 ; Vogel et al., 2012). A Recife, ils ont entre autres pris la forme du « Xangô » (Bastide, 1995a) et du « Catimbó » (Cascudo, 1978 ; Lima, Guillen, 2012).

D’autres peuples ont aussi débarqué à Recife avec leur bagage socio-culturel, c’est le cas des juifs. Arrivés au début du 17e siècle, ils ont fondé dans cette ville la toute première synagogue des Amériques, la Kahal Zur Israel, en 1637. Formant un groupe d’environ quatre cents personnes, ces juifs, provenant de l’Europe, se sont installés dans la ville durant la période de l’occupation hollandaise. Lorsque les Hollandais ont été chassés, nombre de juifs ont quitté l’« Amérique portugaise » – expression de Novais et Souza (1997), pour l’Amérique du Nord. Les protestants y ont fait leur apparition dès le 17e siècle, mais leur implantation socioreligieuse s’est déroulée surtout au cours du 19e siècle (Ribeiro, 1973 ; Santos, 2008 ; Vieira, 1980).

Tous ces groupes socioculturels ont contribué à enrichir l’univers social et culturel de Recife en la transformant en une ville cosmopolite et ouverte à la diversité, une image qui reflète en réalité la diversité de la nation brésilienne (Ramos, 1952). Les apports socioculturels des immigrés ainsi que les mélanges qui se sont opérés entre ces différents peuples à travers les siècles ont fait du Brésil ce qu’il représente aujourd’hui (DaMatta, 1984 ; Ortiz, 2012).

S’agissant toujours de Recife, cette ville est par ailleurs réputée pour ses penseurs intellectuels et sa production socioculturelle locale. Elle a été le berceau de plusieurs noms de la pensée intellectuelle brésilienne. Pour n’en citer que quelques-unes, Tobias Barreto, Sílvio

Romero, Joaquim Nabuco, Gilberto Freyre. Les trois premiers ont fait partie de la génération

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été formés dans la prestigieuse Faculté de Droit de Recife rendue célèbre par son titre d’« École de Recife » (Saldanha, 1985), parce qu’elle a su marquer son caractère régional dans la production du savoir et de la pensée brésilienne nationale au 19e et 20e siècles.

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