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Chapitre  III   –  Le  terrain  ethnographique  :  méthodes,  apprentissages  et  expériences

1.   Le  terrain  et  les  méthodes  :  des  premiers  constats  au  recours  à  la  cartographie

1.5.   Du  recours  à  des  supports  matériels  et  leur  usage

Durant mes entretiens approfondis, j’ai eu recours à des supports matériels électroniques et audiovisuels tels que dictaphone, caméra et, parfois, appareil photo. À l’ère du numérique, ces outils sont d’une grande aide sur le terrain car ils permettent de constituer un corpus de données matérielles illustratives (Beaud, Weber, 2010 ; Laplantine, 1996 ; Olivier de Sardan, 2008). L’emploi de ces outils a par ailleurs permis la création de films ethnographiques (Piault, 2008). Si, auparavant, les premiers voyageurs ethnologues disposaient de leur cahier de notes (De Gérando, 1800) et de leur machine à écrire (Malinowski, 1989 ; Mead, 1993 ; White, 1995), désormais, les supports matériels numériques sont devenus des incontournables sur le terrain ethnographique.

Les supports numériques auxquels j’ai eu recours dans mon étude ethnographique m’ont servi d’appui à mes notes de terrain voire de complémentarité, c’est le cas du dictaphone. Bien que le cahier de notes soit indispensable à l’enquête ethnographique (De Gérando, 1800 ; Malinowski, 1989 ; Mauss, 2002), au moment de la discussion certains éléments peuvent être omis dans la notation. Dans ce cas, l’enregistrement sonore vient compléter ce qui a pu échapper à l’oreille de l’enquêteur (Olivier de Sardan, 2008). De même, certains outils, comme l’appareil photo, permettent d’illustrer des faits observés à des moments précis (Laplantine, 1996). Je décrirai comment leur usage a été mobilisé dans mon enquête de terrain et ce qu’ils m’ont suscité comme réflexion.

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Le dictaphone a été utilisé de manière systématique, notamment pendant les entretiens approfondis. Ceux-ci ont été tous enregistrés et, lorsqu’il a été possible, ils ont été également filmés. L’usage du dictaphone n’a posé aucun problème, le caméscope en revanche a intimidé, surtout les individus les plus réservés. Dans le premier cas, avant de passer à la phase de l’enregistrement vocal des individus, avec lesquels j’avais préalablement échangé, l’usage du dictaphone n’a pas suscité de gêne. Dans le deuxième cas, la timidité et la réserve de soi a constitué un motif de refus vis-à-vis de la caméra, ce qui me paraissait tout à fait compréhensible.

Il ne s’agissait pas d’imposer la caméra aux individus interrogés, mais tout simplement de leur proposer l’option d’une interviewe filmée. Je leur ai expliqué que l’image enregistrée me servirait de complément d’analyse pour mes études de cas. À ce titre, l’enregistrement sonore et audiovisuel a été réalisé avec un accord explicite entre moi et la personne interviewée, et dans un respect mutuel. La personne n’avait aucune obligation d’accepter ma proposition.

Indépendamment de la réponse, positive ou négative, et par soucis de transparence à l’égard de mon interlocuteur (Olivier de Sardan, 2008), j’ai toujours veillé à bien expliquer que les sons et les images n’allaient pas être diffusés en dehors du cadre académique. Ils seraient plutôt mobilisés à but pédagogique afin d’illustrer mes interventions dans des séminaires, cours et colloques autour de l’évangélisme pentecôtiste au Brésil. Même si j’ai eu quelques refus, justifiés par la timidité et la réserve des personnes sollicitées, j’ai réalisé une dizaine d’interviewes filmées avec des femmes et des hommes entre seize et soixante-dix-neuf ans. Parmi ces personnes, certaines ont manifesté ouvertement le souhait d’être filmées. Elles souhaitaient qu’on puisse regarder leur visage d’adhérent à un mouvement religieux qu’ils ont embrassé avec volonté et conviction. Ces interviewes filmées représentent ainsi de véritables témoignages directs d’individus engagés dans leur foi à la doctrine évangélique pentecôtiste.

Accéder à leur univers religieux par le biais de l’image m’a permis de garder une trace matérielle de leur vie personnelle, de leur individualité voire de leur intimité. Ces traces s’inscrivent dans le temps de l’enquête, celui de la rencontre avec mes interlocuteurs de référence. Elles renvoient à un moment précis désormais archivé parmi l’ensemble des données matérielles recueillies durant mon enquête de terrain (Laplantine, 1996). La matérialisation de l’univers individuel et intime de mes interlocuteurs a sans doute été possible grâce aux nombreux échanges préalables, se déroulant au cours de mon séjour de terrain, lesquels m’ont permis de tisser un rapport de confiance durable.

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Au début de ma recherche, ces échanges ont représenté un tremplin à une ouverture relationnelle rapprochée avec mes interlocuteurs de référence. Au fil de nos conversations, la confiance s’installait à mesure que les sujets de dialogues variaient et se complexifiaient. À ce moment-là, l’introduction d’un élément matériel tel que le dictaphone, ou la caméra pour certains, ne semblait pas être une barrière. Au contraire, cela s’avérait une manière de se faire connaître à travers leur adhésion religieuse, mais aussi via le partage de leur univers religieux avec d’autres individus. En somme, il s’agissait d’une volonté manifeste de témoigner sur leur parcours ainsi que de leur expérience dans et à travers l’évangélisme pentecôtiste.

Pourtant, derrière cette volonté de partage, il y avait parfois une discursivité qui révèle des raisonnements individuels dus aux formes de positionnement tranchées des enquêtés. Par exemple, durant mes entretiens, j’ai eu affaire à des propos accablants de nature discriminatoire, et quelques fois violente, concernant des sujets sensibles tels que l’avortement, l’homosexualité, l’adultère, l’adhésion à un autre confession religieuse que la leur et à la couleur de peau. Ces sujets portaient assez souvent sur des cas concrets de personnes connues, notamment de voisins. La plupart du temps, j’arrivais à identifier de qui il s’agissait, ce qui me mettait dans une position à la fois de complicité et de gêne.

Même si on tente de travailler dans l’empathie vis-à-vis de nos interlocuteurs, à certains moments la conversation peut devenir épineuse voire ingérable selon les situations (Fancello, 2008 ; Ghasarian, 2002). Dans mon cas, lorsqu’il y avait des moments délicats, je m’efforçais de contourner la discussion en introduisant d’autres sujets plus légers. J’évoquais alors des commémorations, des rassemblements ou des rencontres festives. Cela me donnait la possibilité de passer paisiblement à une autre thématique et éviter de poursuivre une conversation susceptible de me gêner.

Toutefois, j’ai remarqué quelque chose d’intéressant lors de ces discussions portant sur des sujets épineux. Elles se déroulaient souvent en dehors du temps d’enregistrement. Par conséquent, elles ne figurent guère dans les entretiens filmés et dans les enregistrements audios. Elles sont surtout présentes dans mes notes de terrain, car elles représentent en grande partie mes échanges s’inscrivant dans une temporalité en dehors de l’enregistrement.

Dès lors que l’entretien devient fluide, les individus semblent oublier qu’ils sont pris dans un cadre d’enquête ethnographique. Or, cela n’est qu’impression puisqu’ils ne sont pas pour autant dupes (Beaud, Weber, 2010). Parce qu’ils sont conscients qu’ils sont enregistrés, ils mesurent alors leur propos selon les circonstances rencontrées (Olivier de Sardan, 2008). De ce fait, si d’un côté, ils acceptent de participer à l’enquête et font connaître leur positionnement,

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de l’autre côté, ils ajustent leurs propos en fonction du format proposé par l’enquêteur (Ibid., 2008).

Mais la question de la gestion des propos déroutants recueillis s’est posée à moi lors de l’analyse de mes données. Comment devrai-je les traiter ? Après un moment de réflexion, je ne voyais dans ces propos que des prises de position de nature idéologique. Les faire ressortir dans mes résultats de recherche ne m’aiderait pas vraiment à comprendre la dynamique du mouvement évangélique pentecôtiste au quotidien.

Les idéologies individuelles et collectives sont marquées par des perceptions individuelles d’autrui que chacun porte en soi (Augé, 2006 ; Segalen, 1989). Or, la perception d’autrui n’est pas uniquement déterminée par une position religieuse donnée, elle renvoie à des facteurs multiples de nature socioculturelle ou symboliques comme, par exemple, une orientation politique ou la peur de l’autre (Algan et al., 2019 ; Kilani, 1994). J’ai fait alors le choix d’ignorer ces propos, excepté lorsqu’ils pouvaient être mobilisés pour soulever des spécificités liées au mouvement évangélique pentecôtiste.

J’ai également eu recours à la photographie pour capter un contexte, une situation ou des instants précis marquant l’enquête. Ces images ont été sélectionnées et incorporées dans le corps de ce travail. Elles jouent un rôle de support visuel avec le but d’illustrer quelque chose de particulier observé à un moment précis. Pour certains, la photo peut être un élément non indispensable dans une recherche de terrain (Maresca, Meyer, 2013). Parce qu’elle prend une place importante par rapport au texte, voire elle peut concurrencer ce dernier dans la mesure où elle pourrait parler d’elle-même sans qu’une analyse approfondie soit avancée. Pour d’autres, elle incarne la matérialisation d’une réalité observée à un moment donnée qui devient archivable pour un usage a posteriori (Laplantine, 1996).

À cet égard, l’image « (…) constate, authentifie, garanti. Elle est de l’ordre de la

certitude, de l’évidence… de l’objectivité des faits » (Laplantine, 1996 : 77). Dans ce travail,

son usage est employé comme un outil matériel illustratif qui ne vient nullement remplacer les propos. Si l’image suggère, elle n’explique pas en profondeur ce qui est donné de la complexité de l’objet. Ici, elle a pour objectif d’appuyer les faits observés et certifier la description des objets présentés, lesquels sont relatifs au temps de l’enquête. Dans ce cas, elle constitue une preuve matérielle du terrain réalisé à un moment donné, un cadre, un contexte et une temporalité s’inscrivant dans un temps achevé repris a posteriori (Ibid., 1996).

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En plus des photos, d’autres éléments ont permis d’illustrer des sujets abordés durant mon enquête de terrain. Il s’agit d’affiches, essentiellement brochures et flyers, et de journaux recueillis auprès des églises étudiées, dont une partie figure dans les annexes. Ces supports visuels sont distribués dans les églises ou lors des sorties d’évangélisation. Ils sont un moyen d’invitation et une manière de faire connaître les événements et activités menées par les temples. Ce sont les obreiras et obreiros qui se chargent de leur distribution. Ils sont donnés aux participants des cultes avant ou après ce dernier. Les journaux étaient vendus à 1 real, soit environ trente centimes d’euros en 2015/2016. Leur prix est faible et vise à récolter de l’argent pour l’institution.

La lecture de ces supports papier, me renseignait sur les activités et événements se déroulant pendant mon temps de séjour sur le terrain. Ils ont un rôle informatif très efficace, et contribuent à la diffusion de l’information sur des moments forts et variés du calendrier des églises. Quelques fois, ils comportent des portraits de pasteurs ou des leaders fondateurs, ce qui me permettait de visualiser leurs visages et de les reconnaître dans les temples.

Si les matériaux d’affiche et les journaux sont distribués de façon récurrente lors des cultes et campagnes d’évangélisation, d’autres moyens sont également employés dans la diffusion des activités des temples puisque les églises évangéliques pentecôtistes s’inscrivent dans l’ère de la communication moderne (Assmann, 1986 ; Campos, 1977 ; Fonseca, 2003 ; Gutwirth, 1988, 1991). Elles mobilisent les moyens de communication de masse, dont la radio, la télévision et internet. J’ai eu recours à ces supports afin d’écouter et d’observer certains programmes radiophoniques et télévisés. Ceux-ci sont utilisés pour diffuser les activités des temples en temps réel, mais aussi ils s’invitent dans le quotidien des foyers des adhérents aux églises qui écoutent et regardent tous les jours leurs programmes favoris, dont certaines prières qui introduisent le rituel à la maison.

En somme, les enregistrements et les autres supports mobilisés au cours de ma recherche m’ont permis de constituer un corpus de données matérielles complémentaires aux notes de terrain. En revanche, leur contenu suggère une certaine prudence et une bienveillance, afin d’éviter des dérives de type sensationnaliste lors des résultats exposant les positionnements individuels étudiés. Par exemple, certains pasteurs se permettent d’énoncer des discours virulents, notamment contre d’autres groupes religieux, dans des articles ou programmes radiophoniques ou télévisées, qui ne seraient rendre compte de la complexité de leur positionnement doctrinal et institutionnel.

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À ce propos, certains travaux académiques ont mis en avant, à tort ou à raison, des postures personnelles embarrassantes de quelques leaders évangéliques pentecôtistes au Brésil (Mariano, 1999). Dans le cas de mon enquête, les positionnements individuels étaient à différencier de mon objet central qui est la compréhension de l’évangélisme pentecôtiste dans la vie quotidienne des individus. Mettre en avant des postures particulières aurait été moins pertinent que mon attention aux nombreuses dynamiques du mouvement qui sont davantage observables dans des espaces localement situés.

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