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Chapitre  III   –  Le  terrain  ethnographique  :  méthodes,  apprentissages  et  expériences

1.   L’évangélisme  pentecôtiste  dans  la  ville  :  l’exemple  des  églises-­‐mère

1.1.   Les  églises-­‐mère  dans  le  paysage  urbain  de  Recife

Les avenues Cruz Cabugá et Mario Melo apparaissent comme des lieux centraux du mouvement évangélique pentecôtiste à Recife ; plusieurs églises-mère, dont la capacité d’accueil est de quelques milliers de personnes, y sont implantées. L’AD, l’IURD et l’IIGD sont parmi celles qui sont les plus fréquentées, d’une manière générale elles réunissent le plus grand nombre de personnes adhérant à l’évangélisme pentecôtiste au Brésil (Teixeira, Menezes, 2013 ; Jacob, 2006).

Le terme église-mère est une traduction littérale des mots « templo central » ou « sede », du portugais brésilien. Ceux-ci sont habituellement employés par les adhérents au mouvement évangélique pentecôtiste pour désigner l’église centrale de base du mouvement dans l’état de Pernambuco. L’église-mère regroupe un certain nombre d’activités administratives, ecclésiastiques, évangélisatrices et juridiques, ainsi que la formation, l’encadrement et la désignation de pasteurs. De plus, elle accompagne, supervise et appuie les temples locaux implantés dans les quartiers périurbains qui lui sont rattachées. Chacune a un mode de fonctionnement propre.

Le fonctionnement de l’Assembléia de Deus, par exemple, est encadré par la «

Convenção dos Ministros da Assembleia de Deus no Estado de Pernambuco (COMADEPE) »,

soit la Convention des Ministres de l’Assembléia de Deus dans l’état de Pernambuco. Cet organisme a été mis en place à la suite de la première Convenção Geral das Assembleias de

Deus no Brasil (CGADB) qui s’est tenue en 1930 à Natal dans l’état du Rio Grande do Norte

(Daniel, 2004)127. La COMADEPE fonctionne comme organe ecclésiastique regroupant un certain nombre de pasteurs-leaders issus d’églises de l’AD implantées à travers l’État de Pernambuco. Ceux-ci élisent par suffrage interne le pasteur-évêque ou pasteur-président devant assumer sa direction, mais aussi le pasteur-président de l’église-mère de l’AD de Recife.

Ce dernier gère les fonctions administratives, ecclésiastiques et juridiques de son église-mère. Néanmoins, ses actions couvrent un champ plus large, car il exerce un rôle de supervision des temples implantés sur le territoire de sa juridiction. C’est-à-dire qu’il accompagne le fonctionnement des églises succursales installées dans les villes et quartiers de la région métropolitaine de Recife, comme dans les petites et moyennes villes situées à l’intérieur des

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terres. Le pasteur-président de l’église-mère est entouré par un conseil composé de ministres, notamment par des évangélistes, pasteurs et presbytres. Ces derniers assistent leur supérieur en le représentant, par exemple, dans les festivités commémoratives ou lorsqu’il s’agit d’inaugurer un nouveau temple. Ils sont également amenés à diriger, superviser et accompagner le travail évangélisateur d’églises succursales.

Ces dernières sont nombreuses dans les quartiers périurbains et également implantées dans toutes les villes du territoire pernambucano. L’ensemble des temples constitue le réseau élargi de l’Assembléia de Deus dans l’État de Pernambuco, et qui est rattaché à l’église-mère de Recife. Leur gestion administrative et ecclésiastique est à la charge d’évangélistes, pasteurs, presbytres et pasteurs auxiliaires, mais aussi des diacres et des secrétaires. Les quatre premiers sont élus par le « conseil de ministres », soit les pasteurs leaders qui sont eux-mêmes des évangélistes et presbytres, leurs votes étant approuvés lors des assemblées générales organisées au cours des rencontres annuelles de la COMADEPE. Les églises succursales disposent par ailleurs d’une certaine autonomie administrative, notamment s’agissant du choix des diacres, secrétaires, trésoriers et responsables d’activités évangélisatrices. Ceux-ci sont généralement des individus résidant à proximité de l’église, alors que les pasteurs viennent le plus souvent d’autres villes ou d’autres quartiers.

En parcourant les avenues et les rues des villes ou des quartiers, on aperçoit des bâtiments religieux façonnés par une architecture moderne, qui varie selon que l’on se trouve au centre-ville ou à l’intérieur d’un quartier. Les églises évangéliques pentecôtistes ont transformé le paysage urbain brésilien. À Recife, les églises-mère de l’AD, de l’IURD et de l’IIGD se sont implantées au milieu de zones résidentiels, où se trouve des entreprises, des administrations d’État, des écoles, des commerces, des syndicats, une base militaire.

La carte ci-dessous illustre l’implantation des églises-mère, dans les quartiers centraux, elles sont représentées en rouge et numérotés de 1 à 5. Il est à noter qu’elles occupent l’axe inférieur de l’avenue Cruz Cabugá, au sud-ouest, ainsi que l’axe inférieur de l’avenue Mario

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Figure 15. Les avenues Cruz Cabugá et Mario Melo en 2015.Les numéros 1, 2 et 4 correspondent respectivement aux églises-mère de l’IURD, de l’IIGD et de l’AD. (Données recueillies sur le terrain par l’auteure ; Réalisation de la carte : Thomas Maillard).

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Dans cet espace urbain, les églises-mère occupent une place stratégique, privilégiée et légitime, notamment pour deux raisons. En premier lieu, leurs dirigeants ont fait l’acquisition de bâtiments désaffectés servant autrefois d’entrepôt ou de local commercial. Abandonnés, et parfois transformés en squats, ces locaux défiguraient le paysage urbain. Selon des informations recueillies auprès du service de gestion urbaine de la mairie de Recife, l’acquisition de ces locaux par des églises évangéliques a favorisé la rénovation du centre-ville avec la construction de bâtiments religieux modernes et spacieux. Il s’avère que les églises-mères implantées à la

Cruz Cabugá sont perçues par les gestionnaires urbains comme des lieux légitimes, car elles se

sont complétement intégrées dans le projet de modernisation de la ville, du fait qu’elles ont contribué à son processus de mutation urbanistique.

Par ailleurs, si les églises-mère s’intègrent aux autres unités urbaines, elles sont en concurrence pour la conquête de l’espace. Leaders fondateurs se lancent dans la construction de temples de plus en plus grands et modernes (Almeida, 2016). L’AD semble être la pionnière parmi les églises évangéliques pentecôtistes dans cette entreprise (Mafra, 2007). À présent, les églises de troisième vague, dites « néo-pentecôtistes », font preuve de leur ambition comme en témoigne la construction du Temple de Salomão à São Paulo, le plus grand temple de l’IURD au Brésil (Macedo, 2014)128.

À Recife, les trois église-mère s’inscrivent dans cette perspective. La construction de la cathédrale de la foi de l’IURD en est un exemple. Cette église-mère se distingue nettement des autres129. Son bâtiment moderne rayonne sur l’espace urbanistique recifense par son innovation architecturale et par sa capacité d’accueil. Elle représente ainsi une unité architecturale insérée dans un système urbanistique au sein duquel elle apporte une perspective visuelle nouvelle faite de symbolisme et d’imaginaire. Un grand cœur rouge avec une colombe blanche a été sculpté au milieu de la façade et les murs sont couverts de petits carreaux bleus. Il s’agit là de l’emble de l’IURD que l’on retrouve partout au Brésil et à l’étranger (Aubrée, 2000, 2003 ; Cortén, Dozon, Oro, 2003 ; Rocha de Oliveira, 2014 ; Soares, 2005 ; Weiner, 2009). Sur l’autre partie figure une croix dorée, avec la phrase « Jésus Christ est le Seigneur ». L’emblème caractérisant l’IURD est un symbole de paix et de fraternité intégré dans le paysage urbain brésilien. Ce symbole gravé sur la façade imprime un imaginaire religieux dans l’espace urbain. Certaines personnes adhérant à cette église, se reconnaissent à travers cette image, par exemple, certains

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Voir ouvrages évangéliques.

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de mes interlocuteurs fréquentant l’IURD me disaient qu’ils faisaient partie de l’église au cœur rouge avec une colombe de paix.

En second lieu, les église-mère ont été bâties dans un emplacement stratégique non seulement d’un point de vue urbanistique, mais aussi logistique. La carte ci-dessus l’illustre. Le centre-ville est desservi par des artères centrales où la circulation de véhicules, privés et de transports collectifs, est intense. Le réseau de transport collectif métropolitain recifense compte 394 lignes de bus130, dont plusieurs circulent sur l’avenue Cruz Cabugá. Plus d’un million d’usagers empruntent quotidiennement les transports en commun en direction du centre-ville131.

Les lignes de bus desservent différentes destinations de la région métropolitaine, y compris les agglomérations du Grand Recife qui sont reliées à la capitale par le réseau de transport collectif métropolitain. Dès lors, ces églises-mères sont très facilement accessibles en transport en commun. L’accès physique aux églises-mère a été pris en compte dans la stratégie de leur implantation, et pour favoriser leur fréquentation étant donné leur capacité d’accueil de quelques milliers de personnes. En effet, les églises-mères évangéliques pentecôtistes se situent dans des axes centraux (Almeida, 2016), et ce choix n’est pas anodin, dans la mesure où il facilite le déplacement des masses d’individus qui se rendent à leurs cultes au moyen des transports en commun. Ce choix permet également une meilleure organisation des démarches effectuées par les différents groupes d’évangélisation des églises-mère.

Les groupes d’évangélisation rassemblent des volontaires qui veulent s’investir dans les campagnes, sorties et activités évangélisatrices. Ils se rendent sur le terrain pour diffuser la parole de Dieu. Ils choisissent, par exemple, une place publique ou un lieu très fréquenté, mais aussi des quartiers périurbains relativement proches des églises-mères où ils font du porte-à-porte. Les individus engagés dans ce travail d’évangélisation empruntent souvent les transports collectifs. C’est moins coûteux et donc plus accessible pour tous. Ils se rassemblent à l’église, puis repartent ensemble d’un arrêt de bus situé à quelques pas de leur église-mère. Parfois, ils investissent le bus comme espace d’évangélisation durant le temps d’un trajet, notamment en distribuant tracts et flyers aux autres voyageurs pour les inviter à se rendre à leur église.

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Information recueillie auprès de l’Entreprise métropolitaine de transports urbains Grande Recife, vérifiable sur leur site Internet http://www.granderecife.pe.gov.br/web/grande-recife/historico

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Parties intégrantes du paysage urbain recifense, les églises-mère renvoient également à d’autres représentations relatives aux expériences individuelles et collectives quotidiennes des différents individus.

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